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SOCIÉTÉ DIVERSITÉ
DIVERSITÉ EN BELGIQUE:
DE L’IMMIGRATION À L’INTÉGRATION JUSQU’À LA CITOYENNETÉ
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PAR MIKAËL HOSSEINI
«À l’immigration subie, je préfère l’immigration choisie»: tels sont les mots prononcés par Nicolas Sarkozy en 2005. Tantôt perçu comme une richesse, tantôt comme une faiblesse, le phénomène migratoire façonne d’année en année le paysage culturel de nos contrées. Ses causes sont nombreuses, nuancées et souvent nous échappent. C’est l’occasion de nous plonger dans un entretien exclusif avec la Députée bruxelloise Latifa Aït-Baala. Figure emblématique de la diversité au sein de son parti, cette juriste de formation et ancienne diplomate possède les nationalités belge, française et marocaine. La Vice-présidente des Femmes MR et du MR International nous livre sa vision de la diversité. Un échange chaleureux qui nous permettra de mieux saisir les notions d’intégration, de binationalité, de citoyenneté ainsi que d’interculturalité. Un réel questionnement introspectif, entre essence et existence.
Quelle expérience tires-tu de ta citoyenneté
multiple (Belgique, France et Maroc)? Comment la vis-tu?
Je la vis très bien! Pour moi, il s’agit d’une situation naturelle car je me suis toujours considérée en quelque sorte comme une citoyenne du monde. Cela m’a permis d’avoir des regards multiples et de comprendre ainsi les différents systèmes de pensée, ce que les personnes qui ont grandi dans une monoculture n’ont pas forcément. Certes, un Européen d’origine africaine vit avec deux cultures très différentes. Pourtant, je me suis rendue compte que ma culture islamique n’était pas antinomique avec les valeurs de la République française. Cela permet surtout de construire des ponts. L’islam que j’ai connu avec mes parents est un islam ouvert sur le monde. Au Maroc par exemple, les Juifs sont considérés comme des citoyens à part entière. Le brassage multiculturel fait partie de mon éducation. De ce fait, on passe outre les barrières religieuse et culturelle. Mes parents m’ont appris que le diplôme est la clé de la réussite. La «valeur travail» est innée dans l’éducation que j’ai reçue.
Selon toi, l’intégration des immigrés en Belgique
est-elle une réussite ou un échec?
Tout d’abord, il faudrait se poser la question de savoir ce qu’est l’intégration. Pour prendre un exemple simple, aux États-Unis, on ne parle pas d’«immigré» comme en Europe, mais d’«expatrié». C’est très différent. L’intégration ça concerne tout le monde, y compris les Belgo-belges entre eux. Si on parle d’intégration du point de vue des pays tiers, on peut clairement >>
affirmer que la Belgique a raté le coche. On n’a pas du tout mesuré l’importance des défis. On a trop politisé les débats sur les questions d’intégration. À gauche de l’échiquier politique, on a tendance à victimiser les Belges issus de l’immigration et les étrangers. À droite, on a trop souvent fait abstraction des problèmes posés.
Comment la Belgique doit-elle alors envisager
la question de la naturalisation à l’avenir?
Il faut faire un travail en amont. Il s’agit d’abord d’une question d’adhésion à des valeurs. Pour acquérir la nationalité belge, il faudrait adhérer à un corpus de valeurs: l’égalité entre les hommes et les femmes, la démocratie, les droits humains… Prenons un exemple: le parti ISLAM fondé sur l’idéologie de l’islamisme politique. Ces islamistes adhèrent à la nationalité belge sans adhérer aux valeurs démocratiques. Pire encore: ils se servent de leur nationalité belge pour saper la démocratie. C’est cela qu’il faut éviter à l’avenir.
Justement, comment pourrions-nous nous
assurer que les candidats à la naturalisation adhèrent véritablement à nos valeurs démocratiques avant de leur octroyer la nationalité belge?
