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Quand la destruction est une passion : une introduc- tion au «nouveau réalisme»

QUAND LA DESTRUCTION EST UNE PASSION : UNE INTRODUCTION AU « NOUVEAU RÉALISME » !

La destruction. Terrible constat qui fait résonner les échos sordides de ce qui n’est plus, action qui se lit par ce qu’elle retire plutôt que par ce qu’elle produit. La destruction semble être l’opposé même du geste créatif. Et pourtant, l’acte de destruction constitue parfois directement le processus créatif… Cet article part d’un constat : les artistes du mouvement « nouveau réalisme » aiment particulièrement détruire ! Drôle de constat me direz-vous ! Certes. Mais j’ai décidé de creuser le sujet, et d’utiliser le thème de la destruction comme prétexte à une petite présentation de ce mouvement majeur de l’art contemporain.

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Il est évidemment difficile de résumer et de dresser le portrait des multiples singularités, des nombreuses individualités et des pratiques diversifiées qui composent l’identité des artistes d’un mouvement aussi important que le Nouveau Réalisme. Cependant, il y a quelques constantes qui semblent nourrir et unifier -consciemment ou non- le travail de nombre de ces artistes majeurs de la scène contemporaine. C’est à ces quelques grands principes que je m’attache, pour initier les amateurs ou amuser les connaisseurs.

LE NOUVEAU RÉALISME : QU’EST-CE-QUE QUOI ? Tout d’abord, les nouveaux réalistes c’est qui et c’est quand ? Eh bien ce sont des artistes dont les noms vous sont probablement familiers, ou évocateurs de quelques images. Arman, Niki de Saint Phalle, Klein, César (oui, oui comme la cérémonie ! Le prix pour les vainqueurs, c’est une copie d’une œuvre de César !). Les nouveaux réalistes se réunissent en 1960 autour de Pierre Restany, critique d’art français. Ils sont alors 9 -Yves Klein, Arman, François Dufrêne, Raymond Hains, Martial Raysse, Daniel Spoerri, Jean Tinguely, Jacques de la Villeglé- et symbolisent leurs filiations par la signature d’une déclaration commune. Dès 1961, ils sont rejoints par César, Mimmo Rotella, puis Niki de Saint Phalle et Gérard Deschamps ou encore Christo et Jeanne Claude.

D’accord ! mais… ils font quoi ? Plus qu’un mouvement à l’unité stylistique, les nouveaux réalistes constituent un groupe d’artistes unis par la même conscience, le même désir et la même motivation : re-présenter, d’une nouvelle manière, une réalité changeante et nouvelle. Ensemble ils s’intéressent à la banalité du quotidien, à la nouveauté matérielle, pour tendre à capter la réalité la plus pure des années 60. Ils entendent ainsi dresser le portrait de leur époque, capturer leur présent. Pour cela, ils font des objets du quotidien leur médium autant que leurs sujets, puisant dans la riche production industrielle qui s’offre à eux.

En effet, s’il est besoin d’une remise en contexte, rappelons qu’au tournant des années 60 l’Europe se relève des horreurs de la Seconde Guerre mondiale. Les restrictions qui l’accompagnaient s’éloignent, la reconstruction est déjà bien avancée et l’heure est à la célébration. Chacun est désormais autorisé à jouir des plaisirs qu’offre la vie. L’industrie redémarre et atteint des sommets encore jamais égalés, le plastique est inventé, et le monde découvre les joies de la consommation de masse, de la production en série, du tout jetable, de l’éphémère, du consommable. La société devient consumériste, encore loin d’anticiper les conséquences des abus productifs…

Les plus théoriques résumeront mon propos par l’expression « les Trente Glorieuses », mais je ne pouvais résister à en énumérer les idées.

