LA RÉHABILITATION DES IMMEUBLES DES TRENTE GLORIEUSES : Entre démarche écologique et valeur historique
ÉTUD. UNIT
LEMOINE Louise
UE093 - E0932 - SEM. RECH.-LAB - Mémoire 3 - Mém. Init. Rech. DE MEM MARCOT Christian MASTER ARCHI
SRC
S09 INTERDEM 16-17 FI
© ENSAL
LA RÉHABILITATION DES IMMEUBLES DES TRENTE GLORIEUSES : Entre démarche écologique et valeur historique
ÉTUD. UNIT
LEMOINE Louise
UE093 - E0932 - SEM. RECH.-LAB - Mémoire 3 - Mém. Init. Rech. DE MEM MARCOT Christian MASTER ARCHI
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S09 INTERDEM 16-17 FI
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REMERCIEMENtS Je tiens à remercier Christian Marcot pour son suivi et nos échanges qui m’ont permis de m’ouvrir sur de nombreux champs de recherche. Merci à Anne Monique Bardagot pour ses conseils. Merci à Sophie Bertauche et Sylvain Mongellaz pour leur soutient et leurs relectures.
TABLE DES MATIÈRES p.11 Les grands ensembles 1. Une réponse à la crise du logement p.11 I.1.1. Le contexte social I.1.2. La réponse politique 2. Conception et construction des grands ensembles I.2.1. La standardisation du logement I.2.2. L’industrialisation du logement 3. Un besoin de reconnaissance pour un patrimoine discrédité
p.14 p.21 p.23 p.23
I.
1. Face à la démolition, quelle stratégie adopter ? II.1.1. Démolir et reconstruire II.1.2. Garder et construire avec II.1.3. Nuancer les approches 2. La réhabilitation II.2.1. Réduire l’énergie d’usage II.2.2. Améliorer le confort 3. Quelle posture pour leur valeur historique ? II.3.1. Réhabilitation invisible II.3.2. Requalification de l’image
p.31
p.37
p.38 p.38
p.43
Régénérer les grands ensembles
II.
Quelles pratiques pour une réhabilitation durable ? 1. Utilisation de matériaux locaux et naturels III.1.1. Réduire l’énergie grise III.1.2. Favoriser le dynamisme local 2. Favorisation des échanges entre les différents acteurs III.2.1. La conception pluridisciplinaire III.2.2. La place de l’habitant
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INTRODUCTION D’après une étude de Pike Research en 2010, « les bâtiments sont responsables de 49% de la consommation mondiale en énergie, et de 47% des émissions de gaz à effet de serre ». Le secteur de la construction consomme 40% de l’énergie primaire produite en France et produit 38 millions de tonnes de déchets par an. Le Bâtiment doit donc évoluer pour devenir plus respectueux de l’environnement. Architectes, nous avons la possibilité d’accélérer ce processus en repensant notre façon de concevoir. Comme l’a dit Alvar Alto dans son manifeste pour les villes : « L’architecture ne peut sauver le monde, mais elle peut donner le bon exemple ». Chaque étape du cycle d’un bâtiment, de sa conception à sa déconstruction en passant par sa réhabilitation, doit être réalisée avec un souci de respect de l’environnement afin de réduire la consommation de ressources et le rejet d’émissions polluantes. On oublie trop souvent « qu’un bâtiment perdure au travers des siècles alors que l’utilisateur en profite pour une durée de vie limitée »1. Les stratégies d’architecture pérenne constituent les démarches à suivre pour tout type de constructions architecturales. Dans cette perspective durable, il est donc important de s’interroger quant au recyclage des bâtiments existants. En effet, la réhabilitation de l’architecture existante, qu’elle soit remarquable ou plus modeste, représente un enjeu crucial en matière de développement durable. Ce processus se base sur la reconnaissance et la valorisation d’un bâtiment pour lui donner une seconde vie et le projeter dans un avenir plus durable : le recyclage pour stimuler et ouvrir la voie à une renaissance. Si, depuis 1975 et le premier choc pétrolier, toutes les constructions intègrent les obligations 1 Agence A. Bechu, extrait de Charlotte Guy, Qu’est-ce que le développement durable pour les architectes ?, Paris, Archibooks + Sautereau Éditeur, 2015.
d’une réglementation thermique de plus en plus exigeante, les bâtiments construits avant 1975 ne sont pas ou peu isolés. En France, sur les 31,3 millions de logements recensés, 19,1 millions, soit 61 % du parc, ont été construits avant la réglementation thermique de 1975. Très énergivores, ils sont responsables aujourd’hui d’une grosse part des émissions de gaz à effet de serre des villes. Avec un taux de renouvellement du parc de bâtiments très faible (compris entre 1 et 2 % par an), la rénovation de l’existant devient un enjeu majeur dans ce secteur. Pour cette raison, la France s’est fixé des objectifs ambitieux dans la loi du 3 août 2009, où l’objectif affiché consiste à réduire de 38 % la consommation du parc de bâtiments existant d’ici 2020. Les grands ensembles, symbole de l’urbanisme de masse des Trente Glorieuses, ne sont plus capables, dans leur forme actuelle, de répondre aux enjeux d’aujourd’hui et de demain. Les spectaculaires destructions de barres et de tours peuvent laisser croire que les logements sociaux d’après-guerre sont voués irrémédiablement à la démolition. Or ce n’est pas nécessairement le cas, et parallèlement la réhabilitation s’avère nécessaire, en raison des exigences environnementales. De plus, l’augmentation des charges énergétiques fragilise un peu plus les habitants et constitue la plus grande crainte des bailleurs sociaux. Cependant, les offices HLM n’ont pas attendu le Grenelle de l’Environnement et les différentes Réglementations Thermiques (RT) pour entamer cette profonde mutation. En effet, dès les chocs pétroliers des années 1970, ces logements ont bénéficié d’une première campagne d’isolation par l’extérieur, pour le meilleur et souvent pour le pire. Les dispositifs de financement ont favorisé la transformation des grands ensembles, qui se sont couverts de couleurs et de dégradés saugrenus, les stigmatisant encore davantage. Aujourd’hui il est temps de penser à
des interventions plus fines : la maîtrise d’œuvre s’élargit hors des cercles spécialisés, la maîtrise d’ouvrage s’ouvre à des solutions moins caricaturales en prenant également en compte les qualités architecturales de ces bâtiments. En effet, le processus de réhabilitation énergétique ne doit pas exclure une stratégie parallèle de valorisation d’un patrimoine caractéristique d’une période historique et architecturale précise. Cette démarche permet de requalifier et de pérenniser les bâtiments existants. De plus, ces ensembles de logements représentent un héritage bâti bien réparti sur le territoire métropolitain et dont la restructuration permettrait de redynamiser des quartiers aujourd’hui mal vécus. L’habitat proposé par les grands ensembles est souvent en mauvais état, car peu entretenu, et perçu comme signe d’un échec social, d’isolement et de ségrégation. Les restructurations permettraient de désenclaver ces quartiers en les réinsérant dans une trame urbaine cohérente et de replacer leurs habitants dans une dynamique de valorisation sociale. Chaque cas est particulier et appelle de nouvelles interventions contextualisées, où la technique rencontre le social et l’histoire. Le sujet renvoie donc à la question suivante : Quelle posture l’architecte doit-il adopter face à la nécessité de réhabiliter les ensembles de logements des Trente Glorieuses, tout en intégrant les enjeux de valorisation du patrimoine architectural et de respect de l’environnement ? Il s’agit de comprendre quelle complémentarité il existe entre ces deux aspects de l’architecture afin d’adapter ces édifices aux aspirations de l’architecture soutenable. À partir de l’étude d’un corpus majoritairement théorique, je tenterai d’expliquer et de présenter la dualité qu’il peut y avoir entre les
principes environnementaux et historiques sousjacents de la réhabilitation des immeubles de logements des Trente Glorieuses. Dans un premier temps, j’expliquerai dans quel contexte les grands ensembles ont été construits et de quelle manière ils sont perçus aujourd’hui. Dans la deuxième partie du mémoire, je traiterai de leur réhabilitation, devant à la fois prendre en compte les enjeux et obligations environnementaux comme les préoccupations de préservation et de valorisation du patrimoine. Enfin, ma troisième et dernière partie présentera les stratégies pouvant être mises en place pour améliorer le processus de réhabilitation afin qu’il devienne plus durable.
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I.
Lesgrandsensembles
1. Une réponse à la crise du logement I.1.1. Le contexte social À la sortie de la guerre, en 1945, la France est détruite, débute alors la phase de Reconstruction. Reconstruire et moderniser deviennent les maîtres mots pour le ministère de la Reconstruction et de l’Urbanisme, créé en 1944. Celui-ci permet au gouvernement de mener de nouvelles politiques publiques pour réaménager le territoire français. Pendant cette période, le secteur industriel va considérablement se développer notamment dans le domaine de la construction mais aussi dans celui de l’automobile. Cette croissance industrielle nécessite une main d’œuvre importante. Le gouvernement français met donc en place une politique nationale qui favorise l’immigration et va chercher cette main-d’œuvre dans le Sud de l’Europe (Italie, Portugal, Espagne). De plus, en même temps, le pays fait face à une augmentation très rapide de ses populations dans les villes à cause de l’importante croissance démographique engendrée par le baby-boom, des différentes vagues de colons, due aux politiques de décolonisation dans le monde (Indochine, Afrique), mais aussi d’un exode rural de masse. Ces populations pensent à un meilleur avenir en ville, c’est le rêve de la ville et des lumières. Le problème étant que durant la Reconstruction le gouvernement tarde à mettre en place de réelles politiques concernant l’habitat, s’installant dans une situation d’urgence. Ces populations vont devoir se débrouiller et donc vivre comme elles peuvent. « En 1945, les logements dignes sont rares. Habitations insalubres et baraques sont le lot des pauvres, jeunes et vieux […]. Vers 1950, apparaissent les premiers « bidonvilles ». Ce terme colonial s’exporte avec les Algériens
qui viennent travailler et se logent dans des baraques. Ils côtoient des Marocains mais aussi des Gitans, des Espagnols, des Français, des Portugais ou des Yougoslaves. La crise du logement et la reprise économique accentuent ce phénomène »2. En 1955, dans un souci « d’éviter ces villages indigènes », le ministère de la Reconstruction et de l’Urbanisme met en place des directives pour réglementer les bidonvilles.
La France manque toujours cruellement de nouveaux logements. « L’effort consenti depuis la Libération est faible, car l’accroissement du parc immobilier par la remise en état d’un million de logements abîmés et la construction de 200 000 logements neufs entre 1945 et fin 1952 est annihilé par l’évacuation de 800 000 logements, en raison de leur vétusté ou par suite de l›exode rural. Si bien que les 12,7 millions de logements ne permettent aux Français de disposer que d’1,1 pièce en moyenne, dans des immeubles dont l›âge moyen est de 120 ans en milieu rural, de 57 ans en milieu urbain »3. La crise du loge 2 Valérie Gaudard, Florence Margo-Scwoebel, Benoît Pouvreau, 1945-1975, une histoire de l’habitat: 40 ensembles de logements «patrimoine du XXe siècle», Paris, Ed. Beaux-Arts, 2010. 3 Christine Mengin, « La solution des grands ensembles », Presse de Science Po (1999).
ment est donc quantitative mais aussi qualitative. En effet, outre le problème de surface par habitant, un recensement de 1954 fait apparaître que 90% des logements n’ont ni douche ni baignoire, 73% n’ont pas de WC, 42% n’ont pas l’eau courante. Le 1er février 1954, dénoncée à la radio par l’Abbé Pierre, la crise de logement devient politique et permet de placer la construction avant la Reconstruction. Paradoxalement, avec l’arrivée de plusieurs aides financières, comme par exemple allocations familiales, toute la population, alors maîtresse d’un nouveau pouvoir d’achat, commence à s’intéresser au confort pour s’équiper et non pour se loger. Le confort par l’équipement puis le design s’installent petit à petit en France grâce notamment à des évènements comme le salon de l’art ménager, rebaptisé salon de l’habitat par la suite. Apparait alors un grand écart entre design de l’équipement et des objets et architecture : « de superbes couteaux dans une pauvre boîte à habiter »…
I.1.2. La réponse politique
Dans ce contexte de crise du logement, s’ouvre en France « l’ère de l’habitat de masse, qui revêt, pendant une vingtaine d’années, la forme urbaine du grand ensemble. En 1952, la création du secteur industrialisé constitue le prolongement de la politique expérimentale menée par l’administration de la Construction depuis une dizaine d’année en vue de l’industrialisation du bâtiment : il s’agit désormais de favoriser l’association architecte-entreprise »4. En effet, « la table rase » provoquée par la guerre et l’ampleur du chantier à entreprendre dans le domaine du logement permettent de réaliser le désir de réforme du bâtiment, jugé la plupart
4
Ibid.
