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Comment bien effacer quelqu’un de l’Histoire? Tuto pinata ou comment se défouler avec panache tout

Comment bien effacer quelqu’un de l’histoire? Comment entre-t-on dans l’histoire ?

Je n’apporterai pas de réponse à cette question, parce que c’est la destruction qui est à l’ordre du jour ! Alors, au travail, puisqu’aujourd’hui on va plutôt essayer de comprendre comment effacer quelqu’un de l’histoire, vous l’aurez compris, nous allons parler damnatio memoriae. À vos marteaux !

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« Quelle joie de jeter à terre ces visages superbes, de courir dessus le fer à la main, de les briser avec la hache, comme si ces visages eussent été sensibles et que chaque coup eût fait jaillir le sang ! Personne ne fut assez maître de ses transports et de sa joie tardive pour ne pas goûter une sorte de vengeance à contempler ces corps mutilés, ces membres mis en pièces ; à voir ces portraits menaçants et horribles jetés dans les flammes et réduits en fusion ...» (Pline, Panégyrique, 52)

Tout d’abord, comment faire de la destruction efficace ? Je ne vais pas vous faire un dessin, mais tous les moyens sont bons pour endommager un monument, avec un peu de force, de volonté et d’imagination, rien ne vous résistera très longtemps. Mais ne vous emballez pas trop vite, reposez ce pied de biche ! Il faut quand même un peu d’organisation pour mener à bien sa damnatio memoriae, et puis d’abord, qu’est-ce que c’est ? Le terme nous vient du latin, il désigne à l’origine un ensemble de condamnations post mortem votées par le Sénat romain vouant un personnage politique à l’oubli après sa mort. Par extension, il s’applique à des pratiques similaires retrouvées dans un contexte non romain.

Si les Romains ont excellé en la matière, ils n’ont pas été les seuls à avoir l’idée de maudire la mémoire de leurs souverains s’il se trouvait que la situation politique avait changé. En effet la damnatio memoriae est souvent un acte politique, effectuée par les autorités au pouvoir sur un défunt (bien sûr il faut être mort pour en béné-

-ficier). On a retrouvé certaines formes de condamnation de la mémoire d’anciens souverains sur les statues d’Akkad en Mésopotamie, avec la destruction de stèles et l’endommagement de statues au niveau du visage et des mains. Des destructions symboliques, donc, puisque ces parties du corps sont associées au pouvoir du dirigeant. Cependant, il semblerait que bien que défigurée, l’image du roi reste à la vue de ses sujets, il s’agirait alors d’une punition de la mémoire du roi et de proclamer sa culpabilité. Nous avons donc ici une atteinte à la mémoire, mais, a priori, on garde bien le souvenir du souverain, pas de quoi faire une damnatio memoriae à proprement parler.

La volonté d’effacer un souverain un peu gênant de l’histoire était plus poussée dans l’Égypte antique, avec quelques cas assez connus. Thoutmosis III, par exemple, maîtrisait assez bien le remaniement artistique de l’histoire. Vexé des manœuvres du règne de sa tante Hatchepsout, il fait marteler son nom sur les statues et les monuments, se gardant bien de la mentionner dans ses annales. Sachant que, chez les anciens Égyptiens, être voué à l’oubli est l’un des pires châtiments puisque c’est par les images, les inscriptions et la pratique des offrandes que le défunt peut continuer à vivre dans l’au-delà.

Vous l’aurez compris si on parle encore d’Hatchepsout aujourd’hui c’est qu’une inscription a échappé au processus, celle du temple de Montou à Ermant, ce qui est très pratique pour les historiens car elle énumère les chantiers menés par la souveraine. De la même manière, les trois rois d’Amarna ont vu leurs noms effacés des monuments et gommés de l’historiographie canonique de la XVIIIe à la XIXe dynastie !

Attention, si vous grattez un nom dans un cartouche pour le remplacer par le vôtre, c’est de la réappropriation, pas juste de la damnatio memoriae !

Il est vrai que tout ce travail donne du fil à retordre aux historiens, mais ceux qui ont assurément mis le plus d’énergie dans le processus de l’oubli d’une personnalité sont les Romains.

Si on note l’existence de condamnation de la mémoire dès la République, consignée à l’entourage du défunt, pour qui la sanction consistait, entre autres, à ne plus porter le praenomen de ce dernier, cela devient une véritable institution sous l’Empire. Et là, ça devient très technique.

Tout d’abord, la condamnation qui était à l’origine une décision juridique devient décision du Sénat qui décide de l’apothéose ou de la damnatio memoriae. Si on choisit la deuxième option, s’ensuit une série de procédures assez précises. On commence par outrager le corps, que l’on prive de sépulture (le plus souvent en le jetant dans le Tibre). On détruit les statues, comme celles d’Antoine, qui avait alors été déclaré hostis publicus. On retrouve l’interdiction pour les descendants de prendre son praenomen et son nom est martelé des monuments et des documents publics. Son jour de naissance est considéré comme corrompu et on l’empêche de figurer parmi les imagines, portraits des défunts de sa gens. On détruit un maximum d’images, outre les statues, les peintures peuvent être grattées et les monnaies à l’effigie du défunt, fondues. Ces mesures sont réservées aux empereurs et peuvent parfois toucher leur famille. Elles font suite à un procès pour crimen maiestatis. Des empereurs tels que Galba, Domitien, Geta ou Néron ont ainsi subi la damnatio memoriae. On interdit parfois de prononcer le nom du condamné dans l’espace public.

Vous vous en doutez, c’est plus compliqué que cela, en effet le peuple a son mot à dire là-dessus. Ainsi les condamnations sont parfois réclamées ou décriées par le peuple, et des mesures sont prises afin d’éviter des guerres civiles. De plus, la mémoire est parfois réhabilitée, comme celle

de Galba, qui aurait montré une attitude digne lors de son assassinat : il aurait tendu le cou à ses agresseurs et son geste a été interprété comme étant en faveur de l’ordre et de l’Empire. Certains même ont essayé d’anticiper la damnatio memoriae et tenté de l’éviter, comme Othon qui soigne particulièrement ses dernières décisions militaires avant de se suicider… Sans pour autant y échapper.

La damnatio memoriae n’est pas une idée nouvelle, elle est aussi restée en usage, Staline en a ainsi usé et abusé afin de faire disparaître des documents officiels des opposants ou des membres du parti jugés gênants. C’est le cas de Nikolaï Iejov, qui a disparu de photographies qui ont aujourd’hui fait le tour du monde. Le concept de damnatio memoriae n’a pas complètement disparu de nos mentalités, mais vous l’aurez compris faire disparaître complètement quelqu’un de l’histoire est d’autant plus complexe, dans une ère de mondialisation, d’informatique et de publication à grande échelle. Vous aurez définitivement besoin d’un peu plus qu’un marteau pour faire une bonne damnatio memoriae…

Noémie

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