Rapport de Licence - La reconversion industrielle

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L’architecture industrielle de la fin du XIXème et du XXème siècle rentre petit à petit dans notre patrimoine national mais reste encore délaissée. Que faire de ces sites après leur désaffection ? Dans une perspective de développement durable, il est important de s’interroger quant à l’intervention sur l’existant et la réutilisation de constructions industrielles anciennes pour de nouveaux usages. La reconversion est un véritable acte architectural qui implique des transformations et réinventions. Le changement de fonction implique un changement d’usage et de programme tout en s’inscrivant dans une structure déjà existante. En effet, le processus de reconversion se base sur la reconnaissance et la valorisation d’un ancien bâtiment, démarche contraire aux principes de l’architecture moderne où la forme découle de la fonction. Cette démarche architecturale attise ma curiosité, notamment en ce qui concerne la reconversion de bâtiments industriels en lieux culturels. Les deux programmatiques sont différentes, la fonction et l’usage sont complètement opposés. Le processus devient alors complexe : tout transformer sans dénaturer. Comment la programmatique industrielle s’adapte-t-elle à une programmatique culturelle ? Quels sont les liens entre les deux programmes ? Quels sont les avantages et les inconvénients des bâtiments industriels pour leur reconversion en espaces culturels ? Récemment, je suis allée voir « Mac Beth » au Théâtre du Soleil à la Cartoucherie de Vincennes. Ancien ensemble de bâtiments industriels de l’armement, la Cartoucherie est reconvertie, en 1970, par Ariane Mnouchkine, en lieu de création et représentation théâtrales. Comment ont-ils réussi à transformer ces bâtiments industriels froids et monotones en haut lieu du théâtre populaire ? Avec une architecture minimaliste, comment ont-ils pu créer plusieurs ambiances rendant le lieu mystérieux ? Cet étonnement, ce mystère, je les ai ressentis, à une toute autre échelle, à la Tate Modern Gallery de Londres. Cette immense centrale électrique, reconvertie en musée, joue un rôle fondamental dans l’ambiance du lieu : de l’architecture monumentale pour un art au plus près des œuvres. Je base donc mon rapport de licence sur l’étude de ces deux projets de reconversions industrielles en espaces culturels aux démarches architecturales opposées. De plus, le cours public d’histoire de l’architecture, Quelques problématiques de la reconversion des bâtiments industriels, de Jean-Bernard Cremnitzer à la Cité de l’Architecture et du Patrimoine et l’ouvrage d’Emmanuelle Real, Reconversions – L’architecture industrielle réinventée, ont été le fil conducteur de mon analyse. En effet, 2


ces références prennent l’aspect d’un cahier des charges de la reconversion industrielle en traitant les grands axes de ce processus architectural. Je développe mon rapport de licence en trois parties. Dans un premier temps, j’expose le potentiel du patrimoine industriel pour être transformé en espaces culturels. J’analyse ensuite le processus de reconversion en lui-même, en m’appuyant sur les deux projets. Ces derniers ont une approche différente, je compare donc, dans une troisième partie, l’impact du minimalisme ou de la monumentalité de ces deux bâtiments.

I.

Le potentiel du patrimoine industriel Les reconversions d’anciens sites industriels font partie du paysage architectural

actuel. Longtemps symbole d’échec économique, les friches industrielles présentent, depuis quelques années, un potentiel de reconversion, entraînant alors la mise en place d’une nouvelle pratique architecturale. De ce fait, je m’intéresse dans cette partie à l’évolution historique de l’intérêt suscité par ces bâtiments dans un premier temps puis je traite plus en détail de leurs caractéristiques spatiales et structurelles dans une seconde sous-partie.

1. Une reconnaissance tardive Le concept industriel a traversé l’histoire de l’architecture avec une évolution des rapports entre architecture et production industrielle. Celle-ci a d’abord été manuelle pour ensuite, avec l’industrialisation, se mécaniser. L’architecture s’adapte et se spécialise alors face à de nouvelles questions liées à la lumière naturelle, aux vibrations et charges des machines… La fin du XIXème et le XXème siècle ont vu le secteur industriel se développer massivement. D’abord excentré, il a tissé un certains nombres de réseaux avec les villes pour ensuite s’y installer. Depuis les années 1970, les pays d'Europe et d'Amérique du Nord sont touchés par un phénomène de désindustrialisation avec pour conséquence des crises économiques et une mutation de l'économie de ces pays vers une économie postindustrielle. Symbole de fierté du travail pour les uns et d’échec économique pour les autres, les friches industrielles inspirent des sentiments contradictoires. Cependant, la démolition de sites symboliques, dans les années 1970, agit comme un révélateur et fait évoluer les mentalités. 3


En France, la destruction des Halles Baltard, en 1971, sert de coup de fouet quant à la prise de conscience pour la sauvegarde du patrimoine industriel. Dès le milieu des années 1980, beaucoup de sites industriels sont inscrits et classés Monuments historiques. Figure 1 : Les Halles Baltard construites entre 1852 et 1870, Carte postale, http://paris1900.lartnouveau.com

La

protection grâce au titre représente une étape fondamentale du processus de

reconnaissance mais elle ne garantit pas la pérennité du bâtiment. Beaucoup de sites tombent en ruine, faute de projet viable. Le concept de reconversion du patrimoine industriel naît au cœur des grandes villes américaines, à partir des années 1950. Des jeunes artistes américains investissent les anciens bâtiments industriels abandonnés. Ils disposent, à moindre coût, de grandes surfaces pouvant accueillir à la fois des espaces d’atelier et de vie privée. Cette démarche, qui s’étendra à l’Europe, marginale et médiatisée, est déterminante pour l’intérêt apporté aux bâtiments industriels.

