Mémoire Maîtrise Art Appliqués

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L’anamorphose est un trompe-l’œil complexe, en 3 dimensions. Il utilise la perspective pour recréer une forme qui ne sera visible que d’un point de vue. Cette installation lumineuse trouble certainement le spectateur qui ne voit dans un premier temps qu’une série de suspension lumineuse, puis découvre avec stupeur une forme, un ? qui fait écho à ses interrogations.

Marc Dormage, Installation lumineuse à l’église SaintPaul Saint-Louis pour la Nuit Blanche de Paris, 2007


Franck Lackama, Instantané pris à bord du paquebot la Gascogne, mars 1888

Bondir, sauter, jaillir… C’est l’instant avec des points de suspension, c’est le flash de la photo. Tout est possible lorsque nous sommes entre deux états : en sautant nous nous envolons un peu. Sauter c’est aussi avancer, mais d’une façon étonnante. C’est enfin un reflexe lorsque nous sommes surpris, nous sursautons. Sauter, c’est lutter contre l’apesanteur et vouloir rompre l’ordinaire.


Tout cacher, à l’envie pour mieux choisir ce dont on a besoin à l’instant, ce serait la solution. De là cacher son épouse… La narration sert la surprise : en créant un suspens, l’histoire nous attend au tournant avec une chute. Ce terme de chute évoque bien la stupéfaction que nous ressentons en découvrant le meurtrier ou la fin de la bonne blague. Sempé, dessins extraits de Tout se complique, Éditions Denoël, Paris, 1962


Déployer, c’est ce que l’on dit des ailes d’un oiseau. Lorsque le mobilier s’en mêle, il est fascinant. Le lit escamotable qui crée tant de gags dans les films ou cette table, qui s’extrait d’un petit buffet sont des objets magiques. Apparaître et disparaître, n’est-ce pas le propre de la surprise ?

Nobuhiro Teshima, meuble table Mobile Dining, 2006



Liddy Scheffknecht en collaboration avec Armin B. Wagner, mobilier-sculpture en carton Pop Up, 2009 Albert Londe, Saut d’un tabouret. Chronophotographie pendant la durée de l’éclair magnésique, 12 : 100 de seconde, poudre Ruggieri, v.1905, 162x161 Florence Doléac, impression sur tissu Pop corn, pour l’exposition “All over” organisée par Matt Sindall, Paris, 2006noël,

L’explosion c’est la métamorphose, le choc radical. Celle du pop-corn, peut-être la moins dangereuse est fascinante. Le passage d’un état à un autre, d’une forme régulière à cette mousse insolite nous épate à chaque fois. C’est comme monter des blancs d’œufs en neige : la chimie culinaire est un terrain prospère pour nous amuser.

La disparition en un clin d’œil c’est aussi la magie du lapin dans le chapeau. Comment est-ce possible ? Présent puis invisible, il y’a un « truc ». Les livres avec des pop-up provoquent à chaque fois la surprise : comment un volume si complexe se cache entre deux feuilles ? En ouvrant une porte, un livre, en l’occurrence un carton géant, on ne sait pas ce qui va se passer, l’impatience est là…


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Surprise & design un défi pour la création Lucile Chaix

Mémoire de Master 1 Arts Appliqués UFR Histoire, Arts et Archéologie 2010. sous la direction de Mme Alzieu


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Introduction

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I.Désir & design

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A.Découvrir & s’émouvoir 1.Luxe & création 2.S&duction 3.Nouveaut&s

B.Designers & désirs C.Designers & art 1.Diffusion & rareté 2.Artistes & designers

Le Cabinet de Curiosité II.Cré&r la surprise A.Poésie & bricolage B.Création & découvertes 1.Int&ractions 2.Possibilités

C.Subversivité & humour D.Gadget, goût & design

Plats et assiettes, une histoire de contenant III.L’aventure du design A.Expérience & attraction 1.Le cadeau "Bonux " 2.Imm&rsion

B.Rénovation et invention C.Technique & innovation 1.Innovation 2.Technologie & créativité

D.Aléatoire & hybridation 1.M&tamorphose 2.Construction

E.Apparition & scénarios 1.Faux-semblants 2.Usage de la surprise

Conclusion

Bibliographie et Internetographie

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Introduction

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égler le réveil, se lever en deux temps, mettre un sucre et demi dans son thé, tremper ou non la tartine dans le bol, lire les petites annonces ou regarder ses messages : nous ritualisons notre quotidien. Ces habitudes nécessaires, ces automatismes sans fin facilitent la vie. Nous ne réinventons pas chaque matin notre façon de mener à bien la journée. Cette permanence nous exaspère parfois, on se reproche alors de s’enfermer dans cette normalité. Et nous prenons conscience de cette habitude lorsque nous les changeons : vacances, voyage ou jambe cassée.

