9 minute read

INTERVIEW ULB

Next Article
CARTE BLANCHE

CARTE BLANCHE

LES ÉTUDIANTS ET LE RECTORAT, MÊME COMBAT?

INTERVIEW DE LA RECTRICE DE L’ULB Annemie Schaus

Advertisement

PROPOS RECUEILLIS PAR ÖMER CANDAN

Après quelques mois de mandat, durant une période hors-norme et à la sortie de la session de janvier, Annemie Schaus, rectrice de l’Université Libre de Bruxelles, a accepté de nous recevoir afin de répondre à quelques questions. Elle est ainsi revenue sur cette période compliquée et a évoqué la gestion de son établissement pendant la crise, les décisions qu’elle a dû prendre, les difficultés liées au sousfinancement de l’enseignement supérieur, pour terminer par sa vision du futur qui annonce un avenir bouché aux jeunes si personne ne se bouge.

 Le manque de moyens financiers est

problématique pour nombre d’établissements d’enseignement supérieur, et la crise sanitaire n’a fait que renforcer cet état de fait. Comment maintenir la qualité des formations avec des moyens financiers par étudiant qui ne cessent de diminuer?

Pendant la première vague, il n’y a pas eu d’aide financière du gouvernement et donc les universités ont dû faire face seules à hauteur de plus de 17 millions d’euros pour les établissements de la Fédération Wallonie-Bruxelles et de 4,2 millions rien que pour l’ULB. Il est clair que ça aggrave la situation et met en exergue les inégalités.

Les professeurs ont fait preuve de beaucoup de créativité, d’originalité pour garantir la qualité de l’enseignement. Beaucoup de programmes d’aide aux étudiants existent aussi, mais c’est au prix d’un travail important qui nécessite aussi d’être financé. J’espère qu’à l’issue de cette crise, les politiques se rendront compte du rôle démocratique de l’université, et donc de l’importance de son financement, et qu’ils réinvestiront massivement dans celui-ci.

Nous travaillons, par ailleurs, à l’ULB à la révision de la loi de financement.

 Une des pistes de solution ne réside-t-elle pas

dans le développement de partenariats publicprivé?

La recherche et l’enseignement restent quand même des services publics, donc a priori le financement public doit être privilégié, mais on développe des partenariats public-privé en ce qui concerne certains domaines de recherche, le transfert de technologies ainsi que la formation continue. Par contre, pour la formation initiale et la recherche fondamentale, pour garantir leur indépendance, c’est le financement public qui reste privilégié bien sûr.

 On sort d’une période où les étudiants ont

eu énormément de revendications et avaient besoin de se sentir écoutés. Le seul acteur légitime se trouve être la FEF au niveau du décret de représentation et de plus en plus de voix s’élèvent pour dénoncer le monopole de cette organisation. En tant que rectrice, estimez-vous qu’il faille remettre sur table le monopole de cette organisation en incitant à une pluralité?

Je pense que ce n’est pas le rôle d’une rectrice de se mêler de l’organisation des associations étudiantes. Il y a différentes formules : réinvestir la FEF ou créer de nouvelles organisations, par exemple. Il est clair que le pluralisme est toujours une bonne chose.

 Après cette deuxième session d’examens

en période de COVID-19, estimez-vous que le nécessaire a pu être fait du côté des établissements afin d’offrir aux étudiants un enseignement de qualité et une session d’examens équitable?

Majoritairement oui. Pour ce qui est de la qualité, comme je vous l’ai dit plus tôt, la grande majorité des collègues

se sont mobilisés pour garantir le meilleur enseignement possible, certains ont dû revoir leurs cours pour les rendre compatibles avec le distanciel. Pour les examens, c’est pareil, on a dû changer la façon d’interroger les étudiants. Des aides ont également été mises en place. Je pense donc que l’enseignement a pu garder sa qualité cette année-ci.

Il faudra évidemment en tirer des leçons, mais quand on prétend qu’il y aura une «génération de diplômes Covid», je n’y crois pas du tout.

 Pour la session de janvier, l’annonce d’examens à

passer en présentiel dans les auditoires a été très mal perçue par certains étudiants. A-t-il été facile pour l’ULB de prendre cette décision? Après coup, la crainte des étudiants était-elle justifiée ou fallait-il donner l’impulsion à ceux ayant encore peur du virus de venir sur le campus?

Pour des raisons pédagogiques, faire passer certains examens en présentiel était nécessaire. L’ULB a donc permis à ses professeurs de s’organiser entre eux pour que ceux qui estimaient que le présentiel était nécessaire pour des raisons pédagogiques puissent le faire. Au total, nous n’avons pas eu plus de 12% d’examens en présentiel, c’est beaucoup moins que dans d’autres universités. Un des critères était de faire passer les examens des premières années de Bachelier, ainsi que des poursuites de cursus en présentiel. Pour ce qui est des craintes, toutes les mesures avaient été prises et il n’y a pas eu de cas de contamination dans les amphithéâtres. On a reçu des messages de crainte de certains étudiants, certains parents, mais on a tout mis en place afin de les rassurer. C’est également sur cette base qu’on peut dire qu’il y a moyen de contrôler la propagation du virus quand les mesures sont respectées. Les étudiants ne sont pas du tout «je-m’en-foutiste», au contraire, ils sont responsables et respectueux envers les mesures. Il y a toujours des exceptions, mais c’est un peu comme partout...

 Les premiers échos des résultats de la session de

janvier, dans le supérieur, indiquent une hausse par rapport aux précédentes années. Cela peut paraitre surprenant dans la mesure où de nombreuses alertes évoquaient une catastrophe à venir. Finalement, devons-nous cela à la persévérance des étudiants? À la compassion des professeurs? Ne trouvez-vous pas que cette annonce nie simplement le fait que les étudiants n’ont de toute façon pas eu d’autre choix que de présenter et d’essayer de réussir leurs examens?