Figure 2 : UfaFabrik à Berlin, anciens hangars de Figure 3 : Rote Fabrik à Zurich, ancienne usine de productions cinématographiques reconvertis en textile reconvertie en centre culturel en 1980, http://commons.wikimedia.org centre culturel en 1979, http://www.ufafabrik.de/fr

Par extension de ce phénomène du loft, les friches se sont imposées comme les nouveaux espaces d’expressions artistiques. En France, le mouvement démarre en 1970 avec la transformation de la Cartoucherie de Vincennes, ancienne fabrique de Figure 1 : L’entrée de la Cartoucherie à Vincennes, 2015, Photo de L. Lemoine

poudre, en haut lieu du théâtre populaire. La reconnaissance architecturale de ces lieux est géné-

ralement dépourvue de toute forme de sacralisation. En effet, les espaces sont accep4


tés tels qu’ils sont avec leurs atouts et leurs dysfonctionnements éventuels. Les bâtiments et leurs infrastructures sont utilisés à l’état brut ou réaménagés a minima. L’architecture apparaît alors comme une coquille qui protège l’art. Ces lieux, d’abord indépendants et alternatifs, évoluent vers une forme d’institutionnalisation. A partir des années 1990, les fabriques culturelles sont reconnues officiellement et de nombreux projets publics voient le jour. En 1994, Bankside à Londres est annoncé comme site pour le projet de la nouvelle Tate Gallery of Modern Art. Cette ancienne centrale électrique au cœur de Londres, avec son architecture monumentale, devient un emblème de la ville. L’institutionnalisation des « friches culturelles » s’accompagne donc de façon systématique d’un projet architectural sur le bâti. Il n’est plus uniquement utilisé à l’état brut mais bien reconverti. Le concept de reconversion du patrimoine industriel s’élargit à d’autres secteurs : logements, bureaux, commerces… La prise de conscience est officielle et générale. La reconversion industrielle devient alors un phénomène durable et les villes, de plus en plus attirées par la monumentalité, la fonctionnalité et la souplesse de l’architecture industrielle, mettent en place un certain nombre de projets de transformation et de valorisation de leur patrimoine.

2. Les avantages des bâtiments industriels L’usine est un bâtiment « dont la condition première est l’utilité » déclare en 1832 dans son dictionnaire d’architecture Quatremère de Quincy. L’esthétisme n’est donc pas la base de la réalisation. Comme le dit Emmanuelle Réal « Espace, lumière, robustesse de l’enveloppe et résistance de la structure sont les premiers besoins des bâtiments industriels et donc leurs principales qualités ». En raison de ces exigences techniques, l’architecture industrielle a été un domaine d’expérimentation. Grâce aux nouveaux matériaux produits par l’industrie elle-même, les bâtiments se sont développés avec des systèmes constructifs toujours plus innovants et des formes toujours plus appropriées aux besoins de production. Ces nécessités ont engendré une typologie d’édifices aux morphologies variées qui se prêtent plus ou moins bien à accueillir certaines fonctions plutôt que d’autres. L’architecture industrielle est divisée en trois catégories : l’architecture industrielle fonctionnelle, rationnelle et de prestige.

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Figure 1 : Royal Mill à Manchester, ancienne filature de coton de 1912, sa reconversion multifonctionnelle en logements, bureaux et commerces débute en 2003,

Figure 2 : L’Albert Dock à Liverpool, anciens entrepôts portuaires autour d’un bassin de 3 ha reconvertis à partir de 1981 en espaces de tourisme, de commerce, de culture, http://albert-dock-liverpool.co.uk

http://property.mitula.co.uk

L’architecture industrielle fonctionnelle renvoie aux bâtiments dont la forme est conduite directement par la fonction et répond aux contraintes de la production. Les usines de textiles, souvent des bâtiments monoblocs à étages avec des façades très vitrées, offrent en raison de leur morphologie et de leur qualité constructive, un grand potentiel d’adaptation : hauteur sous plafond, plateaux libres, façades vitrées, solidité de la structure permettent de multiples aménagements. La reconversion en habitat prédomine mais d’autres types d’utilisation existent également. Les entrepôts portuaires sont aussi l’objet de projets de reconversion dans la plupart des grandes villes portuaires d’Europe. Ces bâtiments à étages conçus pour le stockage de marchandises sont dotés d’un système constructif très robuste. Ils abritent généralement des programmes mixtes d’espaces de culture et de loisirs avec des commerces, des bureaux. Les grands moulins sont aussi un exemple d’architecture fonctionnelle. Les principales spécificités fonctionnelles de ces bâtiments sont la robustesse et la verticalité du bâtiment car le processus de fabrication s’effectue de haut en bas pour profiter de la gravitation. La structure est importante car le bâti doit résister aux poids des nombreuses machines et à leurs vibrations. Les projets de reconversion sont variés : habitat, culture, éducation…

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Figure 1 : La halle de la SUDAC à Paris reconvertie en bibliothèque pour l’Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Paris Val de Seine, 2015, Photo de L. Lemoine Figure 2 : La grande halle de la Villette à Paris, anciens abattoirs et marché de Paris reconvertis en salle d’exposition et de spectacle par l’agence Reichen et Robert, http://paris1900.lartnouveau.com

Figure 3 : Sheds paraboliques de l’ancienne usine de lanières El Vapor à Terrassa. Reconversion en salles d’exposition du musée des sciences et des techniques de Catalogne, http://patrimoni.gencat.cat

L’architecture industrielle rationnelle apparait au milieu du XIXème siècle. Ces bâtiments dits « standards » ont une forme rationnalisée qui permet d’accueillir différents types d’activités. Leur forme simple, leur caractère répétitif et leur grand nombre sur le territoire diminuent leur intérêt patrimonial. Cependant, beaucoup ignorent que leur conception a révolutionné le monde de l’industrie. Ces édifices s’avèrent être facilement réutilisés pour de nouveaux usages. Les halles apparaissent pour répondre aux besoins du chemin de fer naissant. Ces constructions légères et résistantes permettent le franchissement de très grandes portées sans entraves structurelles. L’éclairage est assuré par de larges ouvertures zénithales et par des lanterneaux. En matière de reconversion, ces espaces souvent surdimensionnés offrent les usages les plus variés. Mais des projets de transformation existent aussi à de plus petites échelles, comme Le Théâtre du Soleil à la Cartoucherie de Vincennes. Cette reconversion comprend cinq hangars accolés dont la structure principale est un système de portique laissant à la troupe des possibilités de scénographie variées. 7


Les bâtiments industriels en shed sont des espaces rationalisés à trame constructive régulière sur un plan libre. Généralement bâtis en rez-de-chaussée, leur spécificité est leur éclairage zénithal en dents de scie. Les ateliers en shed font peu l’objet de projets de reconversion en raison de leur architecture rarement spectaculaire. L’architecture industrielle de prestige comprend les édifices industriels qui, malgré les principes d’utilitarisme et d’économie de l’industrie, n’échappent pas à l’ostentation. Le souci esthétique qui se manifeste dans le traitement des façades, sans modifier l’organisation de la fonction à l’intérieur, rend compte de la double fonction symbolique de représentation de pouvoir politique et économique. Les manufactures royales et les châteaux de l’industrie, à des époques différentes, sont des symboles de l’industrie triomphante. La monumentalité du bâti, la qualité des matériaux et les décors de façades masquent la rationalité des bâtiments et leurs véritables fonctions de production. Leur reconversion s’appuie sur la restauration méticuleuse des façades et un remodelage des espaces intérieurs. Ces édifices sont, généralement, transformés en lieux culturels, officiels ou de prestige, archives, sièges sociaux… Les centrales électriques sont les « cathédrales des temps modernes », symboles de la seconde révolution industrielle. Elles se présentent comme des grandes halles monumentales, sous lesquelles sont installées chaudières et machines. Leur organisation spatiale s’ordonne parfois sur un plan basilical ou octogonal emprunté à l’architecture religieuse. En raison de leur taille gigantesque, ces édifices peinent à retrouver un nouvel usage et sont souvent détruits. Cependant, la Tate Modern, dans la centrale de Bankside, édifiée au centre de Londres dans les années 1950, est un projet de reconversion remarquable. Le musée a redonné vie à cette immense bâtisse abandonnée depuis 1981. Sa cheminée de 99 mètres fait face et répond au dôme de la Cathédrale Saint-Paul sur l’autre rive de la Tamise.

