vers un espace habitable la place de l’architecte dans la conception de l’espace appropriable. mémoire de fin d’études serfass loïc - ensal 2020 sous la direction de suzanne monnot
ÉTUD. SERFASS Loïc UNIT E0932 - MÉMOIRE 3 - MÉMOIRE INITIATION RECHERCHE
SRC
DE.MEM TUT.SEP
MONNOT S. NOWAKOWSKI F.
MARCH ARCH
S9 DEM ALT 19-20 FI
© ENSAL
“Celui qui habite partout, n’habite nulle part.” Martial / Livre VII
Vers un espace habitable La place de l’architecte dans la conception de l’espace appropriable.
Loïc Serfass Sous la direction de Suzanne Monnot ENSAL 2020
SOMMAIRE
Résumé : (FR) Dans un système contemporain d’hyper-spécification de la société, l’architecte se veut comme spécialiste de l’habitat. Accompagné des politiques, spécialistes et spéculateurs, il conçoit la ville et l’habitat de demain. Mais quelle est la place de l’habitant dans la conception de son habitat ? J’ai alors voulu m’intéresser à cette question tout d’abord de la place de l’habitant dans le projet architectural, dernier maillon d’une chaine de conception et de décision, protagoniste négligé de l’histoire écrite par l’architecte. Mais j’ai également voulu m’intéresser aux processus de conception incluant l’habitant, dont l’architecte doit rester garant. En somme comment passer d’un système de conception bureaucratique à un système démocratique. Redonner de la vie au projet, l’amener à évoluer, et amener l’habitant à évoluer dans un espace qui lui ressemble. Lui laisser libre court à s’approprier les lieux, afin de créer réellement un espace qui lui ressemble, tout en conservant la place de l’architecte. Architecte qui n’est plus que concepteur, mais devient également médiateur, porteur de projet. Ce travail de recherche explore alors, à travers un aspect philosophique, théorique puis pratique, par quels processus de conception l’espace architecture peuvent être appropriable par l’habitant, et quelles postures adopter pour l’architecte, à travers l’angle de l’habiter. Car finalement, habiter c’est aussi avant tout approprier. (EN) In a contemporary system of hyper-specification of society, the architect wants to be a habitat specialist. Accompanied by politicians, specialists and speculators, he designs the city and the habitat of tomorrow. But what is the place of the inhabitant in the design of his habitat? I wanted to take an interest in this question first of all, of the place of the inhabitant in the architectural project, last link in a chain of design and decision, neglected protagonist of the history written by the architect. But I also wanted to take an interest in the design processes including the inhabitant, of which the architect must remain guarantor. In short, how to go from a bureaucratic design system to a democratic one. Bring the project back to life, bring it to evolve, and bring the inhabitant to evolve in a space that resembles him. Give him free rein to appropriate the habitat, in order to really create a space that resembles him, while retaining the place of the architect. Architect who is no longer just a designer, but also becomes a mediator, project manager. This research work then explores, through a philosophical, theoretical and then practical aspect, through which design processes the architecture space can be appropriated by the inhabitant, and which postures to adopt for the architect, through the angle of the habitat. Because ultimately, to live is above all to appropriate. (illustration : Sophie Ricard for Construire)
Problématique : Par quels processus de conception des espaces peuvent être appropriable par l’habitant, et quelles postures adopter pour l’architecte ?
10 Je pense donc j’habite
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Introduction Problématique et méthodologie
Chapitre I / Philosophique Je pense donc j’habite a_ Définition d’habiter Qu’est-ce qu’habiter ?
b_ Les espaces de l’habiter
c_ Bâtir son espace
L’extension du « soi » et la rencontre du « nous » Construire le « soi »
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Chapitre II / Théorique
Processus d’appropriation et place de l’architecte a_ Habiter le logement Processus d’appropriation dans le logement
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b_ Habiter l’espace public
c_ Faire habiter
Processus d’appropriation dans l’espace public La place de l’architecte dans le processus d’appropriation
Chapitre III / Pratique
Mise en conditions des exemples théoriques a_ conception : perraudin et Aravena Jourda, Perraudin et Aravena
b_ coordination : bouchain à Boulogne
c_ le cas de l’espace public : obras et autre
Bouchain à Boulogne
BASE et OBRAS : Conception et Concertation
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Conclusion
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Bibliographie et Iconographie
INTRODUCTION À la recherche d’un sujet...
19 décembre 2018, Institut für Architektur, Berlin J’assiste à une conférence exceptionnelle autour de Peter Eisenman, architecte dont je n’oserais refaire la présentation. La conférence se tient en compagnie d’autres architectes renommés, qui sont tous des connaissances et amis de Peter, dont un certain Rafael Moneo, Prix Pritzker 1996. Après un long discours introductif par le maitre de cérémonie et des récits amicaux sur leurs travaux communs de la part de Rafael Moneo, vient une table ronde avec les différents invités. On y discute joyeusement modernisme, post-modernisme, torchons et serviettes. La conférence va bon train et là, Peter Eisenman s’arrêtant sur une des photos projetée, présentant un de ses projets, la House VI (présentée en photo titre), en la commentant de la sorte : « Ici vous voyez le projet tel qu’il a été conçu. Les lignes sont droites, le lits faits. Mais c’est une fois la photo prise que le projet prend tout son sens. Mon oeuvre s’arrête quand les gens viennent dans la maison et s’approprient l’espace.1»
Cette phrase, apparement anodine, me marquera. J’oublie tout à coup modernisme, post-modernisme, torchons et serviettes. Quelle importance a le style, ou la renommée de l’architecte quand au final même aux 12
.1 « THE STATUS OF AN OBJECT of the futur past of architecture ». (Conférence/discussion du 19 décembre 2018, à la TU Berlin, présenté et organisé par Jörg H. Gleitter, professeur à la TU Berlin. Avec la participation de Peter Eisenman, Rafael Moneo, Kristin Feireiss, Kurt W. Forster, Jürgen Mayer H. et Petar Bojanic)
yeux de Peter Eisenman le geste final reste l’action de l’habitant. De ses mots je comprend qu’un projet architectural réussi n’est peut être pas un projet reconnu par ses pairs, n’est peut être pas uniquement un projet beau, mais un projet adopté par ses habitants, un projet où l’habitant peut s’approprier le projet architectural, et terminer l’oeuvre en la rendant vivante. C’est là peut être aussi la destinée de tout architecte : se mettre en retrait, laisser vivre son oeuvre, loin de son nom. La laisser vivre autant que possible pour que son nom reste à jamais gravé dans la pierre. Cette phrase résonne également d’un manière particulière venant de la bouche de Peter Eisenman. C’est une certaine forme d’humilité venant d’un architecte de sa carrure, mais également une forme de réalisme quant à la création de l’oeuvre architecturale. Ce réalisme frappe d’autant plus venant d’un architecte maître du déconstructivisme. L’architecture est un art. mais l’architecture a cela de différent des autres disciplines artistiques, que c’est un art qui est fait pour être vécu. Un tableau se contemple, une musique s’écoute, une pièce de théâtre s’interprète, une sculpture se ressent, mais l’architecture est destinée à être, appropriée, pour vivre, revivre, se reconstruire. L’architecte-artiste modèle son oeuvre, lui donne vie et lui fait raconter une histoire. Mais l’histoire qu’elle vie n’est pas forcément celle qu’on a voulu lui donner. J’aimerais aussi faire le parallèle de l’oeuvre architecturale (d’un architecte) avec un enfant éduqué par ses parents. Quand un architecte rend les clefs de son oeuvre, c’est comme des parents laissant partir leur enfant à l’âge de la majorité, le laissant mener sa propre vie, après de longues années de préparation, d’éducation. Au fond créer un projet architectural n’est peut être qu’un façon de guider la création et la vie du bâ13
timent. On ne finit jamais réellement un projet, on lui donne vie. C’est peut-être ça, la volonté de l’architecte : donner vie à un projet, qu’il résiste au poids des années, aux changements de la vie, qu’il vole de ses propres ailes et raconte sa propre histoire, bien loin que ce que l’on aurait pu imaginer. Le retrouver, 10, 15, 20 ans plus tard, voir ce qu’il est devenu, comment il a vécu, vieilli. Se plait-il avec ses nouveaux habitants ? A-t-il trouvé de nouvelles manière de vivre ? Certains architectes restent peut-être trop attachés à leur enfant, et n’arrive pas à couper le cordon, laissant aux habitant et usagers une oeuvre complète, mais sans doute plus proche de la sculpture que de l’oeuvre architecturale, peu appropriable. Je donnerais pour exemple l’oeuvre de la caserne des pompier de Zaha Hadid, construite en 1993 sur le campus Vitra à Weil am Rhein, en Allemagne, cas d’école de l’architecture qui devient sculpture. Première oeuvre construite de l’architecte déconstructiviste Iranienne, la caserne sera rapidement boudée par ses usagers. Les angles aigus, les murs obliques, la créativité de l’architecte, ont pris le pas sur le programme la fonction. « Forms follow functions » comme dirait un certain Louis Sullivan, mais pas pour Zaha Hadid. Elle fait de cette oeuvre non pas une oeuvre architecturale, vivante, accueillant un programme, mais une sculpture, que l’on vient contempler. J’ai ainsi le sentiment intime que pour beaucoup, et notamment pour moi jeune étudiant en architecture, le projet s’arrête au moment où il prend son émancipation. On donne tout son amour dans un projet en disant « mon projet c’est cela », et l’oeuvre de l’architecte s’arrête alors aux photographies prises à la fin du projet. Mais que se passes-t-il après ? J’ai ainsi voulu m’intéresser à cet « après ». Après l’action de l’architecte. Peut-on imaginer un projet en prédisant l’ « après » ? Comment réconcilier l’architecte et l’habitant ? Comment l’usager peut-il être acteur de la conception et de l’évolution de l’oeuvre architecturale ? 14
Zaha Hadid Firestation, VITRA, Weil-am-Rhein (DE)
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Volonté scientifique J’ai pu également étudier, à l’occasion de mon travail de recherche de Licence, l’Architecture des clubs techno2. Le mouvement techno est né des friches industrielles de Détroit et de Berlin, et les clubs sont issus de l’appropriation par les collectifs du mouvement techno de friches industriels, de friches urbaines, urbaines, de champs. J’ai été fasciné par la capacité des collectifs techno à s’approprier des lieux uniques, abandonnés, pour en faire des lieux exceptionnels, presque magiques. La techno berlinoise a été portée par les lieux abandonnées par la chute du mur : le Tresor à Berlin est né dans des anciens coffres forts de grands magasins, le Griessmuhle trouve sa place dans un ancien entrepôt portuaire, chaque week-end des millers de personnes tente de passer les portes du Berghain, situé dans une ancienne centrale électrique du bloc soviétique. J’ai voulu dans ce travail de recherche, explorer d’autant plus cette approche de l’appropriation, mais sous l’angle du quotidien, de ce qui nous forme au jour le jour : l’habitat. C’est quoi approprier ? Et comment s’approprie-t-on au quotidien les espaces qui nous entourent ? Ce sont des questions qui se font formée en moi à la fin de l’écriture de mon rapport d’étude, voyant la qualité que l’on pouvait puiser dans l’appropriation. Je voudrais ainsi pouvoir, plus tard, appliquer ces théories dans la pratique de mon métier, que ça soit dans des lieux culturels, comme dans l’habitat. Car un espace approprié c’est aussi pour moi un espace vivant. Créer un espace appropriable c’est crée un espace où l’usager, l’habitant, se sent bien, et évolue dans un univers qui lui ressemble, où il peut exprimer ses émotions. Ayant vécu une année à Berlin, j’ai aussi pu également observer une autre manière d’appréhender la ville. Les habitants sont très engagés dans la politique de la ville, et dans la manière dont se construit la ville. Nombre sont les collectifs, associations, bar, etc. qui se sont ap16
.2 Serfass Loïc sous la direction de Jean Philippe Aubanel, L’architecture des clubs techno, ENSAL, 2018
propriés les vestiges du Berlin d’avant la chute du mur, pour en faire la ville, aujourd’hui si belle et si vivante, qu’est Berlin. Le street art, les clubs technos, les parcs autogérés, sont des exemples parmi tant d’autres qui démontrent à quel point les berlinois ont réussi à s’approprier leur ville. Intérêt scientifique L’homme s’est, pendant des milliers d’années, adapté à son environnement. Pour assouvir son besoin primaire d’habiter, pour vivre. Des grottes aux habitats primitifs, l’homme a toujours cherché à améliorer son habitat, en étant le bâtisseur de son propre toit. Mais on assiste aujourd’hui à une hyper-spécialisation de la société. L’homme n’est plus bâtisseur, mais simple habitant, laissant à l’architecte le soin de créer l’habitat. L’architecte doit alors être en mesure de maitriser les besoins fondamentaux de de l’habitant, pour lui permettre de vivre. Mais comment peut-on expliquer que des bâtiments conçus à la chaines dans les années par des architectes/ingénieurs bien formés doivent actuellement être détruits, car peu aux goûts des habitants, alors que la maison de mes grands-parents, construite avec un minimum de connaissances techniques si ce n’est les connaissances familiales il y a bientôt 300 ans par mes ancêtres tiens toujours debout, malgré les changements familiaux, deux guerres, et garde cette âme éternelle, respire la vie ? Est-ce qu’en passant d’un système d’auto-construction de son habitat à un système spécialisé, n’as-t-on pas un peu perdu l’essence même de ce pourquoi elle est destinée : faire habiter. J’ai le sentiment qu’aujourd’hui le logement est devenu une valeur marchande comme les autres et qu’il a perdu de son sens premier : Habiter. On investit, on spécule, on construit massivement pour réaliser de 17
Immeuble d’habitation à Singapoure
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meilleurs bénéfices. La qualité d’un logement se voit au prix du mètre carré. Le lien semble rompu entre l’architecte et l’habitant, séparés par un sytème financier loin de toute considération éthique. Un logement social trop bien conçu devient hors de prix et inaccessible aux plus pauvres, ayant seulement accès à des logements ultra-normés et contraint. Il ne s’agira pas ici de bousculer l’ordre établi, je n’ai pas cette prétention. Mais je souhaiterais ici poser la question de l’essence même de l’habiter. Revenir à des valeurs plus humaines, remettre de la vie dans l’habitat. Mais cette action passe essentiellement par une compréhension même de l’habitat, et de comment est-ce qu’on s’approprie le logement. Comment est-ce qu’on habites ? Problématique et méthodologie J’ai donc tout d’abord voulu m’intéresser à l’appropriation. Comment s’approprie-t-on l’espace ? Comment créer un espace appropriable ? Et l’architecte estil indispensable à la création d’un espace architectural ? La question de non architecture, l’architecture sans architecte m’intriguait beaucoup. Mais découvrant le sujet comme trop vaste, j’ai préféré axer mon sujet sur la place de l’architecte dans ces processus d’appropriation, et la capacité à créer un espace appropriable. L’habitat s’est également imposé à moi car, après avoir étudié les clubs techno, je recherchais un thème « du quotidien ». J’ai aussi hésité à axer mon sujet entre espace public ou espace privé (le logement), mais mes premières recherches m’ont fait me rendre compte que ces deux thèmes étaient intiment liés, et qu’il devaient être traités ensemble. J’ai donc voulu, dans ce mémoire, recherche par quels processus de conception des espaces peuvent être appropriable par l’habitant, et quelles postures adopter pour l’architecte ?
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Dans un premier temps j’ai voulu me définir ce qu’était qu’approprier ? Pourquoi on approprie ? Où est-ce qu’on approprie ? Ces questions trouveront leurs réponses dans les écris d’Heidegger, d’Habermas, ou de Nadège Leroux. Ces recherches philosophiques et théoriques me permettront de bien mettre en place les bases de ma recherches, et de mieux comprendre des notions essentielles à ce travail de recherche. Ensuite je me suis intéressé au travaux de Patrick Bouchain, et de son agence CONSTRUIRE. Patrick Bouchain est en effet l’un des architectes contemporain les plus investi dans cette question de l’appropriation dans l’habiter et dans la construction. Ces nombreux écrits (« Construire autrement : comment faire ? »3, « Construire ensemble, le Grand ensemble : habiter autrement »4, « Pas de toi sans toi »5, « Histoire de construire »6) relatent ses recherches, sa vision et également ses réalisations issus de ses apports théoriques sur des nouvelles manière d’appropriation, de dialogue entre architecte et habitant, et d’intégration sociale par l’architecture. Ses écrits et réalisations se situent au carrefour entre le citoyen, l’élu, l’architecte et le chantier. Enfin, il était pour moi indispensable d’observer comment ces théories et ses pensés peuvent être mises en place, à travers des exemples concrets, construits. De plus mon expérience personnelle à Berlin sera aussi précieuse dans l’écriture de ce mémoire. Ces études de cas ont été choisies à partir deux thèmes développés dans les recherches théoriques, que sont la Conception et la Concertation. Deux thèmes de processus de conception architectural incluant l’habitant au sein du projet. Le développement de ce mémoire suivra cette méthodologie, à travers trois grands axes : Philosophique, Théorique et Pratique, et à travers les thèmes d’espace public et espace privé.
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.3 Patrick Bouchain, Construire autrement : comment faire ?, Édition Actes Sud, coll. « l’Impensé », septembre 2006, 190p. .4 Patrick Bouchain & l’équipe de l’agence Construire, Construire ensemble, le Grand ensemble : habiter autrement, Édition Actes Sud, coll. « l’Impensé », avril 2010, 72p. .5 Collectif, sous la direction de Patrick Bouchain, Pas de Toit sans Toi, édition Actes Sud, coll. « l’Impensé », mai 2016, 106 p. .6 Patrick Bouchain, Loïc Julienne et Alice Tajchman, Histoire de construire, édition Actes Sud, coll. « l’Impensé », 2012, 418 p.
Dans la partie Philosophique nous apprendrons ce qu’est qu’habiter. Dans la partie théorique nous tenterons d’expliquer ce que sont les processus d’appropriation, mais également la place de l’architecte dans une nouvelle manière d’appréhender la conception. Enfin dans la Pratique, nous étudierons des cas concrets des théories développées plus tôt.
