Newsletter n°5 octobre 2013

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n° 5 – octobre 2013

LA

NEWSLET TER dc

La lettre d’information de la ldc à Tanger

Paraît chaque mois

Édito

Rentrée, acte 2 Second volet de la rentrée littéraire vue du boulevard Pasteur, à Tanger, ce nouveau numéro de la Newsletter des Colonnes apporte, encore une fois, un regard légèrement décalé sur l’avalanche de livres parus ces dernières semaines. Au sommaire : une sélection de romans venus d’Haïti (La Belle Amour humaine), d’Espagne (Comme les amours), d’Italie, de Pologne…, une nouvelle collection (suisse) de littérature et un nouveau rendez-vous avec François Beaune de retour avec un livre de son périple tout autour de la Méditerranée. De la littérature des quatre coins du monde donc mais aussi des essais avec notamment un recueil d’articles d’Albert Camus parus dans la presse libertaire. Pour la première fois, en outre, c’est un anthropologue, Hassan Rachik, qui a répondu à nos questions sur son approche de la lecture et des livres. Une vision un peu décalée, encore, sur la littérature.

Coup de cœur

La belle amour humaine P.2 de LYONEL TROUILLOT Focus

NOTABILIA

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noir sur blanc éditions Premières lignes

Comme les amours de JAVIER MARIAS Quel lecteur êtes-vous ?

Entretien avec HASSAN RACHIK

&Littérature, la sélection de livres du mois : Essais, Histoire…,

François Beaune, Albert Camus, etc. www.librairie-des-colonnes.com

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Coup de cœur

L a belle amour humaine de LYONEL TROUILLOT Lyonel Trouillot a déjà publié deux livres cette année mais, fi de l’actualité, c’est à la réédition en poche de La Belle Amour humaine que va notre « Coup de cœur ». Un roman où Trouillot est au sommet de son art, humaniste et vrai. Une porte d’entrée dans une œuvre riche et foisonnante.

De la pluralité des mondes Son titre a le charme un peu désuet d’une chanson d’autrefois, d’une rengaine a demi oubliée, La Belle Amour humaine, pourtant, n’a rien d’une bluette ni d’un fabliau. L’histoire qui nous est contée est d’ailleurs bien de notre temps et si le roman se déroule sur une île magnifique, aux plages enLyonel Trouillot, LA BELLE chanteresses, Haïti n’est pas un paradis, loin s’en faut. Lorsque Anaïse traAMOUR HUMAINE, Actes verse pour la première fois ce petit territoire, à bord de la voiture de Thomas Sud, 176 p., 55 dh. son guide, le long monologue de ce dernier est là pour l’en persuader. Venue résoudre une énigme familiale, elle doit bientôt se raviser et se défaire de ses idées préconçues. Le petit village de pêcheurs qu’elle découvre alors, les circonstances de la mort de son grandpère, sa vie même, l’existence que l’on mène là, à Anse-à-Frôleur, dans les Caraïbes, produisent un renversement des perspectives. Lyonel Trouillot est un homme engagé aussi bien en littérature qu’en politique. À travers une prose admirable à plus d’un titre, c’est de justice qu’il nous parle, de fraternité, du regard que l’on porte sur l’autre depuis l’Occident, de l’usage que nous faisons de « notre présence au monde ». La Belle Amour humaine a obtenu à sa sortie le Grand Prix du Roman Métis 2011, celui du Salon du livre de Genève 2012 et le Prix Gitanjali 2012. Extrait : « Au centre-ville, le bruit c’est comme la pauvreté, on n’en a jamais fait le tour. La pauvreté, chaque fois qu’on croit la circonscrire dans des quartiers créés pour elle, elle déborde et se lève ailleurs. Le bruit, ici, c’est pareil. Pas moyen de dresser une liste. Les camions-citernes qui râlent et dégoulinent en grimpant les collines. Les grands enfants. Les petits enfants. Les encore enfants qui font des enfants. Les balles perdues. Les fous de Dieu, les annonceurs de fin du monde qui te reprochent de ne n’avoir pas accepté Jésus pour ton sauveur personnel. Les sirènes des cortèges officiels. Les postes de radio des commerces de trottoir qui crachent en boucle les actualités du malheur et les numéros gagnant à la loterie. La foule qui crie au voleur. Le voleur qui se mêle à la foule et crie plus fort que les autres. Les combats de chiens, les petits d’un côté, les gros de l’autre, comme chez les humains. Les petits qui s’enfuient en pleurant leur défaite avant de revenir à la charge pour se faire battre une nouvelle fois par les gros. L’assistance composée de chômeurs et de porte-faix qui en ont marre de revoir le même spectacle, même si c’est gratuit. Et s’arment de bâtons pour disperser la meute. Et, comme la vie, les bruits ont des humeurs. En prêtant attention, tu pourras distinguer les bruits de la colère de ceux de l’attente et de la fatigue. Ici, les bruits sont la seule preuve de ce dur devoir d’exister. »