13
du temps comme archaïque. Il faut bâtir la ville d’aujourd’hui et de demain, une ville moderne, fondée sur l’industrialisation du bâtiment. Ce principe est au fondement du concours, lancé en décembre 1950, pour la construction d’un ensemble de 800 logements, à livrer en un an et demi, à Strasbourg, la Cité Rotterdam. Dans le même esprit, s’ensuit ensuite, en 1952, le lancement de six autres grandes opérations, totalisant plus de 7000 logements, à Saint-Étienne, Le Havre, Bron-Parilly, Angers, Boulogne-sur-Mer et Pantin. « En 1953, le plan dit Courant, du nom du successeur d’Eugène Claudius-Petit au ministère de la Construction, marque le début du logement de masse en France, avec l’ambition de favoriser la construction de 240 000 logements par an, objectif qui sera atteint en 1956 »5. Même si le système se met très vite en place, le gouvernement n’arrive pas à tenir ses promesses en terme de quantité de logements construits et la France prend un gros retard par rapport aux autres pays d’Europe. Pour essayer de corriger cette insuffisance, l’État favorise de plus en plus les prêts à la construction des logements sociaux et met en place des programmes financiers pluriannuels grâce à la loi du 7 août 1975, dite « Loi-cadre construction ». Les ZUP (Zones à Urbaniser en Priorité) sont alors crées afin « d’optimiser les investissements publics en les concentrant sur des opérations dont la taille, au moins 500 logements, permet des économies d’échelle tant pour les infrastructures de desserte que pour que pour les équipements (scolaires et commerciaux) »6. Le développement de cette forme d’urbanisme se poursuit de façon constante de 1952 à la fin des années 1960. Il est difficile de chiffrer le nombre de grands en5 6
Ibid. Ibid.
sembles bâtis mais le tableau ci-contre montre que près de 6 millions de logements ont été construits en vingt ans.
Au début des années 1970, les ZUP sont remplacées par une nouvelle procédure, les ZAC (Zone d’Aménagement Concerté) où l’État n’est plus la seule maîtrise d’ouvrage. Effectivement, pour plus d’efficacité, la construction de logements ne peut plus être uniquement publique et les promoteurs et leurs investissements privés rentrent alors en jeu afin de proposer une plus grande diversité d’opérations d’urbanisme. Cependant, par la construction des ensembles de logements des Trente Glorieuses, l’urbanisme des villes devient inégalitaire. En effet, les centres ville des grandes villes sont complètement cristallisés et verrouillés, les politiques se tournent alors vers les quartiers périphériques qui présentent un véritable potentiel pour la construction des grands ensembles. Les banlieues deviennent alors le symbole de la ville moderne, complètement opposées à la ville tra-
ditionnelle du centre.
2. Conceptionetconstructiondesgrandsensembles I.2.1. L’industrialisation du logement Entre 1945 et 1953, le gouvernement essaie de trouver une nouvelle image pour les villes et l’architecture. Il arrive très vite au postulat que la ville verticale peut être la solution au manque de logement. Mais le paradigme va plus loin car il ne se traduit pas seulement par la construction de bâtiments de grande hauteur, c’est avant tout la volonté de transformer l’image de la ville horizontale. Les opérations de constructions à grande échelle sont lancées, renvoyant aux idées des villes satellites. Au début des années 1950, les architectes adaptent les principes de l’architecture moderne aux barres et aux tours (espaces communs, espaces paysagers, pilotis…). Le Corbusier, avec toutes ses recherches et la réalisation des Unités d’Habitation, et le Ministre de la Reconstruction et de l’Urbanisme, Eugène Claudius-Petit, prônent la qualité pour ces nouvelles constructions. Mais le Plan Courant, mis en place en 1953 par Pierre Courant, nouveau Ministre de la Reconstruction et de l’Urbanisme, favorise la construction de logements tant du point de vue foncier que du point de vue du financement. Cette procédure marque petit à petit le début du logement de masse et signent la fin des objectifs et des ambitions du début. En effet, pour faire face à la pénurie de logements, la solution semble être d’accroître la productivité du secteur du bâtiment. « Ainsi que le note le Conseil économique, “les programmes de construction continus et s’étendant sur une durée suffisante sont la condition indispensable
permettant aux constructeurs de s’organiser rationnellement, de s’équiper mécaniquement et d’accroître leur productivité”. En réponse à cette préoccupation, les pouvoirs publics établissent des programmes de construction pluriannuels, qui concernent préférentiellement des chantiers suffisamment importants (plusieurs milliers d’unités) pour permettre la production en série »7. Ces volontés politiques favorisent le développement de grandes entreprises au détriment de l’artisanat traditionnel. Les grands industriels sont les seuls à pouvoir suivre la cadence, mise en place pour ces constructions immenses. De plus, « ces politiques publiques en faveur d’une industrialisation du bâtiment, qui ambitionnent de produire des logements “comme des automobiles”, c’est-à-dire de transférer en usine et à une main d’œuvre non qualifiée certaines étapes du chantier, rencontrent l’adhésion de divers protagonistes du monde du bâtiment (ingénieurs, architectes, techniciens), médiatisé par les revues spécialisées »8. L’industrie du béton se développe considérablement et permet cette préfabrication en atelier. « Au sens strict, le terme de “préfabrication” désigne la production d’éléments préparés à l’avance, en atelier ou en usine, pour permettre de réduire le travail du chantier à de simples opérations de montage et de finition. Mais la répartition traditionnelle entre les différents corps d’état peut également s’en trouver bouleversée, comme l’illustrent par exemple les grands panneaux de façades intégrant les fenêtres, l’isolant et les revêtements intérieurs et extérieurs. Ces derniers relèvent de ce qu’on nomme “préfabrication lourde”. Au début des années 1950, les recherches se portent sur les parfois légères semblables à des 7 Ibid. 8 Guy Lambert, Valérie Nègre, extrait de Richard Klein, Gérard Hamel, Alex Mc Lean, Les grands ensembles – Une architecture du XXème siècle, Paris, Ed. Carré, 2011.
15
carrosseries d’automobiles venant se loger dans l’ossature en béton (largement privilégiée par rapport à l’ossature métallique). Ces panneaux complexes s’agrandissent par la suite pour cacher l’ossature préfabriquée, si difficile à réaliser de manière parfaitement réglée. Ces innovations vont de pair au cours des années 1960, avec l’amélioration du matériel de chantier (coffrages de grandes dimensions, chauffants, tunnels). Leur mise au point illustre une recherche de rentabilité consistant à industrialiser l’outillage plus que les produits du bâtiment, à la différence de la préfabrication »9. De plus, l’adoption du béton comme principal matériau de construction influe aussi sur les plans masses des opérations. Pour pouvoir mettre en place les systèmes de coulage du bé-
9
Gaudard, Margo-Scwobel, Pouvreau, op. cit.
17
ton (coffrages, banches…) et faciliter le travail des appareils de levage, le « chemin de grue » se généralise et se répercute sur l’organisation du chantier, linéaire, et sur les plans d’aménagement des espaces, orthogonaux. En effet, « dans les années 1950-1960, pour rationaliser le processus de construction, on recourt à un système de voie de rails pour faire rouler la grue de chantier. De cette manière, de chaque côté de la voie, de longue barres de logements sont élevées. Le plus souvent orthogonales, elles peuvent aussi être courbes, selon le tracé de la voie. Cette technique, inspirée par le fordisme et intitulée “chemin de grue”, est caractéristique de la conception moderne de l’architecture et de l’urbanisme »10 Industrialiser, préfabriquer, rationnaliser la construction permettent d’optimiser le temps et les coûts de construction. « Ainsi, alors qu›en 1955, on estime à 3 600 heures le temps de travail nécessaire pour produire un logement familial moyen, au début des années I960, il n’en faut plus que 1 200. Toutefois, cette réduction spectaculaire est acquise par la concentration des chantiers, la répétitivité des plans, la standardisation de plus en plus poussée des produits et des composants, la préfabrication des éléments structurels que sont les poteaux, les poutres et les dalles plutôt que par l’industrialisation de la construction au sens plein du terme »11. En 1952, une vaste opération de construction de logements est lancée à Bron afin de répondre au besoin urgent de logements dans la région lyonnaise. C’est un des premiers grands ensembles européens de l’après-guerre. Dans un premier temps, le site doit accueillir 800 logements mais ce nombre est revu à la hausse et est program10 11
Ibid. Mengin, op. cit.
mé, par la suite dans le cadre du Plan Courant, plus de 2600 logements. La construction du logement de masse débute donc à Bron au milieu des années 1950, avec comme objectif de promouvoir « le droit au logement, le droit au soleil et le droit à la vue pour tous ». Les architectes Pierre Bourdeix, René Gagès et Franck Grimal conçoivent douze barres, des Unités de Construction, reprenant les orientations et les idées modernes de Le Corbusier. Exactement contemporaine des Cités Radieuses, l’opération de Bron-Parilly leur ressemble beaucoup, sauf pour quelques points majeurs comme le toit non aménagé et l’absence de pilotis. De plus, chez Le Corbusier, le traitement total des multiples fonctions (habitat, écoles…) dans les Unités d’Habitation comme une ville verticale s’oppose à celle de Bron où seule la fonction d’habitat est présente. Cependant, dans les deux opérations, les façades, où se déploie toute la complexité des typologies d’appartements, se rapprochent beaucoup avec un traitement de la loggia très similaire. Cependant, bien qu’encore proches des idées modernes, pour cette opération, les architectes mettent en place une construction industrialisée de l’ensemble avec un accent mis sur la préfabrication. En effet, « au point de vue constructif, il s’agissait d’obtenir une industrialisation maximum du chantier. Trois idées directrices ont permis d’atteindre ce but : la standardisation des éléments ; la fabrication en atelier et en usine du plus grand nombre de ces éléments principalement en ce qui concerne les corps d’état secondaires ; l’indépendance des corps d’état »12.
I.2.2. La standardisation du logement Parallèlement
à
l’industrialisation
12 juillet 1966. « Unité de voisinage de Bron-Parilly, France », l’Architecture d’Aujourd’hui n°66
de
l’habitat, « pour la première fois, une politique concertée du logement est mise en œuvre au niveau national. La voie est ouverte aux innovations destinées à améliorer l’habitat familial »13. D’un point de vue global, les caractéristiques principales des grands ensembles sont donc d’être des opérations de grande taille incarnant une simplicité fonctionnelle, la fonction résidentielle exclusivement, avec quelques espaces de la vie quotidienne (écoles, commerces…). Pour pouvoir réaliser ces immenses opérations, l’État a besoin de grands terrains et se tourne vers les parcelles agricoles en périphérie des villes. Cela facilite l’accès au foncier réduit les coûts en évitant le remembrement coûteux des terrains déjà construits. Pour mener à bien ces projets de grande envergure, se met alors en place une équipe pluridisciplinaire toujours constituée du conseil municipal, d’une société immobilière en contact direct avec le Préfet, d’une équipe de conception (Architecte et Bureau d’Étude) et d’une entreprise générale. En effet, il s’agit aussi de
simplifier et rendre opérationnelle les prises de décisions. 13
Gaudard, Margo-Scwobel, Pouvreau, op. cit.
Architecturalement, les grands ensembles sont composés de deux typologies de bâtiments. Ersatz des gratte-ciels, les tours sont des ensembles de logements pouvant atteindre les 30 étages. La réglementation oblige de mettre en place à partir du 31ème étage un système coupe-feu, les architectes arrêtent donc la hauteur des tours juste avant afin d’éviter ces procédures. Les barres, quant à elles, sont des ensembles de logements pouvant atteindre facilement 100m de long, voir plus comme la Muraille de Chine à Saint-Etienne, barre qui mesurait 270m de long. Elles sont de faible hauteur (4 à 10 étages) afin d’éviter la mise en place d’ascenseurs, dispositif coûteux. Pour ces deux typologies, tours comme barres, ce sont donc les lois et les réglementations qui encadrent l’architecture. Elles évoluent pour chaque projet. Afin de ne pas subir ces contraintes, financières et techniques, la stratégie consiste donc à se situer juste à la limite de l’autorisé. En ce qui concerne les typologies de logements, on retrouve majoritairement des T3 et des T4 car ils répondent « à un modèle familial [précis] sous-jacent, celui du couple avec ses deux enfants »14 et sont en adéquation avec la politique de prêts mis en place par l’État avec les banques. Les T5 et les T6 sont des exceptions. Quant aux T1 et aux T2, ils sont rares car ils sont adressés aux jeunes et aux personnes âgées ainsi qu’aux célibataires, modèle familial non favorisé par l’État. Cette répartition des typologies a des conséquences dangereuses pour la structure démographique et sociétale, en provoquant une certaine forme de ségrégation. En effet, elle favorise l’entassement des populations, ne pouvant pas avoir de parcours résidentiel si elles 14 Jean-François Pousse, Vers de nouveaux logements sociaux : Tome 2, Ed. Silvana, 2012.