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CHAPITRE I
PHILOSOPHIQUE Je pense donc j’habite
a_Définition d’habiter
Qu’est-ce qu’habiter ?
b_Les espaces de l’habiter
L’extension du « soi » et la rencontre du « nous »
c_Bâtir son espace
Construire le « soi »
introduction
Pour commencer ce travail d’étude il est nécessaire de l’aborder d’un point de vue philosophique. Car avant de comprendre qu’est-ce que l’appropriation, il est important de comprendre qu’est-ce qu’habiter. Comment notre corps habite l’espace. Comment l’être humain est amené à s’approprier un espace en bâtissant. C’est un point essentiel car, comme nous allons le voir, Habiter est un terme bien plus large que le sens commun qu’on lui accorde au quotidien. Tout d’abord nous allons définir la notion d’habiter, à travers un aspect purement sémantique, puis par la pensée d’Heiddeger, philosophe ayant posé les bases de la philosophie de l’habiter dans son ouvrage « Bâtir, Habiter, Penser », paru en 1951 et faisant encore aujourd’hui référence auprès des architectes et des philosophes. Nous verrons ensuite dans quels espaces se fait l’habiter, avant de tenter de comprendre comment l’homme se bâti son espace personnel, pour habiter la terre. 24
Canary Wharf, Londres, Royaume-Uni (montage)
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a_ de la définition d’Habiter Qu’est-ce qu’habiter ?
Dérivations sémantiques Habiter, v. : avoir son domicile quelque part, y résider de manière relativement permanente, y vivre
Dans la langue française, habiter est définit comme inhérent à la possession d’un logement, et habiter ne peut se faire que dans un domicile. Mais n’habites-t-on réellement que son domicile ? N’y a-t-il pas un sens plus profond à l’acte d’habiter ? En continuant dans l’analyse sémantique, on peut observer qu’« habiter » et « habitude » possèdent la même racine. En français, « habiter » possède en effet la racine habit-, qui provient du mot latin habitus, qui signifie « manière d’être habituelle » et également « vêtement ». Sémantiquement « habiter » c’est donc « être » mais également « se vêtir ». On retrouve également cette singularité dans la langue allemande ou le verbe « wohnen » peut signifier « habiter », mais également « vivre ». La dérivation sémantique qui lie « wohnen » et « gewöhnen » (habituer) est la même qui lie « habiter » et « habituer ». Heidegger nous apprend aussi que le terme allemand actuel « bauen » (bâtir) vient du vieil allemand « buan », qui signifie habiter, séjourner. On voit encore une fois le lien sémantique originel fait entre construire et habiter. 26
Ce même terme « buaen » dérive de la racine indo-européenne « bhû » ou « bheu », à l’origine du verbe « être » en allemand (« ich bin »). « Habiter » et « être » possèdent ainsi en quelque sorte la même origine. Enfin l’ancienne signification de « Raum », l’ « espace » en allemand, est défini comme quelque chose qui est « ménagé », qui est rendu libre. L’espace que l’on habites est donc un espace rendu libre, que le « soi » vient composer. L’habitat est l’extension du « soi ». Heidegger donnera finalement sa propre définition d’habiter, dépassant largement le cadre défini par la définition « officielle » : « habiter est la manière dont les mortels sont sur Terre. 7» Yona Friedman va encore plus loin dans la définition de l’habiter, disant que « L’Habitat, ce ne sont pas les maisons. L’Habitat ce n’est pas la ville. L’Habitat Humain c’est l’ensemble des techniques à l’aide desquelles l’Homme utilise la Terre 8» En combinant cette définition avec les théories heidegerrienne, l’ « habitat » est non seulement l’extension du « soi », mais également la manière qu’à le « soi » pour exister physiquement sur terre. Il ne faut donc pas considérer l’habitat comme uniquement le logement au sens strict du terme, mais comme l’ensemble des éléments qui compose l’habitat, que sont le logement, mais également l’espace public, où le « soi » rencontre le « nous ».
.7 Heidegger Martin, « Bâtir, habiter, penser » (1951), in Essais et conférences, op. cit., p.173 et 175 .8 Yona Friedman, Comment habiter la terre, Éditions de l’éclat, 1976, p.12
Habiter est un terme bien plus complexe , bien plus profond. qu’il n’y parait. En français, comme en allemand, « habiter » est avant tout « être ». Habiter n’est pas seulement avoir une maison, un toit. Même si l’habitat est inhérent au domicile, on n’habites pas uniquement un domicile au sens strict du terme. On habites un espace où l’on vit et où l’on se crée sa vie. On est ce que l’on mange mais notre habitat est ce que nous sommes. L’habitat c’est l’extension du « soi ». 27
Immeuble de logement dans l’arrondissement de Marzahn Berlin (DE)
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Mais pour habiter il faut bâtir, s’approprier son environnement. Habiter est donc, en quelque sorte, approprier. Définition heidegerienne de l’Habiter Dans son ouvrage référence, « Bâtir, Habiter, Penser », le philosophe allemand Martin Heidegger détaille les pensées fondatrice de la notion d’habiter. Ses écrits sont pour moi importants afin d’introduire ce sujet. Il y développe notamment l’idée que, comme nous l’avons vu précédemment, « habiter » est un acte qui dépasse largement la notion de logement au sens stricte du terme. Cette idée du philosophe se retrouve également dans la pensée d’Henri Gaudin, architecte de la pensée Heideggérienne. Pour lui, il semble de manière générale que l’homme se sente habiter « dans les espaces qui lui garantissent “une demeure“, c’est à dire la possibilité de séjourner de manière durable, et lui offrent un havre de paix lui permettant de trouver sa place dans le monde, de se réconcilier avec lui, en abolissant “la distance avec l’étrangeté de ce qui est à l’extérieur de nous“ 9». On est aussi « chez soi » lorsque le lieu ne peut être celui d’autrui, on possède son propre espace lorsque l’on peut s’y retirer pour s’isoler du reste du monde.
.9 Gaudin Henri, Embrasure, Villa Gillet, n°5, 1996, p.22 .10 La colocation (WG) est une pratique majoritairement répandu à Berlin, de plus que les locations de courtes durées au sein d’une colocation.
Heidegger nous apprend également que « nous pouvons nous sentir chez nous dans un lieu où l’on habite pas. 14» Il nous explique qu’on peut acquérir un sentiment de « chez soi », de lieu familier et sécurisant, dans des espaces où l’on a pas habité à proprement parlé. On peut se sentir par exemple chez soi en allant à l’école, quand on reviens dans la ville de son enfance ou chez notre famille. Je me sens ainsi chez moi quand je vais visiter mes amis à Strasbourg, ville que je n’ai réellement jamais habité.
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Cette notion est aussi opposable. Ainsi on peut ne pas se sentir chez soi dans un lieu où l’on habite. Je donnerais pour exemple personnel mon année d’échange à Berlin, ville où la crise du logement est majeure, et où il est difficile de trouver un logement pérenne à un coup abordable. J’ai alors été amené à changer de manière très régulière de chambre dans des colocations10 ou des petits appartements. Si la majorité du temps j’ai pu me sentir « chez moi », il m’a été amené un certain nombre de fois de ne pas avoir de sentiment de « chez soi », malgré l’acte d’ « habiter » le lieu. Heidegger explique lui que, dans les logements massivement construits en Allemagne après-guerre, « rien ne garantit qu’une véritable habitation ait lieu », puisqu’ils ne « permettent pas à l’homme de s’enraciner dans le monde et qu’ils ne se prêtent pas à une appropriation progressive et minutieuse, ils satisferont leur fonction (faciliter la vie pratique) mais en interdisant à leurs occupants de se sentir “chez soi“ 11». Il unit alors l’habitant et son cadre de vie, supprimant la frontière entre les sphères subjectives et objectives. Cette critique, et cette difficulté à se sentir « chez soi » dans les logements d’après guerre peut également être appliquée à la France et sa politique de reconstruction des grands ensemble. Heidegger ne manquera également pas de critiquer Le Corbusier et ses théories architecturales et urbanistiques, notamment le plan libre, l’un des cinq points de l’architecture moderne, tel que définir par Le Corbusier en 1923 : « Y a-t-il encore, en ce temps, quelque chose de tel qu’un “chez-soi”, une habitation, une demeure ? Non, il y a des machines à habiter, des concentrations urbaines, bref : le produit industrialisé, et non plus une maison 12»
Nadège Leroux, architecte, donnera une autre définition d’Habiter, peut être plus simple, dans son article « Qu’est-ce qu’habiter ? Les enjeux de l’habiter pour la 30
.11 Bonicco-Donato Celine, Heidegger et la question de l’habiter, Une philosophie de l’architecture, Edition Parenthèses, 2019, p.20 .12 Heidegger Martin, Séminaire de Zähringen (1973), Questions III et IV, op.cit., p.477 .13 Leroux Nadège, « Qu’est-ce qu’habiter ? Les enjeux de l’habiter pour la réinsertion », VST - Vie sociale et traitements (n.97), 2008, p.14 .14 Bonicco-Donato Celine, Heidegger et la question de l’habiter, Une philosophie de l’architecture, Edition Parenthèses, 2019, p.15
réinsertion », montrant l’habitation comme « avant tout un lieu de vie, un lieu protégé de toutes les menaces extérieures. 13», mais également comme un lieu permettant l’intégration. L’habitation excède ainsi le logement au sens strict du terme.
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b_ Les espaces de l’habiter
L’extension du « soi » et la rencontre du « nous »
Espace privée et espace public On habite en pas seulement son logement, mais aussi sa rue, son quartier, sa ville. D’après Nadège Leroux, « sont habités tous les territoires où se répètent les gestes du quotidien. 15» On habites différents espaces. Suivant notre affinité et nos activités, on habites successivement son lit, sa chambre, son appartement, son immeuble, sa rue, son quartier de résidence, son quartier de travail, sa ville, … Ces zones d’intimité varient bien entendu différentes et sont unique suivant les personnes. On peut différencier deux types d’espaces de l’habiter, représentations spatiales des sphères d’intimité : l’espace privé, extension de la sphère intime, et l’espace public, représentation de la sphère publique. L’espace privé, le logement, c’est l’extension du « soi ». C’est la représentation physique de la sphère intime. C’est le lieu où l’appropriation est la plus forte car personnelle. « L’homme ordinaire occupe un lieu défini, il aménage une entité spatiale qui lui appartient et qui participe à la construction de son identité. L’habitation est le refuge de sa vie privée, de son intimité, mais aussi de sa représentation. 16»
De mon expérience à travers plusieurs appartements 32
.15 Leroux Nadège, « Qu’est-ce qu’habiter ? Les enjeux de l’habiter pour la réinsertion », VST - Vie sociale et traitements (n.97), 2008, p.15 .16 Ibid.
à Berlin, j’ai pu observer cette capacité à se créer un « chez-soi ». Étant amené à m’installer dans des chambres déjà habitées, et des colocations avec des personnalités différentes. Il était alors intéressant de m’imaginer les personnalités et philosophies des personnes habitant dans ces appartements, uniquement à travers l’âme de l’appartement. Les habitants des appartements que je louais s’était lentement approprié le lieu, se bâtissant un habitat à leur image. Leur personnalité se déposait au sein du logement, à travers des indices plus ou moins évidents. L’organisation du logement, de la chambre, de la cuisine; les meubles qui y sont disposés; les objets; etc… La présentation du « soi » se fait également à l’aide de ses objets. Avec le recul, j’ai pu également observer qu’en investissant pendant quelques semaines leur espace privé, j’entrais en quelque sorte en conflit avec leur habitat, en étant l’acteur inconscient d’une lente appropriation d’un espace qui n’étais pas le mien. Au fur et à mesure des jours, je prenais mes marques au sein de l’appartement, je commençais à installer des affaires. Pour finalement rendre tel quel la chambre dans l’état ou je l’avait trouvée, et recommencer ce processus d’appropriation dans un autre lieu. Le « moi » se limitait au contenu de mes valises, que j’ouvrais puis refermais, pour me créait un propre « chez-moi » dans des habitations successives. Ainsi, comme l’explique Nadège Leroux :
.17 Ibid.
« L’habitation n’a pas lieu sans espaces privés. Les territoires du privé protègent des regards, et peuvent dévoiler la personnalité de chaque occupant. “Un lieu habité par la même personne pendant une certaine durée en dessine un portrait ressemblant à partir des objets et des usages qu’ils supposent. L’ordre et le désordre, le visible et l’invisible, l’harmonie et les discordances, l’austérité ou l’élégance, le soin ou la négligence, le règne de la convention ou les touches d’exotisme, etc.“ 17» 33
Passage piéton Ginza, Chūō, Japon
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Les sphères intimes et publiques de l’habitat peuvent également avoir différents degrés, suivant le personnalité et les affinités de chacun, et de la situation propre à l’habitation. La frontière entre le « soi » est le « nous » n’est pas une frontière définissable, qualifiable. Dans une colocation, comme celles que j’ai pu pratiquer à Berlin, la sphère intime se limite à la chambre, la cuisine étant un espace commun à tous, où l’on partage, et où se mélangent les personnalités. L’action d’ouvrir ou de fermer sa chambre aux autres devient alors comme une ouverture ou une fermeture du « soi » aux autres, le lit restant le lieu le plus intime et propre à soi. J’ai pu observer également qu’une colocation qui fonctionne est une colocation qui observe un équilibre entre sphère intime et partagé, et où chacun peut apporter une petite touche de « soi » dans les différents espaces. En vivant dans un appartement seul le « chez soi » se limite à l’appartement entier. En vivant en couple, les « soi » s’unissent. En accueillant un nouvel enfant, on accueille une nouvelle sphère d’intimité. Une nouvelle bulle, qui peu à peu se formera un « chez soi ». Habiter, et donc s’approprier, c’est aussi représenter le soi, pour se créer un « chez soi ». L’espace privé est un élément indispensable à l’habitation. L’espace privé protège du regards, et son des espaces permettant de dévoiler la personnalité de chacun. Espace public, espace de publicité
.18 Georges Perec, Espèces d’espaces, Éditions Galilée. 1974.
« À l’inverse des immeubles qui appartiennent presque toujours à quelqu’un, les rues n’appartient en principe à personne. Elles sont partagées, assez équitablement, entre une zone réservée aux voitures automobiles, et que l’on appelle la chaussée, et deux zones, évidemment plus étroites, réservées aux piétons, que l’on nomme les trottoirs. 18» 35
On ne peut parler d’espace privé sans espace public. Habiter ne va pas sans cohabiter. Ces termes s’opposent mais également se complètent. Alors que le l’espace privé est vu comme l’extension du « soi », l’espace public est le lieu de rencontre des unicité. C’est le lieu où se mélangent les intimités, où le « soi » devient « nous ». On habite pas seulement un logement mais on habite également sa rue, son quartier, sa ville. Dès les premières villes et les habitats primitifs, un endroit était prévu pour se rencontrer, pour la vie commune du groupe. En grec antique, la place publique occupait une place très importante dans la vie démocratique. Le Corbusier présentait également l’idée du prolongement du logis, des aménagements extérieurs favorisant la vie collective, indispensable selon lui à l’habitat moderne, lors du CIAM19 de 1946. Le quartier devient alors l’extension de l’habitation mais également un lien entre l’habitation et la ville. Après un certain temps on y connait tout les recoins, les habitants, les commerçants. C’est une zone transitoire, un espace partagé où l’on se sent « chez soi »; une extension du « soi » dans le « nous ». « Les espaces urbains sont des paramètres essentiels de la construction de l’identité de l’individu comme celle de l’identité collective […]. Dans ces espaces se jouent la légitimation et la hiérarchisation des différentes composantes de la société urbaine. 20»
Les différentes échelles d’intimité s’imbriquent, se lient et structurent la ville et la pratique de l’habiter en ville. Les lieux que nous habitons nous installent dans une relation de proximité avec le monde en créant des espaces hospitaliers. La place de marché est par exemple un espace de rencontre et de socialisation structurante à l’échelle du quartier. Les grandes places, ou lieux publics sont quand à eux des espaces structurants à l’échelle de la ville et du quartier, tandis que la ville en elle même est un lieu structurant à l’échelle de la région, puis du pays. 36
.19 CIAM : Congrès International d’Architecture Moderne .20 Ghorra-Gobin Cynthia, Réinventer les sens de la ville. Les espaces publics à l’heure globale, Éditions L’Harmattan, 2001
L’espace public a été théorisé en tant qu’espace de publicité par Jürgen Habermas, théoricien et philosophe allemand, dans son ouvrage référence, paru en 1960 et intitulé « L’espace public. Archéologie de la publicité comme dimension constitutive de la société bourgeoise ». Il s’appuie sur les écrit de Kant, qui définissait les Lumières comme « sortie hors de l’état de tutelle » c’est-à-dire la situation de l’homme hors d’état de faire usage par lui-même de sa raison. L’éclaircissement d’un peuple est pour Kant alors conditionné à ce que l’usage public de la raison, la libre circulation des idées et des opinions, de manière orale ou écrite, soit érigée en « droit sacré de l’humanité ». La notion de « publicité » amenée par Habermas intervient ici : penser par soi-même signifie en fait penser tout haut. L’échange entre les citoyens des opinions produit une scène publique, « une scène où s’entrecroisent les regards, et où les raisons, au contact les unes des autres, s’élèvent concomitamment. 21» Habermas explique aussi que l’usage public de la raison entraine un dédoublement du rôle de citoyen, en tant qu’acteur et en tant que spectateur. Il démontre aussi l’importance de l’espace public, expliquant que la raison ne s’élève qu’au contact de celle d’autrui.
.21 « Espace public et démocratie : La philosophie d’Habermas », www. la-philosophie.com , 12avr-2012. [En ligne]. .22 Marc Lits, « L’espace public : concept fondateur de la communication », Hermès, La Revue, vol. 70, no 3, p. 77‑81, 2014.