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r Un entretien vidéo (17 min) avec Lyonel Trouillot est en ligne sur le site Île en île. Il y revient sur sa trajectoire, ses influences, son œuvre et son pays. r Un entretien audio, datant de mai 2000, est disponible sur le site de Medi1Radio.


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Focus

NOTABILIA

noir sur blanc éditions À l’écoute des voix nouvelles de la littérature où qu’elles se trouvent, Brigitte Bouchard, éditrice québécoise, à la goût de la découverte comme de la transmission. Elle vient de créer une nouvelle collection, Notabilia, au sein de la maison d’éditions suisse Noir sur blanc. Une collection ouverte sur le monde qui risque devenir un label de qualité.

Des voix venues d’ailleurs Si pour la première fois, ce n’est pas une maison d’édition mais une collection que nous présentons dans ce « Focus », c’est que ladite collection a tout d’une structure éditoriale indépendante. Créée par Brigitte Bouchard fondatrice de la maison québécoise Les Allusifs, Notabilia se distingue en effet par une rigueur et une exigence dans ses choix que beaucoup pourraient lui envier. Outre l’aspect des livres, mêlant modernisme et élégance (il est dû à l’agence qui avait créé le logo des Allusifs), on retrouve au tout jeune catalogue des auteurs que Brigitte Bouchard défend depuis longtemps, comme le Colombien Antonio Ungar dont le dernier roman, Trois cercueils blancs (Prix Herralde en Espagne et finaliste pour le prix Romulo Gallegos) vient de paraître, ou la Polonaise Tecia Werbowski, qui signe avec Franz Schubert Express un nouveau livre intriguant, nous emportant, en deux nouvelles, de Vienne à Prague dans des trains au nom de musiciens célèbres où de bien étranges liens se nouent. On y découvre aussi l’Italien Ascanio Celestini dont la Lutte des classes, burlesque et grave, nous fait partager les histoires de quatre habitants du même immeuble chacun en prise avec ses dilemmes et ses révoltes. Une des forces de Brigitte Bouchard, et maintenant de Notabilia, c’est en effet cette ouverture sur l’international, comme une fenêtre ouverte sur l’ailleurs. et cette capacité à découvrir, comme à nous faire entendre, des voix venus d’horizons plus ou moins lointains – on lui doit notamment la première parution du Jour des corneilles de Jran-François Beauchemin (Coup de cœur de notre précédente newsletter) –, une petite musique venue d’ailleurs.

Asciano Celestini, LUTTE DES CLASSES, Noir sur blanc, 272 p., 238 dh.

Tecia Werbowski , FRANZ SCHUBERT EXPRESS, Noir sur blanc, 96 p., 138 dh.

Antonio Ungar, TROIS CERCUEILS BLANCS, Noir sur blanc, 312 p., 225 dh.


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Quel lecteur êtes-vous ?

H assan RACHIK

Un(e) auteur(e) nous parle de la façon dont il, ou elle, lit, des ouvrages qui ont marqué sa vie et peut-être scellé une vocation. Ce mois-ci, c’est le chercheur en sciences sociales Hassan Rachik qui a accepté de répondre à notre petit questionnaire et de nous faire partager ses lectures passées et présentes.