Figure 1 : Bankside Power Station en 1989, RYAN Raymund, MOORE Rowan, Tate Gallery, 2000. Building Tate Modern : Herzog et De Meuron, Londres, Ed. Tate Publishing, 200 p.

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Les édifices industriels ont mis du temps avant d’être reconnus et d’accéder au rang de patrimoine. Avec leurs typologies variées, des qualités de matériaux et des qualités lumineuses et structurelles, les sites industriels offrent un véritable potentiel en termes de réemploi. Cette démarche architecturale particulière transforme la façon de concevoir, en remettant en cause les principes modernistes de la « feuille blanche ». Le nouveau programme doit s’intégrer dans un bâtiment existant sans dénaturer le programme industriel.

II.

La reconversion, une démarche architecturale spécifique Le processus de reconversion se base sur la reconnaissance et la valorisation d’un

ancien bâtiment contrairement aux principes de l’architecture moderne où la forme découle de la fonction. La reconversion est un véritable acte architectural qui implique des transformations et des réinventions pour concevoir les espaces nécessaires à un nouveau programme. Cependant, le nouveau projet ne doit pas être sourd et muet à l’origine des lieux. Il doit au contraire en raconter l’histoire. De ce fait, dans un premier temps, je m’intéresse au rapport entre la forme du bâtiment existant et le nouveau programme. Je traite ensuite des transformations sur le bâtiment existant, puis mets en avant le caractère de sauvegarde de sa valeur patrimoniale dans une troisième souspartie.

1. La forme implique le programme Le processus de reconversion inverse la pratique de l’architecte par rapport aux démarches architecturales appliquées à la construction neuve : « form follows fonction », Louis Sullivan. En effet, contrairement aux principes de l’architecture moderne où, à partir de la feuille blanche, la forme découle d’un ensemble d’éléments extérieurs, le travail à partir d’édifices existants commence par la découverte d’espaces que l’architecte remodèlera à la manière d’un sculpteur.

« La reconversion n’est pas un art mineur, […] c’est de création qu’il s’agit. Car intervenir sur un édifice existant c’est composer avec lui, c’est jouer avec des contraintes qui s’ajoutent à celle du programme et des règle9


ments. Ces contraintes sont des supports à l’imaginaire, elles permettent de développer des solutions architecturales qui n’auraient pas été inventées ex nihilo. »

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La reconversion nécessite donc une analyse complète du bâtiment qui permet d’identifier les différents éléments composant l’usine, salles des machines, ateliers, entrepôts, bureaux, circulations, aires de stockage, qui seront transformés pour intégrer le nouveau programme.

Figure 1 : Bankside Power Station en 1994. RYAN Raymund, MOORE Rowan, Tate Gallery, 2000, op cit.

Figure 2 : La halle aux turbines en 1994, id.

Comme je l’ai montré dans la première partie du dossier, l’architecture industrielle offre un potentiel en matière de réemploi, notamment pour la culture. L’ancienne centrale électrique de Bankside, dessinée par Giles Gilbert Scott, fait partie du patrimoine britannique et ne peut pas rester inactive. Les espaces et volumes de tailles différentes (la salle aux turbines, les bureaux…), rendus possibles grâce à une 1

Citation de Bernard REICHEN et Philippe ROBERT tirée du livre de REAL Emmanuelle, 2013. Reconversions – L’architecture industrielle réinventée, Haute Normandie, Ed. L’Inventaire Général du Patrimoine Culturel Région Haute-Normandie, 303 p.

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structure métallique, en parfait état, permettent des combinaisons de réemploi variées. Le bâtiment présente aussi des qualités en termes de matériaux (majoritairement la brique) mais aussi en termes de lumière avec l’ouverture zénithale qui court tout le long du « Turbine Hall » et les grandes ouvertures en fentes verticales sur les façades. Cet édifice est très bien situé, construit au cœur la ville dans le quartier industriel de Southwark, et présente un potentiel énorme. En 1992, les plans de réorganisation des différentes collections d’art national sont annoncés avec les projets de la Tate Gallery et de la Tate Modern Gallery. C’est en 1994, dans la lignée des autres grands musées d’art moderne du monde, que la centrale électrique de Bankside est donc choisie pour accueillir la nouvelle Tate Mo1 dern Gallery de Londres.

A l’inverse, le choix de la Cartoucherie de Vincennes comme projet de reconversion en espace de création théâtrale s’est fait au-delà de sa valeur architecturale. Longtemps nomade, la troupe du Soleil avait besoin de trouver un lieu stable qui puisse leur permettre de travailler.

« Le drame d’un comédien en général, c’est que quand il ne joue pas, il ne travaille pas, il n’a aucun endroit pour travailler. […] C’est le cas de la majorité des comédiens dans ce pays. C’est une des premières choses que nous allons essayer de pallier. »

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Le théâtre d’Ariane Mnouchkine se base sur les traditions nomades du théâtre de tréteaux. Le lieu d’accueil choisi ne peut donc pas être un théâtre à l’italienne mais à l’inverse doit présenter de vastes volumes où la circulation puisse se faire aisément entre ateliers de fabrication (décors, costumes), plateau, administration et accueil du public. L’architecte Christian Dupavillon découvre cet ancien entrepôt militaire délabré et contacte le Soleil. « La Cartoucherie est un lieu absolument splendide qui en même temps reste modeste » déclare Ariane Mnouchkine. Rien ne prédisposait la Cartoucherie, dans l’état où elle était, à devenir un lieu de spectacle. Les cinq nefs juxtaposées sont parfaites pour délimiter distinctement les différents espaces tout en ayant une continuité spatiale.

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Citation d’Ariane Mnouchkine, fondatrice de la Troupe du Soleil, tirée du livre de PICON-VALLIN Béatrice, 2014. Le Théâtre du Soleil, les cinquante premières années, Arles, Ed. Actes Sud, 351 p

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Figure 1 : Les cinq nefs du Théâtre du Soleil, 2015, Figure 2 : L’entrée du public, 2015, Photo de L. Lemoine ibid.

2. Structure, enveloppe et lumière La reconversion d’un bâtiment doit être l’opportunité de montrer sa structure, de valoriser ses détails constructifs et de révéler les matériaux qui le constituent. Une bonne compréhension de la logique structurelle du bâti est donc indispensable. L’architecte aura pour rôle de valoriser l’existant en y greffant des éléments neufs. Il faut donc maîtriser la technique de la greffe et connaître les détails constructifs d’hybridation entre le neuf et l’ancien. Dans le cas contraire, la greffe sera rejetée par le bâtiment. Les approches architecturales face à la reconversion sont variées laissant entrevoir un certain nombre de modes d’interventions : conservation de l’ancien, façadisme, construire dans l’existant, minimalisme… Cependant, l’architecte doit exprimer sans ambiguïté ses nouvelles interventions afin de les différencier de l’état antérieur. 2

Avec une démarche minimaliste et la volonté de créer un « théâtre-abri », le So-

leil va introduire dans ce vaste hangar, avec ses hauts piliers à chapiteaux soutenant des poutrelles qui portent le toit et une verrière dans cet espace d’un seul tenant, un minimum de cloisons. A partir des années 1970, la troupe ne va cesser, avec GuyClaude François son décorateur, de transformer le lieu pour chaque nouvelle création. Les cinq nefs sont distinctes et accueillent des fonctions différentes. La nef nord accueille la cuisine, l’administration et l’atelier où la troupe construit les décors et tout le mobilier. Lors d’une de mes visites, ils étaient en train de fabriquer les nouveaux gradins en métal et bois. La nef qui jouxte cet espace est le foyer pour le public. La décoration 3

de ce lieu change à chaque spectacle. Un énorme portrait de Shakespeare orne le mur est en ce moment, Mac Beth étant la création de l’année. Les deux nefs qui suivent sont 12


l’espace de spectacle. L’architecture intérieure de cet espace évolue au fur et à mesure des besoins, à travers des architectures en dur, toujours éphémères mais qui laissent des traces dans le bâtiment. En 1985, l’organisation des deux nefs se fixe et l’espace scène est installé dans la quatrième nef. Une double peau sur la façade ouest, d’un mètre de large, est créée. Elle sert de couloir de circulation hors de la vue du public. C’est en 1987 que les gradins actuels sont maçonnés et les loges des artistes s’installent dessous. Le public accède à sa place soit par le bas des gradins soit par une rampe d’accès à l’arrière. La dernière nef sert de stockage. L’ancienne galerie de tir, qui court tout le long de ces cinq espaces, a été sectionnée pour différentes fonctions : archives, stocks, buanderie… L’architecture extérieure a, quant à elle, très peu changé, hormis l’extension en brique reprenant le gabarit du hangar qui accueille l’administration du théâtre et le foyer des comédiens. Le Théâtre du Soleil est donc une coquille industrielle intacte abritant une vie architecturale et scénique qui ne s’arrête jamais d’évoluer.

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Figure 1 : La Cartoucherie à l’arrivée de la troupe du Soleil en 1970. PICON-VALLIN

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Béatrice, 2014. op. cit.

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Figure 2 : Les travaux fin 1970. id. Figure 3 : Le sol du Théâtre du soleil est vallonné pour la scène de L’Age d’or. id. Figure 4 : Le plan d’organisation des cinq nefs dont une de stockage non représentée, Archives du Théâtre du Soleil

Le travail de la lumière naturelle dans un théâtre est important. Certains espaces doivent être très lumineux alors que d’autres doivent être sombres. Les verrières des anciens hangars, qui éclairent les cinq espaces, ont été recouvertes à l’exception de celle de l’atelier où la lumière naturelle est essentielle. Depuis quelques années, un dispositif 13


de lumière artificielle, de plus en plus élaboré, a été installé au-dessus de la scène. A l’emplacement de la verrière, sous des plaques translucides, un système de néons crée de la lumière d’aspect naturel. Le rendu est impressionnant. Ce système est devenu un symbole architectural du lieu. Pour la tournée du spectacle Les Naufragés du Fol Espoir, la troupe a construit une copie de la nef avec sa verrière artificielle.

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Figure 1 : L’atelier du Théâtre du Soleil, 2015, Photo L. Lemoine Figure 2 : La verrière recouverte de la nef aux Bouddhas, 2015, id. Figure 3 : La verrière reconstituée audessus de la scène, 2015, id Figure 4 : Les Naufragés du Fol Espoir, spectacle pour lequel la verrière a été copiée à l’identique pour la tournée, PICON-VALLIN Béatrice, 2014, op. cit.

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Dans une autre perspective, Herzog et de Meuron ont transformé le bâtiment de 2

l’ancienne centrale électrique de 1Bankside en musée. Leur démarche a été de cons3 truire dans l’existant, c’est dire faire du neuf dans l’ancien. Ils ont uniquement conservé l’enveloppe en brique qui cache maintenant un contenu totalement différent. Les inté4 rieurs industriels sont modifiés pour s’adapter à la fonction culturelle. L’ancienne centrale électrique de Londres était organisée en trois bandes parallèles : du côté de la Tamise la chaudière centrale, au centre les grandes turbines et du côté sud le dispositif de traitement et d’alimentation. Les architectes ont conservé cette particularité spatiale

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Figure 1 : Coupe transversale. Organisation tripartite, RYAN Raymund, MOORE Rowan, Tate Gallery, 2000, op. cit.

Figure 2 : La halle aux chaudières vue de la halle au turbine après désossement, id.

tripartite. Une large rampe raide se creuse en dehors du bâtiment et fait de la façade ouest celle de l’entrée principale. Elle ouvre dans l’ancienne halle des turbines traitée comme une rue intérieure. Celle-ci traverse les 160 mètres de long du bâtiment, avec 30 mètres de large, et sert de hall d’entrée et de surface d’exposition pour des œuvres exceptionnelles. Une seule passerelle centrale, dans la continuité du pont du Millénium de Norman Foster, vient interrompre ce volume et dessert les autres niveaux d’exposition regroupés dans l’ancienne

Figure 3 : Maquette de la façade ouest et rampe, id.

halle des chaudières en les reliant avec la partie sud, bientôt aménagée. L’ancienne halle des chaudières a donc été remo-

delée pour accueillir les différentes salles d’expositions et l’administration. Les architectes créent un parallélépipède en verre, aux reflets verts, tout le long du toit, qui répond et rééquilibre directement la verticalité de la cheminée. Ce volume est situé audessus des galeries et abrite des locaux techniques, un restaurant panoramique et d’autres salles d’exposition. Il sert aussi de signalétique, où s’affichent les programmations, et est le seul élément indiquant la nouvelle fonction du bâtiment. Illuminée la nuit, cette boîte en verre rayonne, alors que, pendant la journée, elle sert à l’éclairage des salles d’exposition.