En sommes, le « soi » doit se confronter au « nous » pour pouvoir exister. Alain Létourneau, philosophe français, résumera le concept d’Habermas par ces phrases : « L’espace public, c’est un ensemble de personnes privées rassemblées pour discuter des questions d’intérêt commun. Cette idée prend naissance dans l’Europe moderne, dans la constitution des espaces publics bourgeois qui interviennent comme contrepoids des pouvoirs absolutistes. Ces espaces ont pour but de médiatiser la société et l’État, en tenant l’État responsable devant la société par la publicité, la Öffentlichkeit dont parlait Kant. » 37
La place publique telle qu’on la perçoit en architecture n’est en définitive que la retranscription spatiale de l’espace public tel qu’il est défini par Jürgen Habermas. Un espace de rencontre, de discussion, d’interaction, mais aussi un espace de publicité. Publicité dans le sens où l’on se montre, où l’on se met en scène. L’espace public, c’est l’espace où l’on se confronte au monde, où l’on met en perspective notre intégration sociale. Et en architecture cet espace n’est pas uniquement limité aux places, parcs ou squares, mais à tout les vides qui composent la ville. Cela rejoint également la théorie d’Erving Goffman, sociologue canadien, qui soutient l’idée que l’homme est en perpétuelle représentation pour impressionner les autres, pour éviter d’être négligé, oublié. Il considère la société comme une scène, où les individus jouent leur rôle tel des acteurs. Pour lui, les comportements humains dépendent également de l’environnement, du contexte, de la culture, de l’espace et de la temporalité. Alejandro Aravenas, décrira dans une interview à l’Express en avril 2016 ce qu’est pour lui l’espace public : « Une ville se mesure à ce qu’on peut y faire gratuitement. Les espaces publics - parcs, rives... - ont un rôle redistributif majeur dans les sociétés inégalitaires. Sur la plage de Rio de Janeiro (Brésil), les pauvres des favelas côtoient les riches tout droit sortis de leurs penthouses. On se concentre toujours sur les disparités de revenus. Or la violence urbaine provient le plus souvent du degré de ressentiment social. Elle se résume en une formule : «Pourquoi eux sont mieux lotis et pas nous?» Les espaces publics font office d’égalisateurs sociaux, de fusibles face à l’iniquité urbaine. 23»
L’espace public est en effet un lieu où l’on se confronte à la société, mais aussi en quelque sorte un lieu égalitaire, dans le sens où l’on partage donc tous le même espace, peut importe nos origines, moyens financiers,
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.23 Marcelo Wesfreid, « Alejandro Aravena: “L’architecture est plus large que la dimension esthétique” », L’Express, 05 avril 2016.
intégration dans la société. C’est aussi un espace politique. Un espace de débat, un espace où l’on manifeste. Un espace où nos idées se confrontent à celle de son voisin. Un espace où l’on se mélange. Mais aujourd’hui l’espace public se veut également privé, et dans un système capitaliste, la publicité a changé de sens. Les frontières se brouillent entre espace public et privé. Les centres commerciaux, espaces de statut privé mais d’usage public, sont les exemples les plus emblématiques de cette évolution. Dans le très libéral Royaume Uni, la gestion de certaines rue ou places est déléguée à des acteurs privés au sein des « Business Improvement Districts ». Ce système de gestion, qui contrôle les usages et expression dans un espace « public » ouvert uniquement pendant les horaires d’ouverture, tend à se démocratiser au Royaumes Uni. Cela rend difficile l’appropriation libre de l’espace public. L’émergence des « Business Improvement District » pose alors la question de la place et de l’avenir de l’espace public au sein des villes.
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c_Bâtir son espace Construire le « soi »
L’acte de Bâtir On voit bien que les sphères d’intimité composent notre espace, et que finalement l’appropriation est innée dans l’humain. Mais comment l’humain s’approprier son espace ? Imaginons que l’on démarre une nouvelle vie dans une nouvelle ville, un nouvel environnement dont on ne connaît que très peu de choses. Il nous faudra un temps d’adaptation, d’appropriation du lieu avant de se sentir « chez-soi ». Temps plus ou moins long selon la culture, la personnalité, l’accueil. C’est un temps d’ « accoutumance » et de « lente appropriation ». Accoutumance qui se crée par répétitions : « sont habités tous les territoires où se répètent les gestes du quotidien. 24» Habiter, c’est également bâtir son espace intime. Construire son intérieur, investir et occuper les lieux. « Habiter c’est « être » tous les espaces à la fois afin qu’ils prennent sens. 25» Pour habiter il faut donc bâtir, habiter le temps comme le présentait Heidegger. « Être », c’est aussi se déployer, créer une effectivité spatiale, bâtir. Ponctuer la terre d’une marque qui signifie l’origine de l’espace, tel un menhir au milieu de la plaine, devenue « ici » : « c’est a partir du menhir que ciel et terre se joignent à l’horizon: deux lignes non seu40
.24 Leroux Nadège, « Qu’est-ce qu’habiter ? Les enjeux de l’habiter pour la réinsertion », VST - Vie sociale et traitements (n.97), 2008, p.15 .25 Ibid.
lement conjointes mais confondues par existence du menhir. 26» Mais bâtir permet surtout l’habitation. L’architecture permet de se créer un lieu où habiter, investir un espace déjà existant. « Bâtir n’est pas seulement un moyen de l’habitation, une voie qui y conduit, bâtir est déjà, de lui-même, habiter. Bâtir est, dans son être, faire habiter. Réaliser l’être de bâtir, c’est édifier des lieux par l’assemblage de leurs espaces. C’est seulement quand nous pouvons habiter que nous pouvons bâtir. 27»
Bâtir est, dans un sens, la condition fondamentale de l’être humain selon Heidegger. Mais on ne peut construire sans habiter déjà les lieux. Pour le philosophe, bâtir induit le règne des lieux, puis c’est à partir du règne des lieux que l’espace se déploie. Il n’y a pas « d’espace » puis différenciation et qualifications en lieux et sites, mais c’est l’inverse, « l’espace se déploie à partir du règne des lieux. » L’espace se déploie et se révèle quand on l’habite. C’est seulement quand nous pouvons habiter que nous pouvons bâtir. Et si « bâtir fait partie de l’habiter », penser fait partie intégrante de l’habitation. « Bâtir et penser, chacun à sa manière, sont toujours pour l’habitation inévitables et incontournables. »
.26 Henri Maldiney, « Topos-LogosAisthesis », in Michel Mangematin, Philippe Nys, et Chris Younès, Le sens du lieu, Édition VRIN. 1996. p.21 .27 Heidegger Martin, « Bâtir, habiter, penser » (1951), Essais et conférences, op. cit., p.173 et 175 .28 Ibid.
Pour se bâtir soi-même il faut donc bâtir son habitat. En ce sens Heidegger critique également les pensée modernistes, notamment celle de Le Corbusier, qui voit l’architecture comme un « outil », qu’Heidegger considère plutôt comme un « être ». « La véritable crise de l’habitation ne consiste pas dans le manque de logements. » Elle « réside en ceci que les mortels en sont toujours à chercher l’être de l’habitation et qu’il leur faut d’abord apprendre à habiter. 28» Construire son logement, fonder une habitation, permet de se créer des limites dans un espace non-mai41
trisable, qui se déploie et prend sens par l’habitat, à travers l’habitant. Vivre dans un appartement c’est également se protéger au sein d’un cocon, d’une coquille, où l’on se représente. La situation du sdf La nécessité d’un l’espace privatif dans la relation de l’être humain au monde qui l’entoure se retrouve également dans la relation des personnes sans domicile à la rue, vue par Nadège Leroux comme une expérience ultime de l’habiter. Cet exemple nous permet également d’observer l’acte inconscient de se bâtir son habitat. Pour l’ « homme exclus », habiter se fait dans la rue, un espace public partagé, à la vue de tous, nécessitant de développer une autre manière de vivre, s’adaptant à un environnement hostile. On habite la rue sans aucune limite ni repère, sans aucune intimité, soumis à l’errance et à la mobilité afin de satisfaire les besoins élémentaires du quotidien. L’habitation se limite alors la plupart du temps à un abris de fortune, ses effets personnels (son sac, sa maison sur son dos) ou au corps lui même. Parfois une chambre d’accueil, sans aucune appropriation possible. Mais sans filtres successifs entre le privé et le public, il ne peut y avoir de lieu d’intimité. Le « sans abris » va alors se créer des filtres pour exister, prendre soin de lui même et se construire : « - adosser son installation à un mur (première protection) - Dormir sur ses affaires pour les sécuriser (principe du coffre-lit) - Utilise ses affaires comme mobilier structurant l’espace (protection par la dissuasion en signifiant un espace de « propriété ») - Utiliser une enveloppe qui freine tous les regards in42
L’Habitat dans la rue Lieu inconnu
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discrets : tente/abri de fortune, squat, etc… avec cette protection, la personne n’a plus besoin de recherche d’autres éléments protecteurs (murs, etc…) 29» Cet ensemble d’action permettent de créer un habitat, un espace personnel, une relative intimité, au sein de l’espace public. « L’intime s’exprime pleinement lorsque l’on peut se dérober au regard des autres, lorsque l’on peut constituer autour de soi un territoire exclusivement personnel. 30» Elles lui permette de pratiquer les usages communs du quotidien qui sont directement liés à l’habitat : manger et se faire la cuisine, recevoir, se divertir et se détendre, travailler, dormir dignement en étant protégé, prendre soin de soi, avoir une intimité, etc… en bref : cela leur permet d’habiter. Mais cela reste néanmoins un habitat précaire, peu qualifiable et non souhaitable. On ne fait pas le choix d’habiter dans la rue. Mais habiter c’est aussi « avoir le choix ». Lorsqu’on habite chez soi on a le choix de rentre, de sortir, de rester seul ou d’inviter des amis, … On a le choix de vivre comme on le souhaite, loin des codes normatifs de la société. Ce choix est rendu possible par l’espace de l’habitation, qui, en conservant notre intimité, nous permet de développer nos propres attitudes, en opposition à l’espace public qui est un espace de « mise en scène » et d’ « intégration à la société » Mais les personnes sans abris ne disposent pas de ce choix. En observant la condition ultime de l’habiter on peut voir la nécessité inné de bâtir pour habiter, de se créer une intimité, nécessaire à la construction personnelle et à l’identité. Nécessaire à l’acceptation de soi et au lien aux autres. « Vivre à la rue, c’est vivre sans refuge, sans repère, sans intimité, et sans aucun choix de vie. » Mais on peu aussi observer que le manque matérielle (un toit) n’est pas le seul problème inhérent au SDF. En réintégrant un logement, il doit se réhabituer aux repères privatifs, perdus pendant la vie dans la rue. Il doit
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.29 Leroux Nadège, « Qu’est-ce qu’habiter ? Les enjeux de l’habiter pour la réinsertion », VST - Vie sociale et traitements (n.97), 2008, p.15 .30 Ibid.
reprendre possession des lieux, construire une « domesticité », s’approprier son logement pour se ré-approprier soi-même, pour faire de son nouveau domicile un « chez-soi ».
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transition
On voit bien ici que l’architecte conçoit au final bien plus que quatre murs et un toit. Il construit un habitat, une vie, plusieurs vie, interconnectées entre elle par des espaces communs. Chaque espace est nécessaire à la construction intime de l’être humain, en constituant son quotidien et structurant son rapport à la société. Nous avons également pu voir qu’habiter ne possède pas le sens littéral qu’on lui accorde, mais possède un sens philosophique bien plus large et complexe. Habiter ne concerne pas uniquement le logement au sens strict du terme, mais les espaces composant l’habitat. Habiter, c’est vivre, bâtir c’est se construire. Avoir son premier appartement lorsqu’on quitte le nid familial est fondateur. Construire sa maison est un acte important dans la vie d’un jeune couple. Tout cela permet de se développer intérieurement. La qualité du logement, sa position, son quartier, sa ville, influe alors sur le développement du « soi ». On peut également voir ici la nécessité qu’a l’être humain à s’approprier l’espace pour être pleinement lui même. Car c’est en s’appropriant l’espace qu’il peut « habiter », et donc « être ». Si les espaces structurant de l’habitat et de la ville ne sont pas propices à l’appropriation, au changement. Si le « soi » ne peut pas se construire et s’exprimer dans le nous, c’est l’équilibre du « nous » qui est menacé. 46
On peut aussi comprendre qu’Habiter se développe dans deux espace : l’espace privée, représentation physique de la sphère intime, et l’espace public, rencontre des unicités, et confrontation du « soi » au « nous ». C’est à travers ces deux espaces que nous étudierons les processus d’appropriation. L’espace privé tout d’abord, l’extension du « soi », l’espace d’appropriation ultime où le « soi » se retrouve dans les l’espace approprié. Et l’espace public est, lien entre les espaces privés. Un espace ou se mélangent les intimités, où l’on se sociabilise, et où l’on met au grand jour la « place » de l’individu dans la société. C’est également un espace de « publicité », de mise en scène. On joue un rôle, on dévoile au grand jour notre « soi ». L’espace public prend une place importante dans l’habiter. Il n’y a pas d’habitat sans espace public. Il n’y a pas de plein sans vide. Et c’est ce vide qui fait la ville. Cette connexion. L’espace public, c’est le lien entre les unicités. C’est le « nous » qui unie le « soi ».
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CHAPITRE II THÉORIQUE
Processus d’appropriation et place de l’architecte.
a_ habiter le logement
Processus d’appropriation dans le logement
b_ habiter l’espace public
Processus d’appropriation dans l’espace public
c_ Faire Habiter
La place de l’architecte dans le processus d’appropriation
introduction
Maintenant que l’on maitrise les notions d’habiter, nous allons voir quels sont les processus d’appropriation, et la place de l’architecte dans la conception d’un espace appropriable, notamment en troisième partie à travers les travaux de Patrick Bouchain et de son agence CONSTRUIRE. Patrick Bouchain est en effet l’un des architectes contemporain les plus investi dans cette question de l’appropriation dans l’habiter et dans la construction. Ces nombreux écrits relatent ses recherches, sa vision et également ses réalisations issus de ses apports théoriques sur des nouvelles manière d’appropriation, de dialogue entre architecte et habitant, et d’intégration sociale par l’architecture. Ses écrits et réalisations se situent au carrefour entre le citoyen, l’élu, l’architecte et le chantier. L’exemple du logement social, des laissés pour compte, sur lesquels se concentre Patrick Bouchain, est également intéressant. Comme nous avons pu le voir précédemment, c’est de par les situation « extrêmes » que l’on peut mieux entreprendre des sujets aussi vastes. De plus travailler le logement social, c’est évoluer dans un cadre ultra-normatif, sur un sujet peu considéré car rapportant peu d’argent. L’agence CONSTRUIRE nous présente une nouvelle manière de penser l’architecture, plus humaine, plus 50
proche de la réalité de l’habitant. Mais également développe l’idée qu’une bâtiment n’est pas seulement un volume fait pour abriter, se loger, et que le chantier n’est pas seulement l’acter de construire ce volume. Un bâtiment, c’est l’espace construit de l’habiter, et le chantier c’est le moment où l’on bâti l’habitat. Et l’on peut observer que la pensée architecturale actuelle s’éloigne de ces principes, perdant alors le sens premier de l’habitat. En partant de ce constat il advient donc d’expérimenter de nouvelles manières de penser l’architecture. La pensée de l’architecture faite par l’habitant a été développée dès les années 60/70, par les architectes utopistes et notamment par Yona Friedman dans les années 50, qui cherchaient à proposer une nouvelle manière de penser l’urbanisme, limitant trop, pour lui, l’action personnelle. « Le pire c’est l’urbanisme : on ne peut changer les réseaux et fondations. 31» Il développa la ville spatiale : une mégastructure spatiale surélevée sur pilotis, ce que Friedman appeler une « topographie artificielle » concentrant ville industrielle, résidentielle et commercial, construites au dessus de l’existant. L’urbanisme se développe en trois dimensions et permet de s’affranchir des règles de l’urbanisme en en créant de nouvelles, en multipliant la surface de la ville à l’aide de plans surélevés. Une nouvelle cartographe du territoire se crée, autour d’une maille modulaire, autorisant une croissance sans limit de la ville au sein de la mégastructure. La structure tri-dimensionnelle permet également de s’affranchir des normes constructives, offrant une structure porteuse pré-existante, et permettant une architecture libre de toute contrainte. .31 Yona Friedman in Julien Donada, Les Visionnaires [DVD], Petit à Petit Production, 71min.
Ces constructions sont démontables, déplaçables, transformables à volonté par l’habitant. A la grille ouverte viennent se greffer des habitations individuelles, qui n’occupent que la moitié de la structure. Une alter51
nance de plein et de vide crée alors un rythme variable, dépendant du choix des habitants, qui occupent l’espace et peuvent s’approprier la ville. « La force d’expression individuelle deviendra ainsi une composition au hasard (...) et la ville redevient ce qu’elle a toujours été : un théâtre de la vie quotidienne 32»
C’est bien entendu une vision utopiste de la ville que nous propose Yona Friedman, mais qui reprend des éléments essentiels au processus d’appropriation de la ville, et qui met en critique le système actuel, trop peu permissif et trop contraint. Nous allons explorer les processus d’appropriation à travers les deux axes du logement, puis de l’espace public, avant de s’intéresser, à travers les écrits de Patrick Bouchain, aux méthodes qui peuvent être mises en place pour un meilleur dialogue entre l’architecte-concepteur et l’habitant.
.32 Yona Friedman in Julien Donada, Les Visionnaires [DVD], Petit à Petit Production, 71min.