Par la vérification. D’abord, il faut qu’on puisse vérifier que ces candidats maîtrisent au moins une de nos langues nationales. Ensuite, on doit pouvoir vérifier qu’ils comprennent les mécanismes qui sous-tendent notre pays. Il faut qu’on puisse aussi les tester sur des connaissances basiques en histoire, en art culinaire, etc. Enfin, préalablement à l’acquisition de la nationalité belge, il faudrait instaurer une cérémonie d’adhésion à nos valeurs. Par exemple, aux États-Unis, on chante l’hymne national avant de devenir citoyen américain. L’acquisition de la nationalité belge doit avoir une dimension juridique certes, mais aussi une dimension sentimentale.
D’une part, on constate que des voix s’élèvent
en Flandre (N-VA et VB) pour réclamer la suppression de la binationalité en Belgique. D’autre part, en raison de la crise sanitaire actuelle engendrée par la pandémie du coronavirus, plusieurs centaines de BelgoMarocains se voient refuser un rapatriement vers la Belgique sur décision du gouvernement marocain qui estime que ces binationaux sont exclusivement des ressortissants du Maroc. Eu égard à ces deux problématiques posées, quel est ton avis sur la binationalité?
Lorsqu’on dispose de plusieurs nationalités, on est d’une certaine manière un «schizophrène identitaire». Cela s’applique a fortiori lorsque les charges magnétiques des deux cultures sont très différentes. En ce moment, il y a 410 Belgo-Marocains coincés au Maroc. Cela a engendré une crise diplomatique entre les deux pays. On s’aperçoit des limites de la binationalité. Normalement, quand un Belgo-Marocain se situe au Maroc, on doit d’abord le considérer comme marocain, et réciproquement il doit être considéré prioritairement comme belge lorsqu’il se situe en Belgique. La binationalité est censée être une opportunité. En revanche, en période de guerre, et en l’occurrence de guerre sanitaire, elle n’a aucun sens. Plusieurs solutions pourraient être trouvées pour venir à bout de cette situation de crise: soit on préconise la solution diplomatique et le Maroc ouvre son espace aérien pour les vols commerciaux ; soit le Maroc doit permettre aux binationaux belgomarocains qu’ils puissent se déchoir de leur nationalité marocaine. En tout cas, il faut faire preuve de bon sens. La binationalité, de par sa complexité, cause parfois ce genre de problèmes, mais elle fait substantiellement partie de notre identité. Des solutions juridiques devraient être trouvées pour remédier à ces soucis, et ce à tous les niveaux de pouvoir. Cela relève d’abord du ressort des États. Ensuite au niveau de l’UE, je crois même qu’on devrait idéalement passer d’une citoyenneté européenne à une nationalité européenne. Et enfin au niveau international, notre humanité devrait transcender toutes les caractéristiques qui nous séparent (couleur de peau, ethnie, religion, culture…). Un monde utopique serait un monde sans frontières.
En 2009, Mahinur Özdemir prêtait serment et devenait la première femme parlementaire voilée de l’histoire de l’Europe. L’année passée, c’est une nouvelle députée voilée – Farida Tahar – qui faisait son apparition dans l’espace parlementaire bruxellois. Idem pour le député fédéral Michael Freilich qui portait une kippa le jour de sa prestation de serment. Quel est ton avis sur les signes religieux ostentatoires portés par les élus? Doit-on privilégier une interprétation inclusive ou exclusive de la neutralité de l’État?
