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Séraphine de Senlis : chasse aux fleurs et aux idées reçues
by Louvr'Boîte
Si certains d’entre vous se sont rendus à cette exposition du Louvre intitulée “Les Choses”, ils n’ont probablement pas manqué de découvrir, entre un poulet hyperréaliste et un tas de chewing-gums conceptuels, un curieux bouquet de fleurs. Un peu éclatant, un peu pétaradant, les fleurs du paradis semblent nous haranguer violemment du regard, en face des paisibles animaux silencieux de Chardin. Le cartel identifie l'œuvre comme une toile de Séraphine Louis, dite Séraphine de Senlis. Mais, à dire vrai, ce même cartel ne m’a pas totalement satisfaite. La biographie de l’artiste se trouve plus ou moins résumée aux dernières années de sa vie, où elle se trouve internée à l’asile de Clermont de l’Oise… précisément l’époque où Séraphine ne peignait plus.
Pour ceux qui ont vu le film éponyme de Martin Provost, où Yolande Moreau interprète l’artiste, vous connaissez déjà toutes les complexités de la vie de Séraphine, bien au-delà des clichés d’une artiste internée et un peu lunaire. Pour les autres, je vous offre ici une petite session de rattrapage, pour vous aider à découvrir cette fascinante dame, ou peut-être nuancer ce que vous saviez déjà.
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Tout d’abord, Séraphine de Senlis n’est pas née à Senlis… mais à Arsy, un village de l’Oise avoisinant la cité épiscopale de Compiègne. A 17 ans, elle devient domestique dans un couvent de Clermont-de-l’Oise, où elle travaille pendant vingt ans. C’est uniquement en 1906, à 42 ans, que sa présence à Senlis est attestée. Elle devient peu à peu domestique pour de riches familles bourgeoises.
Parmi eux, le critique d’art Wilhelm Uhde, récemment installé dans cette petite cité médiévale. C’est lui qui repère l’artiste et l’encourage à peindre.
L'arbre de vie, musée d'Art et d'Archéologie de Senlis
Séparés par la guerre, Wilhelm Uhde et Séraphine Louis se retrouvent en 1927, lorsque l’artiste expose à l’Hôtel de Ville de Senlis. La domestique n’a pas cessé de peindre et Uhde commence à la soutenir financièrement. Mais là encore, idée reçue : il n’est pas le seul à avoir parié sur le talent de l’artiste. Elle compte aussi sur l’amitié du senlisien Charles-Jean Hallo, alors conservateur du musée de la ville et affichiste renommé. Anne-Marie Uhde n’est, elle aussi, pas toujours évoquée. C’est pourtant elle, la sœur de Wilhelm, qui effectue en 1989 un important legs des toiles de Séraphine au musée d’Art et Archéologie de Senlis.
Si nous nous penchons d’ailleurs sur la présence des œuvres de Séraphine en collection publique, là encore, une surprise ! Le premier musée à avoir acheté une de ses toiles n’est pas français, mais bien allemand : en 1928, Wilhelm Uhde encourage le musée de Cassel à faire l’acquisition de la toile Rêve d’une plante, pour l’importante somme de 14 000 francs. Aujourd’hui, certaines de ses toiles sont exposées jusqu’au Setgaya Art Museum de Tokyo !
Et parlons aussi des titres choisis pour ses tableaux : L’Arbre de Vie, L’Arbre de Paradis, tout cela reflète une véritable dimension sacrée. Mais attention : si Séraphine est une fervente croyante, fortement marquée par son séjour chez les religieuses, aucun de ces titres ne lui est pourtant dû. C’est encore Wilhelm et Anne-Marie Uhde qui nomment eux-mêmes les compositions de l’artiste, y voyant la même attention mystique que chez les plus grands peintres du Moyen Age. De quoi libérer encore plus votre regard, lorsque celui-ci croisera une œuvre de Séraphine Louis !
-> Pour les curieux qui désireraient se pencher sur la vie de Séraphine, je renvoie à la très belle biographie Séraphine, de Françoise Cloarec (Ed. Phébus, 2008).
-> Et pour ceux qui préfèreraient un peu de contexte général sur Wilhelm Uhde et les autres “primitifs modernes”, dirigez-vous vers le catalogue d’exposition Du Douanier Rousseau à Séraphine - les grands maîtres naïfs (Ed. Gallimard, 2019).