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LA RUFACA

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VENTS ET TEMPÊTES

VENTS ET TEMPÊTES

Le catalan a retenu le mot « rufaga » ou « rufaca », nom commun pour désigner la rafale d’un vent très fort qui souffle un long moment, souvent accompagnée de neige. Le géographe Pau Vila évoquait en 1926 « les rufagues que venen del Querol » [« les rufagues qui viennent du Carol », traduit du catalan] et publiait une photographie hors texte suggestive d’un champ de seigle dont les épis avaient été cloués au sol par la neige amenée par une de ces « rufagues » caractéristiques de la Cerdagne qui avait sévi le 27 mai 1923. Notons qu’il utilise ici le vocable le plus courant du catalan et non sa variante pyrénéenne et, plus particulièrement, cerdane. En effet, en Cerdagne et en Capcir, ce vent très fort, qui fait tourbillonner la neige dense et fine qu’il amène ou qui tombe sur son passage est aussi localement nommé « torb » en catalan. Mais ce mot est aussi un synonyme partiel de « rufaca », dénomination locale de la « rufaga ». Celle-ci, froide et forte, n’est pas forcément accompagnée de neige. Elle peut être « sèche » ou amener avec elle de froides averses de pluie.

Cependant, d’après nos constatations personnelles et après avoir interrogé beaucoup de personnes dans la vallée de Carol et ailleurs en Cerdagne (Puigcerdà, Osséja, Err), la rufaca, désigne en Cerdagne, un vent soufflant depuis le nord ou le nord-ouest. Elle ne désigne jamais un fort vent, même accompagné de neige, soufflant depuis une autre direction. En ce sens, ce nom devient, en Cerdagne, un nom propre, « Rufaca », quelque part synonyme de Tramuntana. Mais on dirait plutôt « Carcanet » en Capcir.

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Un ouvrage collectif a précisé que « la rufaca provient habituellement du nord et entre souvent par le versant atlantique pyrénéen par la vallée de Carol avec un vent fort et très froid » (traduit du catalan).

« Rufacada » est un dérivé de « rufaca ». Ce mot désigne une violente tempête de vent du nord accompagné le plus souvent de pluie ou de neige : « Ja tenim la rufacada de Tots Sants ! ». Mais, toujours selon ces auteurs, bien que, stricto sensu, la rufacada désigne de fait l’action de la Rufaca, les deux mots s’utilisent quasiment avec le même sens.

Ils ont été consignés tous deux par Joan Coromines. Cet éminent linguiste indique que le nom « rufaca » est influencé par le latin « rufus » qu’il traduit par « roig tèrbol » (rouge trouble), ainsi que sa parenté avec « ràfega ». Son altération à partir du verbe « arrufar », « arrufir » en Cerdagne (froisser), a également été relevée par lui. Il remarque aussi un phénomène courant de labialisation qui permet de comprendre le passage de « ràfega » en « rufaca ». Lui-même l’a entendu et a noté « rufaca » en Cerdagne en 1932, avec le sens que nous lui connaissons de « vent borrascós », sans indiquer toutefois qu’il souffle depuis le nord. Comme toponyme, il a relevé lors d’une enquête orale sur le terrain (1960), à la limite des communes de

Taurinya et de Clara-Villerach, une « ruta de les Rufaques » fréquentée par ceux qui « pugen al coll de la Creu » (ceux qui montent au col de la Creu) et qui est « per tant un pas obert cap a la vall de Clarà que baixa del Canigó » (qui est ainsi un passage ouvert en direction de la vallée de Clara qui descend du Canigó). Coromines signale également ce mot comme un nom propre.

Nous constatons que, en Cerdagne, la Rufaca souffle donc depuis le nord/ nord-ouest, singulièrement en automne et en hiver. Elle est froide et souvent accompagnée de pluie ou de neige. Elle souffle très fort, particulièrement dans la vallée de Carol mais, aussi, dans celle d’Angoustrine, dont les orientations topographiques favorisent et accélèrent sa circulation, en la canalisant dans les conduits naturels qu’elles constituent.

À Llívia, Manuel Anglada i Ferran décrit la « rufaca de la Sant Miquel ». Il a constaté, avec d’autres, que ce vent se manifestait à nouveau avec force autour de la Saint-Michel (29 septembre), date traditionnelle de la descente des troupeaux transhumants depuis les estives d’altitude vers les basses plaines. Il nous dit que « l’automne tranquille est subitement interrompu par la rufaca de Sant Miquel […]. Depuis vingt-cinq ans que je suis à Llívia, elle n’a jamais cessé de se manifester […]. Elle descend du Carlit et à la plaine 1 il y a un froid qui, prématuré et inespéré, est perçu comme insupportable. » (traduit du catalan).

Notons que le bulletin municipal de Latour-de-Carol a un titre qui se veut bilingue La Roufaque La Rufaca. Mais la version française n’est que la transposition phonétique de l’original catalan.

1 La Plana. En Cerdagne on distingue, depuis des temps immémoriaux, trois unités topographiques majeures orientées du N-E vers le S-O (depuis le col de la Perche vers le resserrement de la vallée avant la Seu d’Urgell). Elles sont considérées comme des noms propres. Les versants des deux chaînons de montagnes qui culminent à plus de 2 900 m (Puigmal, Carlit et Campcardós – ou Puig Pedrós) s’appellent Baga au sud et Solana au nord. Ils encadrent le large fond de la vallée où coule le Sègre, la Plana

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