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p.22-24 Art mutilé et propagande d’Etat
Art mutilé et propagande d’Etat
Si la Première Guerre mondiale est connue pour ses nombreuses vies humaines arrachées, l’art, victime plus silencieuse n’a bien entendu pas été épargné. C’est ce qu’a voulu mettre en lumière l’exposition « Art Mutilé » de 1916. A seul but d’informer le public ? Outil politique de choix, elle permet également de raviver la flamme nationaliste française. Un siècle et cinq ans plus tard, visitons ensemble cette exposition et ses coulisses.
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Mis en lumière à l’initiative du journaliste Charles Humbert, les dégâts des incendies et des bombardements ont fait l’objet d’une exposition au Petit Palais en 1916, quelque temps seulement après la bataille de Verdun. 300 pièces mutilées y sont présentées, dont une bonne partie d’œuvres d’art françaises, venant en grand nombre d’églises et de cathédrales incendiées. A l’affiche, le coq de la cathédrale de Verdun attire l’œil. Cette exposition est inédite dans le paysage muséal français : toutes les autres expositions antérieures ont pour habitude d’exalter l’héroïsme des soldats et non de placer le pays en position de victime. Les recettes ont été versées pour moitié à la Fraternité des Artistes, une association de soutien de l’art en des temps si difficiles.
Lorsqu’enfin, votre ticket en main, vous accédez à l’entrée principale du Petit Palais, le parcours commence sur votre gauche. Suivant l’axe du front, l’exposition commence par les œuvres mutilées de Dunkerque pour arriver à Thann dans le Haut-Rhin. Il vous est possible d’admirer des chefs-d’oeuvres tel l’imposant Lion d’Arras, retiré de son beffroi et d’autant plus monumental ainsi défiguré et à hauteur d’homme, ou encore les gisants du XVIe siècle conservés au château de Tilloloy.
Ceux-ci, présentés dans une salle à part, rappellent au public la scénographie du musée des Monuments Français, ajoutant au tableau, comme symbole de la dégénérescence du siècle entrant, les mains mutilées, les têtes coupées et les regards suppliants des hommes autrefois si majestueux. Parmi les œuvres d’arts sont aussi présentées les armes de leur crime : des éclats d’obus sont exhibés à côté de la cloche de Reims à moitié fondue, rappelant l’incendie de sa cathédrale devenue symbole des dégâts de ces régions à l’international. Cependant, attiré par un détail, l’œil d’un expert s’arrête devant la Pietà de Soudain, le bras mutilé et la tête posée non loin du corps. La statue a été décapitée bien avant la guerre suite à un accident. C’est un symbole fort de ce flou volontairement entretenu entre dégâts de la guerre et dégâts du temps. En effet, l’incident exact de sa destruction n’est mentionné ni près de l’œuvre, ni dans le catalogue d’exposition présenté à l’époque comme un guide de visite. Les photographies ont également une place de choix dans l’exposition, permettant de transmettre une image de l’état des lieux et toucher davantage les visiteurs. Certaines de ces œuvres ont d’ailleurs été ajoutées aux collections permanentes du musée dans une salle dédiée à ce sujet.
La volonté politique est claire : l’exposition place l’art français catholique comme victime de l’ingérence de l’Allemagne protestante, qualifiée par Jean Vignaud, journaliste pour le Petit Parisien d’ « ennemi implacable de toute civilisation », ravivant par ses mots le traumatisme de la défaite de 1870. L’effet escompté ne se fit pas attendre. Des visiteurs de l’époque ont rapporté, comme Paul Sentenac, être sortis avec quatre sentiments simultanés. En premier lieu, une grande pitié pour ces objets mutilés et ceux à jamais perdus, une admiration pour la richesse du patrimoine français, un orgueil d’appartenance à ce peuple mais également une haine contre les Allemands, provocateurs de ce désastre. Alors que les combats continuent, l’exposition prend une place médiatique particulièrement grande ; le défi de revitalisation du nationalisme est accompli. Le patrimoine est présenté comme une victime silencieuse et impuissante des combats. 26
Mais cette réputation des soldats allemands destructeurs de cathédrale et pilleurs de trésors est-elle véritablement justifiée ?
Ce jugement oublie de prendre en compte les efforts de l’armée allemande pour prendre en compte le patrimoine français (et redorer son image !). En effet, suite à l’incendie de la bibliothèque de Louvain en août 1914, une nouvelle section est née et mise en place sur tous les fronts : la Kunstschutz (commission allemande pour la protection du patrimoine). Cette équipe d’experts est envoyée avec l’armée pour conseiller le commandant et réduire au maximum la destruction d’œuvre d’art, cessant ainsi de dégrader l’image de l’armée allemande à l’international. Ce corps d’armée a continué d’exister durant la Seconde Guerre mondiale. Cependant, ce corps a longuement été accusé par les Français et les Belges d’instrument de spoliation du patrimoine. L’après-guerre alors, comme à la suite de la chute de l’empire napoléonien, fait l’objet d’une longue période de restitution d’oeuvre et une revendication de dédommagement de la part des belges et des français.
Cette commission s’est pourtant revendiquée comme faisant partie de la politique de la Convention de La Haye pour la protection des biens culturels, mise en place en 1907. Cette convention signée par les grandes puissances engage les pays attaqués à indiquer clairement les lieux du patrimoine culturel, scientifique et religieux à ne pas détruire. Elle engage également les attaquants à ne pas s’y attaquer tant que ce lieu ne sert pas de base militaire. Elle montre une attache forte au patrimoine en ce début de XXe siècle. Le non-respect de cette convention en début de conflit s’explique notamment par le manque de sanctions imposées en cas de non-respect. De plus, cette convention ne prend pas en compte l’évolution du conflit tournant vers la guerre « totale » et limitant ainsi encore un peu plus sa possible mise en place.
En clair, tout cela dépend encore du point de vue : si du côté allemand on tente tout pour se faire voir en protecteur des biens culturels, du côté français, l’image du pilleur de trésor et destructeur de cathédrales a la peau dure, d’autant plus renforcée par la propagande d’Etatet la volonté de la reprise des combats.
Mathilde RODRIGUES