Nous devrons étudier les facteurs qui expliqueraient ce meilleur taux de réussite. Dire que les étudiants ont triché ne s’avère pas exact, car le taux de réussite est également supérieur pour les examens en présentiel. Alors certainement que les étudiants n’avaient pas grand-chose d’autre à faire, ce qui les a peut-être amenés à s’accrocher, à travailler plus, à être moins insouciants. Ça a eu un effet sur leur santé mentale mais paradoxalement, ça a aussi sans doute eu un impact sur leur taux de réussite.

C’est encore tôt pour vous donner une analyse définitive.

 Vous dites dans une carte blanche que les aînés

sacrifient les jeunes. Estimez-vous que les mesures de gestion de la crise n’étaient pas justifiées ou disproportionnées?

Ce n’est pas ce que j’ai dit, j’ai dit que les jeunes ont renoncé à une partie de leur jeunesse pour protéger les ainés et les plus fragiles. Je pense qu’après cette crise, les ainés vont devront investir massivement dans la jeunesse. Il n’y a pas que la crise sanitaire. Les crises climatiques qu’on annonce, le sous-investissement dans les universités, l’accès au chômage pour les jeunes sont des enjeux majeurs à traiter après cette crise.

 Donc, si je comprends bien, vous estimez que les

jeunes ont fait le nécessaire pour les personnes à risque mais qu’à un moment donné, il faudra requalifier les personnes à risque?

Voilà, exactement. À un certain moment, les nouvelles personnes à risque seront les jeunes en détresse. Il y a aussi le problème de cet avenir bouché par toutes les crises qu’on annonce (climatique, etc.), le manque de moyens pour la culture et les fractures socio-économiques. Il faudra apporter une réponse à tout ça. On ne peut pas laisser les jeunes sans perspectives.

 Dans une interview, vous avez qualifié «l’ascenseur

social que constituent l’éducation et l’enseignement» de grippé. Pouvez-vous préciser? Et surtout, nous dire comment inverser la tendance?

Moi, quand j’ai commencé mes études en ’83, je ne venais pas d’un milieu particulièrement favorisé, mais parce que les universités étaient financées correctement, l’encadrement permettait de réussir l’université dans des conditions qui actuellement n’existent plus. Pour les gens qui étaient dans la même situation que moi dans les années ’80, aller à l’université leur permettait de bénéficier de l’ascenseur social alors que maintenant, à cause du sous-financement, celui-ci est clairement grippé. Ceci dit, malgré ce sous-financement, on travaille pour relancer cet ascenseur social.

J’espère que les politiques se rendront compte combien il est nécessaire de prévoir des mesures spécifiques et un encadrement pour les primo-arrivants. C’est surtout en première que l’on constate ces difficultés.

 Les effets pervers du décret Paysage sont

dénoncés et partagés par nombre d’acteurs. Sa réforme est attendue. Que pensez-vous de l’avantprojet de décret présenté par la ministre Glatigny et notamment de son souhait d’obliger la réussite de la première année de Bac en deux années maximum?

J’estime que c’est une bonne chose de revoir le décret Paysage. On constate un allongement de la durée des études sans pour autant que le taux de réussite soit meilleur surtout que pour certains, il y a également d’autres facteurs qui peuvent entraver la réussite comme les jobs étudiants. Allonger les études avec moins d’aide financière fait qu’on travaille pour payer ses études et qu’on réussit moins. Je pense donc que mettre le décret sur la table, c’est vraiment une bonne chose.

Imposer la réussite de la première en deux ans me parait relativement strict, il faudrait nuancer cette exigence. Il faudrait en tout cas mettre des verrous entre le Bachelier et le Master. On a des étudiants qui sont en deuxième Master, d’autres qui sont à la veille de défendre leur mémoire, et qui ont encore des cours de Bachelier, ça ne va pas.

 La gestion de la crise sanitaire a mis en lumière

la place du numérique dans bien des secteurs ; l’éducation n’y a pas échappé. Comment jugezvous l’intégration du numérique dans nos universités? Quels constats pouvons-nous établir après quasi un an de cours à distance?

Pour ce qui est de la fracture numérique, l’ULB a mis tout en œuvre pour aider tant les étudiants que les professeurs qui n’avaient pas le matériel adéquat. Il y a eu des prêts d’ordinateurs et des octrois d’accès à la 4G. Pour ce qui est de l’intégration du numérique, il faudra aussi en tirer des leçons pour après. Cette crise nous a montré que le numérique est un outil incroyable pour l’enseignement, mais cela doit rester un outil et non devenir la manière exclusive d’enseigner.

 Quelle a été pour vous la décision la plus

compliquée à prendre depuis le début de votre mandat?

Prendre la décision de passer en distanciel, ça a été compliqué, mais je l’ai fait en coordination avec les vicerecteurs, la ministre et les autres universités.

 Pour conclure cette interview, quel style

d’étudiante étiez-vous pendant vos années à l’université? Avez-vous une petite anecdote à nous raconter?

J’étais une étudiante travailleuse mais fêtarde aussi. Je n’étais pas la première de classe mais je travaillais beaucoup et ça ne m’empêchait pas de faire la fête.

Pour l’anecdote, je dirais qu’elle remonte à ma première journée à l’université. J’étais très impressionnée et en même temps j’avais ce sentiment de «je n’y arriverai jamais». Heureusement, ce sentiment s’est estompé très vite grâce aux contacts avec les autres étudiants. 

This article is from: