Newsletter n°8 fevrier 2014

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n° 8 – février 2014

la

n e w s l e t t e r dc

La lettre d’information de la l d c à Tanger

Paraît chaque mois

Édito

De retour Notre première newsletter de 2014 n’arrive qu’en février. Les débuts d’années ne sont pas toujours les moments les plus calmes, même au pays des livres d’où nous vous écrivons. Ce nouveau numéro renoue toutefois avec ses grands rendez-vous : le « coup de cœur » (quelque peu tangérois) de la librairie, un « focus » sur un éditeur marocain (de bande dessinée), les « premières lignes » d’un nouveau roman et notre questionnaire sur la lecture, soumis cette fois à François Beaune, que les habitués des rencontres des Colonnes connaissent bien. Vous y trouverez bien sûr également une sélection de romans et d’essais assez ample pour tenir jusqu’à notre prochain rendez-vous, en mars, pour la dernière newsletter… de l’hiver.

Coup de cœur

de

P.2 A imer fatigue Philippe Fusaro Focus

ÉDITIONS ALBERTI B ande dessinée Premières lignes

de

L’ ablation T. Ben Jelloun Quel lecteur êtes-vous ?

F rançois BEAUNE

& l a Lit sélection de livres du mois térature, essais…

M. Chukri, L. Miano, S. Alexievitch… www.librairie-des-colonnes.com

P.3

P.4

P.6


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Coup de cœur

de Un

A i m e r F at i g u e PHILIPPE FUSARO

é c r i va i n c é l è b r e e t a lc o o l i q u e , u n e s p i o n

à l a p e t i t e s e m a i n e e t u n e a m b i t i e u s e s ta r l e t t e i ta l i e n n e s e r e n c o n t r e n t à

Tanger. Entre

r e t é e t m é l a n c o l i e , l i t t é r at u r e e t c i n é m a ,

légè-

Ai-

m e r fat i g u e s e j o u e d e s m y t h e s e t c l i c h é s s u r l a v i l l e d u d é t ro i t .

Tanger pour décor Un écrivain célèbre, mais qui n’écrit plus, rongé par le chagrin que lui cause la perte de son compagnon, quitte Palerme où il réside alors, et rejoint Tanger. Il s’appelle Memphis mais on reconnaît sans peine en lui un double littéraire de Tennessee Williams. Nous sommes en été. La P h i l i pp e F u s a r o , date importe peu mais nous sommes sans doute au début des années Aimer Fatigue, 1970. Memphis s’installe à l’hôtel Minzah. Alcool et barbituriques l’acÉditions de l’Olivier, 120 pages, 188 dh. compagnent dans un voyage trouble dont il espère un retour d’inspiration. La ville qu’il habite le temps de deux saisons est une cité mythique. « Je ne veux pas être un écrivain réaliste. », annonce la citation de Tennessee Williams placée en exergue du livre. Les personnages que Philippe Fusaro met sur sa route, et avec qui il forme vite un trio, sont dès lors du même acabit. La Spia, d’abord, un espion sans grande envergure, porteur de serviette dont la beauté s’estompe. Lulù ensuite, plantureuse amante du précédent et actrice de peplums qui, ambitieuse, aimerait bien décrocher un rôle important. Livre hommage – à la littérature comme au cinéma –, Aimer Fatigue est un roman d’atmosphère qui se joue des clichés pour nous entraîner, entre légèreté et mélancolie, au-delà des apparences, dans un monde où songe et réalité se mêlent. Tout y est vrai et faux en même temps, sauf la perte peut-être irrémédiable, l’amour et l’amitié, et l’écriture également, véritablement au centre du récit.

Extrait : « Allongée sur un manteau noir, Yves Saint Laurent, Lulù, tu chantes, nue, Lulù, tu chantes allongée, tes bras s’étirent loin, au-delà du col du manteau, tes cheveux couleur fauve dessinent une auréole et tu chantes d’une voix brisée et nasillarde une chanson idiote, Come te non c’è nessuno, così timido e solo, tu chantes se hai paura del mondo rimani accanto a me, ces paroles, Lulù, tu les connais par cœur, une chanson que je n’aurais jamais imaginée dans ta bouche après l’amour, Lulù, ce n’est pas une chanson qu’on chante après une première fois, ce que je rêvais d’entendre ? Je ne sais pas, moi, peut-être Femme fatale, oui, sans doute Femme fatale, mais pas cette chanson idiote, belle mais idiote, ce n’est pas une chanson pour un corps splendide, pas pour une femme allongée sur un manteau qui vaut une fortune, jeté avec négligence sur le lit d’une suite du Minzah, Tanger, vue sur la mer, le détroit… »

+

R Un entretien avec Philippe Fusaro (55 min) à propos d’Aimer fatigue est disponible à l’écoute sur le site de la radio suisse RTS. R L’auteur présente rapidement son livre dans une vidéo (4 min), mise en ligne par la librairie Mollat.