19
aspirent à mieux et à un habitat plus grand. De plus, la répartition des logements dans les immeubles d’habitation est combinatoire et homogène. Les modules de logements identiques, car peu de variété typologique, forment une trame rythmée rendant, dans la plupart des cas, la façade monotone et plate. Cependant, la production architecturale des Trente Glorieuses marque la rupture avec le parc de logements français qui, au sortir de la Seconde Guerre mondiale, compte parmi les plus vétustes d’Europe. En effet, tout sera mis en œuvre pour améliorer les qualités de l’habitat. « Optimiser l’espace et améliorer le confort : des préoccupations majeures de l’architecture du logement des années 1950-1960, confirmées par la mémoire des habitants. »15. Encore loin des préoccupations thermiques actuelles, un point essentiel de l’architecture moderne est l’ouverture du logement à la lumière grâce à des vues dégagée. Les architectes mettent donc en place de grandes ouvertures qui posent problèmes, aujourd’hui, pour les déperditions thermiques. De plus en plus, les architectes poursuivent les espaces intérieurs par des prolongements exté-
15 Jean-Michel Léger, extrait de Gaudard, Margo-Scwobel, Pouvreau, op. cit.
rieurs, balcons ou loggias. Cette démarche vient directement de l’héritage de Le Corbusier. À l’époque, les espaces communs et les circulations (escaliers ou coursives) sont vastes et généreux. En effet, pour les architectes, ils sont de véritables espaces de convivialité, activateurs de liens sociaux. Là, aussi on retrouve un principe du travail de Le Corbusier dans l’Unité d’Habitation avec la rue intérieure. « Dans la seconde moitié du XIXème siècle, l’hygiénisme présidait à l’existence du logement populaire, en amont même de sa conception : un logement décent pour les ouvriers était le meilleur moyen d’éviter la propagation de la tuberculose. La crainte de ce péril perdurant jusqu’à la fin des années 1950, c’est seulement à cette époque que l’on commence à penser à autre chose, en l’occurrence au confort.[…] Au début des années 1950, perdurent les habitudes de l’économie constructive de l’entre-deux-guerres et l’hygiène d’une époque où la douche est loin d’être quotidienne, si bien que le «bloc-eau» reste le modèle »16. Le « bloc-eau » comprend à la fois la cuisine, la salle de bain et les WC. Petit à petit, la salle de bain s’éloigne de la cuisine et exprime donc la séparation d’une double continuité fonctionnelle : cuisine et séjour sont la partie « jour », chambres et salle de bain sont la partie « nuit ». Du « bloc-eau » on passe à une partition « jour-nuit ». Ce déplacement témoigne de l’évolution des modes de vie et de l’individualisation des usages. De plus, « après l’eau, l’air et la lumière, l’idée de confort est matérialisée par les mètres carrés, mais aussi la spatialité et l’intimité qui fondent l’habitat. Entre 1945 et 1975, la surface moyenne des logements a varié comme un accordéon, y compris dans le secteur social, pourtant le plus soumis aux normes. Beaucoup de ces logements 16
Gaudard, Margo-Scwobel, Pouvreau, op. cit.
paraissent grands aujourd’hui parce qu’ils sont composés de quatre et cinq pièces mais la surface des pièces de référence (cuisine et séjour) s’avère souvent étroite pour les usages actuels. Leur équipement et en revanche plus complet, à un moment où la conception de l’habitation aspire à combler le dénuement des ménages : séchoir, rangements intégrés ou encore tablette devant la fenêtre, […] »17. 17
Ibid.
Mais très vite, on passe à une idée mécanique et standardisée de la production architecturale avec une volonté de réduire les coûts. Construire beaucoup et rapidement. Il apparaît alors une baisse de la qualité architecturale avec un abaissement des surfaces et des prestations : isolations thermique et phonique peu performantes, parties communes sacrifiées et abandon de la notion de socle, peu d’esthétisme avec des façades édulcorées. « Je déplorais la laideur des enduits, la couleur des bétons. Le siècle du ciment armé posait pour moi les problèmes de l’aspect, du revêtement, de la peau de l’édifice »18. Dans l’opération de Bron-Parilly, bien que les architectes mettent l’accent sur la préfabrication de leur bâtiment, ils travaillent aussi sur le mode et la manière d’habiter dans leurs barres. En effet, gain de place, modularité des espaces, circulation dans le logement, lumière, confort moderne sont pour eux des points essentiels pour habi18 Fernand Pouillon, extrait de Gaudard, Margo-Scwobel, Pouvreau, op. cit.
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ter la modernité. Le reportage de l’époque « Visite d’un appartement témoin HLM à Bron-Parilly » insiste sur le confort et la modernité des logements. Le premier plan sur le portemanteau dépliable est à l’image de l’ensemble du reportage qui souligne le côté fonctionnel de l’appartement et de son ameublement. « Cet appartement, vous le voyez, est de dimension réduite puisqu’ici, nous avons un F3, c’est-àdire une salle de séjour, une cuisine et deux chambres pour trois ou quatre personnes. Mais comme vous l’avez vu aussi, chaque chose étant bien à sa place et disposée de façon pratique, chaque personne du foyer, parents et enfants peuvent vivre confortablement et agréablement. Il y a mille et une manières d’aménager un appartement avec des meubles modernes et surtout avec ces très vastes placards qui forment cloisons entre le côté séjour et le côté chambre. On peut obtenir beaucoup d’ordre aussi bien du mari que des enfants. Pour lui évidemment, l’installation d’une cuisine laboratoire aussi est d’un intérêt indéniable et pour les enfants, vous le verrez, une loggia ensoleillée avec un grand coffre à jouets leur donne toute la place dont ils ont besoin »19.
3. Un besoin de reconnaissance pour un patrimoine discrédité
Aujourd’hui, « le rejet des tours et des barres est la partie la plus évidente du malaise suscité par une forme urbaine et architecturale qui, paradoxalement, a fait l’objet d’un accueil enthousiaste »20. En effet, peu de temps après leur construction, ils apparaissent par leur autar19 Extrait du reportage ORTF – Journal télévisé, 1960. Visite d’un appartement témoin HLM à Bron-Parilly, 2’60 20 Ariella Masboungi, Régénérer les grands ensembles, Paris, Projet Urbain – Editions de la Villette, 2005.
cie urbaine et leur répétitivité, comme « ce qu’il ne faut plus faire ». Cette forme urbaine, concentrée en périphérie des villes, est rapidement en rupture avec l’environnement pavillonnaire qui se déploie dans les années 1980. L’aspiration à la maison individuelle contribue à disqualifier l’habitat collectif et les grands ensembles se voient « refuser le statut de ville, pour revêtir l’appellation de cité assez peu élogieuse dans l’imagerie populaire »21. Au fil des années, leur situation ne fait qu’empirer et les logements des Trente Glorieuses présentent de plus en plus de « pathologies ». Leur séparation avec la ville ou leur enclavement est sans doute un de leur problème majeur. Cette coupure urbaine s’accentue avec la ségrégation des habitants, population présentée comme en difficulté avec une concentration de familles dites «lourdes» et de population d’origine étrangère. « Autre dysfonctionnement majeur, leur manque de mutabilité interdit toute implantation non prévue, toute initiative. L’absence de parcellaire à la bonne échelle (les grands ensembles constituent souvent une seule grande parcelle), le propriétaire unique ou le faible nombre de propriétaires (généralement les bailleurs), la rigidité du bâti, la présence éventuelle de copropriétés dégradées et bien d’autres raisons concourent à la dégradation, tant physique, urbanistique que sociale et économique »22. En 1999, Robert Lion écrit : « […], la situation de ces quartiers se détériore continûment, reflétant à la fois la relégation hors les murs des populations modestes, dues aux aberrations anciennes du marché foncier, et le dérèglement de la société, où il est question de familles éclatées et d’horizons bouchés, de racisme, de drogue et de criminalité »23. 21 Ibid. 22 Pierre Riboulet, extrait de Ibid. 23 Robert Lion , extrait de Gaudard, Margo-Scwobel, Pouvreau, op. cit.
Cependant, depuis un certain nombre d’années, les États européens s’accordent sur la nécessité pressante de reconnaissance de ce patrimoine. En effet, soulignant qu’une absence d’intérêt suffisant pour la conservation des grands ensembles s’accompagnerait de pertes irréparables et priverait les générations futures d’une période de la mémoire architecturale, l’État français a mis en place, dans sa politique générale, plusieurs mesures afin de les protéger ou valoriser. La première des mesures est la mise en place du label Patrimoine du XXème siècle, en 1999 par le Ministère de la Culture et de la Communication. Ce label permet de protéger certains grands ensembles, les plus significatifs, afin « de sensibiliser les collectivités territoriales, les propriétaires et le public à l’intérêt de ces constructions, sans recourir systématiquement à une mesures juridiques contraignantes. […] L’attribution de ce label à des ensembles de logements de la seconde moitié du XXème siècle permet d’appeler l’attention sur la richesse de ce patrimoine architectural, sans nuire à ses nécessaires évolutions, dans un contexte particulièrement sensible de pénurie de logement […] et d’amélioration indispensable des performances énergétiques. »24. Le label Patrimoine du XXème siècle contribue donc à la reconnaissance des immeubles des Trente Glorieuses. La seconde mesure que je présenterai est la création de l’ANRU (Agence Nationale pour la Rénovation Urbaine), en 2003 par l’article 10 de la loi d’orientation et de programmation pour la ville et la rénovation urbaine. Cet établissement public à caractère industriel et commercial a été conçu afin d’assurer la mise en œuvre et le financement du PNRU (Programme National de 24 Frédéric Mitterrand, alors ministre de la Culture et de la Communication, extrait de Gaudard, Margo-Scwobel, Pouvreau, op. cit.
Rénovation Urbaine). Ce dernier fait entrer le renouvellement urbain dans l’ère de la ville durable. Il vise une meilleure articulation entre les dispositifs touchant, d’un côté, à la transition énergétique et à la qualité de l’architecture et du cadre de vie et, de l’autre, au contexte économique et social des quartiers, conçus et réalisés dans leur immense majorité dans la deuxième moitié du XXème siècle. « Faire des quartiers en difficulté de vrais quartiers de ville, et de populations aujourd’hui marginalisées des citoyens à part entière, telles sont les ambitions du programme national de rénovation urbaine. Il ne s’agit guère de stigmatiser les grands ensembles sous prétexte que cette forme urbaine serait à bannir, ni d’ignorer l’attachement des habitants à des quartiers qui font partie de leur histoire, de leur culture, de leur vie sociale et de leur ancrage dans la société. Mais il faut réparer de lourdes erreurs et porter remède à de graves dysfonctionnements pour agir en faveur de l’équité urbaine et sociale en refusant les coupures urbaines, l’environnement médiocre et l’absence de qualité d’une certaine forme d’habitat et d’urbanisme. Tel est le sens de l’action entreprise en faveur des quartiers en difficulté »25.
II. Régénérer les grands ensembles
1. Faceàladémolition,quellestratégieadopter ?
« Dans ma jeunesse, la démolitionreconstruction des îlots insalubres s’appelait rénovation urbaine, terme lui aussi prometteur. On les remplaçait par des barres et des tours que
25 Jean-Louis Borloo, alors ministre de l’Emploi, de la Cohésion sociale et du Logement, extrait de Masboungi, op. cit.
23
l’on s’emploie à démolir aujourd’hui. L’histoire se
répète avec, à chaque fois des dépenses monstrueuses et un gâchis social que personne ne se soucie d’évaluer »26. Actuellement, la place des immeubles des années 1950-1960, dans les villes françaises est très controversée. En effet, ces grands ensembles sont généralement vus comme un échec de l’urbanisme français tant architecturalement que socialement. La politique des villes est donc de restructurer, de remodeler et de transformer ces quartiers en profondeur afin de les réinsérer dans les villes. « Entre «remodelage» et «rénovation», il y a une volonté plus ou moins affirmée de «respecter» ou de «remplacer» l’existant – forme atténuée de l’opposition entre muséification et tabula rasa, deux attitudes qui marquent l’histoire de la fabrication des villes. Dans tous les cas, aujourd’hui, il s’agit de faire du nouveau, avec un objectif commun : réorganiser les quartiers durablement, valoriser les lieux et améliorer la vie des habitants »27.