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Yona Friedman Ville Spatiale : ĂŠtude de Structure, 1959
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a_ habiter le logement
Processus d’appropriation dans le logement
Pourquoi approprier ? « Versant actif du chez-soi, l’appropriation est action sur ce qui est “hors soi” pour le rendre propre et y reconnaître le soi. 33»
Comme nous l’avons vu précédemment, l’appropriation est essentiel à l’être humain. Elle s’exerce entre la personne et un objet ou un lieu. La personne déteint sur son habitat et le rend vivant. La notion de propriété, de possession, étant un aspect essentiel à l’appropriation, permettant une liberté dans l’intervention. « Le « chez-soi » est fondé sur le sentiment d’une identité spatiale, il représente l’intégration que la personne a une liberté de son propre corps dans l’espace, jusqu’à ce que certains lieux deviennent une partie de soi. 34»
En étant « chez soi », on est dans « ses meubles », dans « ses objets » qui renseignent sur la vie de l’habitant. Pierre Sansot, philosophe français, amènera l’idée que « la disposition des objets, l’ordre ou le désordre, l’aménagement des espaces de sédimentation ou d’attente, les coins d’oublis et d’obscurité influent sur les rapports sociaux (capacité d’hospitalité, de partage, de vie commune). » Ils montrent également l’intériorité de l’habitant, sa manière d’agir sur le monde par l’appropriation.
.33 Leroux Nadège, « Qu’est-ce qu’habiter ? Les enjeux de l’habiter pour la réinsertion », VST - Vie sociale et traitements (n.97), 2008, p.19 .34 Ibid.
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L’Habitat étant la « condition première de l’être humain », approprier est l’action nécessaire à l’acquisition de cette condition. Il est alors important de considérer le bâti, la construction, en tant que prolongement de l’être humain, et non pas comme une simple pièce, un simple volume. Nous évoluons dans des volumes qui limitent notre espace de vie, créent des intimités, des replis, essentiels à l’être humain. Chaque être humain cherche à s’approprier sa terre, à se créer un territoire, un habitat, car c’est l’essence même de la vie. Mais même si la notion de propriété et de protection est presque instinctive chez l’homme, le fait d’habiter ne l’est pas et relève d’un apprentissage. Lorsque nous faisons un déménagement, nous transférons notre « chez soi » d’un espace à un autre. Nous créons un autre espace de développement personnel. C’est l’étape indispensable pour se sentir « chez soi ». Avoir les clefs de l’appartement ne signifie pas habiter, il faut pour cela se bâtir son propre espace, que l’on possède, renvoyant alors aux théories philosophiques de l’habiter détaillée plus tôt. Meubler son appartement c’est en quelque sorte bâtir son habitat dans un espace déjà défini. On pourrait étudier longuement la question philosophique de l’aménagement, car la disposition de nos meubles, la présence de ces meubles, l’ordre ou le désordre, peuvent en dire beaucoup sur notre personnalité, notre condition.
.35 Leroux Nadège, « Qu’est-ce qu’habiter ? Les enjeux de l’habiter pour la réinsertion », VST - Vie sociale et traitements (n.97), 2008, p.19
Faisant partie intégrante de notre identité, le « chez soi » participe pour Nadège Leroux « inévitablement à l’insertion sociale de chaque individu, et constitue une étape essentielle dans la stabilisation et la connaissance de soi. 35» Le logement, la maison ou l’appartement est au final un ensemble complexe d’éléments sollicitant les modes d’habiter. 55
Reportage photographique sur les habitants de la June Street Martin Parr & Daniel Meadows “June Street“, Salford (UK), 1973
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Comment approprier ? L’homme a donc besoin d’approprier l’espace, pour bâtir son habitat. Mais comment peut-il se constituer un « chez-soi » ? L’acte d’habiter répond tout d’abord aux modes d’existences de la société, influencé par le climat et la civilisation impose, et qui ont suivi au cours de siècles l’évolution des moeurs, allant vers toujours plus de liberté, de sociabilité et d’intimité. On s’adapte à notre environnement. On n’habites pas de la même manière en France, aux Etas-Unis ou en Papouasie Nouvelle-Guinée. Car en se construisant nous même, on se construit par rapport aux critères sociaux que nous apprenons en société. Nadège Leroux nous explique qu’il existe une hiérarchie dans l’organisation des pièces de la maison. « Aujourd’hui, une unité d’habitation est reconnue comme telle si elle comporte au moins une chambre, un “coin cuisine“ et un “coin salle de bains“. 36»
.36 Leroux Nadège, « Qu’est-ce qu’habiter ? Les enjeux de l’habiter pour la réinsertion », VST - Vie sociale et traitements (n.97), 2008, p.19
Ce minimum requis permet d’assouvir les besoins primaires du quotidien : manger, dormir, aller aux toilettes, dans un espace clos permettant de créer une intimité. C’est ici le minimum requis. On peut aussi trouver le plus souvent un séjour, une ou plusieurs chambres, un bureau, une salle à manger en plus de la cuisine, et une cave ou un grenier. L’ensemble des pièces qui composent l’habitat son attribué à des usages, et révèlent les étapes du quotidien qui répondent aux besoins élémentaires de l’homme. La majorité des personnes bénéficient au sein de leur logement des mêmes fonctions élémentaires, mais c’est l’aménagement spécifique de chacune de ces pièces qui constitue le véritable « chez soi », qui personnifie le logement. « Habiter un espace, c’est-à-dire le maîtriser, c’est en déterminer les limites. Ces limites se déclinent à différentes échelles : – les limites intérieur/extérieur qui nous protègent des 57
intempéries et des intrusions, qui marquent le seuil de son « chez-soi » par rapport à l’espace public ; – les limites au sein même du logement qui définissent les usages collectifs familiaux des usages intimes individuels. Dans le cas des squelettes, l’absence de cloisonnement préalable aux premières installations a permis aux habitants de déterminer eux-mêmes la relation entre l’espace clos familial et l’espace collectif. La flexibilité d’aménagement de l’ossature vide a permis une adaptation à la diversité culturelle et aux différents besoins des modes d’habiter. 37»
Quand on conçoit des logements collectif, on conçoit pour le plus grand nombre, mais l’habitat est fait pour une personne, il est unique (l’extension du « soi », qui est unique), et une personne, un jour, viendra habiter dans ce même lieu et se ré-approprier cet espace. À contrario, lorsqu’on conçois des maisons individuelle ou des villas de luxe, la valeur vient pour partie de l’originalité de celui pour qui ou par qui ils ont été conçus. Ces lieux sont uniques, et reflètent, dès la fin du chantier, voir pendant le chantier, la personnalité du futur habitant.
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Le logement social n’est, d’après Patrick Bouchain, pas hospitalier car « c’est le seul bâtiment dans l’histoire de l’architecture qui interdit à l’usager de le transformer, puisqu’il doit être rendu dans son état d’origine. 38» C’est pour lui un « négationnisme en architecture », car le logement doit, par nature être hospitalier, transformable, adaptable. Le logement devrait se créer par l’habitant, et ce n’est pas l’habitant qui doit se mouler au logement. Mais les grands ensembles, et les logements sociaux, sont aujourd’hui plus conçu comme des « machines à habiter », neutres, que comme des espaces « pour des êtres particuliers en quête d’habitat. »
.37 Leroux Nadège, « Qu’est-ce qu’habiter ? Les enjeux de l’habiter pour la réinsertion », VST - Vie sociale et traitements (n.97), 2008, p.19
Loïc Julienne, architecte associé de l’agence Construire avec Patrick Bouchain, milite alors dans son manifeste « Construire c’est habiter » pour une « nécessaire dérèglementation du logement “social“ », afin de permettre aux habitant de s’exprimer, et de permettre une certaine « unicité » au sein du logement, plutôt que
.38 Interview de Patrick Bouchain. Extrait de l’article d’Édith Hallauer, « Construire ensemble le grand ensemble, habiter autrement. », strabic.fr, 28-juill-2011. [En ligne]
de reproduire le même modèle.
« Le programme ne doit plus être standard, mais exprimer la diversité des habitants. 39»
Car le logement social est aujourd’hui trop normalisé, trop contraints. Les texte en vigueur ne permettent pas une improvisation et une liberté totale et les pressions financières et temporelles sont fortes. Il faut construire plus, plus vite et moins cher, et de préférence pareil que les autres. Je suis toujours étonné de la pauvreté des logements neufs construits aujourd’hui. Lors de ma recherche d’appartement de cette année, j’ai pu voir un nombre innombrable d’annonce, mais les appartements loués neufs étaient très ressemblants. J’ai également été étonné du commentaire de l’architecte lors de la visite du chantier la tour de logements d’Herzog et de Meuron dans le nouveau quartier de Confluence. Il nous indiquait que les logements se ressemblaient tous, et nous expliquais assez dédaignent que « plus rien n’est à inventer en matière de logement ». Les architectes suisses se concentrant alors plus sur la qualités et la diversité des espaces communs (commerces aux rezde-chaussée, atelier de bricolage et espaces de rencontres entre les habitants), les ouvertures, le balcon et la façade, plutôt que sur l’originalité des logement.
.39 Loïc Julienne, « Construire c’est habiter » in Construire ensemble, le Grand ensemble : habiter autrement, Éditions Actes Sud, coll. « l’Impensé », avril 2010, p.7
Mais comment expliquer ce manque de considération dans la conception du logement pour des logements qui se veulent « haut de gamme » ? Les logements sont ici, comme dans toute construction neuve aujourd’hui, conçus dans le but d’être appropriable et accessibles par le plus grand nombre, réitérant des modèles qui apparemment fonctionnent. Cela passe par une harmonisation, une mise à plat, une normalisation. Le problème étant également qu’ils doivent être rendus à l’identique, limitant en quelque sorte l’appropriation au seul apport de mobilier. Deux visions s’opposent alors : proposer un logement 59
harmonisé, normalisé, pour être accessible au plus grand nombre et se vendre facilement, ou proposer un logement appropriable, personnalisables, sans doute moins accessible, et moins transmissible car personnalisé. On pourrait penser que la première solution parait la plus évidente, car elle répond au besoin de l’accroissement urbain, et également au mode de vie actuel, qui veut que l’on change régulièrement de logement, et donc qu’un logement soit conçu pour le plus grand nombre. De plus ce type de production de logement correspond au mode de fonctionnement des promoteurs immobilier, pariant sur la spéculation du logement, et désirant louer ou vendre au plus de monde possible. Le promoteur se pose alors entre intermédiaire entre l’habitant et l’architecte, décidant pour lui de la qualité et des équipement du futur habitat. Le promoteur se veut bâtisseur, avant d’être revendeur. C’est un intermédiaire parasite au « soi » désireux de bâtir lui-même son habitat. Dans ce type d’immeuble, tel que la tour d’Herzog et de Meuron, les logements, bien qu’harmonisés, restent qualitatifs de par les matériaux utilisés, les larges volumes, et la qualités des communs et espaces publics. Mais peut on en dire autant du logement social ? Aux logements normalisés, avec des matériaux plus bas de gamme, et aux espaces communs quasi-inexistant et souffrant d’un manque d’intérêt des espaces publics alentours. Une solution est alors à trouver, afin de contrer cette sur-harmonisation du logement, mais également d’augmenter la qualité du logement social. Car l’architecture ne se montre pas, elle se vit. Et le logement social semble manquer de vie.
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Reportage photographique sur les habitants de la June Street Martin Parr & Daniel Meadows “June Street“, Salford (UK), 1973
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b_ habiter l’espace public
Processus d’appropriation dans l’espace public
Spontanéité Malgré leur rigueur apparente, les espaces publics restent des lieux d’expression libre, d’expression commune. Ce sont tantôt des lieux de flânerie, d’évènements, de manifestation. Chacun s’approprie la ville comme bon lui semble. Mais l’expression y reste controlée, et les moyens d’actions, limitée. Lorsque la place des Terreaux a été rénovée, aucun citoyen n’a eu droit de regard sur la construction d’un tel espace, pourtant centrale dans la vie des Lyonnais. La conception s’est faite en huis-clos, entre la mairie et les entreprises. La conception de l’espace public doit penser la diversité des usages qui lui incombe. Pour un bon fonctionnement et une bonne acceptation de la ville il faudrait que ses zones d’intimités soient reconnues et respectées, afin que chacun puisse exprimer son « soi » au sein du « nous ». Il faudrait pour cela créer des espaces d’appropriation à tout à chacun et à chaque degré d’intimité. Les champs Élysées par exemple sont à la fois un espace fonctionnel routier, un espace de représentation, un espace de contestation, ou un espace de manifestation. Tout en étant également un lieu quotidien de flânerie, shopping, et démonstrateur de la beauté française. En investissant les ronds point, les gilets jaunes ont trouvé un nouvel espace pour exprimer leur reven62
dications, leurs colère. Les champs Elysée et les places des principales villes sont devenues pour eux, chaque samedi, espace d’expression, de revendication. Car ces lieux de rencontre et d’expression à l’échelle du quartier, du « nous », deviennent rares et pauvres, car encore une fois conçus sans l’avis de l’habitant. Ces lieux communs sont importants, car font partie intégrante de l’habitat, en liant les unicités. Dans la « ville spatiale » de Yona Friedman, les espaces vides laissés entres les habitats individuels laissant à l’habitant un espace d’expression libre, permettant à l’habitant de se confronter à la ville. L’habitant va alors chercher de nouveaux moyens d’expressions et d’appropriation de la ville, de prendre possession de ces espaces, dépassant parfois les limites autorisée par le concepteur. La pratique du skate un très bon exemple d’appropriation de l’espace public. Le skate est né dans la rue, sur les places publiques. A Lyon, la place Louis Pradel située à coté de l’opéra et l’Hotel de Ville de Lyon, est devenu en trente ans un spot mondial pour le skate, connu dans le monde de la « ride » sous le nom d’ « HDV ». Mais la mairie, désireuse de retrouver un usage « normal », décidant de ne plus laisser cet endroits aux skateurs., profitant de la rénovation de la place en 2017 pour installer des dispositifs anti-skate, et limiter leur présence.
.40 Julien De Smedt in Marie Ottavi, « Le skateur est le premier acteur urbain », Libération, 02.03.2016.
Cela nous montre bien la volonté de la ville de contrôler les usages, décidant ce qui est acceptable ou non, ce qui doit être fait ici, comment la place doit être utilisée, et donc en limiter l’appropriation. Pourtant, comme nous l’explique Julien De Smedt, architecte franco-belge : « le skateur est le premier acteur urbain, avant les piétons, les vélos, les voitures, car il est le seul à utiliser l’espace public comme un cadre de vie alors que pour les autres, c’est un simple lieu de passage. 40» 63
Il développe alors l’idée qu’une place, qu’un espace public, doit pouvoir potentialiser la multiplicité des usages, et prendre en considération l’ensemble de ceux ci. Créer des potentiels d’appropriation. Là est peut être la clefs à d’un espace public générateur de vie. Il ne faut pas chercher à diriger, mais offrir des potentiels d’appropriation. Pierre Sansot réaffirmera son idée en précisant que : « L’espace public est à proprement parler inhabitable (nul ne peut se targuer d’en être propriétaire) et cependant il se doit d’être ré-approprié pour demeurer vivant. »
Une autre manière d’appropriation de l’espace public s’est mise en oeuvre à Berlin, où les vides laissés dans par les bombardements puis la chute du mur ont pu voir l’émergence de nombreux lieux culturels et de nombreux espaces alternatifs. Ce sont ces lieux qui font aujourd’hui de Berlin une ville dite « alternative », qui voit de développer de nouvelles manière de partager, de se politiser, et où l’engagement citoyen pour la ville est particulièrement présent. Certains de ces lieux disposent encore aujourd’hui de leur propre gouvernance. Le Prinzessinnengarten, par exemple, est un jardin autogéré, conçu par un groupe d’habitant qui avant la volonté d’utiliser ces espaces vacants comme un espace de rencontre. C’est aujourd’hui un lieu intégré à l’espace urbain, il y a un café, des évènements, de nombreuses personnes viennent entretenir le site. Le jardin est également un lieu revendicatif de la fragilité de ce genre d’endroits, régulièrement menacés d’extinction car occupant des espaces fonciers prisés par les investisseurs, et ne produisant aucune richesse. L’engagement des berlinois pour la conservation de leurs espaces publics est très fort. En témoigne l’ancien aéroport désaffecté de Tempelhof, d’une surface similaire à celle de la principauté de Monaco, est aujourd’hui conservée à l’identique après un référendum de 2014, 64
.41 Pierre Sansot, « Autour de l’accessibilité aux espaces publics », Espaces et sociétés n°62-63, 1991.
Skateur sur la place d’Hôtel de Ville à Lyon.
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qui est devenu un immense parc, poumon vert au coeur de Berlin. Alors que la mairie et les investisseurs voyaient en l’ancien aéroport une chance immense de libérer du foncier et de construire du logement dans une ville saturée, les habitants on montré leur attachement à ce parc qu’ils se sont appropriés. Ces lieux publics appropriés par les habitants, sont la structure interne de Berlin, permettant aux berlinois de se rencontrer, de se revendiquer et de s’exprimer dans des lieux créés par eux, possédant leur identité. Ils créent des lieux de discussions, de partage. Ils recréent ce qu’est l’essence même de l’espace public, théorisé par Habermas. Paradoxalement ce ne sont pas des lieux créés par la mairie et les spécialistes dans le cadre d’une stratégie urbaine, mais ce sont des lieux nécessaire à ce même cadre urbain. La ville de Berlin a compris la nécessité de conserver ces lieux, leur donnant un certain protectorat et une certaine liberté d’action. Mais malheureusement la pression foncière et financière l’emporte souvent sur les volontés d’action, laissant mourir petit à petit ce qui faisait l’âme urbaine de Berlin pour laisser la place à des espaces publics privatisés. Patrimonialisation L’accroissement effréné des villes produits d’importants « déchets territoriaux » : sur 100 hectares aménagés, 25 restent en réalité sans définition, sans statut, sans finalité. Une des solutions à ces « déchets territoriaux » serait de les voir non pas comme une catastrophe, mais de les valoriser, d’investir ces friches urbaines, comme la culture sait déjà le faire. L’investissement de tels lieux permet également une certaine souplesse à la rigueur programmatique et normative, et peuvent devenir des terrains d’expérimen66
tations sociale, urbaine et architecturale. Ces espaces donnent au citoyen « l’occasion d’agir, d’intervenir sur un développement devenu ingouvernable en opérant des changements par micro-capillarité. La situation appelle de nouveaux modes de gouvernances, de nouvelles pratiques 42». Rem Koohlas disait aussi : « Le bâti, le plein est désormais incontrôlable, livré tout azimut à des forces politiques, financières et culturelles qui le plongent dans une transformation perpétuelle. On ne peut pas en dire autant du vide : il est peut être le dernier sujet ou des certitudes sont encore plausibles. 43»
.42 Patrick Bouchain et Laurence Castany, « Le laissé pour compte » in Construire ensemble, le Grand ensemble : habiter autrement, édition Actes Sud, coll. « l’Impensé », avril 2010, p.11 .43 Rem Koolhas, La ville art et architecture en Europe 1870-1993, Éditions du centre Georges Pompidou, 1994.