Figure 4 : Maquette du parallélépipède prévu sur le toit, id.

Figure 5 : Travaux - structure du parallélépipède, id.

Figure 6 : Rayonnement dans la nuit dans la nuit, id.

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La lumière naturelle qui éclaire un musée doit être maîtrisée. L’immense espace du « Turbine Hall » reçoit la lumière du jour grâce à une verrière et à de grandes ouvertures en forme de fente. La façade sud est opaque tandis qu’au nord de grandes « baywindows » laissent entrevoir les visiteurs du musée déambulant dans les salles, comme dans une vitrine. Les salles d’expositions sont éclairées par ces mêmes ouvertures en fente qui font le tour du bâtiment. Des bandeaux lumineux, intégrés aux plafonds en plâtre cartonné, complètent l’éclairage quand nécessaire. Leur traitement et leur intensité sont tels qu’ils ne se distinguent pas des lanterneaux de lumière naturelle du troisième étage.

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Figure 1 : Ouvertures en fentes verticales de la salle des turbines, id. Figure 2 : La verrière tout le long de la salle des turbines, id. Figure 3 : Les baywindows des salles d’expositions donnant sur la salle de turbines, id. Figure 4 : Ouvertures en fentes verticales des salles d’exposition et bandeaux lumineux, id. Figure 5 : Système lumineux des différentes galeries, id.

3. La mémoire du patrimoine Pour réussir une reconversion et valoriser le patrimoine, il faut intégrer l’histoire du bâtiment, son processus industriel et ses différentes étapes d’évolution. De plus, l’architecte doit avoir de la sympathie pour l’édifice, se limitant strictement aux interventions nécessaires et toujours avec le souci de préserver l’esprit du lieu. La démarche relève d’un équilibre subtil entre conservation et intervention.

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La troupe du Soleil a conservé l’intégralité des hangars avec un minimum de transformations. Le lieu garde tout son caractère industriel : l’existant est partout présent. Dans les trois nerfs, réservées aux représentations, se joue une logique architecturale entre déplacement et stratification, entre nouveau et mémoire, qui matérialise une conception de l’histoire du théâtre et de la troupe du Soleil.

« On transforme le lieu chaque fois, mais on ne démarre jamais de zéro. On ne détruit pas tout pour recommencer […] Un jour, pour Le Caravansérail, on a coupé le plateau au bulldozer, et on s’est rendu compte qu’il y avait la strate des Atrides, dessous l’Indiade, dessous Sihanouk, etc. C’était très émouvant : toute notre histoire était inscrite là. […] On ne stérilise pas le lieu, on ne fait pas table rase. Même si on tente chaque fois de partir d’une feuille vierge, cette feuille vierge est toute vibrante de tout ce qui s’est passé avant. »

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Figure 1 : Photo de la coupe de la scène pour Le Caravansérail, 2003, Archives du Théâtre du Soleil

A l’intérieur de la Tate Modern, je trouve que le bâtiment perd beaucoup de son caractère industriel. L’enveloppe, la cheminée et la volumétrie attestent encore de l’origine du bâtiment. Mais l’intérieur a été totalement repensé, remodelé, transformé : nulle part l’existant original n’est visible. Il y a donc une déconnexion totale entre l’intérieur et l’extérieur. La reconversion est ici une mise en scène de l’architecture industrielle dans un but symbolique. Le bâtiment devient une œuvre à part entière de la collection d’art moderne. 1

Citation d’Ariane Mnouchkine, fondatrice de la Troupe du Soleil, PICON-VALLIN Béatrice, 2014. Le Théâtre du Soleil, les cinquante premières années, Arles, Ed. Actes Sud, 351 p

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« Toute la valeur de notre projet consiste à transcender en trésor un rocher de briques quelconque, plutôt caché, un bâtiment fantôme seulement visible à cause de sa tour. On conserve la rugosité du bâtiment industriel. Mais tout l'intérieur est nouveau. […] Plus qu'un simple bâtiment muséographique, nous avons voulu traiter le projet comme une topographie, une deuxième nature artificielle, un site pour l'art. On a utilisé les forces et l'énergie qui étaient là, sans chercher à traiter le projet comme un bâtiment historique. On est plus proche de l'esprit du centre Pompidou que du projet rétro de la gare d'Orsay. C'est presque l'inverse d'Orsay : c'est un musée pour l'art contemporain. »

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Figure 1 : L’extérieur de la Tate Modern et son Figure 2 : L’intérieur de la Tate Modern sans trace aspect industriel, RYAN Raymund, MOORE Rowan, du caractère industriel, id. Tate Gallery, 2000, op. cit.

La qualité d’une reconversion est toujours liée à l’adéquation entre la forme existante et la nouvelle fonction, la surface et les volumes disponibles et les besoins du nouveau programme, la configuration du bâtiment et le fonctionnement possible, l’image ancienne et la nouvelle. Les démarches architecturales face à la reconversion sont variées et impliquent donc des situations particulières.

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Citation de Jacques Herzog DE GASQUET Pierre, 1999. Londres : d'une centrale électrique désaffectée à la Tate Modern, Les Echos, http://www.lesechos.fr/18/11/1999/LesEchos/18028-123-ECH_londres---dune-centrale-electrique-desaffectee-a-la-tate-modern.htm

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III.

Entre minimalisme et prestige Les circonstances et les objectifs de reconversion du Théâtre du Soleil et de la

Tate Modern impliquent une approche minimaliste pour l’un et monumentale pour l’autre. Cependant les deux projets ont été conçus à des fins culturelles. Je m’intéresse donc, dans un premier temps, à l’aspect financier des projets de reconversion. J’expose ensuite mon ressenti sur l’ambiance de ses deux lieux et je finis, dans une troisième sous-partie, par montrer que deux démarches opposées peuvent avoir un même but.