Les nouveaux réalistes présentent ou re-présentent donc d’une nouvelle manière, en abandonnant (partiellement) les médiums traditionnels que sont la peinture et la sculpture, une réalité profondément modifiée. Ils ressentent le besoin de faire table rase, et de trouver de nouveaux moyens d’expressions artistiques, lassés par l’abstraction alors en vogue. Ils expérimentent et conçoivent comme jamais encore on a conçu. Arman accumule des objets usagés et jetés, dans des accumulations ou des poubelles, Spoerri pérennise des repas en conservant et fixant à l’identique tous les objets laissés sur la table dans ce qu’il appelle des « tableaux pièges », Tinguely s’improvise bricoleur et utilise des pièces métalliques rouillées pour concevoir des mécanismes autonomes et bruyants, Niki de Saint Phalle agglomère des objets du quotidien pour en questionner le sens, de la Villeglé expose des affiches publicitaires et politiques glanées dans l’espace public, Martial Raysse crée des composition par l’assemblage d’objets hétérogènes sortis tout droit du commerce.

DÉTRUIRE, UNE NOUVELLE MANIÈRE DE CRÉER ! Ils s’opposent au lyrisme de l’abstraction et entendent concevoir avec le réel, en prêtant une grande attention au processus et à l’action quotidienne comme possible geste artistique. Et c’est cela qui m’amène à vous parler destruction ! Car oui, la destruction, c’est aussi un procédé créatif ! Arman en est probablement le représentant le plus emblématique : avec sa série des colères, et notamment Chopin’s Waterloo (1962) il détruit, avec une ardeur impétueuse, des instruments de musique ! Mais il n’est pas le seul : Niki de Saint Phalle, avec ses Tirs (1961-1963), fusille littéralement la toile, César écrase des carcasses de voitures pour Compression « Ricard » (1962). Ils détruisent, altèrent, modifient, déconstruisent, recomposent et déstructurent l’objet du quotidien.

Mais pourquoi me direz-vous ? Eh bien pour une raison simple : les nouveaux réalistes en sont persuadés, il n’y a pas de meilleur moyen pour présenter la réalité que de rejouer les actions de cette réalité ! Fini la peinture des réalistes du XIXe qui représente passivement la réalité, ils veulent montrer la réalité dans ce qu’elle a de plus spontané et de plus concret. Fini la représentation de l’objet, place à l’objet ! Fini le dessin des actions quotidiennes, place à la vie !

Ils s’attardent donc à reproduire les logiques et les nouvelles pratiques d’une société devenue consumériste, pour en dresser le portrait (voire pour mieux la critiquer). Ils détruisent car la société détruit, ils détruisent pour rendre compte de l’amplification de la production de déchets. L’objet devenant consommable, son obsolescence lui impose de tomber dans une désuétude inéluctable, il est destiné à être détruit ! La machine est lancée, les artistes l’ont compris : détruire c’est obtenir un résultat. Désormais, tout acte peut devenir acte créatif. Ainsi les nouveaux réalistes reprennent et s’approprient les questionnements duchampiens, autrement dit la considération que tout objet peut être une œuvre d’art, si l’artiste en décide ainsi.

Mais la destruction n’est pas le seul acte quotidien qu’ils considèrent comme pouvant être un geste créatif. Prendre un repas, collectionner, produire en série deviennent des processus créatifs, vivre la nouvelle réalité devient un art : c’est le nouveau réalisme !

Voilà ! Maintenant lorsque vous serez face à une tôle de voiture froissée ou une accumulation dans un musée, vous comprendrez aisément qu’il ne s’agit pas d’un vulgaire déchet, mais que c’est bel et bien le résultat d’une complexe volonté de représenter la réalité, dans sa plus juste matérialité.

L’ESSENTIEL

QUI ? Des artistes français parmi lesquels Arman, César, Niki de Saint Phalle et Tinguely autour de Pierre Restany

QUAND ? 1960-1970

OU ? En France et en Europe

QUOI ? . Présenter d'une nouvelle manière une réalité nouvelle . Créer avec de nouveaux procédés et se saisir des nouvelles pratiques contemporaines . Considérer le geste quotidien comme un geste artistique . Reproduire/rejouer les logiques du capitalisme -tardif. Introduire le réel et le quotidien pour s’ancrer dans son présent.

Adrien Barbault

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