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BELGIQUE CONFINEMENT
CHRONIQUES
DE CONFINEMENT
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PAR CONSTANTIN DECHAMPS
Il était une fois un virus, au départ comparé à une «grosse grippe», qui finit par mettre la quasi-totalité des citoyens européens, et une bonne partie de l’humanité, en confinement. Une mesure qui en plus de menacer certains droits et libertés à travers l’Europe, risque de nous plonger dans une crise économique comparable à la Grande Dépression des années 30. Pourtant une telle situation aurait pu être évitée si les bonnes décisions avaient été prises au bon moment. Pour autant, une crise est un de ces moments uniques où toutes les cartes sont rabattues et où toutes les solutions et futurs possibles peuvent être envisageables. En chinois mandarin,
le mot «crise» se compose de deux caractères «危» et «机», le premier signifie
danger et le second, opportunité. Une crise est donc un excellent moment pour se remettre en question afin de ne plus répéter les erreurs du passé.
COVID-19, L’HISTOIRE D’UN VIRUS
Il y a plusieurs milliers d’années, les virus de la famille coronaviridae ont commencé à infecter certaines espèces animales, dont les chauves-souris. Ces parasites et leurs hôtes ont co-évolué pendant tout ce temps, les chauvessouris devenant ainsi ce que l’on appelle un «réservoir» pour ces virus et notamment le Coronavirus actuel. À travers différents contacts entre les chauves-souris et d’autres mammifères, ce virus a pu infecter d’autres organismes, et ceux-ci étant en contact avec notre espèce, il a découvert l’hospitalité de l’espèce humaine. Il y a sept souches de Coronavirus différentes chez l’Humain, et celle dont je vous parle est le Coronavirus du «syndrome respiratoire aigu sévère 2» ou, plus pudiquement, «SARSCoV-2» qui cause l’infection «COVID-19». Dans ses cousins, nous avons également le «SARS-CoV-1» ou «SRAS» et le «MERS-CoV» ou «MERS» que nous avons respectivement connus en 2003 et 2012.
En fait, nous subissons les Coronavirus depuis plusieurs années, même si leurs dégâts étaient jusqu’alors limités à l’Asie et au Moyen-Orient. Ce qui explique sans doute en partie, mais n’excuse pas, l’impréparation de l’Europe et la «naïveté sanitaire» dont nous avons fait preuve. Tous ces organismes ont transité de leurs hôtes-réservoirs vers l’être humain via un autre mammifère. Pour le SRAS de 2003, il s’agissait d’une civette ; pour le MERS de 2012, c’était le dromadaire ; et pour le Coronavirus actuel, au moment où j’écris cet article, les soupçons se portent principalement sur le pangolin, bien que d’autres supposent également qu’il est passé directement de la chauve-souris à l’Homme… Mais là n’est pas le propos de mon article.
Le Coronavirus, au même titre que l’Ebola, le Zika ou le Sida, est une maladie virale. Ces virus prospèrent chez les animaux avant d’infecter l’Homme, les scientifiques les appellent des «zoonoses» (maladies d’origine animale). Ces dernières émergent depuis des «hub» de biodiversité. Il y a encore une dizaine d’années, on pensait que les forêts tropicales vierges et intactes constituaient une menace pour la santé humaine à cause de toutes les espèces exotiques qui y vivaient et donc des maladies et infections inconnues qu’elles pouvaient porter. Mais des recherches récentes prouvent exactement le contraire. C’est l’altération des écosystèmes par l’activité humaine
qui rend les «hub» de biodiversité dangereux, et non leur simple présence. L’extension non maitrisée de l’habitat humain, la déforestation et l’artificialisation des sols au profit de l’agriculture intensive provoquent de plus en plus d’interactions entre l’espèce humaine et le monde sauvage instaurant ainsi les conditions idéales pour l’émergence de nouvelles maladies et infections. Ainsi, ceux qui nous disent que l’épidémie de covid-19 était une fatalité et non pas la conséquence de certaines dérives d’un système économique ont tort.