Hassan Rachik, né à Casablanca en 1954, est chercheur en sciences sociales, anthropologue. On peinerait à citer l’ensemble de ses titres et les postes qu’il a occupés ou occupe encore. Professeur à l’Université Hassan II de Casablanca, il a été invité dans les plus prestigieuses institutions à travers le monde, aux États-Unis (à Princeton et Brown), en France (notamment à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales) mais aussi en Angleterre (à l’Institute For the Study of Islamic Civilisations de Londres) ou bien au Liban (à l’Université Saint Joseph de Beyrouth). Membre fondateur du Centre Marocain des Sciences Sociales, il est également chercheur associé à l’Institut Royal des Études Stratégiques. Autant dire qu’il est sans doute l’un de ceux qui a le plus fait pour le rayonnement des sciences sociales au Maroc et pour le rayonnement des sciences sociales marocaines hors du royaume. Homme de terrain, auteur d’une dizaine d’ouvrages, il a mené de nombreux travaux qui lui ont valu la reconnaissance de ses pairs mais Hassan Rachik, universitaire, homme de sciences n’est cependant pas de ceux qui s’enferment dans leur tour d’ivoire et aime à s’adresser également à un public non académique, à divulguer les acquis scientifiques dans un langage clair. Nous avons eu le plaisir de le recevoir par deux fois à la librairie à l’occasion de la parution de ses livres, Le Proche et le Lointain. Un siècle d’anthropologie au Maroc et L’islam au quotidien, Enquête sur les valeurs et les pratiques religieuses au Maroc. Deux rencontres qui ont largement motivé notre envie de le connaître un peu mieux et de lui demander : « Hassan Rachik, quel lecteur êtes-vous ? » Enfant ou adolescent, quel est le premier livre qui vous a marqué ? Hassan Rachik : J’ai fait mes études primaires à Casablanca. Pour les garçons des années 1960, la règle n’était pas la lecture mais le jeu dans les quartiers et les terrains vagues qui étaient vastes et nombreux. L’offre était fort indigente, des bandes dessinées en français (Zembla…) et de petites histoires en arabe de Atiya Al-Abrachi, un Égyptien. Ce sont ces petites histoires qui ont nourri mon envie de lire et mon univers imaginaire. Je partageais alors ces histoires avec Mohamed Tozy. Adolescent, Les Mille et Une nuits (en arabe) m’ont fortement marqué. À cet âge, je ne pouvais pas trouver mieux. Maints passages érotiques émergent de mon univers imaginaire. J’en garde quelques traces, quelques vers choisis et retranscrits dans mon agenda de 1970. J’avais 16 ans. Quelles sont les œuvres qui vous ont poussé à écrire ? C’est grâce à une série d’activités intellectuelles que je suis venu à l’écriture. Le théâtre d’abord (1971-1973) avec la troupe alRouwad. J’ai écrit une pièce de théâtre Le Soleil, en darija et en arabe. Elle met en scène l’histoire d’une tribu primitive qui cherche à se libérer d’un sorcier/tyran. Ensuite le ciné-club al-Azaim (1975-1982). Mais dans ce cas, c’est un autre type d’écriture, plus analytique que poétique, plus personnel que publique. J’écrivais pour moi-même des bouts de texte sur tel film ou telle question (cinéma et idéologie…)


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Par la suite et jusqu’à présent, c’est le métier de chercheur en sciences sociales qui m’a poussé à écrire. J’aurais pu arrêter à partir du moment (1986) où ma carrière ne dépendait plus des publications. Il arrive que des collègues n’écrivent plus après la soutenance de leur thèse. J’ai continué pour d’autres raisons liées à ma vision de la connaissance et de la société. Quel est votre livre préféré ? Les réponses au singulier m’épouvantent. Mais, pour jouer le jeu, je dirai le roman d’Émile Zola, Au bonheur des dames. Peut être parce que c’est l’un des rares romans qui satisfait à la fois l’émotion d’un lecteur de roman et la curiosité d’un chercheur. Sinon pour les sciences sociales, je pense qu’il faudrait parler des livres qui m’ont marqué. Et dans ce cas, la liste n’est pas courte. Y a t-il des auteurs qui vous accompagnent lorsque vous écrivez ? À différentes phases de mon expérience, j’ai fréquenté des auteurs plus que d’autres. Certains m’ont inspiré au début de ma carrière comme Claude-Lévi Strauss, Edmund Leach et Victor Turner. Mais, en changeant de terrain et de thèmes (rituel, idéologie, connaissance ordinaire…), j’en abandonne quelques-uns et j’en découvre d’autres. Je pense que la question de l’unité (UN livre préféré, incontournable) et de la permanence (un même auteur) ne sied pas à un chercheur en sciences sociales. Quel grand classique n’avez-vous jamais fini ? Je suppose que la question ne vise pas les classiques en sciences sociales. En littérature, mon métier me laisse peu de temps pour braconner ailleurs. Mais les rares classiques que j’ai lus, je pense les avoir terminés. Que lisez-vous en ce moment ? Je parcours plusieurs livres pour un nouveau cours « Anthropology of the Maghreb » Mais le dernier livre que j’ai lu est de Peter Berger et Anton Zijderveld, In Praise of Doubt, How to have convictions without becoming a fanatic.