L’appropriation de tels lieux se fait bien souvent à travers l’identification à un héritage, comme il a été le cas pour le Mauerpark à Berlin. Mauerpark est un parc berlinois, qui s’est installé sur un ancien no-mans-land du tracé du mur de Berlin. Lors de la chute du mur, la mairie souhaitait réaliser un tronçon d’autoroute qui passerait sur ce site. Les habitants, s’étant d’hors et déjà approprié le site, s’y sont opposé, et le site est aujourd’hui géré par les habitants, en concertation avec la mairie Il s’y organise tout les week-end un marché au puces, des concerts improvisés, un karaoké géant. Le mauerpark est le lieu ou le tout-Berlin se rencontre le dimanche pour flaner, boire une bière, et s’amuser. Mauerpark est, de par la présence du mur, et de par sa situation, un lieu symbolique de Berlin. L’aspect historique est toujours présent, et le parc s’identifie aujourd’hui à cet héritage du mur, dont une partie est conservée. Mais « L’identification à un héritage ne suffit pas à l’appropriation de l’espace hérité et à l’inscription dans l’espace et le temps. » Pour légitimer sa place, Vincent Veschambre explique qu’ « il est nécessaire de le marquer, afin de créer des effets de visibilités, de “prendre place“, soit de manière plus imagée d’“avoir pignon sur rue“. » Processus qui peut être nommé « patrimonialisation ».
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Un après-midi ensolleillÊ sur la bute du mauerpark
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«La patrimonialisation est le réinvestissement de certaines traces et héritages par des groupes sociaux qui les marquent de leur empreinte, cherchent à se les approprier et les transforment en marques identitaires. Le patrimoine représente un support matériel privilégié d’inscription dans l’espace et dans le temps, de construction mémorielle et identitaire, de visibilité et de légitimité, pour les groupes sociaux qui y sont associés. 44»
Ainsi le mauerpark s’est construit son identité en réinvestissant les traces du passé, mais également produits de nouvelle marques, afin de permettre l’appropriation de l’espace hérité, et donc de l’inscrire dans l’espace et le temps. La trace est une substitution du passé, de l’histoire, alors que la marque est une action contemporaine, pas toujours faite pour durer, mais elle est aussi le support d’identification d’un. individu, d’un groupe, d’une institution, … Les marques peuvent avoir différentes qualités et différentes temporalité. (graffitis, sculptures, mobilier urbain, …). Au mauerpark les graffitis sur les anciens pans de mur sont des marques temporaires, identifiant les artiste, sur les traces du mur historique. Un chemin et quelques espaces de vies (terrain de basket, …) ont été bétonné, permettant de traverser le site par temps de pluie. Le terrain du marché au puces a également été aménagé en traçant des routes et en plantant des arbres. L’ensemble de ses actions a permis au parc de s’inscrire dans un temps long, mais également de légitimer sa place auprès du public. Ce n’est plus un terrain vague, c’est un parc. .44 Veschambre Vincent, Traces et mémoires urbaines – Enjeux sociaux de la patrimonialisation et de la démolition, Presses universitaires de Rennes, 2008.
Dans le court métrage de Sally Mumby-Croft et Francesca Weber-Newth, Bernd Krüger et Gisela Gauer, tous deux membres de l’association Freunde des Mauerpark (Amis de Mauerpark), évoquent la référence au passé tragique : 69
« Vous pouvez voir que cet espace avait un caractère différent. Il était important pour Mauerpark qu’il soit né de quelque chose qui symbolise la mort et la séparation. Et maintenant c’est plein. 45» «Dans une zone où les gens étaient auparavant interdits d’accès, Gustav Lange a créé un espace ouvert où il est possible de se rencontrer et de développer l’espace avec sa propre vision. Ce n’est pas seulement la paix et l’harmonie; c’est un espace pour de nombreux intérêts et personnes différents. 46»
C’est en général un évènement qui est déclencheur d’une patrimonialisation, voyant émerger des acteurs mettant en valeur l’espace hérité. Pour Mauerpark, c’est en 1990 que tout a commencé, lorsque des habitants se sont opposés au projet d’autoroute et ont revendiqué leurs présences légitimes, après la chute du mur de Berlin. Les habitants on pris leur marques en se ré-appropriant les traces du passé. Ces marque, originellement temporaires, ou dues à l’utilisation instinctive du site, s’installent maintenant dans le temps, de par l’aménagement du parc. Aménagement qui rend aussi crédible le lieu aux yeux des élus, tel que le récent réaménagement du marché aux puces. « À travers la construction d’un lien privilégié à l’espace et à travers l’affichage de ce lien, via le patrimoine, il s’agit tout simplement de légitimer sa présence quelque part, de prendre sa place, de légitimer l’action d’habiter. 47»
.45 Bernd Krüger in Sally Mumby-Croft et Francesca WeberNewth, Mauerpark [VOD], 17 min, 2010 .46 Gisela Gauer in Sally Mumby-Croft et Francesca WeberNewth, Mauerpark [VOD], 17 min, 2010 .47 Gravari-Barbas Maria, Habiter le Patrimoine : Enjeux, Approches, Vécu, Presses Universitaires de Rennes, 2005.
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Appropriation et patrimonialisation au mauerpark
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c_ Faire Habiter
La place de l’architecte dans le processus d’appropriation
Les habitants doivent être amenés au centre du débat. Mais les méthodes d’actions sont limités, car le système est aujourd’hui devenu tellement normé que toute expérimentation lui est interdite. C’est avec une volonté d’expérimenter, que Patrick Bouchain nous invite à ré-interpréter ces normes, ces lois, qui sont pour lui utilisée pour empêcher de faire, pour interdire, alors qu’elle devrait au contraire créer un cadre pour agir et pour expérimenter. D’autant plus que dans le logement social, plus que dans n’importe quelle structure, les normes et lois sont strictes, ne permettant pas une liberté permise, par exemple, dans les friches pour des projets culturels. Patrick Bouchain cherche alors à répondre à cette question essentielle : « Comment concilier l’individu dans son unicité et le logement social dans son universalité normalisatrice? »
En somme, quelles pourrait être les solutions au manque de qualité et de possibilité d’appropriation dans le logement social ? Deux solutions sont proposées par Patrick Bouchain : le bâtiment non fini, et le bâtiment conçu avec les habitants. Le bâtiment non fini 72
Une des solutions serait de laisser la possibilité à l’habitant de se bâtir son habitat, à travers un bâtiment « non fini », terme que Patrick Bouchain explique ainsi : « Un architecte qui explorerait cette question pourrait livrer un logement non fini, non pas au sens où il serait “mal fini“ mais plutôt “ouvert pour être terminé“. 48»
Pour penser un bâtiment non-fini, il faut tout d’abord comprendre la différence entre mobilier et immobilier. Un bâtiment se compose d’éléments meubles et immeuble. Est meuble tout ce qui peut être retiré sans mettre en péril la chose principale, l’immobilier. Aujourd’hui la frontière entre mobilier et immobilier se brouille. Par exemple, dans les logements sociaux des années 70, le lavabo, ou le bac d’évier était considéré comme immobilier. On ne peut pas y toucher. Mais aujourd’hui, les usages changent et l’on peut acheter une salle de bain, une cuisine, etc… L’immobilier devient alors mobilier, car le lavabo ou le bac d’évier ne sont plus considéré comme inamovible, immobilier. Patrick Bouchain va alors développer l’idée d’une extension du domaine mobilier, considérant comme immobilier les murs porteurs, fenêtres et tuyauterie. Les cloisons et fournitures seraient mobilier, laissant alors une totale liberté d’ameublement et donc d’appropriation à l’habitant. Quand on « meuble » un appartement, on se l’approprie, et il faudrait donc laisser une plus grand liberté à l’habitant de meubler son appartement.
.48 Patrick Bouchain, « Jouir d’habiter » in Construire ensemble, le Grand ensemble : habiter autrement, Édition Actes Sud, coll. « l’Impensé », avril 2010, p.30
Cette idée a également été explorée par Jean Prouvé, expérimentant la fabrication de l’architecture en usine, et questionnant ce qui relevait du composant industriel principal (c’est à dire structurel), ou secondaire (c’est à dire démontable, renouvelable). Yona Friedman a également exploré cette question, imaginant des bâtiment à l’ossature vide, ayant 73
Extrait de façade du Corviale à Rome, au niveau de l’étage « squatté »
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une possibilité d’expansion à l’infini, et permettant de construire la ville et les logements au fur et à mesure au sin de cette même structure, laissant une liberté de choix à l’habitant. Le poteaux, les poutres et les dalles deviennent alors support vertical à l’architecture primitive et spontanée de chaque être humain, répondant aux problèmes de densification urbaine, tout en gardant une logique d’habitat individuel. Cette utopie a été réalisée de manière spontanée au Corviale, près de Rome. Cet immeuble d’habitation de 957m de long a été conçu par l’architecte italien Mario Fiorentino, et construit entre 1975 et 1982. Suivant les idées de la cité Radieuse de Le Corbusier, le 4ème étage était initialement prévu pour accueillir des commerces, des espaces de rencontre, … Mais de nombreux retards sur le chantier et des problèmes politiques ont amené 700 famille à s’installer illégalement dans l’immeuble, protégeant leur appartement, ou s’installant au 4ème étage. A cet étage, initialement libre, on se crée des logement, on monte des murs, on casse des cloisons, on dévie les réseaux d’électricité et de gaz. Illégaux, ces appartements sont néanmoins conservés par manque de moyens politiques, et les familles y résident toujours. Elle ont bâti leur habitat sur le plan libre de Le Corbusier. Cet exemple est cette un exemple extrême, car cela pose de gros problèmes légaux et sanitaires, mais l’architecte pourrait maitriser ce phénomène, en permettant aux habitants de modifier et de se créer leur propre logement, afin de créer une diversité du logement et de permettre une totale appropriation de son habitat. La discussion en amont Le bâtiment non fini permet une adaptation libre de son logement dans une trame pré-défini, minimisant donc l’importance de l’architecte dans l’acte de bâtir. Cela permet néanmoins une certaine rapidité d’exé75
cution, tout en conservant les systèmes mis en place (architecte-promoteur-habitant). Cela résout donc à moitié le problème de la discussion entre l’habitant et l’architecte. Car l’architecte est l’interprète de l’habitant. Il comprend ses idées et les traduits en un bâtiment construit : son habitat. Ce rôle est aujourd’hui trop souvent minimisé, le lien entre l’architecte et l’habitant est trop souvent rompu. Il faut donc amener un nouvelle manière de communiquer dans l’architecture. Car ce manque de communication, allié à une uniformisation et une industrialisation de l’architecture engendre un manque d’acceptation de cette architecture par les habitants. L’architecture, notamment celle des grands ensembles, devient homogène, anonyme, a-culturelle et standardisée. « A-t-on jamais demandé au futur habitant d’un immeuble comment il vivait, ce qui le faisait rire ou pleurer, ce qui lui donnait la chair de poule ou lui faisait peur ? Lui a-t-on jamais demandé combien il espérait avoir d’enfant, si cela lui faisait plaisir que sa mère ou sa soeur, ou son frère - n’habite pas trop loin de chez lui ? Lui a-t-on jamais demandé s’il avait des meubles de famille auxquels il tenait (malgré leurs dimensions), ou même seulement s’il avait le vertige ? Et pourtant, pendant combien d’années cet habitant va rire, pleurer, avoir peur, aimer, élever des enfants, fêter des anniversaires, réunir des amis dans cet immeuble qu’aura autorisé à construire le maire, qu’aura financé le promoteur, qu’aura imaginé l’architecte et qu’auront réalisé ingénieurs, artisans, ouvriers, sans jamais, à aucun moment, qu’on lui ait demandé son avis ? 49»
Cette citation d’Edouard Dor et de Patrick Bouchain illustre bien le malaise. Le « citoyen utilisateur » se trouve en bout de chaine, et s’adapte à un logement conçu par d’autres, sans son avis, son ressenti. Une des solutions proposée (nous développerons celle de la permance architecturale dans les études de 76
.49 Edouard Dor et Patrick Bouchain, « Un Abri pour la Démocratie » in Construire ensemble, le Grand ensemble : habiter autrement, Édition Actes Sud, coll. « l’Impensé », avril 2010, p.30
cas) est développée par l’agence CONSTRUIRE est alors de voir le chantier comme un acte culturel. Une expérimentation sociale et architecturale, permettant le dialogue et le mélange entre architecte, habitant, artisan, entrepreneurs, associations, … Tout d’abord le chantier se voit comme un chantier ouvert au public. « Il doit être en permanence montre, visité, expliqué et doit servir à la fois de décor et de personnage principal à l’action culturelle qui va l’accompagner. 50» Le chantier devient un véritable lieu culturel et est accompagné d’exposition, conférences ou colloques qui explique le chantier et présentent les différents métiers de la construction. Ils servent également de support à la présentation de la finalité du projet : à quoi va-t-il servir ? Comment il a été programmé ? L’avancée du chantier est également mis en scène et l’action des bâtisseurs mise en valeur. Cela permet une transmission de savoir, mais aussi cela permet au spectateur de mieux comprendre comment se passe la construction et donc de prendre part d’une certaine manière à l’acte de bâtir. Loïc Julienne propose également de faire visiter le chantier par des élèves de la maternelle aux universités, en passant par les collèges et les lycée. Le chantier devient alors non pas seulement un acte de transformation du tissu urbain mais un temps d’instruction, d’apprentissage et de sensibilisation. C’est également un support à l’apprentissage et à la formation au plus grand nombre et pas seulement aux apprentis artisans, aux compagnons ou aux étudiants en architecture. .50 Loïc Julienne, « Le chantier acte culturel » in Construire ensemble, le Grand ensemble : habiter autrement, édition Actes Sud, coll. « l’Impensé », avril 2010, p.55
Le chantier se déroule également autour d’un lieu commun : la « maison commune », espaces ou les différents protagonistes et spectateurs vont se croiser, se rencontrer, échanger. Elle est vue comme un lieu chaleureux et convivial, où tout le monde peu se rencontrer 77
pour boire un café ou un verre, tenir une réunion, ou même faire la fête. C’est un lieu de vie temporaire qui centralise et génère l’énergie productrice du chantier. Ce lieu prend toute sa place dans la vie du quartier et rassemble les différents acteurs, devenant un lieu culturel, où peuvent s’y dérouler des spectacles, des expositions, … Elle sert également de centre de formation, d’atelier, de lieu de transmission des savoirs, prenant une part essentiel à l’action culturelle du chantier. Cette maison est, dans l’idéale, construite à partir des matériaux de récupération trouvés sur le site, aménagée par les artisans et ouvrier du chantier en collaboration avec les différents acteurs, et ne doit pas couter plus cher que son équivalent en location de préfabriqués pour la durée du chantier. La maison commune devient alors la première pierre du chantier, et transforme ce même chantier en un lieu puissant, et en un acteur urbain bien avant la remise des clefs du bâtiment. Cet ensemble d’action permet de créer une nouvelle manière de voir le chantier : moins linéaire, moins directive, plus ouverte, et surtout de rendre le chantier acteur du développement urbain et culturel. La maison commune créé la vie, qui crée l’habitat, qui crée la vie. La boucle est bouclée. Le bâtiment n’est plus qu’un simple élément urbain qui émerge et qui accueille la vie. C’est un élément qui émerge grâce à la force des habitants qui lui donne vie. Cela permet peut être aussi une meilleur intégration urbaine du futur bâtiment. Je ne parle pas ici d’intégration esthétique, ou volumétrique, mais plutôt d’intégration sociale. En créant un lieu de rencontre, le chantier impulse un nouveau lieu de rencontre et d’apprentissage. Il permet aux habitants de se rencontrer, de débattre, et surtout permet de les sensibiliser à l’action de bâtir, de se bâtir. C’est en donnant un lieu d’expression que l’habitant s’exprime.