GESTION SANITAIRE DE LA CRISE
Fin décembre, plusieurs cas de pneumonies étranges, qui ont été déclarés dans la province du Hubei, commencent à inquiéter les autorités chinoises. Le premier décès est rapporté la première semaine de janvier. La troisième semaine de ce même mois, des cas sont déclarés en Corée du Sud et en Thaïlande. La dernière semaine de janvier le Coronavirus est officiellement entré en Europe et en Amérique du Nord. Et, à mon avis, il n’est pas exagéré de dire que nos autorités regardaient alors ce virus avec un certain dédain. Au même moment, le nombre de cas déclarés en Chine approche du millier et la ville de Wuhan est placée en quarantaine complète. Nous sommes maintenant début mars, tandis que la Chine réussit à maitriser la flambée du nombre de ses cas, l’Italie et l’Iran découvrent avec effroi des foyers d’épidémie sur leurs territoires.
Cette rapide propagation du Coronavirus à travers la planète s’explique entre autres par le fait que la période d’incubation avant l’apparition des symptômes dure entre 1 et 14 jours (selon l’OMS). Dans la majorité des cas, les premiers signes de la maladie se dévoilent au bout de 5 jours, mais les personnes préalablement contaminées étaient déjà contagieuses. Ainsi, entre le moment où un individu est infecté et le moment où la maladie se révèle, il peut s’écouler plusieurs jours durant lesquels celuici continue de voyager avec le Coronavirus « dans ses bagages ». Et cela sans compter les porteurs sains, qui sont des personnes qui ont développé la maladie mais n’en présentent aucun symptôme, pour autant, elles n’en sont pas moins contagieuses.
La suite, nous ne la connaissons que trop bien avec notamment des premières mesures de confinement décrétées en Belgique le 18 mars. Dans le cadre de cet article, il est alors intéressant de comparer la gestion
sanitaire de cette crise, en Europe et en Asie. Nous le verrons, le dédain affiché aux prémices de cette crise ne sera pas innocent dans la manière dont nous l’avons gérée…
En Europe…
Le fait que l’Europe et la Belgique n’aient pas connu de situation sanitaire aussi dramatique depuis des décennies explique sans doute, en partie, l’impréparation d’une grande partie des gouvernements européens à faire face de manière efficace et coordonnée à la crise du Coronavirus. À titre exemplatif, alors que la ville de Wuhan était mise en quarantaine, aucune mesure de précaution n’était prise à l’échelon national ou européen vis-à-vis des voyageurs venant de cette région. Le port systématique de masques de protection n’était pas recommandé au public faute de stock suffisant (par souci d’économie) et des tests de dépistage massifs n’ont pas eu lieu. Enfin, soyons réalistes, l’Allemagne, en mettant en place une stratégie massive de dépistage, est sans doute l’une des exceptions européennes qui confirme la règle. Bref, nous ne pouvions ainsi que nous attendre à une flambée du nombre de cas avec pour seule mesure utile un confinement généralisé à toute la population afin de ne pas engorger les hôpitaux trop rapidement.
Malheureusement, l’impréparation mène à des dérives. En effet, les mesures de confinement peuvent être sujettes à de dangereuses dérives concernant le respect de la vie privée, je pense notamment à la collecte des données de géolocalisation (des téléphones) des citoyens afin de voir si ces derniers respectent les mesures de distanciation sociale ou afin de vérifier s’ils ont été en contact avec l’une ou l’autre personne infectée. Certes, pour le moment en Belgique (et en Europe), cette récolte des données se fait de manière anonymisée… Mais entre une récolte anonymisée et une récolte nominative des données, il n’y a qu’un pas et cela crée, de fait, un dangereux précédent pour l’état de droit. Il ne s’agit pas de choisir entre santé et vie privée, car comme Benjamin Franklin le disait : « Ceux qui peuvent renoncer à la liberté essentielle pour obtenir un peu de sécurité temporaire, ne méritent ni la liberté ni la sécurité». Il nous faut avoir les deux et compter sur le civisme des citoyens 1 . De plus, du fait de l’impréparation des États européens, des pouvoirs spéciaux et/ou des états d’urgence ont été décrétés vaille que vaille par plusieurs gouvernements. Ainsi, pendant que certains en profitent pour s’arroger les pleins pouvoirs pour une durée indéterminée – je pense à Mr. Orban, Premier ministre de Hongrie –, d’autres gouvernements – à l’instar de celui de Pologne –, profitent de l’interdiction des rassemblements (et donc de manifester) pour supprimer certains des droits des femmes notamment en tentant de faire passer une loi durcissant les conditions d’accès à IVG.