II.1.1. Démolir pour reconstruire
Depuis le lancement du PNRU (Plan Natio-
26 27
Pierre Riboulet, ibid. Ibid.
nal de Rénovation Urbaine) en 2003 par JeanLouis Borloo, alors ministre de la Ville, la plupart des grands ensembles ont fait l’objet de lourdes opérations de réhabilitation. L’ANRU (Agence Nationale pour la Rénovation Urbaine), créé afin d’assurer la mise en œuvre et le financement du PNRU, a engagé la restauration en profondeur de plus de 500 quartiers. Cependant, le bilan de l’action de l’ANRU pour la rénovation urbaine est mitigé. En effet, bien que ses interventions aient indéniablement amélioré les conditions de vie dans ces quartiers, l’ANRU démolit beaucoup
mais construit peu. Cette démarche a été pointée du doigt car le plan prévoyait une construction pour une démolition. Mais ce rapport n’était que de 66% à la fin des années 2000. Aujourd’hui, la France fait toujours face à un manque de logements notable, il est donc invraisemblable de réduire son nombre en démolissant. De plus, la démolition de barres et de tours d’habitation est un acte fort ayant de réelles répercussions socialement. En effet, cette démarche oblige les habitants à quitter leur logement, lieu de vie et de souvenirs… « J’ai vécu toute ma vie au Mas. Mes parents ont acheté un appartement en 1970. Je suis né là-bas et mes sœurs aussi. C’est très émouvant pour moi de voir les barres
être détruites aujourd’hui… »28. Néanmoins, dans certains cas, la démolition trouve un sens quand la structure des immeubles est altérée car leur réhabilitation serait beaucoup trop onéreuse. Cependant, la démolition ne doit jamais être une fin en soi et doit s’inscrire dans un projet global. « […] démolir est un outil dont il ne faut pas se priver quand le diagnostic technique ou urbain l’impose et la nostalgie n’est pas de mise, même si la patrimonialisation des grands ensembles peut se justifier dans certains cas. Mais cette démolition n’a pas de vertu en soi et ne peut tenir lieu de projet. Elle s’inscrit d’abord dans une stratégie qui relève souvent de la volonté de désenclavement, de lien, d’image. Les expériences de Vaulx-en-Velin ou de la Duchère à Lyon montrent qu’une stratégie de qualité peut additionner les outils, de la planification à grande échelle jusqu’au projet urbain, en passant par la qualité de l’espace public et l’appel à des concepteurs de talent. Car sans actions sur tous les registres la transformation spatiale serait chose vaine »29 Beaucoup de quartiers ont connu des chantiers de rénovation urbaine, entre démolitions et remodelages. C’est notamment le cas de la Duchère à Lyon. Ce quartier constitue le deuxième volet de l’histoire des grands ensembles de la région lyonnaise, après Bron-Parilly. Le quartier est divisé en quatre secteurs : le Plateau, situé dans la partie centrale de l’opération ; le Château, plus au Sud ; Balmont, au Nord-Est et la Sauvegarde au Nord-Ouest. Chacun de ces espaces a été aménagé avec des stratégies différentes. En effet, le Plateau concentre à lui seul près de 80% des logements sociaux de l’opération avec la construction de sept immenses barres, comptant 2300 logements et d’une tour panoramique. 28 Paroles d’un habitant du Mas-du-Taureau à Vaulx-enVelin, le 02 juin 2016 29 Masboungi, op. cit.
Afin d’induire une certaine mixité sociale à l’ensemble, dans les quartiers de Balmont et de la Sauvegarde sont construits des immeubles de faible hauteur aux typologies variées. L’urbanisme d’hier ne convient plus aux attentes des habitants d’aujourd’hui et plusieurs évènements violents (émeutes) éclatent à la fin des années 1990 et au début des années 2000. En 2003 le quartier de la Duchère fait l’objet d’un Grand Projet de Ville et depuis une dizaine d’année, la ville de Lyon a engagé une ambitieuse opération dans le cadre de convention avec l’ANRU, dans le dessein de redynamiser ce quartier en difficulté. Le quartier a été complétement métamorphosé en densifiant le tissu urbain jusqu’alors trop dispersé. Aux postulats urbains du Mouvement Moderne succède désormais un urbanisme d’îlots et de rues destiné à recréer une vie sociale et commerciale autour de nouveaux espaces urbains. Pour cela, la Duchère a dû faire face à la démolition spectaculaire de nombreuses barres, notamment celles de la barre des Mille, immeubles de treize étages chacun, qui ont été remplacées par des opérations de cinq à sept niveaux ouvrant sur des cœurs d’îlots aménagés. Cependant, même si toutes ces opérations renouvellent durablement le quartier, est-ce-que toutes ces démolitions étaient véritablement justifiées ?
II.1.2. Garder l’existant et construire avec
« Le patrimoine est précieux. Un bâtiment conserve toute l’énergie que l’on a investie pour le construire. Derrière chaque édifice, il y a un véritable investissement humain, énergétique et matériel. Une «énergie grise» qu’il faut considérer avant d’envisager une démolition pour une reconstruction ».30 Les politiques urbaines de ré-
30
Archigroup, extrait de Guy, op. cit.
25
habilitation de l’existant permettent d’éviter la destruction d’un potentiel construit qui rejetterait beaucoup trop d’énergie. Le processus de réhabilitation se base sur la reconnaissance et la valorisation d’un bâtiment construit pour lui donner une seconde vie plus durable : le recyclage pour stimuler et ouvrir la voie à une renaissance. Réutiliser, doit être la logique de l’époque, une démarche qui s’apprécie à l’aune des stratégies à déployer dans une optique durable. En effet, « il est indispensable de mesurer la pertinence de la démolition des bâtiments existants sur le site. Bien souvent leur réhabilitation et/ou leur extension est, d’un point de vue de l’empreinte écologique de l’opération, plus pertinente que leur démolition ».31 L’architecture à partir de l’existant est un moyen efficace de diminuer la consommation d’énergie totale du secteur de la construction. En effet, la réutilisation d’un bâtiment déjà présent permet de réduire l’énergie en n’en rejetant pas pour la démolition ainsi que d’en économiser face à un gros œuvre déjà construit. Comme énoncé précédemment, la démolition n’a de sens que si la structure du bâtiment est altérée. Or la plupart des immeubles des années 1950-1960 ont été bien construits et, s’ils ont été entretenus correctement, ont pour seul problème aujourd’hui d’être des passoires thermiques. Éviter la démolition ne répond pas seulement à des questions énergétiques. En effet, l’architecture témoigne d’une période de l’histoire de l’architecture précise et les bâtiments nous permettent de comprendre la logique constructive de l’époque. Si les immeubles des Trente Glorieuses sont, pour la plupart, vus comme un patrimoine existant banal, notre rôle, en tant qu’architecte, n’est pas de les détruire mais plutôt de les valoriser et de les requalifier. Sur31 François-Hélène Jourda, Petit manuel de la conception durable, Paris, Archibooks + Sautereau Éditeur, 2012.
tout que ce patrimoine, encore mal connu, recèle un grand nombre d’avantages, notamment celui de comprendre beaucoup de logements et nous en manquons aujourd’hui. « Nous ne comprenons pas la logique de démolition des grands ensembles, qui conduit à perdre tant de logements. C’est une histoire d’économie, qui devrait en fait être une histoire d’architecture et d’urbanisme »32. Notre rôle est de tirer les bénéfices des qualités intrinsèques des grands ensembles comme leur solidité et leur qualité constructive, leur minimalisme des réseaux de distribution grâce à la superposition et la verticalité des logements, la potentialité de vues et de transparences qu’ils offrent, leur spatialité… Toutes ces caractéristiques doivent être fédératrices de projet. « Faire avec, pour faire plus et faire mieux »33. L’opération de réhabilitation de la tour Bois-lePrêtre dans le 17ème arrondissement de Paris est un bon exemple de projet réalisé pour éviter la démolition. Cette tour de 50m, conçue en 1959 par l’architecte Raymond Lopez, a été construite à partir d’un système constructif industriel constitué de panneaux préfabriqués assemblés sur une trame standardisée de voile béton de 16cm et de plancher béton de 26cm sur une portée de 7,20m. En 1990, seulement trente ans après sa construction, l’OPAC de Paris souhaite réaliser des travaux de mise aux normes de la tour et de rénovation : isolation par l’extérieur, sécurité, chauffage, pose d’une grille d’entrée, réfection des façades. C’est le bureau d’études techniques TECTEAM qui réalise ces modifications. Grâce au système constructif, les panneaux de façade sont remplacés par de nouveaux modèles mieux 32 Jean-Philippe VASSAL, extrait de Hubert Lempereur, « Habitat social : 1950-70 réhabilitation », AMC – Le Moniteur Architecture n°213, mars 2012. 33 Jean-Philippe VASSAL, ibid.
27
isolés, mais qui réduisent également la taille des ouvertures et donc l’apport de lumière à l’intérieur des logements. Les balcons n’existent plus, la façade reçoit un triste lifting et est repeinte en rose. En mars 2002, dans le cadre du Grand Projet de Renouvellement Urbain, la Ville de Paris prévoit d’agir sur 11 sites. Ce projet a pour but d’améliorer la qualité de vie des quartiers périphériques. Un des sites retenus est la Porte Pouchet, un projet urbain est alors réalisé par CO-BE Architecture et Paysages + Trévelo & Viger-Kolher. Celui-ci propose la destruction de la tour Borel située trop près des nuisances du périphérique et d’un tiers de la barre Borel. La tour Bois-lePrêtre est, quant à elle, conservée. En 2005, L’OPAC lance un concours d’architecture pour « la transformation de la Tour Bois-lePrêtre et de ses conditions d’habiter » et confie à l’architecte Françoise-Hélène Jourda une mission d’Assistance à maîtrise d’ouvrage spécifique à cette opération pour l’organisation du concours, la concertation avec les locataires et
la prise en compte du développement durable dans le projet. Le concours est remporté par Frédéric Druot, Anne Lacaton et Jean-Philippe Vassal. Les architectes vont pouvoir appliquer et adapter à la tour les études menées lors de leur recherche PLUS - les grands ensembles de logements – territoires d’exception. Dans cette étude, les architectes développent des propositions pour offrir une alternative à la démolition des grands ensembles en leur donnant du « plus » : il s’agit de s’appuyer sur leurs qualités pour leur donner plus de lumière, plus d’espace, plus de singularité, plus de commodité… cette approche induit un travail au cas par cas pour retraiter le raccord au sol, les parties communes, la réorganisation par l’intérieur. Le gros avantage de ce type de projet est un coût environ 8 fois inférieur au processus de destruction/reconstruction. Par ce projet, l’OPAC de Paris veut donc démontrer qu’en dépensant moins (100.000 € par logement contre les 170.000 € nécessaire à une démolition reconstruction) l’opération réhabilitation de la tour sera plus réussie que
dans du logement neuf. Ici, cette décision prend d’autant plus de sens que le système constructif poteaux-dalles combiné au système de façades par panneaux de la tour recèle un fort potentiel de transformation. « On a beaucoup entendu dire que cette tour était moche. Comment peuton dire cela d’un lieu où vivent, aiment, meurent des gens depuis 1962 ? Elle était devenue obsolète techniquement. Insalubre, car abandonnée par le bailleur. Un tuyau de toilettes fuyait sur seize étages. Mais la structure est très bien, nous l’avons gardée »34.
II.1.3. Nuancer les approches
« Par principe, je suis contre l’idée de démolir des structures existantes bien souvent réutilisables, parce qu’on nie l’histoire et une quantité de choses qui vont avec : bois, pierres, enduits – travaillés ou non, qu’importe – une quantité de choses. Parfois il est naturel d’en passer par là, mais je trouve qu’on détruit beaucoup sans raison, systématiquement. De la même façon, je trouve tout aussi systématique et stérile l’attitude quasi paranoïaque qui consiste à vouloir tout préserver. Ce qui est étrange dans la vie et la culture contemporaine, c’est le constant manque d’équilibre, ces attitudes en zigzag qui passent indifféremment d’un opposé à un autre, sans souci d’inclusion »35. Dans certains cas, les architectes ne doivent pas prendre de décisions radicales entre conservation ou destruction complètes. En effet, parfois le simple fait de ne démolir qu’une partie d’un immeuble permet de générer un nouveau projet. C’est le cas à la Villeneuve à Grenoble, dans le secteur Nord de l’Arlequin, où la démolition de l’aile Nord d’un des immeubles, comprenant 68 logements, a permis 34 35
Frédéric Druot, ibid. Alvaro Siza, extrait de Masboungi, op. cit.
de désenclaver le quartier. En effet, la restructuration passe, en plus de la réhabilitation de l’ensemble des immeubles, par la création d’un nouvel axe de circulation piéton, planté d’arbres, en lieu et place de cette partie d’immeuble démolie. Cette nouvelle rue permet une meilleure liaison entre le quartier et le tramway qui passe à proximité. Un autre projet, celui de la réhabilitation de la Cité Arago à Pessac en 2011 par l’architecte Martin Duplantier, traduit bien aussi la pertinence d’une démolition partielle. « Si nous étions libres de proposer ce que nous voulions, la volonté de tout démolir n’a jamais été exprimée par la maîtrise d’ouvrage. Nous avons opté pour une démolition partielle. En débloquant des verrous urbains, nous reconnectons l’ensemble aux parcs et aux équipements proches. Nous libérons aussi un peu de foncier permettant de diversifier les typologies de logements. Nous pouvions assurer la transition vers le tissu pavillonnaire alentour. Ces sauts d’échelle brusques ont des conséquences sociales qu’il ne faut certainement pas minimiser »36. Si la démolition partielle a des répercutions à l’échelle du quartier, elle peut être aussi une stratégie mise place à l’échelle du bâtiment. « […]il ne faut démolir que lorsqu’on sait pourquoi, et pas tout d’un coup : sur mes projets, j’ai constaté qu’avec moins de 8% de démolition, on peut changer radicalement les choses»37. Dans le projet de restructuration du quartier de la Duchère à Lyon, à côté des opérations neuves, plusieurs opérations de réhabilitation ont été menées, à l’image de la barre 200 et de la barre 320. Cette dernière a fait l’objet d’une démolition 36 Martin Duplantier, extrait de Jean-Philippe Hugron, « Rénovation urbaine : l’abus de la destruction », Ecologik n°52, décembre-janvier-février 2016-2017. 37 Philippe Panerai, extrait de Lempereur, op. cit.