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Focus

l e s É d i t i o n s a l b e rt i bande dessinée

L e s to u t e s j e u n e s é d i t i o n s A l b e rt i , n é e s e n 2011, s o n t l e s s e u l e s au M a ro c à s ’ ê t r e s p é c i a l i s é e s d a n s l a b a n d e d e s s i n é e . C e m ot i f s e u l s e r a i t s uff i s a n t , s a n s d o u t e , p o u r l e u r c o n s ac r e r u n p e u d ’ at t e n t i o n . M a i s , e l l e s p ro d u i s e n t , d e s u rc ro i t , d e s a l bu m s d e qua l i t é , p o rt é e s pa r l a pa s s i o n d ’ u n v é r i ta b l e ac t i v i s t e d u 9 è m e a rt .

Bulles en tête Saïd Boutfass, fondateur des éditions Alberti, est une sorte d’activiste, un peu particulier : un activiste de la bande dessinée. Plasticien, diplômé des Beaux-Arts de Paris, il soutient également une thèse d’esthétique à l’Université Paris 8 avant de revenir au Maroc. C’est là que, devenu enseignant à l’École supérieure des Beaux-Arts de Casablanca, il fonde sa maison d’édition, afin de promouvoir le neuvième art dans le Royaume, et particulièrement la production locale. L’aventure est audacieuse mais, en un peu plus de deux ans, les résultats sont tout à fait probants et prometteurs. Sur tous les fronts, Saïd Boutfass ne s’arrête cependant pas en si bon chemin. En 2012, il dirige le festival international de la bande dessinée de Casablanca. Voulant créer une véritable dynamique, il s’ingénie également à créer des passerelles entre les différents acteurs culturels, veut faire se rencontrer les jeunes talents, dessinateurs et scénaristes, négocie des partenariats pédagogiques, veut créer au Maroc une véritable filière de formation spécialisée. Les albums déjà parus laissent en outre transparaître, au-delà de la qualité des ouvrages, une sensibilité sociale, un réel engagement pour l’avenir. Ainsi d’Aïcha K. (paru en édition trilingue – arabe, français et tifinagh) ou des Passants, livre sans parole dénonçant les guerres contemporaines, mais aussi de Tagant. La forêt des mystères qui nous fait découvrir un Agadir du futur, impitoyable, dans lequel deux enfants luttent contre les monstres produits par l’industrie chimique locale. Les Enfants du royaume, quant à eux, nous font revivre le voyage initiatique de trois jeunes à travers la dure réalité sociale… Autant de livres dans lesquels dessin et textes se répondent et qui, dans leur diversité, permettent d’éveiller à la lecture et au monde.

J e a n -F r a n ç o i s Chanson & Damien C u v i l l i e r , Aïcha K., 2013, 68 pages, 80 dh.

Omar Enaciri, TaganT. La forêt des mystères 2013, 52 pages, 80 dh.

Brahim Raïs, Les Passants, 2013, 46 pages, 80 dh.

J.-F. C h a n s o n & N. L o g i é M a n c h e , Les enfants du royaume, 2013, 52 pages, 80 dh.


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Premières lignes

de

L’ ab l at i o n TAHAR B EN J ELLOUN

Un livre nouveau se découvre, chaque mois, à travers ses premières lignes. Ce mois-ci, c’est le nouveau roman de Tahar Ben Jelloun, L’Ablation.

I.