…et en Asie
Pendant que l’Europe redécouvre la peur des maladies au point de menacer à court et à long terme l’existence de certains droits, d’autres pays, sur le pied de guerre, ont réussi à maitriser rapidement l’évolution de l’épidémie sur leurs territoires et n’ont pas dû infliger des mesures drastiques de restriction des libertés, par le biais d’un confinement, à l’ensemble de leurs populations. Bien sûr, mon but n’est pas ici d’encenser ces mesures de lutte contre le Coronavirus, qui ont également leurs failles — il faudra également voir de quelles manières elles «résisteront» à une éventuelle seconde vague d’infection – mais je pense néanmoins qu’il serait de bon ton de s’en inspirer afin de mieux préparer l’Europe aux futures épidémies.
TAÏWAI: RAPIDITÉ ET ANTICIPATION Considéré comme le pays ayant le mieux su anticiper l’épidémie, Taïwan a pris très rapidement des mesures d’ampleur. Les citoyens chinois ont été interdits de séjour à partir du 6 février. Depuis le 7 mars, tous les voyageurs européens doivent éviter les lieux publics et porter obligatoirement un masque chirurgical en cas de sortie… D’autant que Taïwan affirme avoir compris que le Coronavirus se transmettait entre humain dès début janvier, alors que le gouvernement chinois ne l’a annoncé que le 20 janvier, tout comme l’Organisation mondiale de la Santé (OMS). Cette prise de conscience rapide a permis l’accélération de la production de masques, le pays serait capable d’en produire environ 10 millions par jour. Et pour éviter la pénurie, des mesures de régulation ont été prises: interdiction des exportations, réquisition pour le personnel médical ou encore distribution de deux masques par citoyen et par semaine. Résultat, au 20 avril, Taïwan ne compte que 422 cas et 6 décès sur son territoire pour une population totale de 23,5 millions d’habitants. Le pays n’est pas bloqué, il n’y a pas eu de panique, et la vie, bien que plus «lente», suit son cours.
CORÉE DU SUD: DÉPISTAGE ET TRANSPARENCE Près de 20 000 personnes testées par jour, le système se veut d’une ampleur exceptionnelle. Ces check-up sont menés gratuitement et directement sur des aires routières provisoires. Des alertes sont envoyées par SMS par le gouvernement sud-coréen de façon quotidienne pour informer les citoyens des cas de contamination détectés dans leurs quartiers. Une pratique plutôt bien accueillie par la population, bien que la question de la protection de la vie privée et des données personnelles me pose problème.
HONG KONG: DISTANCIATION SOCIALE ET PORT DU MASQUE Là, un état d’urgence sanitaire a été déclaré rapidement. Les mesures de distanciation sociale ont été accompagnées de mesures strictes de confinement et de quarantaine pour les personnes infectées. De plus, l’exemple hongkongais nous montre que lorsqu’une population adopte le port du masque, la propagation du virus peut être quasiment arrêtée. Notons également que le port de masque généralisé permet d’éviter que les porteurs asymptomatiques transmettent le virus. Au20 avril, Hong Kong dénombre 1026 cas et 4 décès pour 7 millions d’habitants.
PENSONS L’APRÈS CORONAVIRUS: TRANSFORMONS NOTRE ÉCONOMIE!
Le 18 mars la Belgique décrète ses premières mesures de confinement, à l’instar d’une grande partie du reste du monde. Tous les grands centres économiques de la planète sont d’une manière ou d’une autre touchés par les mesures visant à lutter contre la propagation du Coronavirus. Les entreprises sont contraintes de réduire, voire d’arrêter, leurs activités. Le chômage économique touche une bonne partie de la population, le spectre de l’augmentation des faillites devient réel. Pas un secteur n’est épargné et le FMI – Fonds Monétaire International – prévoit à ce stade, pour la crise du «Grand Confinement» 2 (en référence à la Grande Dépression des années 30), une récession de l’ordre de 3% du PIB mondial (prévision que le FMI a établie à la mi-avril). L’économie est en crise et les gouvernements vont devoir investir. Afin de préserver l’économie, des plans de relance, notamment à l’échelle européenne, sont en train de se dessiner. Et cette relance est une occasion unique à saisir pour «le jour d’après», afin d’opérer et d’accélérer la transition écologique et énergétique dont nous avons besoin si nous voulons lutter efficacement contre le changement climatique et la perte de la biodiversité.
Pourtant historiquement, lors d’une crise économique, les émissions de GES – gaz à effet de serre (ex: CO2) – baissent fortement du fait du ralentissement de l’activité économique. Mais cette baisse des émissions est immédiatement suivie d’une hausse rapide et plus forte de ces mêmes émissions de GES lors du plan de relance – le plus proche étant celui arrivant au lendemain de la crise de 2008.