29
grande hauteur, d’épaissir la barre d’une peau de 2,50m afin d’agrandir les séjours, en créant des jardins d’hiver et des terrasses. À partir du onzième étage, le bâtiment voit la construction de superstructures habitées faites de maisons superposées.
2.
La réhabilitation
« Tous les bâtiments neufs augmentent le volume bâti et donc la consommation énergétique. La consommation d’énergie ne peut être diminuée sérieusement qu’en évitant de construire de nouveaux bâtiments et en prenant des mesures adaptées pour le bâti existant […] »38. Le processus de réhabilitation inverse la pratique de l’architecte par rapport aux démarches architecturales appliquées à la construction neuve : « form follows fonction », Louis Sullivan. En effet, contrairement aux principes de l’architecture moderne où, à partir de la feuille blanche, la forme découle d’un ensemble d’éléments extérieurs, le travail à partir d’édifices existants commence par la découverte d’espaces que l’architecte remodèlera à la manière d’un sculpteur : « […] intervenir sur un édifice existant c’est composer avec lui, c’est jouer avec des contraintes qui s’ajoutent à celle du programme et des règlements. Ces contraintes sont des supports à l’imaginaire, elles permettent de développer des solutions architecturales qui n’auraient pas été inventées ex nihilo »39. Le processus de réhabilitation permet de requa-
partielle par écrêtage menée par l’atelier Castro-Denisoff. Pour transformer cette barre, les architectes proposent de construire un socle de
38 Roberto Gonzalo, Karl J. Habemann, Architecture et efficacité énergétique : Principes de conception et de construction, traduit par Y. Minsart, Ed. Springer Science & Business Média, 2008. 39 Bernard Reichen et Philippe Robert, extrait de Emmanuelle Réal, Reconversions – L’architecture industrielle réinventée, Haute Normandie, Ed. L’Inventaire Général du Patrimoine Culturel Région Haute-Normandie, 2013.
31
lifier et pérenniser l’architecture. Cette stratégie de recyclage architectural permet d’exploiter le potentiel des bâtiments existants, typologies de logements variées, qualités des matériaux, qualités lumineuses et structurelles, que ne présentent pas les constructions neuves. La qualité des volumes, des espaces, des matériaux de l’existant sont des plus-values qui présentent généralement des avantages considérables face aux constructions neuves qui doivent suivre la réglementation actuelle. Il est important de prendre en compte toutes les particularités du bâti existant pour réaliser une réhabilitation ou une reconversion en continuité avec la réalisation architecturale initiale. L’architecte doit avoir de la sympathie pour l’édifice, se limitant strictement aux interventions nécessaires et toujours avec le souci de préserver l’esprit du lieu. La démarche relève d’un équilibre subtil entre conservation et intervention.
II.2.1. Réduire l’énergie d’usage
Aujourd’hui en réhabilitation, la question de l’énergie est au centre du processus. Actuellement, la réglementation thermique pour les bâtiments neufs est de 50kW/m2/an. Le patrimoine existant présente des lacunes thermiques et doit donc rattraper les performances des constructions neuves. La conception de ces projets de réhabilitation suit des principes spécifiques (isolation thermique renforcée, fenêtres de grande qualité, suppression des ponts thermiques, excellente étanchéité à l’air) que nous devons mettre en pratique pour toute opération de revalorisation de l’existant. « La rénovation thermique d’un bâtiment ancien ne peut se faire à moitié et doit viser d’emblée un haut niveau d’exigence »40 40 Marie-Pierre Dubois Petroff, Rénovation écologique : Les solutions pour économiser l’énergie et vivre plus sainement en respectant l’environnement, s.l., Eugen Ulmer Eds, 2008.
Éco-réhabiliter, c’est mettre en œuvre des travaux de réhabilitation pour améliorer l’efficacité énergétique d’un bâtiment en touchant un minimum aux structures. « Actuellement, on estime qu’un logement consomme 200 à 250 kWh/ m2/an et jusqu’à plus de 350 s’il a été construit avant 1975, ce qui est le cas pour au 60% du parc immobilier français. Les bâtiments datant des années 50-60 ont en effet de très mauvaises performances énergétiques car ils sont nés de la reconstruction d’après-guerre et ne faisaient l’objet d’aucune réglementation thermique, la première datant de 1975. »41. Les immeubles des Trente Glorieuse mettent donc leurs habitants dans une situation de précarité énergétique. Il est donc indispensable d’intervenir pour y remédier. Pour réduire la consommation d’énergie des bâtiments, la RT 2012 oblige les architectes à concevoir des bâtiments à l’enveloppe isolante performante. Cela implique le traitement des ponts thermiques qui, avec l’amélioration de l’étanchéité à l’air et de l’isolation thermique, représentent 30 à 40% des déperditions thermiques totales du bâtiment. Un pont thermique est une zone ponctuelle ou linéaire, qui dans l’enveloppe du bâtiment, présente une variation de résistance thermique à cause d’une discontinuité de la barrière isolante. Cette rupture de l’isolant produit une différence de température entre la surface du plancher et celle de l’air ambiant provoquant des déperditions de chaleur. Ce n’est pas le froid qui rentre mais bien la chaleur qui sort. Après la guerre, le béton armé permet de réaliser des balcons aux saillies plus importantes permettant d’offrir aux habitants un complément d’espace. Ils sont conçus soit par le prolongement de la structure des planchers de chaque 41
Ibid
étage soit par éléments préfabriqués en usines accrochés à la structure principale et représentent donc de véritables ponts thermiques. Ces derniers sont difficilement traitables et la stratégie la plus simple consiste à n’isoler que les parois verticales ou à les condamner en les fermant, tout en ajoutant une nouvelle structure si on veut conserver un espace extérieur. Avec les loggias, les caractéristiques thermiques du bâtiment sont encore plus altérées. La rénovation des loggias est problématique si on veut conserver son plein usage et il est généralement plus simple de les condamner en les fermant par une opération d’isolation extérieure, l’isolation intérieure ne traitant pas les ponts thermiques. Le second œuvre d’un bâtiment est aussi responsable de nombreux ponts thermiques. L’aluminium, matériau très utilisé pour les huisseries des vitrages dans ces années-là, est un très bon conducteur occasionnant de grosses déperditions de chaleur. Avec leur déformation par les chocs thermiques, les huisseries font travailler les joints des dormants provoquant des exfiltrations d’air chaud par défaut d’étanchéité. De plus, nombre de bâtiments d’après-guerre ont été conçus afin de faire pénétrer un maximum de lumière dans les logements. Pour cela, d’importantes façades vitrées sont installées avec des vitrages peu performants à l’époque. Cette quantité et cette qualité de verre rentrent en compte dans l’accroissement des consommations d’énergie globales de l’immeuble. Le second œuvre d’un bâtiment à réhabiliter est donc un point à traiter en priorité. Traiter l’étanchéité à l’air d’un bâtiment est aussi très important car cela permet de réduire les pertes par infiltration. Cependant, le bâtiment ne doit pas devenir un « thermos » et doit pouvoir être bien ventilé pour ne pas engendrer d’autres problèmes. Pour résoudre tous ces problèmes, les
barres et les tours des années 1950-1960 à la volumétrie parallélépipédique se révèlent beaucoup plus facilement transformables que les immeubles des années 1970-1980 aux volumétries plus élaborées. Les maîtres d’œuvres doivent se positionner par rapport à deux stratégies d’isolation du bâtiment directement liées au degré de conservation de l’architecture existante. En effet, dans le cas d’une préservation du bâtiment sans modifier son écriture architecturale initiale, l’isolation ne peut se faire par l’extérieur. La stratégie d’isolation par l’intérieur, même si elle améliore nettement la performance thermique du bâtiment, n’atteindra pas les meilleurs niveaux. De plus, l’isolation par l’intérieur engendre d’autres problématiques comme notamment la réduction de l’espace intérieur des logements et ne gère pas les ponts thermiques. Les techniques et les matériaux actuels ne sont pas encore assez performants pour répondre à ces problèmes tout en garantissant une bonne isolation thermique. Aujourd’hui donc, pour des raisons économiques et de faisabilité, peu d’opérations de réhabilitation sont réalisés avec cette stratégie. La deuxième posture, et la plus courante, est de réhabiliter le bâtiment grâce à une isolation par l’extérieur. Dans ce cas, l’architecture initiale est cachée mais les marges de manœuvres sont nombreuses : doublage des murs par une enveloppe, le manteau ; épaississement de la façade par une double peau, création de murs trombes… Cette stratégie permet d’atteindre des performances énergétiques élevées. Cependant l’isolation par l’extérieur pose des problèmes d’esthétique et de durabilité selon le choix et la mise en œuvre des matériaux. En matière d’isolant, aujourd’hui, on utilise beaucoup de matériaux industrialisés comme les panneaux de polystyrène standard ou graphité, les laines minérales (laines de verre et de roche) ou encore
33
les mousses phénoliques. Le choix de l’isolant conditionne la finition des murs.
II.2.2. Améliorer le confort
La réhabilitation d’un ensemble de logement ne doit pas seulement prendre en compte la question de l’isolation thermique. En effet, la réhabilitation doit s’inscrire dans un processus global où le maître d’œuvre doit se questionner sur le confort individuel et collectif qu’il propose après la réhabilitation. A leur fondement, les grands ensembles des Trente Glorieuses sont directement liés à la notion de confort vu qu’ils sont une réponse aux logements insalubres. En 1945 seulement 6% de logements disposaient des éléments de confort, à savoir les WC intérieurs et les sanitaires. Ce confort technique de base, né de la culture moderne, s’est petit à petit normalisé devenant un des points essentiels de la définition d’un logement confortable. « Un logement est considéré comme confortable s’il dispose des équipements sanitaires de base et si, selon le ménage occupant, il ne comporte aucun défaut. […] »42. Depuis les Trente Glorieuses, les critères de confort ont évolué grâce à des innovations techniques et technologiques toujours plus poussées. Cependant, cette « relation entre confort et innovation semble s’inverser. Si jusqu’ici c’était la notion de confort qui s’était peu à peu formalisé et modelé au gré des innovations techniques successives (ce dont témoignent d’ailleurs les étapes de l’évolution sémantique du mot), on peut se demander si ce n’est pas exactement le contraire qui est en train de se passer actuellement et si ce ne sont pas désormais les nouvelles technologies qui 42 2010.