1. Aspect financier Il est difficile d’établir avec certitude les coûts des opérations de reconversion ou du coût moyen du m2. Chaque exemple est un cas particulier, un projet unique. Ils dépendent des caractéristiques de l’existant : problèmes de structure, d’étanchéité et d’éventuelle pollution du bâti (la dépollution coûte très chère), coûts de mise en conformité avec les normes actuelles (accès handicapés, incendies…) et parfois surcoûts liés aux travaux occasionnés par la protection au titre des Monuments historiques. Cependant, les reconversions sont aussi des sources d’économies. Par rapport à une opération de table rase, sur les travaux de démolition et éventuellement de dépollution en profondeur des sols, la réutilisation d’édifices existants permet d’éviter les dépenses liées aux fondations. Une structure satisfaisante peut permettre des économies de 30% par rapport à une construction neuve. Les acteurs de ces projets font aussi des économies grâce la qualité des volumes et des matériaux. Ces plus-values représentent des avantages considérables sachant que les bâtiments industriels sont dotés de surfaces et de volumes supérieurs à ceux qui seraient autorisés pour un bâtiment neuf, compte tenu des plans d’occupation des sols actuels. Cette générosité des espaces et des volumes va de pair avec une originalité des formes. Malgré le caractère unique de chaque reconversion, des études ont pu être menées pour tenter une comparaison entre le coût d’une opération de reconversion et celui d’une démolition/reconstruction. L’analyse montre que la réutilisation de bâtiments industriels s’avère une solution plus économique que la construction neuve si l’existant ne présente pas de pathologie ou dysfonctionnement majeurs. C’est ce que montre le référentiel réalisé en 2009 à la demande du département de Seine-Saint-Denis par J.-B. Cremnizter, architecte-urbaniste, et M. Ducroux, économiste de la construction. Ce travail s’appuie sur l’étude de six reconversions industrielles banales plus représentatives 19


et révélatrices de la stratégie économique de ce processus architectural que des projets de grande envergure à vocation de prestige.

Exemple 1 Projet : L’Atelier 231, une fabrique de spectacles d’arts de la rue Localisation : Sotteville Les Rouen Architectes de la reconversion : B. Grimaux et L. Israel Ancienne fabrique de locomotives construite en 1870 par des ingénieurs anglais. Abandonnée pendant longtemps, la mairie cherchait une utilité pour ces hangars en briques et pierres de meule à structure métallique. En 1998, l’ensemble est reconverti en espace de créations artistiques pour le spectacle de rue. Coût

Equivalent

Plus-value pour

Plus-value

Récapitulatif

Différentiel

reconversion

Coût neuf +

volume

pour

Coûts neuf +

Neuf/

+ réhabilita-

démolition

identique

matériaux

plus-values*

reconversion*

tion*

existant*

existant*

identiques existant*

Lot démolition Lot

0,00

186 375,00

0,00

0,00

186 375,00

186 375,00

0,00

0,00

0,00

0,00

0,00

0,00

240 745,76

1 225 000,00

36 000,00

0,00

1 261 000,00

1 020 254,24

225 406,77

1 012 500,00

111 000,00

452 000,00

1 575 500,00

1 349 094,23

140 461,23

372 750,00

0,00

0,00

372 750,00

232 288,77

229 449,74

745 500

0,00

0,00

745 500

516 050,26

0,00

0,00

0,00

0,00

0,00

dépollution Lot structure Lot enveloppe Lot second œuvre Lot équipements techniques Lot espaces

Inclus dans

extérieurs

lot structure

TOTAL

* Valeurs en

837 062,50

3 542 125,00

147 000,00

452 000,00

4 141 125,00

3 304 062,50

2009, en € HT

Tableau 1 : comparatif coûts de travaux reconversion / construction neuve

1

Etude de cas de la logique économique de l’Atelier 231 à Sotteville Les Rouen par J.-B. CREMNITZER et M. DUCROUX, CREMNITZER Jean-Bernard, 13 février 2013. Quelques problématiques de la reconversion des bâtiments industriels, cours publics d’histoire de l’architecture organisé par la Cité de l’Architecture et du Patrimoine, Paris.

20


Dans leur analyse, J.-B. Cremnitzer et M. Ducroux n’ont pas juste comparé le coût du projet de reconversion avec les coûts d’une construction neuve pour le même programme. L’existant présentant des qualités supplémentaires que le neuf ne permet pas, ils ont utilisé des plus-values pour quantifier les m3 des volumes industriels et la qualité des matériaux et les ont ajoutées au coût du neuf. Cet exemple montre que le projet de reconversion est bien plus économique et avantageux qu’un projet neuf.

Je n’ai pas pu établir une analyse économique précise et chiffrée de mes deux études de cas. Cependant, je peux constater que les budgets de ces deux opérations ne sont pas les mêmes et montrent des approches économiques opposées. Le Théâtre du Soleil est un symbole et un haut lieu de la création théâtrale. Le but de la reconversion n’était pas de valoriser une architecture mais d’occuper l’architecture. Les hangars ont reçu le minimum pour leur réhabilitation, les espaces distincts sont définis pour constituer une coquille fixe et organisée. A l’intérieur du théâtre se met alors en place une nouvelle maîtrise d’ouvrage, la maîtrise d’usage. Cette démarche économique sur le long terme permet à l’architecture d’évoluer continuellement selon les besoins de la troupe. Le budget de l’opération du projet de la Tate Modern s’élève à 134 millions de livres (210 millions d'euros). Ce projet fait partie des projets de grande envergure à vocation de prestige des grandes villes mondiales. Les fonds mis dans cette reconversion sont énormes, le lieu doit devenir un symbole du pouvoir culturel de Londres. Cette image emblématique fige l’architecture du lieu, lui permettant difficilement d’évoluer.

2. Des ambiances particulières Pour moi, l’architecture est une discipline qui dégage des sensations et des émotions. La Tate Modern et le Théâtre du Soleil, à leur échelle et avec leur démarche architecturale propre, offrent des situations et des ambiances spécifiques. La troupe du Soleil, à l’intérieur du théâtre, perpétue la tradition du théâtre nomade de tréteaux. L’emplacement des plateaux, des loges, des gradins, a évolué au gré des années avant de se fixer. Chaque spectacle implique un réagencement total ou partiel de l’ensemble du lieu de représentation et du foyer. La troupe convie le public non seulement à un spectacle mais aussi à un moment de vie et d’art partagés. Il doit, à chaque fois, être dépaysé dans un lieu pourtant familier et pouvoir se détendre avant et après la représentation. 21


2

1

Figure 1 : Le Foyer du public, PICON-VALLIN Béatrice, 2014, op. cit. Figure 2 : Le repas dans le Foyer, id. 3

Figure 3 : Les loges sous les gradins derrière un rideau, id.

Le théâtre ouvre une heure avant le spectacle. Le public est convié à partager un repas sur de grandes tables rondes où tout le monde se mélange. La composition du menu proposé au public, pensée dès que le montage du spectacle est achevé, est étroitement liée à son contexte. Après ce repas, le public, acteur de ce premier acte, est invité à regagner son siège de spectateur. Il entre dans un premier volume dédié au spectacle : les murs sont recouverts de représentations de bouddhas, traces d’une pièce antérieure. Au fond, une longue rampe, elle aussi décorée, permet de rejoindre le haut des gradins et la régie. Dessous, en regardant par des trous dans les rideaux, les spectateurs observent les comédiens en train de se préparer. Le contexte du spectacle est une mise en scène où un spectateur curieux se laisse facilement entraîner dans l’imaginaire du lieu. L’espace scène/gradins occupe toute la quatrième nef.