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« A force de vivre avec nos chantier des expériences uniques dues à la proximité des utilisateurs, nous nous sommes aperçus que l’acte de construire était fortement dépendant de la qualité de la commande et que seul le futur occupant était à même d’assurer cette qualité. A force de travailler avec des personnes en insertion pour les intégrer au processus global du chantier, à force de faire des chantier “ouverts au public“ porteurs de lien social et de démocratie active, à force de raconter, d’expliquer et de montrer le chantier à des hommes et des femmes passionnés par l’acte de construire, nous avons aujourd’hui le désir de tourner une page et de mettre ensemble toutes ces expériences au service d’un habitat où tous les acteurs serait associés au plaisir de l’acte de construire. 51»
Le projet architectural prend alors tout une autre dimension, plus sociale, basée sur le partage et le dialogue. L’expression du « soi » au sein de l’habitat commence à s’exprimer dès les phases initiales du projet, et le « soi » s’exprime au sein d’un « nous », un groupe de discussion, prenant part à un projet commun. Loïc Julienne nous montre bien la qualité finale, induite de ces moments de partages et de discussions. Discussions qui, à contrario des discussions classiques entre l’architecte, le commanditaire et les spécialistes, sont ici réalisé avec l’habitant lui même. Ce genre de discussions restent malheureusement rares, et difficilement réalisables à grande échelle, mais témoignent de l’importance de la discussion et de l’écoute dans le processus de création et d’appropriation, ramenant tout simplement de la vie au sein du logement social. Car l’écriture de la ville est aujourd’hui une affaire de spécialistes, et l’acte de bâtir n’implique pas les premiers concernés : ses habitants. .51 Loïc Julienne, « Le chantier acte culturel » in Construire ensemble, le Grand ensemble : habiter autrement, édition Actes Sud, coll. « l’Impensé », avril 2010, p.55
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transition
Habiter se fait donc à travers l’appropriation de son logement, et de l’espace public. Mais l’acte d’habiter fait intervenir des processus différents dans les deux cas. On habite son logement et son quartier, mais on ne s’approprie pas de la même manière son logement et son quartier. La conception d’un projet architectural devrait ainsi prendre en compte le besoin d’appropriation et de liberté. Certains architectes vont aujourd’hui tenter de proposer une nouvelle manière de concevoir l’architecture, en prenant en compte des réelles demandes de l’habitant, en bâtissant avec lui son habitat. En faisant entrer le « soi » dans la conception du nous. En instaurant un dialogue avec l’habitant ou en créant des espaces plus appropriable, adaptables aux différentes évolution de l’habitant, de l’usager, devenant une véritable extension du « soi », ou un socle solide à la construction du nous. Nous pouvons aussi extraire ce cette recherches deux méthodes, deux axes de pensée, permettant d’inclure l’habitant dans un processus architectural et de lui permettre de s’approprier pleinement son habitat : la conception, et la concertation. Conception dans le sens où l’architecte conçois pour lui un espace permettant une adaptabilité des usages et une évolution dans la vie du bâtiment ou de l’espace public. L’habitant n’intervient pas, ou peu, dans le pro80
cessus de conception, mais l’architecte réfléchi à l’appropriation de sa construction par l’habitant. Et concertation dans le sens où l’architecte se pose en tant que médiateur, et vient créer une discussion avec l’habitant, permettant au mieux de comprendre ses besoins, et de concevoir un espace au plus près de ses attentes. L’architecte ne se pose plus comme concepteur, mais comme médiateur entre l’habitant et l’habitat. Il est l’interprète du projet architectural et de la pensée de l’habitant. Il est le garde-fou de la ville entièrement pensée par ses habitants.
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CHAPITRE III PRATIQUE Construire ensemble
a_ conception de l’espace privé
Jourda, Perraudin et Aravena
b_ concertation dans l’espace privé
Bouchain à Boulogne
c_ le cas de l’espace public
BASE et OBRAS : Conception et Concertation
introduction
Après avoir vu ces exemples théoriques, nous comprenons mieux l’importance qu’a l’appropriation et l’adaptabilité au sein de la conception architecturale, mais également la position qu’a l ‘architecte au sein de ces processus décisionnaires. Nous allons voir dans cette partie des exemples concrets, d’exploration architecturale et sociale, démontrant des diverses possibilités et moyens mis à disposition de l’architecte concepteur pour créer un lieu appropriable, adaptable, pour le bien de l’habitant et de l’usager. Pour le bien du « soi » et du « nous ». Ces exemples seront axés à travers les thèmes trouvés précédemment : Espace Privé et Espace public, Conception et Coordination. Nous verrons tout d’abord la conception à travers les exemples de la maison serre de Françoise-Hélène Jourda et Gilles Perraudin, construite en 1984, et de la « Quinta Monroy » d’Alejandro Aravena, datant de 2007, mettant en pratique les écrit de Patrick Bouchain sur le bâtiment non-fini. Nous étudierons ensuite le projet de réhabilitation d’un quartier social à Boulogne-sur-Mer par l’agence CONSTRUIRE, où Patrick Bouchain a mis en place une permanence architecturale afin de comprendre les besoins des habitants d’un quartier difficile. 84
Enfin, nous exploreront le thème des espaces publics. Avec en premier lieu les conception du parc Serge Blandan à Lyon, où le patrimoine existant a été réutilisé. Et en second lieu, réaménagement du quartier des Izards à Toulouse par l’agence Obras, conçu en collaboration avec les habitants.
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a_ conception de l’espace privé Jourda, Perraudin et Aravena
La maison serre En 1984, Françoise-Hélène Jourda et Gilles Perraudin réalisent pour le compte d’un client privé la « maison serre », sur les hauteurs de St Just, à proximité de Lyon. Relevant le défi de construire cette maison (composée d’une cuisine, d’une salle de bain, d’un large séjour et de quatre chambres) avec un budget très (très) limité (moins de 38 000€ !), Jourda et Perraudin réalisent un projet à la croisée des chemins entre bâtiment technique et sensible. Pour réussir le défi de construire en un budget si limité, ils ont proposé d’acheter un produit industriel fini, une serre horticole, pour venir l’investir et y créer un logement. L’inspiration leur est venue de la capacité de ce type de serre à maintenir une certaine ventilation et chauffage nécessaires aux végétaux. Vouloir utiliser une construction issue du monde industriel pour un usage domestique n’était certes pas une idée nouvelle, mais les exemples de réalisation sont, encore aujourd’hui, rares. Il ne s’agit ici non pas d’utiliser des composants industriels assemblés, ou conçu pour la construction de logement, mais d’un produit industriel complet. D’autre part, le projet est le résultat d’une discussion, et les décisions sont prises d’un commun accord avec les habitants sur ce concept original, déterminé en quatre points : 86
« - construire un abri protecteur - définir les qualités d’un espace protégé - créer un micro-climat habitable - clore, à l’intérieur, des espaces (sanitaires, espaces techniques) et en isoler virtuellement d’autres (chambres) sous des structures légères. 52»
La serre est construite en trois jours par le fournisseur, et pour la rendre habitable, les architectes vont tout d’abord rendre les deux façades pignon opaques et renforcent également l’isolation des parois. Les dispositifs classiques de contrôle des serristes de la température ont été maintenus: voiles d’ombrage, ventilation naturelle, peinture au blanc d’Espagne des vitrages, etc... L’aménagement spatial est simple, et réalisé par le propriétaire : deux structures légères, volumes en gradins se font face : l’un abrite la cuisine, la salle de bain et les espaces annexes, l’autre accueille les différentes chambres. La pièce de séjour, quant à elle, occupe avec sa cheminée le centre de la serre. La quasi-totalité des espaces bénéficient également d’un prolongement vers l’extérieur via des portes qui donnent sur le jardin, avec toute fois un passage couvert en pergola qui assure la transition. Cette répartition spatiale avait le but de créer un certain nomadisme dans les lieux de la maison en fonction de la période de la journée et du climat. De plus les structures légères qui composent l’espace permettent à la maison de se transformer, pour s’adapter aux évolutions de la vie familiale.
.52 Perraudin Architecture, « maison serre, Lyon st just », www. perraudinarchitectes. com. [En ligne]
Sans le vouloir, et alors que le défi était de proposer un logement de qualité, fonctionnel, au meilleur prix, Françoise-Hélène Jourda et Gilles Perraudin mettent alors à travers ce projet en application les théories de l’habitat, dans un cadre radical. La serre, « maison de verre » symbolise l’habiter, la représentation physique de la vie sur terre. L’architecte ne conçoit pas un espace 87
Axonométrie éclatée de la maison serre Jourda & Perraudin Maison Serre, Saint-Just, 1984
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1. socle 2. cheminée 3. maison de verre 4. pignons aveugles 5. maison de bois 6. voiles (protection solaire) 7. caillebotis 8. pergola
Vue intĂŠrieure de la maison serre Jourda & Perraudin Maison Serre, Saint-Just, 1984
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pensé dans les moindre détails, mais crée un environnement protecteur, propice à la vie, à l’habitat, dans un volume simple. Au sein de se volume simple, l’habitant a alors un total contrôle sur l’espace qui le compose, la « maison de bois ». La mise en place de structures légères permet à l’habitat de s’adapter aux différents besoins et changement de vie du propriétaire. La « maison de bois » devient alors la représentation physique du « soi ». La « maison de verre » la limite et la protection de ce même « soi ». Les éléments extérieurs tels que les pergolas et les nombreux accès créent la connexion entre le « soi » et le « nous ». Malgré l’utilisation d’un élément technique, non destiné au logement, sur catalogue, les possibilités d’appropriation et d’utilisation sont grandes et variées. Le modèle de la maison-serre développé par Jourda et Perraudin a notamment été repris par les architectes Lacaton et Vassal, qui se seront fait une spécialité de l’architecture à partir du modèle de la serre, permettant une adaptabilité des usages ainsi qu’une économie de construction. La maison-serre étant un bâtiment privé, je n’ai malheureusement pas eu la possibilité de visiter la construction, mais il serait interessant d’observer les évolutions du bâtiments dans le temps, et les évolutions du mode de vie au sein la serre. Aravena et le bâtiment non fini Une autre expérimentation a également été réalisée plus récemment par Alejandro Aravena, architecte chilien, qui a reçu le prix Pritzker en 2016. Il milite avec son agence ELEMENTAL pour une architecture de l’économie, et estime que « l’inégalité se passe par la ville, et que donc les architectes sont les 90
premiers acteurs de cette transformations. » A travers le projet phare de son agence, « Quinta Monroy », il met en application les proposition de Patrick Bouchain sur le logement non-fini. C’est en 2007 que « Quinta Monroy » germe, à travers un projet de logement social à Iquique, au Chili. Le budget alloué par maison est dérisoire : 7500$ par maison, comprenant le prix du terrain, les infrastructures et la maison elle même. La proposition faite est l’idée d’une « demi maison ». Il construit des « demi-maison » évolutives pour cent familles, que les habitants peuvent agrandir et compléter au grès de leurs finances. Ce concept sera reproduit par l’agence ELEMENTAL dans plusieurs villes, et sera répété à plusieurs milliers d’exemplaires. Argumentant que « Nous préférons construire la moitié d’une bonne maison plutôt qu’un mauvais logement. » La demi-maison construite comprend le minimum nécessaire pour vivre : WC, salle de bain, cuisine, pièce à vivre et chambre. Le vide créé entre chaque demi-maison, permet aux habitants de s’approprier leur habitat en se construisant leur propre logement, ajoutant de la valeur à leur logement au fil du temps. Il intègre alors pleinement les habitants au processus de conception et utilise l’aptitude des gens à construire leur propre habitat. Le tout dans une économie de moyen permettant un accès au logement facilité. Il faut également noter qu’au Chili, la gestion du logement social est différente. Il consiste en une subvention versée aux habitants afin qu’ils deviennent propriétaire à moindre coût. Etant propriétaires de leur logement, ils disposent d’une plus grande liberté à l’aménagement et la construction de leur habitat. Partant d’une base rationnelle, minimaliste, le projet se développe au fur et à mesure et évolue avec ses habitants. L’expression du « soi » des habitants se ressent jusque sur la façade de l’immeuble, montrant 91
Alejandro Aravena / ELEMENTAL Quinta Monroy, Iquique, Chili, 2003
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Plans de niveau Alejandro Aravena / ELEMENTAL Quinta Monroy, Iquique, Chili, 2003
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la diversité des gens qui l’occupe. Par la construction du « minimum pour vivre » et de la structure principale, Aravena permet aux habitant de se créer un « chez soi » sur une base commune. L’intérêt de ce projet se trouve également dans la capacité de l’architecture à créer des situation, et à permettre des opportunités. La construction d’une base « en dur » permet de créer un socle à la création de son habitat. Le logement est connecté aux différents réseaux, possède une adresse, est protégé contre les intempéries et les tremblements de terre (les risques sismiques étant fort au Chili et nécessitant l’aide d’ingénieurs dans la construction de logement). Cela permet aux habitant une certaine liberté de la construction, et également une certaine sécurité, renforçant la qualité de l’habitat, et leur permettant de doubler la surface de leur habitation pour atteindre 72m2. L’architecte reste alors garant de la partie technique de l’architecture, mais également de son intégration au site et de l’organisation des bâtiments et des espaces communs. Tout cela en laissant une grande liberté de construction à l’habitant. Le partie pris de leur projet est également de l’installer près du centre, où la pression foncière est plus forte, alors que ce type de logement est traditionnellement installé en périphérie. Alors que construire en périphérie permettrait une plus grande surface au sein du logement, Aravena argumente en justifiant le fait que pour acquérir une bonne condition de vie, « un bon logement doit être situé dans un endroit qui offre aux familles des opportunités en matière de travail, de santé, d’éducation. Le mètre carré y est plus coûteux. Mais cette localisation donne de la valeur au bien. Pour les habitants, c’est un capital. 53» A travers ce projets, Aravena redonne aussi une importance aux choix de l’habitant. Partant d’une contrante technique, comme pour la maison serre de Jourda et 94
.53 Marcelo Wesfreid, « Alejandro Aravena: “L’architecture est plus large que la dimension esthétique” », L’Express, 05 avril 2016
Perraudin, il propose une solution innovante socialement et économiquement. Il rend possible les utopies de Patrick Bouchain, et construit un logement décent, en accord avec les théories philosophiques de l’habiter. Mais ce projet rendant possible l’habitation de nombreuses personnes en difficulté dans un habitat sain et qui leur ressemble, est néanmoins critiqué par le manque de considération des espaces extérieurs et des relations entre les habitations. Une trame rigide, en béton, vaut pour seul principe d’organisation, mais l’appropriation des habitants casse cette rigueur initiale. Il serait intéresser d’observer si, une fois le logement de tout les habitants finis, l’espace public, situé entre leur logement serait investis par les habitants en un lieu de coopération urbaine.
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b_ concertation dans l’espace privé Bouchain à Boulogne
Patrick Bouchain met en application ses écrits, dans la rue Delacroix à Boulogne-sur-Mer, dans le Pas-deCalais, en rénovant 60 maisons appartenant à un gestionnaire d’HLM boulonnais. Les maisons à rénover s’inscrivent à l’origine dans un plan de rénovation à l’échelle de la ville, qualifiant en 2003 la zone de lieu de « non droit » (pas d’éclairage public, pas de ramassage des poubelles), dans une zone habité à majorité par une population extrêmement marginalisée économiquement, socialement et géographiquement. L’Etat propose alors de raser les habitations, afin de construire un nouveau quartier. Proposition qu’a refusé la société d’HLM, argumentant qu’on ne construit jamais autant de logement qu’on en détruit, et ayant la volonté d’offrir une réelle qualité de vie à ses habitants. Les tentatives d’autres architectes ayant réalisé des projets similaires à proximité avaient échoués, car leur projet semblait comme des pièces rapportées, prenant peu en compte la diversité des profils. L’agence CONSTRUIRE souhaitait faire de ce projet une réelle expérimentation architecturale et sociale, en intégrant pleinement l’habitant dans le projet architectural, en cherchant à comprendre plus profondément ses besoins. Tout cela est impossible sans créer un lien fort entre l’architecte, les parties décisionnaires, et les habitants. 96
Sophie Ricard, jeune architecte employée de l’agence CONSTRUIRE va alors se porter volontaire pour mettre en place une « permanence architecturale ». Elle va s’installer, pendant deux ans, dans ce quartier, vivre au plus près des habitants. Elle emménage dans une maison du quartier, qui deviendra pendant la durée du projet un lieu de rencontre pour les habitants. Elle y accueille les gens pour le café, fait des atelier de jardinage avec les enfants. Elle tisse des liens et devient une véritable habitante du quartier, une voisine. Ce lien lui permettra de comprendre au mieux la vie des habitants, leur réalité et leurs besoins. « Comment concevoir un plan général de rénovation quand les situations sont si diverses ? Il nous appartient d’apprendre à tenir compte de ces particularités : comprendre comment les gens du voyage s’en sortent mieux dans un contexte de grande pauvreté; comment que si le poêle à granules ou les panneaux solaires sont assurément plus écologiques et rationnels que le bois, ils ne seront jamais adoptés par des personnes qui se chauffent au bois depuis toujours; que faire lorsque la mécanique sur la voie est interdite mais qu’il n’y a pas d’autres espaces possible … 54»
Pour impliquer les habitants dans le projet de sorte qu’ils se l’approprient, et faire du chantier un acte social, l’agence CONSTRUIRE met en place ses actions développées dans le livre Construire ensemble le grand ensemble, développées plus tôt :
.54 Sophie Ricard, « Construire à Boulogne-sur-Mer », in Pas de toit sans toi, Réinventer l’habitat social, Éditions Actes Sud., 2016.
« - Mettre en place une maison commune, à la fois atelier de travail et d’apprentissage, espace de réunion, lieu d’élaboration du projet, salle de conférences et de débats, café, cantine, salle de fêtes et de spectacles, cité de chantier. - Assurer dans cette maison une permanence de la maîtrise d’œuvre et des autres intervenants. - Associer au projet les structures culturelles et sociales locales dont les activités ont pu se dérouler au cœur du chantier. - Réaliser un chantier d’insertion en faisant appel à des entreprises d’insertion ou en imposant des critères de perfor97
Le chantier comme lieu de rencontre et de discussions Construire RĂŠnovation de la rue Delacroix, Boulogne-sur-Mer, 2013
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mance importants aux entreprises du bâtiment qui ont pu prendre en insertion des habitants de la rue. - Mettre en œuvre une démocratie active par la participation de chacun au projet (conception assistée), à sa réalisation (autoréhabilitation) et à sa gestion (autogestion). 55»
Une maison mitoyenne de celle de Sophie Ricard est alors aménagées afin de servir de Maison de projet. Les habitants parlent de leurs besoins, de leurs problèmes. Ils choisissent ensemble la couleur de leur façade, … Pendant 6 mois elle va visiter, un à un, les maisons de chacun, afin de rédiger un cahier des charges personnalisés, romancée, peu technique et compréhensible par toute les parties. Les habitants sont également amenés à participer au chantier, avec les ouvriers. Le développement du chantier et le chantier en lui même deviennent un réel endroit de vie, de chaleur humaine, avec ses hauts et ses bas. Comme quand, après un an sur place, les habitants se sont énervés, ne voyant pas un bout de chantier. Bagarres et plaintes se sont immiscées dans le projet. La difficulté s’est faite avec les acteurs également. Le retard du chantier a notamment été causé par les entreprises, réticentes à participer à un tel projet dans ce quartier. La municipalité aussi qui a un temps fait déstabilisé le projet et les liens mis en place. Elle souhaitait en effet renvoyer dix familles à problèmes, dont quatre familles squatteuses. Elles ont reçu un matin une lettre d’exclusion leur demandant de quitter leur logement. finalement, après négociation, seulement les quatre familles occupant illégalement les lieux recevront un avertissement avant expulsion.