Extrait (très partiel) de la bibliograpgie d’Hassan Rachik

Hassan Rachik, LE PROCHE ET LE LOINTAIN, Parenthèses/MMSH, 2012, 272 p., 275 dh.

Hassan Rachik, COMMENT RESTER NOMADE, Afrique Orient, 2002, 175 p., 60 dh.

Hassan Rachik, Mohamed Tozy et Mohammed El Ayadi, L’ISLAM AU QUOTIDIEN, La Croisée des chemins, 2013, 347 p., 85 dh.


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Premières lignes

C omme les amours de JAVIER MARÍAS Un livre nouveau se découvre, chaque mois, à travers quelques lignes. Ce mois-ci,le début d’un roman traduit de l’espagnol et signé Javier Marías – Comme les amours – annoncé comme une « fable morale sur l’amour et la mort ».

La dernière fois que je vis Miguel Desvern ou Deverne fut aussi la dernière fois que sa femme Luisa le vit, ce qui n’en est pas moins étrange, peut-être même injuste, puisque c’était elle sa femme, et moi en revanche une inconnue qui n’avait jamais échangé avec lui le moindre mot. Je ne savais même pas son nom, je ne le sus que trop tard, quand sa photo parut dans le journal, poignardé, dépoitraillé, et sur le point d’être un mort, s’il ne l’était déjà à sa propre conscience absente qui jamais plus ne lui revint : la dernière chose qu’il dut comprendre fut qu’on le poignardait par erreur, sans raison, c’est‑à-dire bêtement, un coup après l’autre, encore et encore, sans lui laisser une chance, avec la volonté de le rayer du monde et de l’expulser sans délai de la surface de la terre, là-bas et à ce moment-là. Je ne le sus que trop tard, mais trop tard pour quoi, je me le demande. À vrai dire, je l’ignore. Seulement quand quelqu’un meurt, on pense que désormais il est trop tard pour tout et pour n’importe quoi — plus encore pour l’attendre —, et on se contente de le porter manquant. Ainsi en va-t‑il de nos proches, même s’il nous en coûte bien davantage et que nous les pleurons, que leur image nous accompagne chez nous et lorsque nous marchons dans la rue, et que nous croyons très longtemps que nous ne parviendrons pas à nous y faire. Cependant nous savons dès le début — dès l’instant où ils meurent — que nous ne devons plus compter sur eux, même pour les choses les plus insignifiantes, un banal coup de fil ou une question stupide (« Les clés de la voiture ne seraient-elles pas restées là-bas ? », « À quelle heure sortent les enfants, aujourd’hui ? »), pour rien. Rien, c’est rien. En fait, c’est incompréhensible, parce que cela suppose d’avoir des certitudes, ce qui est en désaccord avec notre nature : la certitude que quelqu’un ne va plus revenir, plus rien dire, plus jamais faire un pas — pour s’approcher ou s’écarter —, ni nous regarder, ni détourner le regard. Je ne sais comment nous y résistons, ni comment nous nous en tirons. Je ne sais comment nous oublions parfois, quand le temps s’est écoulé et nous a éloignés d’eux qui sont restés figés. Cependant je l’avais vu de nombreux matins où je l’avais entendu rire et parler, presque chaque fois au cours de ces quelques années, de bonne heure, mais pas tant, car j’arrivais au travail avec un léger retard pour avoir l’occasion de me trouver un instant avec ce couple, pas avec l’homme seul — que l’on ne se méprenne pas — mais avec eux deux, c’étaient eux deux qui me faisaient du bien et me réjouissaient, avant d’entamer la journée. Ils étaient presque devenus comme une obligation. Toutefois, ce n’est pas le mot juste pour ce qui donne plaisir et quiétude. Peut-être alors comme une superstition, bien que pas cela non plus : je ne croyais pas davantage que ma journée se passerait mal si je ne partageais pas avec eux mon petit déjeuner, à distance cela va sans dire ; c’est seulement que je l’aurais commencée avec un moral plus bas ou moins d’optimisme sans la vision quotidienne qu’ils m’offraient, et qui était celle d’un monde en ordre, ou si l’on préfère en harmonie.