2

3

Figure 1 : Les Atrides, grandes fosses creusées dans le sol avec statues de chevaux et d’hommes en plâtre recouverts de terre, id. Figure 2 : Le Dernier Caravansérail, soie pour le ciel et l’eau du fleuve, id. 1

Figure 3 : Vue sur la scène depuis les gradins, 2015, Photo de L. Lemoine

La scène est immense avec une hauteur sous tyran importante. C’est un terrain d’expression scénique idyllique pour des comédiens. Assis sur les gradins, le spectateur, capté par l’ambiance théâtrale, perd de vue le caractère industriel de la nef, malgré 22


la proximité de la charpente métallique de la verrière. L’espace est sombre, ambiance propre au théâtre, excepté au-dessus de la scène. Le détail de la verrière reconstituée, avec sa lumière artificielle, est impressionnant. Cette pièce unique est pour moi le symbole de cette reconversion. Si la forme reprend exactement celle de la verrière du hangar d’origine, l’ensemble ne manque pas de modernité avec une réutilisation ingénieuse pour les besoins du théâtre. Si l’ambiance confinée et populaire du Théâtre du Soleil a attisé ma curiosité, la monumentalité de la Tate Modern m’a impressionnée. Dès l’entrée, le visiteur est happé, voire englouti, par le vide du gigantesque « Turbin Hall ». Cette immense halle ne peut qu’accueillir des œuvres exceptionnelles, seules capables de lui tenir « Tate ». Quand je m’y suis rendu, l'artiste chinois Ai Weiwei avait conçu une installation "sensorielle" : un parterre géant de graines de tournesol de porcelaine, éparpillées dans ce vaste hall de 1 000 m2. Cette offre d’exposition monumentale est directement liée au projet de reconversion industrielle et aux volumes qu’il permet. 2

1

Figure 2 : Graines de tournesol en porcelaine de l’artiste chinois Ai Weiwei, http:// lemonde.fr

Figure 1 : L’accueil du musée, RYAN Raymund, MOORE Rowan, Tate Gallery, 2000, op. cit.

De cet espace, les « baywindows » lumineux interrompent les piliers d’acier et incitent le visiteur à monter rejoindre les salles d’exposition. Celles-ci s’enchaînent et sont toutes différentes. Les architectes ont varié les surfaces, les volumes, les apports de lumière (ouvertures en fente et bandeaux de lumière artificielle). Il y a peu d’œuvres exposées dans les salles, le visiteur peut donc évoluer autour d’elles et les appréhender sous plusieurs angles. De là résulte une déambulation plaçant sans cesse le visiteur à l’interface entre les œuvres et l’architecture du lieu. La visite se termine dans la boîte en verre sur le toit du bâtiment d’origine. Elle offre une vue panoramique de Londres. 23


Figure 1 : Les escaliers, RYAN Raymund, MOORE Rowan, Tate Gallery, 2000, op. cit.

Figure 2 : Salle d’exposition donnant sur la salle aux turbines, id.

Figure 2 : Salle d’exposition, id.

3. Deux démarches fortes dédiées à la culture Malgré les grandes différences qui singularisent ces deux projets de reconversion, ils ont tous deux été conçus à des fins culturelles. L’architecture industrielle a intégré un nouveau programme. C’est une mise en scène architecturale qui accueille l’art. Par nécessité pour exister, le Soleil a dû forcer les portes en squattant l’ancienne cartoucherie de Vincennes. Le lieu n’a pas été choisi pour son architecture ni même pour l’intérêt de son patrimoine mais pour être le refuge d’une compagnie sans domicile fixe. Par son action culturelle militante, la troupe du Soleil a réussi à redonner vie à ces anciens hangars industriels. En se les appropriant, elle a su mettre à profit la spécificité industrielle des nefs pour les convertir, de l’intérieur, à la vie du théâtre. Mais le travail du Soleil ne s’arrête pas là car l’équipe est toujours active à la restauration et à la transformation du lieu en vue de nouveaux spectacles. L’architecture n’est jamais figée, elle vit par le théâtre. Si la Cartoucherie de Vincennes a été reconvertie par la culture, en l’occurrence par l’activité d’une troupe de théâtre, la centrale électrique de Londres, elle, a été reconvertie pour la culture. Effectivement, la Tate Gallery a, de l’extérieur, créé un écrin à partir du bâtiment industriel de Bankside afin d’y accueillir les collections contemporaines. La Tate Modern est une institution emblématique et prestigieuse qui participe pleinement à la compréhension et à la reconnaissance de l’art contemporain. Mais l’admiration et l’étonnement passés, le lieu court le risque, comme beaucoup d’autres musées, de se figer. Les collections se renouvellent mais l’architecture n’évolue pas. L’institution an24


glaise est désireuse et consciente du besoin d’entretenir le dynamisme de ce lieu culturel. Elle a, par exemple, donné carte blanche au chorégraphe français Boris Charmatz le temps d’un week-end pour faire vivre le musée à travers la danse. Cette initiative de la Tate Modern, sous l’impulsion de sa commissaire principale Catherine Wood et de Boris Charmatz, cherche à répondre à la question qui porte, depuis plus de vingt ans, le travail du chorégraphe : «A quoi pourrait bien ressembler notre musée, celui de la danse, quel type de bâtiment, qu’est-ce qui y serait montré ?». La réponse à cette question, Boris Charmatz ne l’a pas mais la Tate Modern lui offre l’espace pour expérimenter.

«Quand j’ai fondé le musée de la Danse, en 2006, c’était presque en réaction contre ces musées-là, contre ces lieux, souvent magnifiques, mais où le seul mouvement est celui du public qui admire des œuvres statiques. Tout mon travail chorégraphique agit comme un gigantesque " think tank " qui réfléchirait constamment au concept du musée du XXIème siècle, un lieu qui ne soit pas seulement d’exposition, mais aussi de performances, de mouvements qui fassent sens, qui posent des questions adéquates » 1

Quatre-vingt-dix danseurs et Boris Charmatz font de la Tate un musée moderne dansant. Le public est invité à s'échauffer avec le grand chorégraphe dans le Turbine Hall, Photo de H. Glendinning

Malgré des approches économique et budgétaire diamétralement opposées, malgré des histoires très différentes, militante pour l’un, prestigieuse pour l’autre, le Théâtre du Soleil et la Tate Modern permettent à d’anciens bâtiments industriels, grâce à la reconversion, de trouver leur place dans le patrimoine culturel actuel.