.55 Sophie Ricard, Ensemble à Boulognesur-Mer - Fiche Projet Mars 2013
Un matin également les habitants ont reçu dans leur boite aux lettre un courrier leur indiquant une future augmentation de loyer. La rénovation des logements passaient en effet par conventionnement des loyers, augmentant mécaniquement le prix de ceux-ci. Devant la grogne des habitants, voyant en cette augmentation une trahison, Sophie Ricard a pou négocier pour obtenir une augmentation échelonnée et raisonnée. 99
Cet ensemble de petite chose nous font aussi comprendre que le lien avec les habitants est fragiles. Même après un an à vivre sur place, à devenir leur voisin, une lettre peut tout changer. Il advient donc d’avoir une totale transparence, de la part de toute les parties, vis-àvis des habitants quand aux décisions prises. Au final l’expérience est décrite par Sophie Ricard comme convaincante. Les habitants se sont complètement intégrés à la vie du projet, et les architectes ont réussi leur pari de recréer du lien dans un quartier défavorisé. Ce type d’action, rester deux ans au sein du projet n’est, évidemment pas reproductible en l’état pour tout projet de logement social, mais il nous montre l’importance pour l’architecte de faire un pas en avant. Cette expérience est un exemple fort de mise en retrait de l’architecte, d’exercice de compréhension de l’habitant, de dialogue social. « L’ensemble de ce processus, qui peut paraître plus complexe, plus lent et plus contraignant que les procédures classiques, s’est avéré à l’usage porteur d’une Haute Qualité Humaine (HQH) plus proche des véritables objectifs de « développement durable » de la Cité. Ce que chacun y a donné comme temps (maître d’ouvrage, maître d’œuvre, habitants et autres intervenants) a été largement compensé par ce qu’il a reçu dans le plaisir de l’accomplissement d’un projet commun. 56»
Sophie Ricard nous démontre aussi l’importance du triptyque Architecte / Propriétaire / Habitant. Elle s’est placée en tant qu’habitant, en tant qu’intermédiaire au projet, plus qu’en tant qu’architecte. Cela permettait un dialogue plus profond avec les habitants, qui se sentait représentés par une voisine, et non pas une architecte venue « de la ville ». Sophie Ricard propose alors de réitérer l’expérience pour d’autres projets de réhabilitation comme celui ci, mais avec des ateliers sur un temps plus court et des jeunes en services civiques qui créerait ce lien, ce dialogue social avec les habitant.
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.56 Sophie Ricard, Ensemble à Boulognesur-Mer - Fiche Projet Mars 2013
Scène de rue dans le quartier rénové Construire Rénovation de la rue Delacroix, Boulogne-sur-Mer, 2013
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c_ le cas de l’espace public
BASE et OBRAS : Conception et Concertation
La conception et BASE Le parc sergent Blandan à Lyon a offert en 2015 près de 20 hectares de verdures au coeur de Lyon. Réalisé par l’agence lyonnaise BASE, le projet s’installe sur les traces de l’ancienne caserne du Sergent Blandan, datant de 1830, et désaffectée en 1999. Ce site hors norme est riche d’une grande variété de programmes, a été conçu comme un laboratoire urbain nous permettant de voir deux aspects développés plus tôt : la patrimonialisation et la création de lieux appropriable. L’appropriation du site s’est en effet faite en deux étapes : tout d’abord par les architectes eux même qui se sont approprié un site désaffecté, puis par les habitants. Le projet du parc Blandan commence tout d’abord par un processus de patrimonialisation par les architectes. La conception du parc est dirigée par les traces industrielles et végétales du patrimoine industriel que viennent réinvestir les architectes. La partie Est du site, à la lisière de la ville et des barres HLM, est vue comme un « laboratoire urbain » disposée sur la dalle des hangars détruits pendant les travaux. Des terrains de sports sont disposés sur la dalle, et lendroit n’a volontairement pas été désherbé, laissant la friche investir les interstices du béton. En ressort un « lieu d’entropie », mélange de sport et de végétal.
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« Les arbres morts y étendent leurs branches au milieu des aires de fitness, et le «paillage » en enrobé cassé laisse des fragments du tiers-paysage57 s’insinuer dans les terrains de handball. 58»
Le front forestier, situé sur l’ancien champ de manoeuvre, réutilise également les arbres en friche existant. Les arbres invasives de cette zone ayant une durée de vie courte, le sujet était alors d’accompagner la transformation de la zone boisée, en y implantant des arbres à durée de vie plus longue, laissant alors le bois muer, un peu à la manière des jardins en mouvement de Gilles Clément. Les éléments issus de la destruction des anciennes casernes sont aussi réutilisées pour créer du mobilier urbain. L’appropriation du site, le passage du site d’une friche à un parc urbain, passe ainsi par la mise en place de marques ancrée sur les traces de l’ancienne caserne, comme l’expliquait Vincent Veschambre avec son processus de patrimonialisation. Le parc se crée à travers la passé, mettant en valeur le patrimoine dans un cadre urbain.
.57 Concept créé par le paysagiste Gilles Clément, le tierspaysage désigne l’ensemble des endroits où l’homme laisse l’évolution du paysage à la nature. .58 Charlotte Fauve, « Dynamite Végétale », EcologiK, no 41, p. 44‑51, nov-2014. .59 Veschambre Vincent, Traces et mémoires urbaines – Enjeux sociaux de la patrimonialisation et de la démolition, Presses universitaires de Rennes, 2008.
« Le patrimoine représente un support matériel privilégié d’inscription dans l’espace et dans le temps, de construction mémorielle et identitaire, de visibilité et de légitimité, pour les groupes sociaux qui y sont associés. 59»
Une fois le parc « patrimonialisé » par les architectes, il s’agit de créer des espaces appropriantes par les habitants. La dimension du parc permet une grande diversité des programmes, et permet aussi des espaces dédiés à chaque usage. Mais ces espaces ne sont pas contraint qu’à un seul usage. Ils peuvent être réinterprétés. Les usages ne sont pas empêchés, mais accompagnés. Par exemple aucun équipement anti-skate n’a été installé, mais le skatepark offre un espace privilégié pour la pratique de cet endroit. Chacun peut donc y trouver à son 103
Entre amĂŠnagement et rĂŠutilisation des traces Base Paysage et Urbanisme Parc Sergent Blandan, Lyon, 2013
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Une aire de jeu active et permissive Base Paysage et Urbanisme Parc Sergent Blandan, Lyon, 2013
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compte. Le mobilier urbain est aussi conçu pour être réinterprété. Le parc crée des opportunités d’appropriation pour tout à chacun, et l’envergue de la zone permet une multiplicité des espaces. L’aire de jeu est également conçu pour offrir un espace de liberté et d’expérimentation aux enfants. L’espace est sécurisé afin de permettre aux parents accompagnant leurs enfants de les laisser pratiquer l’espace. Le jeu offrent un multitude d’endroits pour laisser à l’enfant la possibilité d’explorer sa motricité, de se cacher, de jouer, mais également permettent à l’enfant de s’approprier pleinement le lieu car, comme me l’expliquait Diego Romero, architecte en charge du projet à l’agence Base, « l’enfant détourne naturellement les usages », et donc naturellement s’approprie, à sa manière, les espaces qu’on lui crée. Il ne faut donc pas contraindre cette exploration et cette découverte, importante pour l’apprentissage de l’enfant. Au nord, au pied de la citée étudiante, une place urbaine, la Place d’Armes est disposée, ouverte en continue (contrairement au parc, fermé la nuit). Cette place, inondable par temps de pluie « est rapidement devenue un nouveau théâtre social, lieu de rencontres et de rassemblements. 60» Ce parc jouit aujourd’hui d’un grand succès auprès des habitants qui l’ont définitivement adopté, et il occupe aujourd’hui une place forte au sein du quartier. La concertation et OBRAS Dans certain pays européens, notamment dans les pays scandinaves, aux Pays-Bas et en Allemagne la concertation fait partie intégrante du projet urbain, et est encadrée et réglementée. En France, la pratique est encore aujourd’hui peu implantée, mais n’est pas inexistante l’agence Obras, ou Frédéric Bonnet et Marc Bigarnet sont associés, expérimentent la conception des espaces publics s’appuyant sur un dialogue avec 106
.60 BASE, site officiel de BASE, paysagistes dplg. [En ligne]
les habitants. Pour Frédéric Bonnet, dans le film de Claire Laborey : « L’idée d’un espace qui est partagé, qui est en commun, ça a du sens encore. L’espace public est un lieu qui peut être “apaisé“, c’est à dire avoir une relation entre les gens ont une civilité, mais c’est aussi un lieu de conflit. C’est bien que ça soit un lieu où la disposition spatiale oblige les gens à être civils, et où c’est pas la norme qui prédéfini des usages, mais les usages s’organisent de manière sociale, entre des gens qui peuvent avoir des interets, des vitesses, des modalités différentes, et qui partagent justement les choses. 61»
En 2012 ils sont chargé du réaménagement du quartier des Izards, en périphérie de Toulouse. Les espaces publics existants n’étaient pas assez pensés, et surtout pas pensé comme espace publics. « Il y a eu des successions d’aménagements incohérents, d’interventions non coordonnées ». La mairie de Toulouse propose d’organiser une concertation citoyenne, afin de récolter ls différentes propositions, pour que le quartier corresponde le mieux au souhait de ceux qui y habites, tout en y intégrant les impératifs de chacun des acteurs.
.61 Frédéric Bonnet in Claire Laborey (réal.), Mainmise sur les villes [VOD]. ARTE FRANCE, 2015, 89 min
Les habitants sont donc invités à participer à des réunions citoyennes et à discuter, par groupes, de leurs envies, de la vision de leur quartier. Les architectes sont là en tant que médiateur et organisateurs de la réunion. Il préparent les plans et les esquisses, présentes des idées de base et vulgarisent des termes complexes. La municipalité est également présente pour entendre les demandes des habitants, mais également pour trancher en cas de désaccord. L’architecte et la municipalité restent les seuls décisionnaires.
.62 Thomas Nouailler (associé OBRAS) in Claire Laborey (réal.), Mainmise sur les villes [VOD]. ARTE FRANCE, 2015, 89 min..
Pour Frédéric Bonnet, il est important que l’architecte guide la discussion. Il ne faut pas « tout lâcher », et laisser les habitants « faire le plan ». La discussion ne doit pas contraindre le plan, mais aider à sa conception. 107
Perspective d’ambiance Obras Réaménagement du quartiers des Izards, Toulouse, 2008-en cours
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« Ça a été ensuite une base de travail pour aller discuter avec eux, pour leur dire pourquoi on a pas forcément fait comme ils avaient fait. Leur expliquer aussi que c’est un métier, c’est notre métier. 62»
La concertation devient un moment de rencontre entre l’habitant et l’architecte. L’architecte apprend des besoins des gens, l’habitant apprend du métier et de la mission de l’architecte. Ces discussions permettent ainsi une meilleur acceptation du quartier, mieux pensé pour l’habitant, et mieux compris par ses usagers. La concertation apparait ainsi comme un aspect important dans la conception de l’espace public. « Les habitudes, la mémoire, le rapport sensible à l’espace et ses usages, sont autant d’outils pour concevoir un espace réussi et à même de remplir son rôle. 63»
Ces rencontres rencontrent également un grand succès « Quand on fait de la concertation tout le monde est très mobilisé. L’espace public est un lieu qui intéresse tout le monde. Que tout le monde reconnait comme sien. 64» Intégrer ces ateliers au travail d’urbanisme permet de redonner du pouvoir décisionnaire à l’habitant, qui s’implique d’autant plus. L’habitant est le premier usager de ce quartier, et il faut savoir l’écouter. Mais l’architecte doit avant tout traduire les idées de l’habitant dans un language architectural, rester maître de son projet et garant de la qualité de vie et de la stratégie de projet.
.63 Claire Laborey (réal.), Mainmise sur les villes [VOD]. ARTE FRANCE, 2015, 89 min. .64 Frédéric Bonnet in Claire Laborey (réal.), Mainmise sur les villes [VOD]. ARTE FRANCE, 2015, 89 min.
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transition
Comme nous avons pu le voir ici, la prise en compte de l’habitant dans le projet architecturale est possible, et donne une certaine qualité au projet finalisé. Différents degrés d’investissement sont également possible, permettant une diversité des actions mise en oeuvre par l’architecte, qui restent plus ou moins engagés dans la discussion avec l’habitant. Le point central de ces propositions restent tout de même la compréhension et le dialogue que tente d’engager l’architecte avec l’utilisateur final. Dialogue qui peut se faire de vive voit, autour d’une table, d’évènements communs, ou à travers le language de l’architecture. Que se soit pour un projet de parc, de maison ou de réhabilitation d’un quartier, les architectes ont ici mit l’habitant au centre du projet, mettant en oeuvre des projets qualitatifs et ayant, aux yeux des usagers finaux, plus de sens. Ces projets nous démontrent qu’une autre manière de penser l’habitat est possible mais se heurtent néanmoins aux politique des villes, plus ou moins permissives, et se concentrent alors dans les banlieues, et les villes aux politiques plus ouvertes. Mais cela ne doit pas rester une fatalité car cela reste des terrains fertiles à une nouvelle manière de penser la ville et l’habitat. 110
Construire RĂŠnovation de la rue Delacroix, Boulogne-sur-Mer, 2013
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CONCLUSION
Dans ce mémoire nous avons donc tenté de trouver par quels processus les espaces sont-ils appropriés par l’habitant, et quelle posture adopter pour l’architecte lors de la conception de ces mêmes espaces. Une appropriation humaine Nous avons tout d’abord vu qu’habiter possède un sens plus large que le sens littéral, donné par le dictionnaire. Habiter c’est en quelque sorte la manière dont on habite le monde. On habites pas seulement son logement mais aussi sa rue, son quartier, son bureau. On habites là où l’on répètes les gestes du quotidien, et l’on peut se sentir « chez soi » là où l’on habites pas réellement. Habiter dépasse largement la notion du logement. Mais habiter c’est aussi approprier. On s’approprie un espace que l’on habites, et l’habitation, l’espace habitable, devient alors l’extension du « soi ». S’approprier, c’est étendre notre « soi » dans l’espace architectural, pour faire de l’habitat un « chez-soi ». Cette habitation, et donc cet appropriation, peut s’opérer par différents processus, dans différents espaces : l’espace privé, extension du « soi », et l’espace public, rencontre du « soi » dans le « nous ». Espace public qui est aussi un espace de publicité comme le théo114
risait Habermas, l’espace où l’on se confronte au monde, où l’on se met en scène, où la société se fait. L’espace public est important dans le processus d’appropriation car il est le lien entre toute les unicités, entre tout les « soi ». Et sans ce lien, l’être humain n’est pas. L’être humain a donc besoin, pour « être », d’Habiter, et donc d’approprier. Mais ce besoin d’appropriation manque encore de considération par les architectes. Pourtant l’architecte est le maillon essentiel à la création d’un space approprié, car il est le créateur de l’espace construit, où l’habitant se bâtira son espace personnel.
De l’art d’écouter Car s’il est nécessaire d’écouter les demandes et envies de l’habitant, l’habitant sait-il vraiment ce qu’il veut ? Connait-il réellement ses besoins ? Et, dans le cas d’un espace public, où chaque personne peut avoir un avis différent, comment concilier les attentes de chacun ? Et puis chaque proposition est-elle recevable, entre-t-elle dans une stratégie à l’échelle plus large ? L’architecte doit alors se poser en tant que médiateur, et en tant qu’interprète des pensées de l’habitant en un language architectural. Car l’architecture est un language compréhensible par un certain nombre de personnes seulement. Pour permettre cette interprétation par l’habitant et ce dialogue avec le principal intéressé, l’architecte et l’habitant doivent se créer des outils, utiliser des processus. Deux choix s’offrent alors à lui : coordination ou coopération. CONCEPTION ou CONCERTATION. Ces choix ne rentre pas pour moi en conflit, mais proposent deux réponses différente à la prise en considération de l’appropriation au sein de l’habiter.
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Skatepark au parc Blandan Base Paysage et Urbanisme Parc Sergent Blandan, Lyon, 2013
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La CONCEPTION découle d’un processus « classique » de l’architecte, appris à l’école, où la prise en compte de l’habitant est facilement transposable. L’habitant n’intervient pas ou peu dans le processus de conception, laissant libre choix à l’architecte. L’habitant se créera alors son habitat à partir des choix prios par l’architectes et les différents acteurs décisionnaires (maitrise d’ouvrage). Il s’agit alors avant tout de concevoir l’espace en prenant plus en compte les besoins de l’habitant, de potentialiser la diversité des usages, en les accompagnants sans les limiter, les diriger. De concevoir sans perdre le but premier de l’espace architectural : faire habiter. La CONCERTATION est elle issu d’un processus différent. La concertation est un processus bien entendu existant pour un projet individuel, mais rares pour des projets d’habitat collectifs, et quasi-inexistant pour ce qui est du logement social classique. Dans nos études, peu d’occasions nous confrontent à la discussion avec l’utilisateur final de notre projet. Les praticiens, architectes, urbanistes, paysagistes, ne sont pas formés à la concertation. Ils font souvent appel à des communicant, pour animer ces réunions de concertation. Pourtant la concertation apparait comme un élément essentiel à la conception d’un espace appropriable. Il est le meilleur moyen, pour l’architecte, de comprendre réellement les besoins du futur habitant. Il permet égalemnt à l’habitant de mieux comprendre le travail de l’architecte, et la réalité auquel est confronté le projet. Très chronophage, la concertation est, en l’état, surtout appliquée dans la conception de l’espace public, projets se déroulant sur un temps plus long, et où la multiplicité des demandes nécessite une médiation entre les usagers. Par la discussion, la concertation permet également une meilleure acception du projet.
