L' ombre du lac

Page 1


L'ombre du lac J'ai été là, sur le Loch Ness, avec une équipe qui avait été décidée un mois plutôt. Il était 20h, et comme d'habitude en novembre il faisait aussi sombre qu'à minuit en juillet, et pour en remettre une couche, il faisait froid et le brouillard des Highlands régnait sur les 60 km² du lac. Si j'étais présent c'était à cause de l'opération de recherche du célèbre monstre du Loch Ness. Mon cousin s'était porté volontaire. Lorsque je lui avais rendu visite dans la petite ville de Drumnadrochit, il m'en avait parlé. Je lui avais promis que je viendrais et je ne pouvais plus refuser. Mais revenons au sondage des fonds, sur la vingtaine de navire présents, celui de mon cousin était à droite du mien. Cela devait juste être une banale recherche de Nessie comme il en avait eu avant. Nous attendîmes dix minutes. Le manteau de la nuit englobait de plus en plus les environs. Puis nous commençâmes à démarrer le moteur de notre petit bateau. Le vrombissement de celui-ci ébranla le calme des alentours. Le chef de l'opération lança une fusée éclairante dans le ciel embrumé. Soudain mon corps se raidit, je me demandais alors à ce moment si c'était une bonne idée. J'avais un peu étudié le folklore local : le monstre qui se terrait probablement en dessous de nos coques était un grand mangeur de navires. Mon esprit commençait à s'emplir d'idées obscures : ne nous avalerait-t-il pas si il existait, il ferait sans nul doute qu'une bouchée de nos grosses embarcations. Mais j’arrêtai de penser, le vaisseau de tête avançait laissant de petites vagues derrière lui. « On y va » dis-je à mes équipiers. Notre flottille de vingt bateaux formait un « V » inversé si on regardait le lac par-dessus. Bobby démarra le sonar, John prit la barre du petit navire et nous autres pointâmes nos lampes-torches en direction de l'eau sombre et trouble. Des instructions sortirent de la radio que nous avions prise mais aucun de nous ne les écoutèrent, trop occupé à scruter les mètres cubes de ténèbres sous nos pieds. Cela faisait cinq minutes que nous naviguions, le radar n'avait toujours rien détecté. « -Les machines ne voient pas tout, déclara Bobby. -Mais les machines, elles, ont plus de chance de survivre. Si ce monstre existe, il pourrait tout détruire et nous dévorer, répliquai-je »


Tout le monde se tût. L'épaisseur de brouillard semblait deux fois plus forte là où nous nous dirigions. Nous attendions sur le bateau qui continuait d’avancer la fin de ce voyage. Plus personne n'était enthousiaste, les flots verdâtres-noirs m'inspiraient à présent la peur. J'attendis alors quelques instants puis je m'appuyai au rebord au gauche du bateau. Mes yeux suivaient inlassablement le faisceau de la lampe que je tenais. Je remarquai aussi que nous allions très lentement. Nous entamâmes le premier demi-tour. Cette peur qui nous envahissait grandissait peu à peu. Le froid nous gelait les doigts et l'appréhension figeait nos pensées sur des terribles scénarios qui venaient des profondeurs. « -Tu crois que nous sommes les seuls à avoir peur, me demanda Bobby. -Il suffit de demander, dis-je. » Je me posais beaucoup de questions qui resteraient sûrement sans réponses. Je marchai jusqu'à la poupe, puis levai ma lampe et l'allumai... sauf que les piles avaient atteint leur fin de vie. Je regardai autour de moi et je vis McFlint, un petit homme brun et peu musclé. « -On a pris des piles pour les lampes » demandai-je. - Je sais pas, répondit-il sans détourner le regard de l'eau, il y a peut-être dans le sac près de la radio, conclu-t-il. » Je l'écoutai puis je me dirigeai vers le sac en question mais un message radio survint : « -Arrêtez-vous ! Arrêtez-vous ! Un navire à repérer quelque chose. -Stoppe les moteurs ! Criai-je à John. J'entendis des paroles voler dans la nuit, les bruits s'arrêtèrent. Puis, scrutant les sons, j'entendis une sorte de rugissement. Les lumières s'affolèrent sur tous les bateaux qu'on pouvait voir. Les rayons lumineux blancs des lampes étaient floutés par le brouillard qui régnait sur le lac. Mais même avec l'aide des lampes, les profondeurs restaient noires et impénétrables. On ne pouvait rien distinguer.


Soudainement le bateau tangua. Je tombai à la renverse, puis la table sur laquelle se trouvait la radio bascula. Je voyais l'équipage courir dans tous les sens. La peur s'était transformée en panique. Je m'approchai en rampant vers des affaires tombées : les composants de la radio étaient étalés sur le sol froid, elle était comme décapitée. Je m'accroupis en demandant si quelqu'un avait vu quelque chose. Seuls des cris incompréhensibles me parvinrent. John lâcha la barre et se précipita vers moi. « -Doit-on vraiment rester ?! Me demanda-t-il. -Réfléchis avant ! -Je ne réfléchirais pas tant que cette chose reste en-dessous de nous ! Tempêta-t-il contre moi. -Qui te dit qu'il y a quelque chose... Il me coupa dans ma phrase. -Je te le dis ! Regarde autour de toi bon Dieu ! Tout le monde court. » Instinctivement, je tournai ma tête à ma droite puis je la balançai à gauche. Je dû admettre qu'il avait raison : plus personne avait quelque chose de censé en lui, je ne pouvais distinguer que cet état primitif de l'Homme, celui où il donne des hypothèses farfelues à tout ce qu'il ne comprend pas. Je cherchai à ce moment-là une explication rationnelle à donner à John. Mais je ne trouvais rien même s’il y avait un sillage d'idées dans ma tête : aucune ne convenait. « -Regarde les autres bateaux, recommandai-je à John. » Il prit sa lampe torche, il poussa le bouton « on » et la pointa vers le navire de mon cousin, la brume brouillait la vue mais on distinguait clairement des silhouettes entrain de regarder l'eau et de s'agiter. « -Alors eux aussi on sentit quelque chose, avança John. -Le rugissement aurait pu être un moteur de camion. Et ce qui nous a fait tanguer, une rafale de vent, répondis-je. -Sens-tu un brin de vent ? Me dit-il mais je ne répondis pas. » Il me regarda avec un air légèrement mesquin, sûrement comme s’il


savait que j'avais tort. Il y croyait comme tout le monde sur ce pont, excepté moi. « -Je crois qu'il faut qu'on arrête de courir après des chimères, déclarai-je. -Si on n’avait pas crû aux chimères, le monde d'aujourd'hui n'existerait pas, dit John, il faut des penseurs pour faire avancer le monde ou du moins ceux qui essaient de prouver à d'autres que ça pourrait exister et que ça existera un jour, alors laisse-nous croire en cette légende, finit-il. » Je le laissai s'éloigner et rejoindre les autres, je m'interrogeais maintenant sur cette phrase. Devais-je continuer à croire en une raison scientifique ou me laisser envahir par les contes, les légendes et les dires d'autres personnes. Je ne le savais pas et ne le sais toujours pas.


Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.