Changé Depuis que je ne baise plus, je me sens plus libre et j’aime de plus en plus les femmes. Je les aime mieux et plus qu’avant parce que le sentiment de liberté me donne des ailes, de l’humour et de la légèreté. Je les trouve belles, spirituelles, certaines plus merveilleuses que d’autres. J’en suis fou. Je pense à elles tout le temps et ne comprends pas pourquoi elles ne sont pas plus sensibles à ma disponibilité. Pourtant, si elles savaient, si elles pouvaient imaginer que je suis capable de les aimer comme on aime dans une histoire romantique, ou dans un bon mélo. Ah, si elles devinaient ce que je suis prêt à faire pour les célébrer, les honorer, leur donner du plaisir, des orgasmes fabuleux que j’irais chercher loin, au fond de leur âme, dans les plis de leur inconscient. Fini l’égoïsme masculin, fini les petits trucs pour ne pas perdre la face. Je n’ai plus de face. C’est bien commode. Je me dévoue entièrement à elles. Je sais comment combler leur désir, comment le marier à toutes les audaces, à la folie. J’ai un don maintenant : je perce, je dévoile, je découvre et je comprends ce qui se cache derrière les apparences que les femmes exposent par peur, par timidité ou par hypocrisie. Mon instinct me mène vers vous, ô femmes que j’aime et que j’attends avec patience, impatience, avec joie, folie, obsession. Chaque rencontre avec vous est un feu d’artifice qui m’aveugle, me donne ivresse et légèreté. Je vole, je chante (mal mais je m’améliore), je ris, je danse, je cours et je reviens vers vous les bras ouverts. Champagne dans les coupes et dans l’air, dans la musique et dans les fleurs. Tout est champagne, tout est lumière. Tout pétille à la moindre étincelle. Plus besoin de tomber dans un sommeil profond pour rêver. Il me suffit de tendre la main vers vous. Les draps en soie ne sont plus nécessaires. L’amour n’a pas besoin de décor. Ou alors un décor grandiose comme ceux qu’Alexandre Trauner fabriquait pour des films de légende. Depuis que je ne fais plus l’amour, je me contente de mes souvenirs. Je suis plein de souvenirs. Dès qu’on me touche, ils surgissent de partout, comme des impacts sur une cible se démultipliant à l’infini. Ils se bousculent dans ma tête, dans mon sang, dans mes paroles. Je suis un hangar à souvenirs. Il suffit que je me baisse pour ramasser de quoi passer la journée et surtout la nuit, car je suis insomniaque. Mes nuits sont blanches et inutiles. ► T a h a r B e n J e l l o u n , L’Ablation, Gallimard, 144 ages, 100 dh.


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Literatura

de

Tiempo de errores Mohamed Chukri

C o n t i n ua n d o s u ta r e a d e p ub l i c a c i ó n d e l a s o b r a s d e M o h a m e d C h u k r i , l a e d i to r i a l C a b a r e t V o lta i r e ( c f . N e w s l e t t e r n ° 3) h a r e c i e n t e m e n t e p ub l i c a d o T i e m p o d e e r r o r e s . S e g u n d a e n t r e g a , lu e g o d e E l pa n a s e c a s , d e l a t r i lo g í a au to b i o g r á f i c a d e l m á s á c i d o d e lo s e s c r i to r e s c l á s i c o s m a r ro q u í e s , q u e y a m i s m o t e n e m o s l a p o s i b i l i d a d d e

( r e ) d e s c ub r i r .

La universidad de la vida « La verdadera vida, decía Mohamed Chukri, debemos buscarla en los libros ». Quizás esta máxima no se aplique a todos los libros, pero sí a aquellos que escribió Choukri. En Tiempo de errores, que junto a El pan a secas y Rostros, amores, maldiciones, forman la autobiografía de este insumiso, nos reencontramos con la misma rebelión, la misma voz agria del aquél primer volumen. El autor cuenta con apenas veinte años cuando lo encontramos al principio del libro. No sabe ni leer ni escribir. Sobrevive con astucia, día a día, hasta que decide instruirse. Se traslada entonces a Larrache e intenta inscribirse en una escuela. Con la recomendación de un amigo en el bolsillo, consigue que lo acepten. Pero, siendo ya un hombre, se encuentra rodeado de niños, recitando el alfabeto. Por lo tanto, su vida no cambia radicalmente. Si bien sus jornadas las pasa en un banco de escuela, sus noches transitan por Tánger, por los cafés y lugares obscuros de la ciudad, entre hombres y mujeres de mala vida. Duerme siempre sobre el suelo, o allí donde le permiten descansar un instante. La miseria lo persigue perpetuamente, el alcohol y el kif lo acompañan donde vaya. Entonces, Chukri entra en la Escuela de Magisterio, y él, el niño callejero, deviene maestro. Posteriormente dirá : « fue como volver a nacer. Sentí que se erguía un muro infranqueable entre mí y el desprecio social, la ignorancia y la miseria ». Se enamora de la literatura. Pero no sin dolor. Tampoco lo quita la desesperanza. Se vuelve escritor, y sin dudas uno de los mejores de su generación en Marruecos. Si todavía teníamos necesidad de convencernos sobre esta cuestión, el lector de este libro podrá apartar toda incertidumbre. Y nos alegraremos de saber que otros libros de Chukri aparecerán pronto en español (El Zoco Chico, El Loco de las rosas…) . Disponibles en la librería, del mismo autor, publicados por la editorial Cabaret Voltaire : ○El Pan a secas ○Jean Genet en TáNGER ○Paul Bowles, El recluso de Tánger