Javier Marías, COMME LES AMOURS, Gallimard, 384 p., 159 dh


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Littérature

L a lune dans le puits de FRANÇOIS BEAUNE En décembre 2011, François Beaune, romancier, est parti en quête d’histoires – d’histoires « vraies » – tout autour de la mer Méditerranée. Le livre qui vient de paraître – La Lune dans le puits – est l’aboutissement de cet étonnant projet. Les histoires récoltées en sont la matière, choisie, agencée, expliquée par l’auteur. l’histoire collective et populaire d’un morceau de notre monde.

Mare nostr um, kitab dialna Peut-être avez-vous participé à l’élaboration de ce livre. Sans doute en tout cas est-ce de vous, de nous, qu’il est question dans les récits qui composent ce recueil. Et pas seulement parce que dans son périple autour de la Méditerranée, François Beaune s’est arrêté à Tanger. Pas uniquement parce que, comme à Marseille, Tunis ou Beyrouth, Le Caire, Athènes ou Istanbul, comme dans chacune des villes des treize pays qu’il a parcouru, il a demandé ici à ceux qu’ils croisaient de lui raconter histoires et anecdotes, lues, vues ou entendues, drôles, émouvantes ou étonnantes. Comme tout au long de son voyage d’un peu plus d’un an, il a expliqué au Maroc le projet, trouvé des relais locaux (dont la Librairie des Colonnes). Inlassablement, il a écouté, noté, enregistré ce qu’on lui narrait. Un site Internet, devenu une véritable bibliothèque où résonnent toutes les langues (www.histoiresvraies.net), s’est vu enrichi ainsi de centaines de récits, de tranches de vie, graves ou futiles. Si c’est de nous qu’il est question, c’est que « ce livre est un poème épique, l’épopée ordinaire des Méditerranéens », c’est parce que « ce livre est le livre de ce nouvel individu-collectif, né au combat sur les vases grecs, le livre de l’avocat-supporter-architecte-de-cirque-en-sable-aubergiste-au-chômagesirène-de-call-center-gymnaste-et-artisane-de-médina-délocalisée, le livre du plombier-peintre-poète-à-la-retraite-joueur-de-oud-de-tavla-fumeur-dechicha-cireur-juriste-droguiste-conteur-crémière. » En choisissant deux cents histoires environ parmi les centaines archivées, en les ordonnant selon les âges de la vie, en mêlant sa voix à celle de dizaines d’autres, François Beaune a composé une sorte d’odyssée extravagante et pourtant familière, constituée de ce qui fait nos existences. S’il a bien composé, et fait cela, c’est que l’auteur n’est pas absent : « Ceux qui parlent dans ce livre, affirme-t-il, sont moi. J’ai digéré toutes leurs histoires, je les écoute, les réécoute, je me parcours et je retrouve dans l’écho du miroir mes histoires miennes.» Aussi parce que, comme l’écrivait tout récemment Éric Loret dans le quotidien Libération, à travers ses propres récits, annotations, didascalies, on s’aperçoit qu’« à 35 ans, son talent semble avoir encore grandi », que « Beaune est un classique contemporain, désormais, chef en poésie, qui vient pousser avec une fantaisie vitale le “décor” vers l’universel ».

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François Beaune, LA LUNE DANS LE PUITS, Gallimard, « Verticales », 512 p., 160 dh.