Définition d’un logement confortable selon l’INSEE en
viennent se modeler sur la notion de confort. »43. Grâce à leur réhabilitation, les immeubles d’après-guerre peuvent donc recevoir une amélioration en termes de confort pour répondre aux critères de la société contemporaine. L’évolution des réglementions techniques du logement et notamment celles liées aux enjeux environnementaux (isolation, étanchéité à l’air, ventilation…) ont un rapport direct avec la notion de confort. En effet, les normes et les labels promettant des valeurs de qualité pour un logement sain et durable, participent à augmenter la qualité des bâtiments en termes d’usage, de confort et de durabilité. Le confort technique doit répondre à l’ensemble des éléments techniques de l’habitat, à la fois dans son innovation, mais également dans sa maîtrise, point essentiel pour éviter l’inconfort. « Face aux logiques de conceptions pour lesquelles le confort serait la norme technique commune et partagée, les habitants affirment que le confort est avant tout la capacité de choisir, le pouvoir d’emprise sur les techniques pour mener des stratégies différentes »44. Maîtriser son confort c’est pouvoir utiliser la technique, paramètre objectif, à son gré pour un usage personnel, paramètre subjectif. Le confort thermique est un bon exemple pour appréhender ce point. « Le confort thermique est d’abord une expérience individuelle : expérience de bien-être sensorielle, de satisfaction personnelle, relatifs à son propre état thermique corporel […] Il est ensuite l’ensemble des conditions, ambiantes notamment, qui coproduisent un état thermique du corps du sujet qui le ressent comme un bien-être, duquel il est satisfait »45. 43 Pascal Amphoux, Vers une théorie des trois conforts, EPFL, Institut de recherche sur l’environnement construit et École d’architecture de Grenoble, Centre de recherche sur l’espace sonore – CNRS URA 1268, 1989. 44 Jean-Pierre Goubert, Du luxe au confort, 1988 45 F. Grivel, V. Canda, M. Galeou, Confort thermique
Cependant, les mesures prises pour répondre aux enjeux écologiques actuels peuvent avoir des répercussions sur le confort sensoriel des habitants. Par exemple, la RT 2012 oblige une amélioration de performance thermique des bâtiments qui implique, en réhabilitation, l’ajout d’une épaisseur sur les façades. Or cette surépaisseur induit directement sur l’éclairement naturel des logements. La lumière naturelle est une variable importante pour le choix d’un logement et une attention de plus en plus grande lui est accordée. Ici, le confort thermique s’améliore au détriment du confort lumineux. De plus, lors d’une opération de réhabilitation, en plus de l’isolation des murs, les fenêtres sont généralement changées pour du double vitrage. Celui-ci permet de limiter les déperditions thermiques et de protéger des bruits extérieurs. Mais ces améliorations entraînent régulièrement des effets inattendus qui, au lieu d’améliorer complètement le confort dans l’habitat, provoquent certaines nuisances. En effet, le confort thermique, le confort acoustique et le confort lumineux vers l’extérieur augmentent au détriment du confort acoustique intérieur du logement. Ces problématiques soulèvent et impliquent de choisir et de hiérarchiser les différentes variables liées au confort. Le confort totalement thermique, totalement acoustique ou totalement lumineux n’est donc pas la solution. Il s’agit donc de trouver la juste mesure entre ces différents paramètres pour offrir dans chaque situation, lieux et habitants différents, le meilleur niveau de confort technique. Le contexte de construction mécanisée des immeubles des Trente Glorieuses a produit des ensembles d’habitat standardisé dénué de toute individualité. Tout le monde possède le même logement doté des mêmes équipements optimal – confort thermique amoindri – inconforts thermiques locaux, 1989.
et des mêmes systèmes. Entre alors la notion de « confort de réserve »46, terme employé par Pascal Amphoux qui renvoie au sentiment d’être chez soi. Le confort de réserve est une idée novatrice qui n’a pas été prise en compte par les concepteurs modernes et qui a évolué au fil des années. La définition du « chez soi » est individuelle et varie pour chaque habitant. Pour certains, un logement confortable est un logement bien équipé, pour d’autres, c’est un logement chaleureux. Cependant, bien que la notion de confort soit différente pour chacun, dans la plupart des cas les personnes décrivent le logement confortable comme étant un lieu de convivialité, de détente où l’intimité de la famille est préservée. C’est donc le confort affectif et moral que procure le logement qui est mis en avant, une échappatoire au monde extérieur. De plus, ce phénomène s’accentue avec la volonté d’une majeure partie de la population de posséder une maison individuelle qui offre des perspectives d’habitat plus grand, plus confortable, plus intime… C’est le véritable « chez soi ». Ce désir se traduit par la naissance du slogan « donner au collectif les qualités de l’individuel ». De ce fait, les espaces extérieurs, balcons et loggias, apparaissent dans la conception architecturale des immeubles d’après-guerre. Si le bâtiment en est dépourvu, la réhabilitation de celui-ci permet d’en installer par l’ajout d’une nouvelle structure par exemple. Si le confort de réserve passe par tous ces éléments, la réhabilitation est un bon moyen pour l’améliorer au sein des immeubles des Trente Glorieuses. Effectivement, il faut « recréer le choc de la reconstruction d’après-guerre qui avait initié le passage de l’habitat insalubre à l’habitat salubre et mettre en œuvre aujourd’hui le plaisir d’habiter. […] L’architecture de chaque 46
Amphoux, op. cit.
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barre ou tour de banlieue doit être portée à son terme, au niveau de confort et de qualité maximum ; comme celui que l’on peut voir dans les immeubles modernes luxueux des quartiers les plus chics, et qui doit assurer définitivement la pérennité des constructions »47. Pour créer ce plaisir d’habiter, la réhabilitation doit permettre de remodeler complètement l’architecture intérieure du bâtiment. Cela passe par exemple par la restructuration des espaces intérieurs et du plan de chaque logement à la convenance des habitants ; en laissant le choix, à ces derniers, en termes de finitions et de la matérialité procurant des ambiances différentes ; mais aussi par l’agrandissement des surfaces de logement par l’ajout de nouvelle structure en façade. Si par ce procédé, il est possible de créer un plaisir d’habiter son intimité, il est important de prendre aussi en compte le plaisir d’habiter avec les autres. Pour cela, les espaces communs ne doivent pas être mis de côté dans la réhabilitation d’un immeuble de logement collectif afin d’améliorer leur utilisation et leur accessibilité. Surtout que dans notre société sécuritaire, il est important, pour les populations, de clarifier et redéfinir les différentes limites entre public, semi-privé et privé. Dans leurs réhabilitations les architectes Frédéric Druot, Anne Lacaton et Jean-Philippe Vassal portent un grand intérêt au confort. En effet, ils font face à cette problématique d’un point de vue nouveau et proposent une transformation radicale des immeubles des Trente Glorieuses afin de les adapter aux modes de vie actuels. « Il s’agit de ne jamais démolir, ne jamais retrancher ou remplacer, toujours ajouter, transformer et utiliser. […] C’est plus facile à obtenir en partant de l’existant, parce qu’économiquement, ce qui
est rajouté délicatement à ce qui existe produit beaucoup plus que ce que le standard de la construction neuve peut donner. Et c’est plus intéressant, parce qu’il y a aussi un existant de vie qui prend son aise »48. Cette démarche est expliquée dans leur étude PLUS et mise en œuvre dans un certain nombre de leurs projets. C’est le cas du projet de réhabilitation de la tour Bois-le-Prêtre où ils « [adoptent] une position critique vis-à-vis de l’idéologie moderniste d’un habitat destiné aux personnes disposant du seul minimum vital »49. En effet, leur proposition principale s’est traduite par l’adjonction de façades « habitées » en lieu et place des panneaux préfabriqués existants, créant un nouvel espace de vie entre intérieur et extérieur. L’intervention exploite donc directement le potentiel évolutif du bâtiment : les structures existantes sont conservées, les baies sont ouvertes, les balcons préfabriqués en acier et en béton de trois mètres de profondeur sont empilés et juxtaposés aux façades Est et Ouest. Ces larges jardins d’hiver sont fermés par des cloisons mobiles transparentes en polycarbonate installées à environ deux mètres des baies vitrées, ce qui laissera 1m de débord de balcon extérieur. Ces nouveaux espaces augmentent le confort et la performance thermique du bâtiment via le principe d’espace tampon (la consommation des énergies est réduite de plus de 50 %). Elle limite également la surchauffe en été par l’effet brise soleil des terrasses tout en permettant la ventilation. En plus de leur potentiel énergétique, ces espaces améliorent le confort spatial des appartements avec une augmentation de la superficie variant de 16 m2 pour un T2 (+ 6 m2 de balcon) à 33 m2 pour un T6 (+ 18 ms de balcon). Grâce à une réorganisation spatiale de l’ensemble de la tour, celle-ci
47 Frédéric Druot, Anne Lacaton, Jean-Philippe Vassal, PLUS – Les grands ensembles de logements – Territoire d’exception, Barcelone, Editorial Gustavo Gili, 2007.
48 49
Lempereur, op.cit. Druot, Lacaton, Vassal, op.cit.
propose des typologies de logements variées du studio aux sept pièces. « Nous nous sommes demandés comment nous pouvions apporter durablement de meilleures conditions d›habitat aux locataires », indique l’architecte Anne Lacaton. Enfin, grâce à l’ouverture des façades et à la pose de grandes baies vitrées, les logements retrouvent un confort lumineux perdu lors de la première réhabilitation de la tour en 1990. « On avait de toutes petites fenêtres, la façade tombait abrupte sur le vide. On a toujours eu une très belle vue sur Paris. Mais j’ai beaucoup plus de lumière, de confort, d’espace : tout a été refait à neuf, on circule mieux »50.
3. Quelleposturepourleurvaleurhistorique ? II.3.1. Réhabilitation invisible Dans ce cas, la réhabilitation se fait avec le souci d’une amélioration de l’existant mais sans modification de l’écriture architecturale et avec comme contrainte la préservation de la cohérence globale de l’édifice lorsque des éléments de seconds œuvres doivent être remplacés. En ce sens, l’isolation du bâtiment ne peut être traitée par l’extérieur. Ce procédé permet de pérenniser le patrimoine de cette époque. Réalisée très rarement, cette démarche trouve un sens pour les bâtiments modernes les plus significatifs avec une véritable valeur patrimoniale. Cette posture a été prise par l’agence Eliet et Lehmann, pour l’opération de réhabilitation du
50 Propos d’une locataire de la tour Bois-le-Prêtre, extrait Guillaume Meigneux, Habitations Légèrement Modifiées, 76’, 2013.
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Forum à Boulogne Billancourt. Cet ensemble de 800 logements de mégastructure pyramidale est composé de 2 barres de 16 niveaux constituées d’éléments préfabriqués en béton et dont les pignons sont traités en gradins. L’ANRU lance un programme de réhabilitation. « Le concours portait sur deux aspects : l’amélioration des performances thermiques et le renouvellement de l’aspect des bâtiments. L’idée était en somme de les remettre à niveau d’autant plus qu’ils sont face à la nouvelle ZAC du Trapèze et ses immeubles flambant neufs. Le Programme suggérait une isolation par l’extérieur. Nous avons […] décidé de nous appuyer sur la présence matérielle très forte de cette architecture préfabriquée, et donc d’éviter l’isolation par l’extérieur. Les objectifs thermiques sont atteints en jouant sur les autres leviers, menuiseries performantes, isolation des pignons, des terrasses… Techniquement, la forme géométrique complexe des gradins et, plus particulièrement des allèges triangulaires ne se prêtaient pas à un “emballage”. Nous avons donc imaginé une autre solution plus respectueuse de patrimoine d’origine. Ce choix s’avérait par ailleurs beaucoup plus économique »51. L’agence d’architectes montre ici sa capacité à révéler les qualités d’un patrimoine moderne sous-estimé.
II.3.2. Requalification de l’image
Réhabiliter en prenant le parti pris d’une réécriture architecturale est le cas le plus courant. Dans ce cas la démarche doit être pleinement assumée, et la réhabilitation doit être l’occasion d’une réelle requalification du bâtiment. Le bâtiment existant devient alors le support de la production d’une nouvelle architecture. Les positions intermédiaires, celles que l’on qualifiera de « pastiches », produisent des opérations
51
Agence Eliet et Lehmann, extrait de Hugron, op. cit
dans lesquelles l’isolation extérieure, aboutit généralement à une mauvaise imitation de l’architecture antérieure du bâtiment. « L’ANRU pousse à des démolitions excessives, alors qu’il manque un million de logements, et je ne suis pas sûr que ce qu’on reconstruit soit mieux que ce qu’on a démoli. Pour autant, je trouve le mot patrimonialisation aussi affreux que le terme résidentialisation. Hormis quelques cas emblématiques, on a le droit de transformer mais il ne faut pas se moquer du bâtiment existant. On doit lui rajouter ce qu’on aurait pu lui mettre au début si on avait eu plus d’argent, en respectant son échelle et sans le faire mentir. Les opérations qui me semblent architecturalement les plus justes sont les plus minimalistes »52. Beaucoup un nombre importa d’exemples illustrés ce propos, mais je préfère mettre en avant les limites de ce procédé. En effet, lors d’une visite du quartier de Montessuy à Caluire-etCuire, opération d’après-guerre construite après celles de Bron-Parilly et de la Duchère, j’ai découvert quelques projets de réhabilitation. L’une des barres en chantier a retenu mon attention. Sa façade initiale, en panneaux préfabriqués, 52
Philippe PANERAI, extrait de Lempereur, op. cit.
était très rythmée avec un jeu entre ouvertures de différentes dimensions, traverses en béton et carreaux de céramiques. Cette composition donnait une véritable identité à l’immeuble. Or, les ouvriers étaient en train de recouvrir totalement le bâtiment de panneaux de laine de roche et de polystyrène enduit. A la place des ensembles de carreaux de céramiques, ils peignaient des carrées et des rectangles de différentes couleurs. Le résultat rendait la façade monotone et sans relief.
produits dérivés du pétrole, augmentent le bilan carbone de la réhabilitation. Aujourd’hui, nous devons être tous conscients de l’épuisement des ressources naturelles non renouvelables (le sable par exemple) et des importantes émissions de gaz à effet de serre dans les procédures de construction (fabrication des matériaux, transport...) qui impliquent de donner de l’importance au choix et à la mise en œuvre des matériaux de construction. « […] Si on tient compte de la progression annuelle de la consommation d’énergie (+2%/an depuis 30ans), on peut considérer que l’ensemble des réserves en énergie fossile sera épuisé dans 50 ans »53. C’est une échéance inéluctable… Un « matériau durable », est un matériau adapté à plusieurs contextes. Le premier, le contexte physique où l’analyse de l’environnement géographique et climatique est nécessaire. Un deuxième, le contexte social avec une valorisation de l’économie locale (ressources locales, savoir-faire local) et enfin le contexte culturel en s’appropriant l’histoire architecturale locale. En un mot, moins il y a de déplacement, plus c’est écologique.