1

Citation de Boris Charmatz, DELESALLE-STOLPER Sonia, 2015. Boris Charmatz fait tourner la Tate, Libération Culture, http://www.liberation.fr/culture/2015/05/15/boris-charmatz-fait-tourner-la-tate_1310058

25


En conclusion Aujourd’hui, la reconversion d’anciens sites industriels présente un véritable potentiel écologique, économique et esthétique dans le paysage architectural. La reconnaissance et la valorisation de l’existant sont à la base du processus de reconversion. Cette démarche va à l’encontre des principes de l’architecture moderne pour laquelle la forme découle de la fonction. Cependant, la reconversion reste un véritable acte architectural qui implique des transformations et des réinventions pour concevoir les espaces nécessaires à un nouveau programme. Ce nouveau projet saura ne pas ignorer l’histoire du lieu. Il sera unique, étroitement lié aux circonstances et aux objectifs de la reconversion avec un budget et une ambiance qui lui seront propres. De manière plus ciblée, l’étude des deux projets présentés, le Théâtre du Soleil et la Tate Modern, m’a confirmé le potentiel de l’architecture industrielle en termes de reconversion en espaces culturels. L’originalité et la spécificité de ces deux réalisations, le minimalisme de l’un et la monumentalité de l’autre, m’ont aidé à appréhender la richesse, l’éclectisme et le potentiel imaginaire de cette démarche de transformation et de réemploi au service de l’art. J’ai eu l’occasion de visiter de nombreux lieux culturels lors de spectacles ou d’expositions, dont des lieux reconvertis. Mais en novembre, suite à une des représentations de « Mac Beth » à la Cartoucherie, le choix du Théâtre du Soleil pour mon analyse m’a semblé évident. Ce projet de reconversion architecturale fait partie intégrante d’un projet global dédié au théâtre. La Cartoucherie se situant dans le bois de Vincennes, il était facile d’y retourner afin d’affiner ma compréhension du lieu. J’y ai rencontré des techniciens, des comédiens, des administratifs… Chacun m’a apporté son regard sur le théâtre et la compagnie, ponctué d’anecdotes. Au-delà de l’architecture qui était à la base de mes interrogations, j’ai découvert une philosophie, un état d’esprit propres à ce lieu et aux personnes qui y travaillent. En réaction à la spécificité minimaliste de la reconversion du Théâtre du Soleil, la Tate Modern, et sa monumentalité, s’est imposée comme « projet miroir ». Lors d’un voyage à Londres en 2011, alors que je n’étais pas encore étudiante en architecture, j’ai visité ce musée. J’ai alors été impressionnée par le gigantisme du lieu et la qualité des espaces créés. Cette impression, toujours présente à mon esprit, a été affinée grâce aux repères que les études d’architecture m’ont apportés. Malheureusement, cette année, une analyse in situ de la Tate Modern n’a pas été possible. J’aurais aimé rencontrer des personnes, comme à la Cartoucherie, pour compléter mon étude grâce à des ressentis et des récits. Mon rapport, en ce qui concerne la 26


Tate Modern, se base donc uniquement sur mes souvenirs et le livre de RYAN Raymund, MOORE Rowan, Tate Gallery, Building Tate Modern : Herzog et De Meuron. Plus largement concernée par les problématiques de développement durable, ce travail sur la reconversion industrielle et la valorisation du patrimoine a été une première étape dans ma réflexion de future architecte respectueuse de l’environnement. Dans le contexte actuel, il est important de réagir et d’adapter notre façon de construire. Durant mon cursus de licence, peu de cours m’ont permis de développer mes connaissances en termes d’architecture écologique et de ses principes constructifs. Je suis consciente d’avoir à compléter mes compétences dans ce domaine et souhaite donc poursuivre ma formation dans cette direction. Bien que l’Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Paris Val de Seine propose un domaine d’étude lié à l’intervention sur l’existant qui n’est pas sans intérêt pour moi, j’ai fait une demande de transfert aux écoles de Bordeaux et Lyon qui proposent des masters plus spécifiquement liés à l’architecture écologique.

27


REFERENCES

Conférences 1. CREMNITZER Jean-Bernard, 13 février 2013. Quelques problématiques de la reconversion des bâtiments industriels, cours publics d’histoire de l’architecture organisé par la Cité de l’Architecture et du Patrimoine, Paris.

Ouvrages

2. REAL Emmanuelle, 2013. Reconversions – L’architecture industrielle réinventée, Haute Normandie, Ed. L’Inventaire Général du Patrimoine Culturel Région HauteNormandie, 303 p. 3. SCHITTICH Christian, 2006. Construire dans l’existant : reconversion, addition, création, s.l., Ed. Birkhäuser, 176 p. 4. RYAN Raymund, MOORE Rowan, Tate Gallery, 2000. Building Tate Modern : Herzog et De Meuron, Londres, Ed. Tate Publishing, 200 p. 5. PICON-VALLIN Béatrice, 2014. Le Théâtre du Soleil, les cinquante premières années, Arles, Ed. Actes Sud, 351 p 6. CRAMESNIL Joël, 2005. La Cartoucherie, une aventure théâtrale, Paris, Ed. L’Amandier, 473 p.

Sites internet

7. DE GASQUET Pierre, 1999. Londres : d'une centrale électrique désaffectée à la Tate Modern,

Les

Echos,

http://www.lesechos.fr/18/11/1999/LesEchos/18028-123-

ECH_londres---d-une-centrale-electrique-desaffectee-a-la-tate-modern.htm 8. DELESALLE-STOLPER Sonia, 2015. Boris Charmatz fait tourner la Tate, Libération Culture,

http://www.liberation.fr/culture/2015/05/15/boris-charmatz-fait-tourner-la-

tate_1310058

28


TABLE DES MATIERES Introduction

I.

II.

III.

Le potentiel du patrimoine industriel 1.

Une reconnaissance tardive

2.

Les avantages des bâtiments industriels

La reconversion, une démarche architecturale spécifique 1.

La forme implique le programme

2.

Structure, enveloppe et lumière

3.

La mémoire du patrimoine

Entre minimalisme et prestige 1.

Aspects financiers

2.

Des ambiances particulières

3.

Deux démarches fortes dédiées à la culture

Conclusion

Références

29


Dans une perspective de développement durable, je m’intéresse à la reconversion des bâtiments industriels en espaces culturels. Le dossier retrace les aspects du processus de reconversion. Je base mon travail sur la comparaison entre deux projets de reconversion aux démarches architecturales très opposées, le Théâtre du Soleil à la Cartoucherie de Vincennes et la Tate Modern Gallery à Londres.

MOTS CLES Reconversion, Construire dans l’existant, Architecture industrielle, Tate Modern, La Cartoucherie


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