RENCONTRE François Beaune sera à Tanger, invité de l’Institut français, samedi 23 novembre à 19h, à la Galerie Delacroix.

r Huit histoires vraies de Méditerranée sont disponibles à l’écoute sur le site d’arte radio.


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Essai

É crits libertaires d’ALBERT CAMUS Alors que l’on fête cette année le centenaire de sa naissance, Albert Camus ne laisse pas de surprendre, et parfois même ceux qui pensaient le connaître. En témoigne ce recueil rassemblant des textes jusque là épars dans des revues souvent restées confidentielles. Des écrits qui jettent un éclairage nouveau sur l’un des plus grands écrivains français du siècle passé.

La face cachée d’un grand écrivain On connaissait Camus engagé, résistant, aussi quelques-unes de ses prises de position, sa solidarité avec l’Espagne républicaine, sa dénonciation de la misère en Kabylie, sa volonté d’introduire de la morale en politique, mais bien peu connaissaient jusqu’à présent Camus libertaire. C’est à un chercheur allemand, Lou Marin, que l’on doit cette « découverte » et le long travail nécessaire pour rassembler des articles épars, parus dans des périodiques français mais aussi argentins, allemands, espagnols… C’est lui également qui introduit ce recueil et permet de restituer ces écrits dans leur contexte, leur adjoignant en outre une série de témoignages de militants anarchistes. L’auteur de L’Homme révolté (1951) ou de La Chute (1956), prix Nobel de littérature en 1957, écrivait en effet, dans le même temps, dans Le Monde libertaire, La Révolution prolétarienne, Reconstruir ou Solidaridad Obrera. Les biographes de Camus, comme les compilateurs d’Œuvres (plus ou moins) complètes ne faisaient, au mieux, qu’effleurer ce versant du personnage. La chose sera moins aisée avec la parution de ce livre, jugé « essentiel » par Catherine Camus, la fille de l’écrivain. Camus, qui déclara « Bakounine est vivant en moi », avait noué de profondes amitiés dans la mouvance anarchiste. La lecture de cet ouvrage, outre le plaisir qu’elle procure de retrouver un grand auteur, incisif et combatif, permet tout à la fois de mieux comprendre l’homme et son œuvre.

Albert C amus, ÉCRITS LIBERTAIRES (1948-1960), Égrégores/Indigènes, 342 p., 225 dh.

A ctualité d ’A lbert C amus

en

F olio

La célébration du centenaire de la naissance d’Albert Camus a donné lieu de à de multiples publications, rééditions ou reprises de textes isolés. Deux de celles-ci, qui viennent de paraître, permettent tout à la fois de compléter la lecture précédente et l’image que l’on a de Camus, souvent limitée à ses romans les plus connus. La première comprend ses journaux de voyage aux ÉtatsUnis en 1946, puis en Amérique du Sud en 1949, la seconde reprend l’ensemble des 165 articles qu’il écrivit dans la revue de la Résistance, Combat, de 1944 à 1947. Albert Camus, À COMBAT, Folio Essais, 784 p., 142 dh. Albert Camus, JOURNAUX DE VOYAGE, Folio, 144 p., 68 dh.


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Essai

H istoire

M aroc sous la direction de MOHAMED KABLY du

Le Maroc des origines à nos jours La fameuse Histoire du Maroc, Réactualisation et synthèse, publiée par l’Institut Royal pour la Recherche sur l’Histoire du Maroc, est enfin disponible à la Librairie des Colonnes. L’ouvrage – une somme ! – constitue un essai de synthèse de l’histoire du Maroc. S’appuyant sur les acquis de recherches aussi récentes que remarquables, il procède d’une approche pluridisciplinaire impliquant, à côté d’une majorité d’historiens, des chercheurs appartenant à différentes disciplines. De sorte qu’en embrassant ainsi une pluralité de champs scientifiques, il aura entrepris de cerner les zones d’ombres et d’en éclairer sans doute un certain nombre, avec pour souci majeur d’inviter à l’interrogation et de proposer ce faisant un projet de relecture cohérent. À travers une conjugaison espace-temps, l’essai de près de 900 pages balaie tous les champs – histoire, géographie, anthropologie, littérature etc. – et revient en détail sur toutes les périodes historiques, du Moyen-Âge au xxie siècle. Passionnant. Mohamed Kably (dir .), HISTOIRE DU MAROC, Publications de l’Institut Royal pour la Recherche sur l’Histoire du Maroc, 840 p., 500 dh.