Je vais répondre par la politique de l’autruche. Récemment, on condamnait des personnes qui refusaient de serrer la main de responsables politiques. Cependant, une fois que cette crise sanitaire sera passée, plus personne ne devrait être condamné pour un refus de serrer la main à qui que ce soit. Les questions qu’on devrait se poser sont: Qu’est-ce qu’exactement un signe religieux? Qui suis-je pour affirmer que tel ou tel signe serait porté pour une quelconque raison religieuse? Il y a certes des femmes qui portent un turban en raison de leur conviction religieuse, mais d’autres le portent uniquement par style. Cela mérite d’avoir une vraie réflexion. Bien évidemment que dans l’idéal, on ne devrait pas avoir de candidat qui expose sa religion. Mais si on commençait à l’interdire, ce serait pire. Il faut pouvoir se mettre dans le contexte. Ce qui compte avant tout, c’est de construire des terrains d’entente entre toutes et tous, c’est d’amener tout le monde à adhérer à un socle commun de valeurs. Notre but doit être de lutter contre les idées intolérantes de l’extrême-droite tout comme contre l’islamisme politique. Il faut replacer l’humain au cœur du débat politique. On n’aura jamais autant apprécié notre liberté que dans cette situation de confinement obligé. Pour ce qui est de la neutralité, je préconise plutôt la laïcité. Le modèle français où l’État est laïc et où la religion ne dépasse pas la sphère privée me semble en réalité plus approprié. La religion a été trop souvent évoquée dans le débat public. Nous vivons malheureusement dans un pays où tout est politisé et cela ne construit pas le vivre-ensemble. Pour ce qui est de la neutralité dans l’enseignement, je m’oppose à l’apprentissage d’une seule religion car cela divise les élèves. Soit il faudrait supprimer les cours de religion pour les remplacer par un cours de citoyenneté commun, soit il faudrait instaurer un cours de religion comparée où chacun pourrait en apprendre sur la culture de l’autre.
En janvier dernier, tu affirmais sur le plateau
télé de BX1 que les listes électorales devaient être établies en tenant compte de la composition sociologique de la région Bruxelles-Capitale. Qu’est-ce que cela signifie exactement?
Une composition sociologique, c’est une étude de terrain. Il faut s’inspirer de la démarche empruntée par le système de la tirette qui a pour but de rétablir une égalité dans la visibilité entre les hommes et les femmes dans le paysage politique. C’est la raison pour laquelle on devrait établir une cartographie sociologique de notre région. Pour bien comprendre, il faut saisir le contexte actuel. Le « marché électoral » est partagé entre deux grandes formations politiques à Bruxelles. D’un côté, on a les libéraux qui s’intéressent d’abord aux habitants des quartiers chics de la capitale. De l’autre, on a le Parti socialiste qui représente de façon déséquilibrée les Belges d’origine marocaine et turque. Ensuite, viennent s’ajouter Ecolo et le CDH qui tentent de grapiller un maximum l’électorat du PS. Pour mettre fin à cela, je propose qu’on mette en place un système de quotas de façon à ce que toutes les couches de la population bruxelloise puissent être représentées. Nous vivons dans un pays profondément communautaire et structurellement communautariste. Quitte à devoir l’assumer, faisons-le jusqu’au bout. De plus, nous vivons dans un monde de corporations. Tout le monde a besoin de se sentir représenté par ses semblables. Il faut être beaucoup plus sensible à la diversité dans notre société. Les femmes ont besoin d’être représentées par des femmes, les indépendants ont besoin d’être représentés par des indépendants, et c’est exactement pareil pour les jeunes d’origine étrangère. Les gens ont besoin de modèles, d’exemples. Si la diversité ne s’identifie pas à des exemples, elle se sentira rejetée. Si on ne considère pas la diversité, elle se tournera vers d’autres opportunités, mais surtout elle se repliera sur ellemême. La considération des élus d’origine étrangère est essentielle dans notre société.
Dernière question: multiculturalité ou
interculturalité, quelle est ta préférence?
La multiculturalité, c’est un projet commun qui se limite à l’économie. Conformément au modèle anglo-saxon, elle vise l’épanouissement de chacun mais uniquement au sein de sa propre communauté. L’interculturalité va beaucoup plus loin, il s’agit de co-construire. L’interculturalité, c’est le fait de construire tous ensemble un projet de société où on adhère toutes et tous à des valeurs communes. Mais de ces deux notions, je privilégie le terme de citoyenneté, bien plus même que celui de nationalité, car être citoyen c’est être acteur de son destin. La citoyenneté ne laisse personne sur le côté, et c’est ce vers quoi on doit tendre.
HISTOIRE DE L’IMMIGRATION EN BELGIQUE
Depuis le XIX e siècle, notre pays a connu diverses vagues d’immigration en fonction des différentes périodes de son histoire. À l’époque de la création de l’État, il n’existait aucune unité nationale, le Belge étant originellement le fruit d’un mélange des cultures française, néerlandaise et allemande.