Bien sur nous aimons certaines habitudes, le

pain au chocolat du matin ou le feuilleton du mardi soir. Mais nous cherchons aussi à nous surprendre. En percevant de l’inattendu, nous ressentons une émotion, nous éprouvons le contraire de l’habitude. En lisant, en découvrant un film, en observant une sculpture ou encore en dégustant la musique, nous cherchons la surprise. C’est par elle que la tension se créé et que l’on devient curieux. Les arts nous offrent un choix d’émotions qui débutent souvent par la surprise : la découverte et le choc de la confrontation peuvent émouvoir, troubler. Ce terme, la surprise, apriori peu noble pour évoquer les grands arts est pourtant évident.

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ous aimons l’art car il est hors du commun, il nous dépasse : nous admirons les œuvres parce qu’elles stimulent d’une manière nouvelle notre imagination. Il s’agit même d’un impératif pour les œuvres d’art : pour éprouver la catharsis que l’on cherche en elle, il faut un choc. Mais

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ne cherche-t-on pas dans notre quotidien, dans des objets plus ordinaires ce même dépassement de l’habitude ? Le designer, ce créateur du commun cherche à réinventer les gestes et les usages. Il est donc logique qu’il fasse de la surprise un but, mais aussi un moyen.

Produire de l’inattendu, de l’incroyable, du

saugrenu, ou, du presque ordinaire. Si le créateur doit nous surprendre en réinventant le monde, sa créativité est elle-même stimulée par des découvertes et des explorations… Grâce au sentiment enthousiaste de la surprise, nous renouvelons notre perception du monde. La surprise est une émotion forte, un étonnement marquant, mais aussi un symptôme de l’aventurier, qui lui permet de faire des découvertes remarquables.

Le créateur va puiser dans les sciences, les

arts, le quotidien et l’ancien pour innover. En jouant au petit chimiste avec tous ces savoirs, il expérimente et se laisse surprendre. Il répond aussi à des fantasmes d’objets, puisant dans l’imagination l’improbable. Le designer utilise ainsi la surprise sous trois aspects majeurs : la réflexion, la création et la réception.

L’artiste est celui auquel on prête une inspi-

ration divine, des éclairs géniaux dans lesquels apparaîtraient les idées. C’est aussi dans ce coté magique et tout puissant que le créateur ressent la surprise. Le designer est dépassé par sa créativité, submergé par le mythique flash de l’idée.

malement ses fonctions. En modifiant les modes de fabrication, le designer s’implique différemment, imposant l’alternative.

Certains designers, en marge de réalisations

plus traditionnelles, proposent des objets qui défient la définition du design de différentes manières : sans fonction, pièces uniques ou gadgets… De nouvelles typologies d’objets issus du design montrent le goût, l’identité du designer. Ils perturbent l’ordre et nous rappelle qu’il est héritier de l’artiste (et du technicien). Ces objets rebelles sont aussi plus « touchants » pour le spectateur/consommateur.

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a découverte de certains objets mène à une nouvelle façon de les envisager : que ce soit par tromperie, par jaillissement, ou par explosion, les objets racontent des histoires. Si les créateurs revendiquent la création des scénarios de vie à partir de leurs objets, on peut aussi évoquer des scénarios d’apparition. Les déballages offrent des émotions nouvelles et c’est l’apparition de l’objet qui fait sensation.

