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L’antique gastronome Apicius

Marcus Gavius Apicius, qui a vécu sous Auguste puis sous Tibère, est célèbre pour la vie pour le moins extravagante qu’il a menée. Il était prêt à dépenser des sommes faramineuses dans ses expérimentations culinaires nécessitant les ingrédients les plus coûteux, et pour l’invention de nouvelles recettes comme des talons de chameaux ou des langues de paons (amis végétariens, pardon), ou bien encore pour l’organisation de banquets d’un raffinement et d’un faste effarants. Le sens de l’hospitalité était sans doute une chose qui ne pouvait pas lui être reprochée ! Dans son Banquet des Sophistes, Athénée relate même qu’ayant entendu parler de langoustes de belle taille, Apicius se serait directement rendu en Libye pour les acheter. Voyant ce qu’on lui proposait alors, il s’est rappelé qu’il en avait vu de meilleure qualité en Italie et s’en retourna, visiblement assez indifférent d’avoir effectué ce long voyage pour rien. Mais lorsqu’il s’est rendu compte qu’il lui restait – seulement - dix millions de sesterces, on raconte qu’il aurait préféré se suicider plutôt que d’être moins dépensier. Il était donc un personnage glouton, frivole et décadent. Cependant, gardons à l’esprit que le temps a fait son œuvre, beaucoup ont écrit à son sujet dès l’Antiquité, tel Pline l’Ancien ou Sénèque, et ce non sans nuire à sa réputation. Si Apicius a ainsi créé une école de cuisine, il est surtout réputé être le premier à avoir rédigé un traité culinaire, De re coquinaria (L’art culinaire). Pourtant il est à noter que ce texte a subi de nombreuses pertes et modifications au cours du temps. La version aujourd’hui connue serait en fait davantage une compilation à dater du début du Ve siècle. Par ailleurs, Apicius n’est en réalité pas le premier auteur de gastronomie : les Grecs l’ont largement précédé, à l’image de Dorion dans « Des poissons » ou Chrysippe de Tyane dans « l’Art du boulanger » et bien d’autres. Ce traité demeure néanmoins un important témoignage sur l’alimentation de l’époque, et est par ailleurs assez amusant à lire. Enfin, l’automne est là, les TDO ont repris et bien que passionnants, ils nécessitent suffisamment d’énergie. Par conséquent, quoi de mieux que de s’inspirer des recettes de L’art culinaire dont Jacques André, éminent latiniste et philologue, nous a livrés une admirable traduction également commentée ? L’ouvrage livre des conseils de toutes sortes sur la conservation des aliments, de nombreuses recettes de sauces, légumes, viandes, potages, vins, dont certaines paraîtraient probablement étranges à nos papilles du XXIe siècle. Mais intéressons-nous aux quelques recettes qui raviront les becs sucrés, en tout cas pour les adeptes de poivre car toutes en contiennent.

Voici ce qui serait l’équivalent de notre pain-perdu mais sans oeuf : Apicius indique de prendre des petits pains d’Afrique et de ne garder que la mie. Si vous n’en avez pas, une bonne baguette française fera l’affaire. Il s’agit ensuite de la tremper dans du lait, de passer le tout au four (il ne dit pas combien de temps donc n’oubliez pas de surveiller la cuisson !). Versez du miel sur le dessus en piquant le pain pour qu’il soit bien imbibé. Enfin, ce qui fait toute la différence: saupoudrer de poivre ! Il est aussi possible de faire la même chose mais en faisant frire le pain plutôt que de le passer au four. Le chef vous propose également une recette de flan. Pour cela, il faut mélanger du lait et du miel, ajouter trois ou cinq œufs selon la quantité de lait, mélanger à nouveau puis passer à l’étamine (une sorte de filtre mais utilisez un tamis). Ensuite, il s’agit de faire cuire jusqu’à ce que cela prenne, puis d’agrémenter de poivre, vous l’aurez compris. Pour une recette un peu plus originale, vous pouvez moudre du poivre avec des pignons, du miel, du vin paillé et de la rue (d’autant plus que la rue est une plante connue dès l’Antiquité pour ses vertus médicinales. Attention néanmoins, il y a des contre-indications au-delà d’une certaine dose). Il est nécessaire d’ajouter du lait et des œufs et de faire cuire jusqu’à ce que le tout soit suffisamment consistant. Pour terminer, garnissez de miel et de poivre.

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Braves gens, à vos fourneaux !

Lyse Debard

Source : Apicius, L’art culinaire, traduction de Jacques André, Les Belles Lettres, 1974

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