Mohamed Chukri, Tiempo de errores, Cabaret Voltaire, 288 páginas, 238 dh.


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Quel lecteur êtes-vous ?

François BEAUNE

Un(e) auteur(e) nous parle de la façon dont il, ou elle, lit, des ouvrages qui ont marqué sa vie et peut-être scellé une vocation. François Beaune, romancier, collecteur d’histoires vraies, souvent venu à Tanger, a bien voulu répondre à notre petit questionnaire. L’occasion de mieux connaître cet auteur touche à tout.

Sa bibliographie se compose de trois livres mais elle n’épuise pas, loin de là, tout ce que François Beaune a écrit, ni l’ensemble de ses activités, plus ou moins « louches ». Créateur et collaborateur de fanzines (Gonzo, Cocotte…), il est aussi l’auteur de blogs (Les bonnes nouvelles de Jacques Dauphin, Louche actualités) d’une revue d’art (La Revue Louche), d’une pièce de théâtre (Victoria), d’un spectacle de cabaret (Le Majestic Louche Palace)… De plusieurs de ces entreprises est né Jean-Daniel Dugommier, théoricien de la louchitude, du sous-réalisme et personnage principal d’Un homme louche (2009), premier roman en forme de journal intime ; un individu peu commun observant le monde ordinaire avec distance, disséquant la réalité d’une manière décalée, à la limite de la folie, désespéré et drôle, mais déjà mort lorsqu’on le découvre et que l’on commence à s’y attacher. Son deuxième roman paraît deux ans plus tard, c’est Un ange noir. François Beaune y flirte cette fois avec le polar, continuant son exploration des marges et d’un présent peu glorieux. Confession, témoignage d’un homme à la recherche du coupable d’un meurtre dont tout le désigne comme l’auteur, le livre, entrecoupé d’articles de presse, de dépositions de témoins, de lettres de sa mère, déroute et destabilise. Avec La Lune dans le puits (dont nous avions déjà parlé dans le numéro d’octobre de cette newsletter), François Beaune semble changer de voie. Il retourne en fait à ce qui est « la matière première de toutes les formes d’écriture ». Après s’être embarqué pour un an autour de la Méditerranée, il revient chargé d’« histoires vraies » dont près de 200, agencées selon les âges de la vie, forment la matière d’une sorte de biographie, celle de l’individu collectif qui vit aujourd’hui dans les treize pays du pourtour méditerranéen. De cette épopée, il a également tiré une série de reportages radio (que l’on peut écouter sur le site d’arte radio). Spectacle, théâtre, cinéma, écriture sous toute ses formes… nul doute que cet artiste multiforme n’est pas prêt de s’arrêter en si bon chemin.

Enfant ou adolescent, quel est le premier livre qui vous a marqué ?

François Beaune : Jambe rouge apprenti pirate. C’est l’histoire d’un garçon qui veut devenir pirate. J’avais adoré ce livre, comme j’avais beaucoup aimé L’Île au trésor de Stevenson, ou les livres de Jack London. Quelles sont les œuvres qui vous ont poussé à devenir écrivain ?

L’écriture de Louis-Ferdinand Céline a libéré quelque chose en moi, d’ailleurs je raconte dans La Lune dans le puits l’histoire vraie de ma découverte de Mort à crédit, dans un time-share sur les îles Canaries.


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Quel est votre livre préféré ?

Mort à crédit. La plus belle auto-fiction. Un livre sur le délire et la fièvre. Y a t-il des auteur-e-s qui vous accompagnent lorsque vous écrivez ?

Quelle lecteur êtes-vous ?

François BEAUNE

Céline, Flaubert, Steinbeck, Melville mais, par exemple, Anna Gavalda pas du tout. Un livre incontournable pour vous.