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De la théorie à la pratique Nous avons pu voir dans la troisième partie que des architectes tentent de trouver des alternatives au systèmes en place, afin d’amener de la vie dans le logement. Les solutions qui ont été présentées ici ne sont pas LA solution, mais sont des alternatives aux processus de conception existant, qui permettrait de développer une autre vision de l’architecture. J’aurais pu ainsi aussi parler de l’auto-construction, sujet qui nécessiterais sans doute un travail de recherche à lui tout seul, ou des coopératives d’habitant, logements collectifs réalisés par des groupes d’habitants, modèle alternatif au logement social. Les habitants deviennent des réels acteurs de la conception de leur habitat. Mais comme le présentait Yona Friedman : « N’ayez pas peur de cette multitude d’alternatives et ne cherchez pas une unique voie de salut ! Un bateau dont l’intérieur est compartimenté, ne coule pas si l’un des compartiments est envahi par l’eau, mais un bateau qui n’en comporte pas coule à pic devant la même avarie. 65»
Malheureusement ces scénarios ne restent aujourd’hui qu’expérimentaux, marginalisés, bien qu’ils tendent à se démocratiser, car de nombreux facteur viennent entraver cette vision. De tels projets sont soumis à des limites financières et surtout normatives, et se confronte également à la réalité de l’accroissement intense des villes, nécessitant du logement rapidement, à moindre cout. La loi ELAN, promulguée en 2018, dérégule la construction de logement social, qui aura un impact très probable sur la qualité des logements construits. La quantité prime sur la qualité. Il apparait donc essen118
.65 Yona Friedman, Comment habiter la terre, Éditions de l’éclat. 1976. p.107
Le Village Vertical, coopÊrative d’habitants Villeurbanne, France, 2013
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tiel, en tant que concepteur de ces espaces, de prendre en compte la réalité des habitants et de ne pas se soumettre à un système mercantile qui nuit à la qualité de vie. La ville se privatise également, et se ferme à la diversité des usages, imposant ce qui est permis ou pas. En Angleterre de plus en plus d’espaces publics sont aujourd’hui privé, imposant les règles et loi du propriétaire, et limitant les actions de la mairie, ainsi que les usages permis. Les dispositifs anti-sdf, habitants de la rue montrent aussi à quel point la gestion actuelle de l’espace public se gentrifie, et où l’on tente de définir ce qui est acceptable ou non. Les espaces de l’habiter deviennent de plus en plus normés, contraints, limités, alors qu’ils devrait être libres et permissifs. Il devrait exprimer la diversité de nos unicités au lieu de lisser les aspérités de la vie. L’appropriation du futur Ce travail m’a montré l’importance de l’habitat et de l’appropriation dans le processus architectural, et rendu ces concept moins « abstrait » pour moi. Mon futur travail d’architecte prendra plus en compte le rôle de l’habitant, car si l’habitant influe sur l’espace architectural qui l’entoure, on peu supposer que le projet architectural influe sur sa propre personnalité, son propre « soi ». Cette question de l’appropriation de l’oeuvre architecturale, du processus de création, mais également de la vie après la conception est également une question d’actualité. A l’heure où l’on s’inquiète de plus en plus des conséquences de nos actes sur le climat, l’architecte doit être présent pour insuffler une nouvelle manière de penser, et de consommer. Penser à la durabilité d’un bâtiment c’est également penser à son avenir dans le temps, à sa capacité à évo120
luer avec son époque, ne jamais se démoder. N’oublions pas non plus que le développement social est l’un des aspect phare du principe de développement durable. Habiter est également la manière dont l’être humain est sur terre. Bâtir, et donc dans le cas de l’architecte concevoir le bâti, c’est décider de comment pratiquer la terre, et donc peut être comment la sauver. Finalement, l’architecte est le garant de la ville. Il est garant de la qualité d’habiter, et donc garant de la qualité de vie. L’architecte ne conçois pas que quatre murs et un toit, mais il forme un espace physique, qui rencontrera un espace philosophique. Il conçoit un espace de développement personnel, un espace qu’il est nécessaire de ménager pour laisser le « soi » de l’habitant s’ouvrir au monde. Pour créer un espace appropriable, un espace pleinement habitable, l’architecte doit alors faire un pas vers l’habitant, en l’écoutant et en le comprenant plus, ses idées, ses envies mais tout en gardant sa position de « spécialiste », pour garantir une qualité de vie et une qualité de la ville.
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Résumé des résultats
1 - des espaces de l’appropraition L’appropriation de l’espace architectural se différencie au sein des espaces privés ou public. Alors que l’espace privé constitue l’extension du «soi», l’espace le plus personnel, délimité, l’espace public est un espace partagé où les unicités se rencontrent dans un espace de mise en scène, de « publicité ». Le privé se confronte à la société dans l’espace public. 2 - méthodes d’action En tenant compte de la nécessité de créer un espace appropriable, l’architecte dispose de divers outils pour mettre en oeuvre des processus de conception, à travers la conception ou la concertation. Pour ce qui est de la conception, l’habitant s’approprie un espace déjà conçu par l’architecte. Il advient donc à l’architecte de mieux prendre en compte ce facteur et de créer un espace appropriable par l’habitant, mais également de permettre une adaptabilité des usages. Pour ce qui est de la concertation, l’architecte se porte en médiateur avec les différents acteurs. L’espace est bâti grâce à une discussion, permettant de mieux anticiper les demandes de l’habitant, et de l’impliquer dans la conception de son propre espace. L’architecte reste dans tout les cas un acteur indispensable, garant de la qualité d’appropriabilité et donc de vie du logement et des espaces publics. 122
1 - des espaces de l’appropraition
Espace privé Extension du « soi »
Espace public Le « soi » dans le « nous »
2 - méthodes d’action / dans l’espace privé
architecte
architecte
décisionnaire (promoteur, mairie, ...)
habitant habitant
Conception
décisionnaire (promoteur, mairie, ...)
Concertation
/ dans l’espace public
architecte
architecte
décisionnaire (promoteur, mairie, ...)
habitants
Conception
habitant
décisionnaire (promoteur, mairie, ...)
Concertation 123
RESSOURCES Bibliographie et iconographie
Bibliographie
Livres | Celine Bonicco-Donato, Heidegger et la question de l’habiter, Une philosophie de l’architecture, Éditions Parenthèses. 2019. | Georges Perrec, Espèces d’espaces, Éditions Galilée. 1974. | Michel Mangematin, Philippe Nys, et Chris Younès, Le sens du lieu, Édition VRIN. 1996. | Patrick Bouchain, Pas de toit sans toi, Réinventer l’habitat social, Éditions Actes Sud. 2016. | Patrick Bouchain et Loïc Julienne, Construire ensemble, Le Grand ensemble. Habiter Autrement, Éditions Actes Sud. 2010. | Yona Friedman, Comment habiter la terre, Éditions de l’éclat. 1976. | Yona Friedman, L’architecture de survie, Où s’invente aujourd’hui le monde de demain ?, Éditions Casterman. 1978.
Chapitre de Livre | Martin Heidegger, « Bâtir, Habiter, Penser », in Essais et Conférences, Éditions Gallimard., 1980.
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| Sophie Ricard, « Construire à Boulogne-sur-Mer », in Pas de toit sans toi, Réinventer l’habitat social, Éditions Actes Sud., 2016.
Articles de journal et de revue | Charlotte Fauve, « Dynamite Végétale », EcologiK, n°41, p. 44‑51, nov-2014. | André Micoux et Jacques Roux, « L’architecture en procès de réhabilitation : Réflexions sur l’appropriaiton patrimoniale des traditions constructives. », Les Annales de la recherche Urbaine, n°72, p. 236‑143, 1996. | Jean-Paul Resweber, « Bâtir : habiter le temps », Revue des Sciences Religieuses, tome 68, p. 311‑324, 1994. | Marc Lits, « L’espace public : concept fondateur de communication », Hermès, La Revue, vol. 70, n°3, p. 77‑81, 2014.
la
| Marcelo Wesfreid, « Alejandro Aravena: “L’architecture est plus large que la dimension esthétique” », L’Express, 05-avr-2016. | Maria Gravari-Barbas et Cécile Renard, « Une patrimonialisation sans appropriation ? Le cas de l’architecture de la reconstruction au Havre », Norois, n°217, p. 57‑73, 2010. | Marie Ottavi, « « Le skateur est le premier acteur urbain » », Libération, 02-mars-2016. | Nadège Leroux, « Qu’est-ce qu’habiter ? Les enjeux de l’habiter pour la réinsertion. », VST - Vie sociale et traitements, n°97, p. 14‑25, 2008.
Site Web & Billets de Blog | André Warnier, De l’appropriation de la forme dans l’architecture domestique, Horum omnium fortissimi sunt Belgae, 20.01.2014. Disponible sur : https://englebertlescrenier.wordpress.com/de-lappropriationde-la-forme-dans-larchitecture-domestique/
| Site officiel de BASE, paysagistes dplg Disponible sur: http://www.baseland.fr/
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| Chloé Monchain, Alaa Sassi, et Thi Thuy Ngan Dinh, L’usager, au coeur du Projet architectural ?, Le Cresson enseigne (Hypothèses. org), 22.05.2017 Disponible sur: http://lcv.hypotheses.org/874
| Dalya Daoud, “HDV” ou “Hôtel de Ville” à Lyon, un spot de skate mondial voué à disparaître, Rue89Lyon, 16.11.2016 Disponible sur: https://www.rue89lyon.fr/2016/11/16/hotel-de-ville-a-lyonspot-de-skate-mondial-voue-a-disparaitre/
| Édith Hallauer, Construire ensemble le grand ensemble, habiter autrement., strabic.fr, 28.07.2011 Disponible sur: strabic.fr/Construire-Ensemble-le-grand-ensemble.
| Espace public et démocratie : La philosophie d’Habermas, LaPhilosophie.com, 12.04.2012. Disponible sur: https://la-philosophie.com/espace-public-et-democratie
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| Jourda Architectes, Maison serre
Disponible sur : http://www.jourda-architectes.com/projet.php?code=mase.
| Le Temps, Alejandro Aravena, le Chilien qui voulait une architecture sociale et belle, blog.letemps.ch, 14-janv-2016 Disponible sur: https://blogs.letemps.ch/oeilduviseur/2016/01/14/alejandroaravena-le-chilien-qui-voulait-une-architecture-sociale-et-belle/
| Nathalie MP Meyer, Aravena, l’architecte aux projets libéraux, Contrepoints, 22.04.2018. Disponible sur: https://www.contrepoints.org/ 2018/04/22/314654-aravenalarchitecte-aux-projets-liberaux
| perraudinarchitecture, maison perraudinarchitectes.com.
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Disponible sur: http://www.perraudinarchitectes.com/projets/maison_serre/ maison_serre.html.
| Site web du Prinzessinnengarten
Disponible sur: https://prinzessinnengarten.net/.
| UrbainSerre, XVII – LE PHILOSOPHE ET LA VILLE — 1) « Bâtir, habiter, penser » de Heidegger (1951), La ville à la croisée des chemins, 12.01.2014 Disponible sur: https://citadinite.home.blog/2014/01/12/xvii-xvi-le-philosopheet-la-ville-1-batir-habiter-penser-de-heidegger-1951/
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Films | Julien Donada, Les Visionnaires, une autre histoire de l’architecture [DVD]. Petit à Petit Production, 2013, 71 min. | Claire Laborey (réal.), Mainmise sur les villes [VOD]. ARTE FRANCE, 2015, 89 min.
Emissions de Radio | Rédaction de Radio France, Les coopératives d’habitants : phénomène de mode ou véritable alternative au logement social ?, France Culture, 27.06.2018, 5 min.
Travaux de recherche | Claire Craheix (sous la direction de Laurent Devisme), Mauerpark, lieu emblématique à l’avenir controversé, Mémoire de fin d’étude, École Nationale Supérieure d’Architecture de Nantes, 2011. | Lynda Fernane, (sous la direction de Emeline Curien), Quand Gilles Perraudin construit un lieu, Lieu et architecture contemporaine, Mémoire de fin d’étude, École Nationale Supérieure d’Architecture de Nancy, 2015.
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Iconographie
p.6 Tempelhof, Berlin © Loïc Serfass, 2017 p.10 RAW Gelände, Berlin © Loïc Serfass, 2017 p.15 Zaha Hadid Firestation, VITRA, Weil-am-Rhein (DE) © Valentin Sterckeman, 2019 p.18 Immeuble d’habitation à Singapoure © 贝莉儿/Danist, Unsplash, 2016 p.22 Martin Heidegger En ligne in http://www.pileface.com/sollers/spip.php?article1701 p.25 Canary Wharf, Londres, Royaume-Uni (montage) © Simone Hutsch, Unsplash, 2019 p.28 Immeuble de logement dans l’arrondissement de Marzahn Berlin (DE) © Simone Hutsch, Unsplash, 2018 p.34 Passage piéton Ginza, Chūō, Japon © Ryoji Iwata, Unsplash, 2019 p.43 L’Habitat dans la rue Lieu inconnu © Brandi Ibrao, Unsplash, 2019
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p.48 Agence Construire Discussion avec des enfants lors de la réhabilitation de la rue Delacroix à Boulogne-sur-Mer © Sophie Ricard, 2013 p.53 Yona Friedman Ville Spatiale : étude de Structure, 1959 Maquette carton et bois; 28.5 x 49.9 x 38.1 cm Collection du FRAC Centre © Philippe Magnon p.56 Reportage photographique sur les habitants de la June Street à Salford (UK) “June Street“, Salford (UK) © Martin Parr & Daniel Meadows / Magnum, 1973 p.61 Reportage photographique sur les habitants de la June Street à Salford (UK) “June Street“, Salford (UK) © Martin Parr & Daniel Meadows / Magnum, 1973 p.65 Skateur sur la place d’Hôtel de Ville à Lyon. © Aristide Bruchon, 2018 p.68 Un après-midi ensolleillé sur la bute du mauerpark © GettyImages / Giulio_dgr, 2017 p.71 Appropriation et patrimonialisation au mauerpark © Daniel Antonaccio, 2008 p.74 Extrait de façade du Corviale à Rome, au niveau de l’étage «squatté» © Loïc Serfass, 2017 p.82 Chantier participatif par le collectif anglais Assemble Granby Four Streets, Liverpool (UK), 2015 © Assemble, 2015 p.88 Axonométrie éclatée de la maison serre Jourda & Perraudin Maison Serre, Saint-Just, 1984 © Perraudin Architectes? 1983
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p.89 Vue intérieure de la maison serre Jourda & Perraudin Maison Serre, Saint-Just, 1984 © Jourda Architectes, 1983 p.92 Alejandro Aravena / ELEMENTAL Quinta Monroy, Iquique, Chili © ELEMENTAL, 2003 p.93 Plans de niveau Alejandro Aravena / ELEMENTAL Quinta Monroy, Iquique, Chili © ELEMENTAL, 2003 p.98 Le chantier comme lieu de rencontre et de discussions Construire Rénovation de la rue Delacroix, Boulogne-sur-Mer, 2013 © Sophie Ricard, 2013 p.101 Scène de rue dans le quartier rénové Construire Rénovation de la rue Delacroix, Boulogne-sur-Mer, 2013 © Sophie Ricard, 2013 p.104 Entre aménagement et réutilisation des traces Base Paysage et Urbanisme Parc Sergent Blandan, Lyon, 2013 © BASE, 2013 p.105 Une aire de jeu active et permissive Base Paysage et Urbanisme Parc Sergent Blandan, Lyon, 2013 © BASE, 2013 p.109 Perspective d’ambiance Obras Réaménagement du quartiers des Izards, Toulouse, 2008-en cours © Obras, 2010 p.111 Construire Rénovation de la rue Delacroix, Boulogne-sur-Mer, 2013 © Sophie Ricard, 2013 p.112 Alejandro Aravena / ELEMENTAL Quinta Monroy, Iquique, Chili © ELEMENTAL, 2003
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p.116 Skatepark au parc Blandan
Base Paysage et Urbanisme Parc Sergent Blandan, Lyon, 2013
© BASE, 2013 p.119 Le Village Vertical, coopérative d’habitants Villeurbanne, France, 2013 © Éléonore Henry de Frahan, 2015
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Je tiens à remercier chaleureusement mes parents pour le soutien quotidien indéfectible qu’ils m’accordent. Merci également à Suzanne et Serge Monnot pour le suivi et pour m’avoir aidé dans la confection de ce mémoire. Enfin un gros merci à Rémi et Mégane pour l’aide apportée et pour le soutien moral quotidien. SERFASS Loïc ENSAL 2020
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vers un espace habitable la place de l’architecte dans la conception de l’espace appropriable. serfass loïc - ensal 2020 sous la direction de suzanne monnot Résumé : Dans un système contemporain d’hyperspécification de la société, l’architecte se veut comme spécialiste de l’habitat. Accompagné des politiques, spécialistes et spéculateurs, il conçoit la ville et l’habitat de demain. Mais quelle est la place de l’habitant dans la conception de son habitat ? J’ai alors voulu m’intéresser à cette question tout d’abord de la place de l’habitant dans le projet architectural, dernier maillon d’une chaine de conception et de décision, protagoniste négligé de l’histoire écrite par l’architecte. Mais j’ai également voulu m’intéresser aux processus de conception incluant l’habitant, dont l’architecte doit rester garant. En somme comment passer d’un système de conception bureaucratique à un système démocratique. Redonner de la vie au projet, l’amener à évoluer, et amener l’habitant à évoluer dans un espace qui lui ressemble. Lui laisser libre court à s’approprier les lieux, afin de créer réellement un espace qui lui ressemble, tout en conservant la place de l’architecte. Architecte qui n’est plus que concepteur, mais devient également médiateur, porteur de projet. Ce travail de recherche explore alors, à travers un aspect philosophique, théorique puis pratique, par quels processus de conception l’espace architecture peuvent être appropriable par l’habitant, et quelles postures adopter pour l’architecte, à travers l’angle de l’habiter. Car finalement, habiter c’est aussi avant tout approprier.