III. Quelles pratiques pour une III.1.1. Réduire l’énergie grise réhabilitation durable ? Nous ne pouvons plus ignorer 1. Utilisation de matériaux locaux et naturels
Aujourd’hui, l’architecture doit être complètement responsable pour avoir un moindre impact sur l’environnement. La réhabilitation est un acte à la base durable car il permet de pérenniser un bâti existant, de réduire les déchets liés à la démolition et de minimiser l’énergie grise de la construction avec un gros œuvre déjà présent. Cependant, ce processus n’est pas complètement écologique car l’utilisation de matériaux synthétiques, composé généralement de
l’énergie grise des matériaux qui correspond à la dépense énergétique totale pour l’élaboration d’un matériau, tout au long de son cycle de vie, de son extraction à son recyclage en passant par sa transformation et son transport. « Autrefois on utilisait les matériaux dont la provenance était au maximum à une journée de charrette, puis ce fut à une journée de train… Aujourd’hui les matériaux peuvent facilement provenir du bout du monde, présentant à l’arrivée une très lourde facture de consommation d’énergie.
53
Dubois Petroff, op. cit.
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Le choix d’un matériau respectueux doit donc reposer sur une approche globale qui prend en compte l’énergie consommée de son cycle de vie, de sa fabrication ou son extraction à son élimination, en passant par son transport et sa mise en œuvre »54. Aujourd’hui, il est nécessaire de prendre un compte cette énergie pour saisir l’impact environnemental des matériaux en favorisant les matériaux locaux. Cette énergie cachée doit être un critère de choix pour tous les projets réalisés dans le cadre d’une démarche écologique. Les processus de fabrication des matériaux actuels, innovants mais synthétique ne suivent pas les logiques durables. Utiliser les matériaux naturels est une solution pour qualifier les ressources renouvelables présentes sur terre. L’époque du tout technologique est révolue. Notre travail d’architecte est d’optimiser la matière en associant les matériaux de manière raisonnée. « Aucun matériau n’est à lui seul durable, c’est leur usage, leur emploi, leur assemblage, leur mise en scène qui peut y prétendre »55. Leur utilisation pose problème en termes de durabilité. En effet, par exemple, après sur-isolation d’un bâtiment existant, la pose d’enduits de finition non naturels, comme ceux à base de ciment, induit de gros problèmes de façade. Celle-ci ne « respire » plus, provoquant alors le développemnt de moisissure et une dégradation plus rapide. La façade sera
donc à refaire plus rapidement, ajoutant alors une nouvelle case au bilan carbone du bâtiment. Depuis quelques années, les matériaux naturels ont beaucoup évolué et sont de plus en plus performants. C’est par exemple le cas des isolants à base de fibres bois. Fabriqués, au début, en dehors de l’hexagone, ils étaient très énergivores car le procédé de fabrication nécessitait l’utilisation de fibres plastifiantes pour lier les fibres de bois entre elles. Peu à peu, les industriels ont amélioré les processus et ont réussi en quelques années à créer des produits répondant à de multiples usages dans la construction tout en minimisant les additifs non biosourcés. L’isolant en fibres de bois est aujourd’hui un matériau qui présente un grand nombre d’avantages : performants thermiquement avec une conductivité thermique correcte et une capacité thermique élevée ; véritable puits de carbone grâce à la captation du CO2 dans leur matière première ; matériau hygroscopique qui participe à la régulation de l’humidité intérieure ; utilisation simple ; matériau sain et recyclable… Dans la famille des isolants en panneaux, les isolants en fibres de bois ont aujourd’hui largement supplanté les autres matériaux biosourcés industrialisés et « grignotent », faiblement, peu à peu la part de marché des isolants conventionnels (polystyrène, fibres minérales…). Bien que les industriels s’intéressent de plus en plus à ce matériau alors « [qu’] il y a quelques années encore, ils le considéraient au pire comme une aberration technique et au mieux comme une réponse maladroite à la demande de quelques égarés babacools »56, la part de marché des matériaux naturels reste encore très faible. En effet, « il faut une bonne dose de motivation pour convaincre un entrepreneur riche de vingt
54 55
56 Jean-Claude Mengoni, « Le bois, un isolant qui a la fibre », La Maison écologique n°84, décembre-janvier 2014-2015.
Ibid. Paul Chemetov, extrait de Guy, op.cit.
années d’expérience d’abandonner sa traditionnelle laine minérale pour une laine végétale, ou laisser tomber sa peinture glycérophtalique pour une peinture sans solvant. […] il est toujours plus facile de rester sur des rails que de prendre des chemins de traverse même s’ils sont destinés un jour à devenir une autoroute »57. Aujourd’hui, on assiste à un cercle vicieux concernant les matériaux naturels. Ce secteur encore très cher, car peu développé, oblige les maîtres d’œuvre et les maîtrises d’ouvrage à utiliser des matériaux conventionnels et synthétiques, dont les filières, lancées depuis un grand nombre d’années, en font des matériaux moins onéreux. La demande n’étant pas faite aux industriels, ceux-ci ne développent pas les filières de matériaux biosourcés ce qui implique les prix élevés. C’est une histoire d’économie, qui devrait en fait être une histoire de qualité et de responsabilité environnementale. « La base d’une construction durable est fondée […] lorsque le projet globalement de plus grande qualité est privilégiée à celui supposé plus économe »58. L’utilisation des matériaux biosourcés dans la réhabilitation des immeubles des Trente Glorieuses est encore rare et on les retrouve plus généralement dans les projets de réhabilitation de maisons individuelles. Cependant, quelques exemples de cas d’utilisation en réhabilitation de l’habitat collectif peuvent être cités. Le projet de concours de Stéphane Dubail, pour la réhabilitation de l’une des Unités de Construction de Bron Parilly, met en avant l’utilisation du matériau bois pour multiples usages. « C’est […] l’opportunité de construire un projet collectif qui mobilise les ressources locales aussi bien matérielle qu’humaine (entreprises, associations, artisans...) »59. En effet, l’architecte, en retravail57 58 59
Dubois Petroff, op. cit. Auer Weber, extrait de Guy, op. cit. Stéphane Dubail, extrait texte concours, 2014
lant la mixité programmatique, installe en RDC des espaces de travail coopératif grâce à des modules en bois préfabriqués. De plus, il isole le bâtiment par l’extérieur par l’ajout d’un système de panneaux en bois composé d’une ossature bois remplie d’isolant en ouate de cellulose, avec planches d’OSB pour le contreventement. Le sur-isolant extérieur est de la laine de bois et celle-ci est recouverte d’un bardage bois en guise de finition. Une structure composée de poteaux et de poutres en bois est ensuite rapportée sur ces panneaux isolants, au droit des voiles porteurs en béton du bâtiment existant. Cette surépaisseur permet la création de balcons agrandissant la superficie des logements. Enfin, il est primordial d’intégrer le cycle de vie des matériaux dans notre conception. Cette démarche sur le long terme est un gage de durabilité. Les matériaux choisis, s’ils ne sont pas déjà recyclés, doivent avoir une capacité importante à être recyclés. Adopter une pratique cyclique pour la conception et l’utilisation des matériaux assurera la pérennité des ressources. « La rénovation écologique doit donc intégrer cette production de déchets à trier et à recycler et privilégier le choix de matériaux recyclables qui constitueront les déchets de demain »60.
III.1.2. Favoriser le dynamisme local
Le développement durable implique de recourir à des matériaux et énergies locales pour proposer une solution adaptée et peu polluante. Il semble intéressant de développer des dynamiques globales autour de la réhabilitation des bâtiments des Trente Glorieuses, en incluant une approche localisée. Les grands ensembles ont été construits de façon décontextualisée. En effet, c’était un temps où l’État favorisait la pro-
60
Dubois Petroff, op. cit.
41
duction de masses grâce au développement de grands groupes industriels. Le béton s’est propagé partout en France, délaissant les matériaux traditionnels et locaux de chaque région. Or aujourd’hui, il est temps de les réintroduire dans
les opérations de réhabilitation. Dans la plupart des cas, l’isolation par l’extérieur est choisie aux dépens de la valeur patrimoniale de l’architecture moderne des grands ensembles. Mais cette perte peut être contrecarrée par la création d’un nouveau patrimoine, un patrimoine culturel et régional en réindroduisant les matériaux naturels, locaux et traditionnels. De plus, la filière des matériaux naturels et locaux est une filière d’avenir, en présentant des enjeux professionnels et économiques, avec la relance de l’artisanat local et régional, et des enjeux politiques avec la création de normes pour une utilisation responsable et raisonnée des ressources naturelles. Le développement de filières autour d’un matériau permet le développement des connaissances et des outils pour l’exploiter au mieux. Le matériau bois présente un énorme
potentiel dans la logique de filière globale dans les régions qui possèdent des ressources forestières importantes. Parmi les matériaux naturels, le bois possède l’énorme avantage de pouvoir se régénérer dans des temps relativement court si on le compare à la pierre par exemple. Ses performances mécaniques sont connues depuis longtemps pour leur potentiel dans la construction. De plus, le développement de technologies a permis de le transformer pour élargir le panel de ses utilisations. Le Voralberg est une région d’Autriche où s’est développée, depuis les années 1960, une approche originale de la construction maintenant considérée dans le domaine comme un modèle du développement durable. La Voralberg Bauschule (École de la construction du Voralberg) et le mouvement des Baukünstler (les artistes de la construction), groupe d’architectes et de charpentiers, ont révolutionné le domaine de l’habitat en bois, ressource naturelle très présente dans la région. Le mouvement a été l’initiateur dans le domaine de l’architecture bas carbone avec une économie d’énergie durant tout le cycle de vie des bâtiments, de leur construction à leur utilisation. Le mouvement ne développe pas des architectures spectaculaires mais une
culture du bâti qui développe l’économie locale et tire parti du savoir-faire artisanal de la région. « Soucieux des économies de matière et d’énergie, leur approche est une synthèse entre ce qui est esthétiquement souhaitable, constructivement raisonnable et socialement justifiable »61. Dans le Voralberg, s’est développée la filière autour de l’exploitation du sapin blanc, depuis l’abatage et le sciage jusqu’à la pose sur chantier. Le bois est le seul matériau naturel de structure renouvelable mais son utilisation devient complètement écoresponsable si on respecte plusieurs principes concernant la gestion des forêts, l’exploitation, la transformation et le transport de la matière première, le choix des essences en fonction de leurs propriétés et la mise en œuvre des composants. « Ressource renouvelable utilisable en structure, en bardage, en aménagement intérieur et pour l’isolation, le bois devrait être le matériau privilégié des projets de construction et de rénovation dans toutes les régions riches en forêts »62. Cette filière dynamique est un véritable moteur économique, social mais aussi culturel pour la région. En effet, dans la région, il y a toujours eu une tradition artisanale et architecturale autour du matériau bois. Tradition qui a su évoluer : étudier le passé pour construire le futur. En effet, on a vu se développer des travaux de recherche, de développement et de formation autour du savoir-faire local et traditionnel adapté aux enjeux modernes, enrichi par les possibilités techniques actuelles. « Les constructions en bois héritées de la tradition ne nous ont pas vraiment servi de référence, mais renouer avec la culture de la charpenterie existante nous a permis de réaliser des nouveaux modèles avec des structures à 61 Dominique Gauzin-Muller, L’architecture écologique du Voralberg : un modèle social, économique et culturel, Ed. Le Moniteur, 2009. 62 Ibid.
43
ossature en bois non traditionnelles »63. L’exemple du Voralberg montre l’intérêt de développer une économie autour d’un matériau. Ici, le bois apporte une solution complète en fournissant les ressources nécessaires pour la construction, ses déchets sont utilisés pour la production de chauffage et les forêts sont gérées durablement. Cette démarche durable permet de renouer avec la tradition pour renforcer l’identité de la région avec la mise en valeur d’une ressource régionale naturellement renouvelable et la création d’emplois favorisant une production locale. Les principes du Voralberg, qui ne peuvent être copiés tels quels car contextualisés, doivent être étudiés pour pouvoir être transposée à d’autres régions et à d’autres modes opératoires que la construction neuve, comme la réhabilitation. Il faut avoir une vision globale face aux enjeux du développement durable et non pas seulement se contenter de réduire cette notion à l’économie d’énergie et à la technique. En effet, la démarche durable sera d’autant plus significative si elle suit des objectifs culturels, sociaux, écologiques et économiques.