La Conjuration des imbéciles, de John Kennedy Toole. Un livre sur la NouvelleOrléans, aussi profond et cinglé que la ville. Quel grand classique n’avez-vous jamais fini ?

La Recherche du temps perdu. J’aime bien, ça fait assez série télé anglaise, sur les « petits drames de la pédérastie », comme disait Céline, mais au bout d’un moment ça me rase. Que lisez-vous en ce moment ?

L’excellent livre d’Abdel Hafed Benotman : Éboueur sur échafaud. Ou la vie d’une famille d’émigrés algériens à Paris. Violent, sans concessions, très bien écrit. Bibliographie

François Beaune, Un homme louche, Ver ticales, 2009, rééd. Folio, 2011, 352 pages, 86 dh.

François Beaune, Un ange noir, Ver ticales, 2011, 286 pages, 228 dh.

François Beaune, La lune dans le puits, Ver ticales, 2013, 512 pages, 160 dh.


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Littérature

L a s a i s o n d e l’ o m b r e de léonora miano Dans La Saison 2013, r e n v e r s e

de l’ombre,

Léonora Miano,

l au r é at e d u

Prix Fémina

l e s p e r s p e c t i v e s e n n o u s d o n n a n t à l i r e l a g r a n d e h i s to i r e

au p r i s m e d e l a p e t i t e , u n e g r a n d e t r a g é d i e au t r av e r s d e p lu s m o d e s t e s .

Ce

fa i s a n t , l a m é m o i r e d e l a t r a i t e n é g r i è r e r é a p pa r a î t .

Un monde qui bascule Nous sommes en Afrique centrale, il y a de cela plusieurs centaines d’années. Le roman s’ouvre au lendemain d’un incendie qui a ravagé le village qu’habitent les membres de la communauté Mulango. Douze d’entre eux ont inexplicablement disparu : dix jeunes initiés et deux hommes d’âge mûr. L’événement laisse tout le monde désemparé et les dix mères des dix jeunes ont été écartées du village, de peur que leur chagrin ne devienne contagieux. Contre la coutume, une expédition se met en place, pour essayer de percer le mystère, pour retrouver la trace des disparus, leur rendre un dernier hommage. Sous des dehors classiques, la langue française retrouve alors le rythme et la sensibilité d’une langue africaine, les accents incantatoires d’une langue bantoue. Léonora Miano nous amène peu à peu à comprendre ce qui s’est passé, les circonstances du drame que les Mulango ne pouvaient alors imaginer. Le commerce des hommes noirs avait déjà commencé depuis bien longtemps sans que cette communauté n’en sache rien. Ici cependant, les Blancs ne sont qu’à peine évoqués. Ce qui ressurgit à la lecture du livre, c’est la mémoire de l’esclavage là même où des hommes ont été arrachés aux leurs, ce sont les déchirements de ceux qui n’ont pas été capturés. Ce que l’on découvre, c’est la vision du monde de ceux-là dont on n’a gardé aucune trace, c’est un pan occulté de l’histoire subsaharienne précoloniale.

Léonora Miano, La saison de l’ombre, Grasset, 240 pages, 230 dh.

« Il s’est passé la chose suivante : des humains ont pensé tirer parti du commerce d’autres humains. Et des humains ont souffert l’arrachement des leurs, la violence de leurs voisins. Voilà ce que propose La Saison de l’ombre : le point de vue subsaharien sur une des nombreuses défaites de l’humanité, mais aussi, sur les fragiles triomphes de l’humanité. Une histoire de mort, de vie après la mort. De façon métaphorique, cette histoire est celle d’une grande partie de l’Afrique subsaharienne, depuis cinq cents ans environ. » [► Lire la suite de la présentation du livre sur le site de Léonora Miano, où elle revient sur l’histoire, les personnages principaux et les différentes communautés.]

+

R Un entretien avec Léonora Miano (47 min) à propos de La Saison de l’ombre est disponible à l’écoute sur le site de la radio française France Inter.

R Léonora Miano présente son livre sur le plateau de TV5 monde (8 min).