La première vague de migration en Belgique est d’abord interne. À partir des années 1860-70, de nombreux Flamands quittent la Flandre pour travailler dans le secteur industriel wallon.
Après la Première Guerre mondiale, on assiste à une immigration de main-d’œuvre dans le but de reconstruire le pays. Ces ouvriers étrangers venaient principalement de France, d’Italie, de Pologne et même d’Afrique du Nord. Cependant, la crise économique des années 30 changera la donne. Le gouvernement va limiter drastiquement l’entrée des étrangers car il n’y a plus assez de travail pour tout le monde.
À la suite de la Seconde Guerre mondiale, l’industrie belge est confrontée à un cruel manque d’effectifs. La Belgique fait à nouveau appel à l’immigration pour apporter de la main-d’œuvre dans les mines afin de faire fonctionner nos entreprises belges. En 1946, un accord historique est conclu entre la Belgique et l’Italie qui envoie 50.000 de ses ressortissants. Malheureusement, dix ans plus tard surviendra la catastrophe de Marcinelle qui causera la mort de 262 personnes, dont 136 mineurs italiens. L’Italie décide alors de suspendre l’émigration vers la Belgique. En conséquence, l’État belge octroie de nouveaux droits, mais aussi impose des devoirs à ses nouveaux arrivants, et ce, notamment en matière de sécurité sociale. De plus, on facilite les conditions du regroupement familial. En quelques années, l’immigration en Belgique devient progressivement une immigration de peuplement.
À la fin des années 60, le monde est confronté à une nouvelle crise économique: la croissance s’estompe et le chômage augmente. À partir de 1968, le gouvernement belge refuse de donner de nouveaux permis de travail aux étrangers.
En 1974, la Belgique met brusquement fin à sa politique d’immigration, à l’exception des ressortissants des pays membres de l’UE et des travailleurs très qualifiés. au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers». Celle-ci ne cessera d’être modifiée de manière restrictive à plusieurs reprises.
Dans les années 90, la Belgique mène une campagne de régularisation des sans-papiers. Ce phénomène va s’intensifier à partir des années 2000 lorsque la coalition Arc-en-ciel arrive au pouvoir: le regroupement familial est encouragé, l’obtention de la nationalité est facilitée et de nombreux clandestins sont régularisés.
En 2008, lors de la crise des subprimes, la Belgique est repassée à une immigration économique en recherchant avant tout des travailleurs qualifiés.
L’accord de gouvernement de 2014 a changé la donne. La politique belge en matière d’immigration s’est inscrite dans une logique répressive et restrictive à l’égard des droits des migrants. Les discours amalgamant et stigmatisant du secrétaire d’État de la N-VA, Théo Francken, ne sont pas passés inaperçus et ont contribué à renforcer l’image négative du migrant et du demandeur d’asile. Le bilan de la politique migratoire du gouvernement Michel 1er, à travers notamment une augmentation de son budget « éloignement » de l’ordre de 35% fut l’objet de nombreuses polémiques. Les délais de procédure du regroupement familial furent allongés, les régularisations furent limitées, la lutte contre les mariages de complaisance fut renforcée, des campagnes de dissuasion furent menées et les conditions d’accès à la nationalité belge devinrent plus strictes. Plus généralement, on a assisté à une extension massive des centres fermés.
En septembre 2018, le Premier ministre Michel annonce devant l’Assemblée générale des Nations Unies que la Belgique signera le Pacte de Marrakech sur les migrations. La N-VA, alors parti membre du gouvernement, s’oppose publiquement à la signature de ce Pacte. La Chambre des Représentants approuve à la majorité absolue la proposition de résolution onusienne. Cela aboutira trois jours plus tard à la démission des nationalistes flamands au sein du gouvernement fédéral.
D'après le think tank «Itinera Institute», la Belgique est devenue une nation d'immigrants et d’ici à 2060, un Belge sur deux sera d’origine étrangère en raison d'une forte immigration continue et d'un taux de natalité plus élevé des étrangers d'origine non-européenne.