L’architecte-urbaniste Jean-Jacques Terrin exprime : « La conception architecturale et urbaine n’est plus l’apanage de quelques professionnels privilégiés. Un nombre croissant d’acteurs, tous concernés prend part aux démarches de conception dessinant une nouvelle typologie de parties prenantes ». L’architecte possède les compétences et la culture nécessaire pour articuler la multitude de
données qui constituent un projet. Pour autant, il ne maîtrise pas l’expertise de chacun de ces paramètres. « L’architecture est vouée par nature à être au centre de nombreuses compétences, échelles et problématiques […]. L’architecte est le médiateur entre les nouvelles aspirations de la société et la concrétisation d’un projet durable, respectueux, innovant »64. C’est pourquoi, petit à petit, la profession a évolué, en partant d’un modèle où une seule personne détenait tous les savoirs jusque dans les années 1950 environ. Ensuite l’architecte s’est entouré de collaborateurs à mesure que les projets se complexifiaient. Pour la construction des grands ensembles, les architectes se sont associés à des ingénieurs, des bureaux d’études… Cette démarche marque le début du changement et aujourd’hui, nous sommes désormais arrivés au moment où il est nécessaire de réquisitionner les modes de coopération pour des projets plus efficaces et intelligents. En effet, la planification de la ville et de son évolution repose désormais sur des données précises récoltées par des outils de mesure sophistiqués. Ces données doivent être exploitables par tous les intervenants. Il est donc important de développer les moyens de faire converger les connaissances, les savoir-faire et les expériences de chacun d’entre eux. Il semble intéressant d’améliorer les échanges entre les différents intervenants, voir même de les faire travailler de concert à l’élaboration de projet de réhabilitation pour mieux intégrer chaque notion (esthétisme, histoire, performances structurelles, confort thermique, confort acoustique…). Cependant, il semble qu’il existe parfois une mauvaise compréhension des enjeux de l’architecture par les intervenants extérieurs. Un travail de sensibilisation est peut être nécessaire
63
64
2. Favorisationdeséchangesentrelesdifférents acteurs III.2.1. La conception pluridisciplinaire
Ibid.
Arte Charpentier, extrait de Guy, op. cit.
pour que chacune des parties prenantes comprenne l’apport qu’il représente pour un projet en faveur du développement durable. « Il faut que ces acteurs, multiples et complémentaires, se mobilisent pour concevoir, expérimenter et évaluer collectivement des projets qui répondent à un cahier des charges extrêmement exigeant en terme de durabilité »65. De plus, Pascal Rollet affirme bien l’importance de savoir travailler dans un contexte multi-acteurs et insiste sur l’évolution nécessaire de l’apprentissage de cette nouvelle forme de conception. « Nous devons donc former les nouvelles générations à cette pratique de la santé collective au travers d’un travail en équipes pluridisciplinaires dans lesquelles ils auront la place et la responsabilité particulières des pré-visionnaires : ceux qui sont capables d’intégrer toutes les données, tous les paramètres dans une vision globale partagée de l’environnement le plus propice au franchissement d’un niveau supplémentaire de complexité de la vie dans l’histoire de l’évolution humaine, en relation osmotique avec la planète qui constitue notre habitat »66. La réhabilitation des grands ensembles est un processus complexe qui allie à la fois des paramètres urbains, architecturaux, culturels, économiques et sociaux. La prise en compte de tous ces facteurs est nécessaire pour réaliser une opération permettant une profonde mutation de ces quartiers. Pour une meilleure restructuration, les équipes de maîtrise d’œuvre accompagnées par les maîtrises d’ouvrages doivent donc repenser le projet à toutes les échelles, de l’urbain au logement en passant par l’environnement.
III.2.2. La place de l’habitant 65 Jean-Jacques Terrin, Le projet du projet, Ed. Parenthèses, 2014. 66 Pascal Rollet, extrait de Guy, op. cit.
Il est nécessaire d’affirmer la position de l’habitant en tant qu’utilisateur final d’un quartier et d’un logement. Pour cela, il faut que l’habitant soit intégrer au processus conception en tant qu’utilisateur final du projet. L’habitant peut intervenir à différents niveaux de la restructuration des grands ensembles. Il peut participer à la transformation de son environnement de vie, à l’échelle urbaine. Cette notion renvoie au confort environnemental, potentialité réelle ou imaginaire à se connecter au monde, tout ce qui crée la certitude d’évoluer dans une collectivité et dans un environnement social. En effet, plus qu’une simple réhabilitation d’immeubles, la restructuration des grands ensembles passe en premier lieu par le remodelage d’un quartier où vit un ensemble de citoyens. Ceux-ci connaissent le quartier et ses problèmes en termes d’usage, de circulation, de sécurité… Il est donc important que les maîtrises d’ouvrage et d’œuvre prennent en compte la parole citoyenne. Cette démarche a été entreprise pour l’opération de réhabilitation du quartier de la Duchère à Lyon, où toute une campagne de sensibilisation et d’échanges entre acteurs du projet et habitants a été lancée. Cependant, dans les faits, le bilan est mitigé. En effet, l’adjoint au maire, le responsable de la rénovation urbaine à la mairie de Lyon ou encore le responsable du GPV ont été plusieurs fois invités et présents à certaines réunions du GTI (Groupe de Travail Interquartiers) afin de discuter et d’échanger avec les habitants, mais, à chaque fois bien plus dans un souci d’information, de transparence que dans une réelle logique de décisions partagées. Seules quelques questions de détails, de calendriers ou de modalités d’application ont été réellement ouvertes à la négociation. Les grandes orientations du projet, elles, n’ont été pas discutables. Ce processus de concertation habitante, à
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l’échelle du quartier, présente donc encore des limites. Cependant, les habitants peuvent être concertés à une plus petite échelle, celle de l’immeuble et du logement. À cette échelle, les échanges sont beaucoup plus faciles. L’architecte doit prendre en considération les besoins et les attentes des habitants, pour certains paramètres, sans pour autant assouvir tous leurs désirs qui peuvent parfois dépasser la réalité architecturale et constructive. Serge Renaudie modère même complètement le propos : « Je ne réponds jamais directement à la demande de l’habitant qui s’exprime à un instant t alors qu’il s’agit de travailler aussi pour ceux qui viendront. Je ne l’ignore pas pour autant. Ce serait absurde. »67. Pour la réhabilitation de la tour Bois-le-Prêtre, Frédéric Druot, Anne Lacaton et Jean-Philippe Vassal amorceront le projet par un premier travail de concertation avec les habitants, pour évaluer quels sont leurs besoins, en dehors de la nécessité d’amélioration des performances thermiques. Chaque famille a pu donner son avis pour la réorganisation de son logement. Le but était de redonner du pouvoir aux habitants pour qu’ils reprennent possession de leur logement. Les plans ont donc été dessinés à partir de leurs attentes. Ils pouvaient choisir d’abattre des murs, de repartitionner l’espace, de réorganiser les circulations… Ils ont eu aussi le choix pour les matériaux de finitions. Ces différents exemples montrent l’importance de la participation habitante. De plus, dans des perspectives durables les habitants doivent être, avant tout, intégrés dans le processus de conception afin qu’ils prennent conscience de leur potentiel d’action en faveur de l’environnement. En effet, même avec l’installation des
meilleurs dispositifs, la réhabilitation d’un bâtiment ne peut pas être totalement performante ou confortable si les usagers n’adoptent pas les bons gestes. Le développement durable implique un changement des habitudes. « Cela passe par l’information, la sensibilisation des citoyens et sans doute une évolution des pratiques et des habitudes, notamment dans le logement. »68. Cela montre à nouveau l’importance d’une forte coopération et communication entre les concepteurs et les habitants. Dans les opérations de réhabilitation, la place de l’habitant est souvent mise en cause pendant les phases de chantier. Généralement réalisées en site occupé, les maîtrises d’ouvrage et d’œuvre doit mettre au point des stratégies impactant le moins possible la vie des habitants. Ces opérations lourdes sont très difficiles à gérer et nécessitent une organisation de chantier précise. Les architectes doivent penser, dans leur conception, à installer des dispositifs rapides à mettre en place. Pour cela, ils optent généralement pour des systèmes préfabriqués. Une préfabrication, au plus proche de la finition d’éléments en 2D ou en 3D, permet de réduire considérablement les temps de chantier et donc les nuisances pour les habitants. Lors d’un stage en agence en juillet 2015, j’ai pu appréhender le défi que représentent les travaux de réhabilitation en site occupé, grâce à l’opération de réhabilitation du quartier Saint-Jacques à Clermont Ferrand par l’agence CRR Architecture. Il s’agit d’une opération de réfection et d’isolation des façades de plusieurs immeubles de logements sociaux. Le projet portait à la fois sur l’amélioration des performances thermiques et acoustiques de l’édifice, mais également sur une redéfinition de l’esthétique des façades. Les tra-
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68
Serge Renaudie, extrait de Hugron, op. cit
Babel + Prado, extrait de Guy, op. cit.
vaux ont consisté à isoler les façades, à remplacer les fenêtres et à ajouter des éléments visant à rompre l’uniformité plastique des bâtiments. J’ai accompagné un conducteur de travaux sur site à la fin de l’opération, pour effectuer les dernières levées de réserves. Nous avons été amenés à nous rendre dans les appartements, bien souvent habités, et donc à rencontrer les habitants. C’est alors que j’ai pu constater que de telles opérations ne font pas l’unanimité. Nous avons recueilli des avis positifs, notamment sur le niveau de confort apporté mais nous avons également fait face à des personnes complètement indifférentes aux évolutions. Nous avons également rencontré des personnes très critiques sur la manière dont les travaux se sont déroulés, essentiellement à cause des nuisances, mais aussi dans la manière d’imposer une telle opération sans réelle concertation.
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Conclusion L’après-guerre marque le début de la production industrielle du logement en France. Les bâtiments construits entre 1945 et 1974 ont généralement appliqué les nouveaux modes de fabrication alors émergents tel la préfabrication lourde, la préfabrication légère et le coffrage industriel. Aujourd’hui, ces bâtiments souffrent de pathologies intrinsèques, liées à leur conception et à leur réalisation en phase chantier. De façon schématique, on peut qualifier cette période comme étant celle de l’avènement du pont thermique dans la construction. Outre les pathologies thermiques liées à l’enveloppe, les systèmes de chauffage, généralement collectifs, affichent des consommations très élevées qui posent de nombreuses difficultés à une époque où la contrainte carbone devient pressante. Si les diagnostics thermiques permettent une appréciation des problèmes à traiter, les opérations de réhabilitations thermiques sont souvent l’occasion d’une intervention au sens large qui ambitionne une amélioration de l’habitat et des espaces libres avoisinants. L’analyse des usages du bâtiment renseigne généralement bien sur les dysfonctionnements et les attentes des occupants vis-à-vis des programmes de réhabilitation. L’analyse de la qualité architecturale des édifices est elle aussi une préoccupation essentielle : dans certains cas les bâtiments possèdent une architecture dont la préservation s’impose d’elle-même et dans d’autres une latitude plus grande est offerte lors des opérations qui seront
l’occasion d’une refonte globale du bâtiment et la création d’une nouvelle architecture. Actuellement, les questions et problématiques spécifiques liées à la réhabilitation revêtent une importance croissante dans l’activité professionnelle des architectes contemporains mais ne représentent encore qu’une trop faible part de leur activité. Ce secteur, pourtant rémunérateur et stimulant du point de vue de la conception, apparaît moins valorisant que le neuf. Dans beaucoup de cas, la réhabilitation des ensembles de logements existants est un processus qui effraie un certain nombre d’acteurs de la construction qui préfèrent détruire et reconstruire. L’inconnu est un des facteurs de cette réticence. Il est donc important de développer le savoir et de former les nouvelles générations d’architectes à intervenir sur le patrimoine des Trente Glorieuses. Cette démarche de projet reste sous-enseignée dans les écoles d’architecture, considérée là aussi comme moins gratifiante. L’enseignement doit certainement évoluer pour intégrer dans ses programmes la question, de plus en plus récurrente, de la réhabilitation des grands ensembles. Il s’agit de comprendre comment tirer parti de l’analyse de la valeur architecturale des projets des Trente Glorieuse, de questionner ces utopies et leurs échecs afin de mieux les requalifier et d’envisager leur intégration aux normes à venir.
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Dans une perspective durable, je m’intéresse à la réhabilitation des ensembles de logements des Trente Glorieuse. A l’heure des Réglementations Thermiques, ce patrimoine, né de la production de masse, nécessite véritablement qu’on s’attarde à son sujet. Cependant ce processus de réhabilitation écologique ne doit pas pour autant exclure une démarche de valorisation d’une architecture symbole d’une période précise.
Développement durable
In a sustainable perspective, I am interested in the rehabilitation of sets housing of Thirty Glorious. At the time of the Thermal Regulations, this heritage, arisen from the mass production, really requires that we linger on its subject. However this process of ecological rehabilitation does not for all that have to exclude an approach of valuation of architecture symbol of precise period.
Sustainable development,
Patrimoine Réhabilitation Grands ensembles COLLABORATION Heritage, Rehabilitation, Muli-family housing, Collaboration