Et face au spectre d’une relance «carboné», entre autres promue par les gouvernement tchèque et polonais qui souhaitent «oublier» le Green Deal (honte à eux!), plusieurs solutions existent. Car préserver l’économie ne veut pas dire maintenir à tout prix le tissu économique actuel.
1.PRÉVOIR DES
AIDES CONDITIONNÉES Prenons pour exemple les compagnies aériennes, ces dernières sont mises à mal par le quasi arrêt du tourisme, en conséquence, elles réclament des aides financières afin de pouvoir survivre à la crise. Le cas de la France est particulièrement significatif de ce qui est train de se passer en Europe (et notamment en Belgique). Les compagnies aériennes françaises demandent de baisser la fiscalité sur les billets d’avion ou bien de réduire les objectifs climatiques (déjà très faibles) imposés aux compagnies aériennes, alors que nous sommes dramatiquement en retard par rapport à nos engagements de l’Accord de Paris sur le climat.
Ainsi, les économistes Ronan Frydman et Edmund Phelps (Prix Nobel d’économie 2006), proposent, que les aides qui seraient versées aux entreprises – et notamment aux compagnies aériennes – soient «conditionnées» avec d’une part des objectifs sociaux mais surtout des objectifs climatiques. Ne serait-il pas en effet schizophrène de voir de l’argent public servir à voler au secours de telles compagnies, sans juste compensation? À l’image de l’Autriche, qui à la mi-avril, est en train de négocier une aide financière avec sa compagnie aérienne porte-drapeau Austria Airlines, à la condition que cette dernière respecte des objectifs climatiques. Cela peut prendre la forme d’une réduction, voire d’une suppression, des vols court-courriers ou bien le recours accru à du carburant durable d’aviation, selon la ministre autrichienne de l’Environnement Leonore Gewessler. 3
© Petr Pohudka/Shutterstock
2.UTILISER ET RENFORCER
LE GREEN DEAL Alors que certains souhaiteraient «l’oublier», il nous faut au contraire utiliser et renforcer le Green Deal européen comme cadre pour la relance. Et à cela, j’ai deux bonnes nouvelles!
La première, c’est que la volonté politique pour une «relance verte» existe. Une alliance informelle est en train de se dessiner au Parlement européen réunissant des parlementaires 4 de plusieurs groupes politiques. De plus, 12 ministres européens de l’Environnement, dont les ministres français et allemand, dans une lettre adressée à la Commission européenne, plaident pour une telle relance.
Deuxième bonne nouvelle, toutes les solutions, techniques ou humaines, existent! Elles sont climatiquement positives et pourvoyeuses d’emplois; pour «relancer» une économie, il n’y a rien de mieux. Encourageons l’amélioration de l’efficacité énergétique des bâtiments, investissons dans les énergies renouvelables (le solaire est actuellement l’énergie la moins chère du marché), développons et investissons dans la mobilité bas carbone (transports en commun, mobilité douce, le rail). Réalisons la transition du modèle agricole intensif vers un modèle dit «agro-écologique» qui en plus de créer des emplois, favorise la biodiversité. Investissons dans la protection de l’environnement, car protéger massivement les écosystèmes, c’est éviter autant de futures épidémies potentielles. Réhabilitons le principe de précaution qui jusqu’à présent fait défaut dans la plupart des décisions politiques. Relocalisons certains pans «sensibles» des chaines d’approvisionnement notamment en matière de soins de santé (80% des principes actifs de nos médicaments sont fabriqués en Chine). Construisons une Europe beaucoup plus réactive et solidaire, indispensable en temps de crise. Investissons massivement dans un système de santé publique et de qualité ainsi que dans l’éducation, car nous aurons besoin de toutes les forces vives pour affronter les prochaines crises qui s’amoncèlent à l’horizon.
C’est pour cela qu’à mon sens, il ne faut pas parler d’une « relance » économique mais de la transformation de notre économie.
Cette crise sanitaire aura au moins eu le « mérite» de nous sortir de notre zone de confort (personnel et étatique), à nous désormais d’être créatifs. Soyons lucides mais surtout soyons audacieux! L’Europe a le potentiel, si elle le décide, pour créer une nouvelle forme de prospérité afin d’inspirer le monde comme elle l’a déjà fait par le passé. Il est temps pour l’Europe de trouver de nouvelles Lumières, mais à la différence des précédentes, elles ne doivent pas provenir de lampes à pétrole.