‫دراسة‬

‫رواية التقدم و اغتراب المستقبل‬ ‫فيصل دراج‬ ‫تحوالت الرؤية في الرواية العربية‬ ‫ التي ظهرت في مطلع العشرين و استمرت عقودا‬،‫«تستدعى رواية التقدم العربية‬ ‫ “رواية األفكار المتفائلة” أو “الرواية اإليديولوجية” التي تستبدل بالال متوقع‬،‫الحقة‬ .‫متوقعا سعيدا‬ ‫ و يفي بوعده في الصفحة‬،‫ بنصر وشيك‬،‫ منذ البداية‬،‫يعد هذا اإلستبدال القارىء‬ ‫ ما‬:‫ أسئلة ثالثة‬،‫ الذي يعترف بالواقع و يخترعه معا‬،‫ يفرض هذا التصور‬.‫األخيرة‬ ‫هي داللة الكتابة الروائية بالمعنى النظري؟ ما العالقة بين الوعي الروائي الذي أنتجته‬ ‫ و الواقع العربي الذي جاء بالكتابة الروائية إليه مثقفون درسوا‬،‫الحداثة األوروبية‬ ‫في أوروبا أو تعرفوا على ثقافتها؟ و ما هو السياق التاريخي الﺫي أقصى “الالمتوقع‬ »‫الروائي” و احتفى بمتوقع مرغوب؟‬ ‫ رواية األحالم و البطل‬،‫ بداية الرواية العربية‬:‫و ينقسم الكتاب إلى ثالث أفصال‬ .‫ و غروب األفق و سراب المدينة الفاضلة‬،‫المنتصر‬ ‫ له كتب ومقاالت كثيرة‬.‫فيصل دراج ناقد أدبي من فلسطين يقيم بين عمان و دمشق‬ ‫ صدر له عن دار اآلداب كتاب بؤس‬.‫ و عن المثقف و أدواره‬،‫عن الرواية و تاريخها‬ .‫الثقافة في المؤسسة الفلسطينية‬ .120 dh ,‫ ص‬301 ،‫ دار اآلداب‬،‫ رواية التقدم و اغتراب المستقبل‬،‫فيصل دراج‬


Sélection

nouveautés

EN BREF

Viaje/Historia

Littérature

‫شعر‬

Edmundo de Amicis, MARRUECOS, edición de Juan Ramón Roca, RVF, 402 p., 230 dh.

C hantal Thomas, L’ÉCHANGE DES PRINCESSES, Seuil, 334 p., 250 dh.

،‫نينار ٳسبر‬ ،‫أحاديث مع والدي أدونيس‬ ،‫ ص‬240 ،‫دار الساقي‬ .90 dh

GRAND FORMAT POCHE Littérature

Littérature

Littérature

Raymond Carver, LES VITAMINES DU BONHEUR, Points, 256 p., 84 dh.

Salim Bachi, LE CHIEN D’ULYSSE, Folio, 304 p., 90 dh.

Jérôme Ferrari, LE SERMON SUR LA CHUTE DE ROME, Actes Sud, 208 p., 63 dh.


L

ÉVÉNEMENTS RENCONTRES S I G N AT U R E S DISCUSSIONS LECTURES OCTOBRE 2013

SAMEDI 19 OCTOBRE à 19h00 à la librairie RENCONTRE avec FRANÇOIS BERGER LES PAVILLONS DE SALOMON

(L’Âge d’homme éditions)

MARDI 22 OCTOBRE à 18h30 à la librairie RENCONTRE avec LES ÉLÈVES DU LYCÉE REGNAULT participant au PRIX GONCOURT DES LYCÉENS

Pour recevoir toutes nos informations, être tenu au courant des rencontres et événements, recevoir notre newsletter, laissez votre adresse mail à la librairie ou inscrivez-vous sur notre site Internet.


La librairie est ouverte du lundi au samedi de 10h Ă 20h sans interruption www.librairie-des-colonnes.com


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