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Essai M émoires

de M a h j o u b i a h e r d a n L’Histoire en train de s’écrire « Aherdan ! Ce nom à soi seul est une légende ; et c’est aussi son véritable prénom. Aherdan devait écrire ses mémoires, des années 40 à aujourd’hui. Il le devait à son pays, le Maroc, au vaste monde berbère, à ses amis politiques, à ses amis personnels, marocains, français et autres, nombreux et fidèles, comme à sa famille. […] Plusieurs mondes et plusieurs époques coïncident en lui, et s’enrichissent. Sa longue vie de pouvoir et d’action politique l’a laissé libre, hors norme, insoumis, indompté. […] Aherdan est un homme de fidélité. Un des chefs de l’Armée de Libération nationale mais aussi, après l’Indépendance, un ami de la France, figure unique de nationaliste, de patriote et incarnation de l’ouverture sur le monde et la diversité. […] Hassan II lui a confié des postes ministériels de très grande confiance. Mais il est aussi toujours resté lui-même. […] Aherdan se raconte enfin, alors que la nouvelle Constitution marocaine reconnaît la langue tamazight comme langue officielle […] alors que le Maroc entre dans des temps nouveaux… » [Extrait de la préface aux Mérmoires d’Aherdan, par Hubert Védrine] M ahjoubi A herdan , Mémoires 1942-1961, Les éditions du regard, 440 pages, 238 dh. M ahjoubi A herdan , Mémoires 1961-1975, Les éditions du regard, 440 pages, 238 dh.

Essai L a f i n d e l’ h o m m e r o u g e

de

S V E T LANA ALE X IEV I TC H La petite histoire d’une grande utopie « Armée d’un magnétophone et d’un stylo, Svetlana Alexievitch, avec une acuité, une attention et une fidélité uniques, s’acharne à garder vivante la mémoire de cette tragédie qu’a été l’URSS, à raconter la petite histoire d’une grande utopie. “Le communisme avait un projet insensé : transformer l’homme ancien, le vieil Adam. Et cela a marché. En 70 ans et quelques, on a créé dans le laboratoire du marxisme-léninisme un type d’homme particulier, l’Homo sovieticus.” C’est lui qu’elle a étudié depuis son premier livre, publié en 1985, cet homme rouge condamné à disparaître avec l’implosion de l’Union soviétique [...]. Dans ce magnifique requiem, l’auteur de La Supplication réinvente une forme littéraire polyphonique singulière, qui fait résonner les voix de centaines de témoins brisés. Des humiliés et des offensés, des gens bien, d’autres moins bien, des mères déportées avec leurs enfants, des staliniens impénitents malgré le Goulag, des enthousiastes de la perestroïka ahuris devant le capitalisme triomphant et, aujourd’hui, des citoyens résistant à l’instauration de nouvelles dictatures. » [Extrait présentation de l’éditeur]

S v e t l a n a A l e x i e v i tc h , La fin de l’homme rouge, Actes Sud, 554 pages, 202 dh.


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Sélection

nouveautés

EN BREF

Littérature

Littérature

Poésie

Philip Roth, L’amérique de philip roth, Gallimard, 1152 pages, 296 dh.

Laszlo Krasznahorkai, Guerre & guerre, Cambourakis, 368 pages, 300 dh.

René Rodriguez, Le Chérif des Djebala, Riveneuve, 430 pages, 250 dh.

GRAND FORMAT POCHE Littérature

Littérature

Littérature

I ta l o C a lv i n o , Cosmicomics. Récits anciens et nouveaux, Gallimard, 544 pages, 112 dh.

É r i c -E m m a n u e l S c h m i tt , Le sumo qui ne voulait pas grossir, Le livre de poche, 96 pages, 66 dh.

V é r o n i q u e T a dj o , Loin de mon père, Terres solidaires, 272 pages, 45 dh.


L

É v é n e m e n ts

mercredi 12 février à 18h30 à la librairie Carte Blanche à Abdellah Taïa à l’occasion de la présentation de son long métrage L’armée du salut au Festival international du film

R EN C O N T R E S S I G N AT U R E S DISCUSSIONS l e ctur e s février 2014

Discussions, lectures de textes et projection de son court métrage La tombe de Jean Genet

du 13 au 22 février à partir de 19h00 à Casablanca Pour accompagner

Les nocturnes de l’institut français Pour recevoir toutes nos informations, être tenu au courant des rencontres et événements, recevoir notre newsletter, laissez votre adresse mail à la librairie ou inscrivez-vous sur notre site Internet.

La librairie tiendra un comptoir éphémère 121, bd Zerktouni +212 522 779 870


La librairie est ouverte du lundi au samedi de 10h Ă 20h sans interruption www.librairie-des-colonnes.com


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