Nous voulons être étonnés au quotidien,

rompre les habitudes que nous évoquions. Pouvonsnous être surpris malgré la récurrence de l’usage ? L’étonnement ne semble pas pouvoir durer : une fois la chute d’une histoire drôle connue, elle perd son intérêt ! L’innovation doit lutter pour durer et toujours se faire désirer. Surprise et quotidien sont-ils compatibles ? Voyons-ça…

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l doit alors expérimenter de nombreuses techniques et compétences pour réaliser son projet. Lors de ces approximations, l’objet lui échappe, advenant par lui-même. Le créateur peut alors être surpris une seconde fois. Outre ses expériences qui doivent aboutir à un projet unique, le designer essaie parfois d’esquiver la production industrielle qui définie nor-

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I. Désir & design A. Découvrir & s’émouvoir 1. Luxe & création

La diversité de création dans le design est évi-

dement liée à l’amplitude des champs de création et des profils mais aussi à la flexibilité du designer face à un cahier des charges. La périlleuse définition du design, qui hésite entre industrie et art, est constamment remise en cause par les créatifs qui jonglent avec ces domaines. Un exemple de ce grand écart entre l’artiste et le créatif répondant à des contraintes multiples, pourrait être dans le milieu de la mode, où la haute-couture permet à certains de réaliser de purs fantasmes, fruit d’artisanat d’art et de longues heures d’élaboration, et les bureaux de style des grandes industries vestimentaires. Les résultats financiers sont aussi primordiaux dans la haute-couture que dans le prêt-à-porter comme nous le découvrons au travers des fermetures de grandes maisons, notamment celle de Christian Lacroix en 2009. La disparité des méthodes et des moyens peut justifier l’amplitude des créations. Le positionnement de l’artiste lui permet de créer de l’extraordinaire et un objet proche de l’œuvre d’art, identifiée par ses matériaux « raffinés », son prix élevé, et son unicité, alors que le créatif est davantage amené à réfléchir en termes de rentabilité, de diffusion et de plaire au plus grand nombre. Nous sommes dans une configuration ancestrale : l’artiste reconnu et la production anonyme. Cette dichotomie évince les alternatives existantes, comme les créateurs méconnus mais travaillant à petite échelle. Les enjeux de tous ces designers sont pourtant parallèles : susciter le désir par la création, la diffuser (tout au moins son image pour la haute-couture) et la renouveler sans cesse.

Les Designer’s Days, une association de pro-

motion de design qui organise des journées d’exposition et de show room, avait choisi pour thème le dé-

sir lors de l’édition 2007. Désirer, c’est « souhaiter la possession de » 1quelque chose, c’est espérer, rêver d’en être le propriétaire. C’est aussi conférer à l’objet une certaine capacité de nous combler, de résoudre une carence et d’incarner une projection de soi. Cette convoitise définit l’envie2 lorsque l’enjeu du désir est possédé par un autre. C’est aussi par la création d’une envie que naît le désir. Envier, voire jalouser quelqu’un qui a quelque chose de spécial fait preuve du pouvoir de séduction de l’objet, et donc de son potentiel commercial. Son exclusivité (par le prix, l’édition limitée, la confidentialité) peut renforcer cette frustration et cristalliser l’importance du désir dans l’achat d’un objet. Cette idée que l’envie est un aspect de la création et du design repose sur « l’émotion » de l’objet. Le potentiel sensible qu’on lui attribue est moderne : ce qui était réservé aux objets précieux (beaux meubles, bijoux) concerne aujourd’hui presque tout. Les nouveautés sont faites pour être désirées, qu’il s’agisse du nouveau goût d’un thé ou d’un lave-vaisselle innovant.

Les stratégies du marketing vont dans ce

sens : créer la désirabilité d’un objet, c’est là le défi afin d’assurer le développement des ventes d’une entreprise. Sans entrer dans une analyse du capitalisme (je n’en ai pas les outils et ce n’est pas l’enjeu de l’étude), il est à rappeler l’évidence que la création est adossée à des fins commerciales. Bien sur, à l’origine la création répond à des besoins : un outil doit résoudre un problème. Un des exemples actuels les plus probants de cette association marketing/designers s’incarne dans la folie Apple. Les prêches de Steve jobs et les notions de communauté des accrocs de la pomme rendent chaque création de la marque 1 Philippe Merlet, sous la direction de. Le petit Larousse illustré, Larousse, 2004, p.356. 2 Ibid., p.418.

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Etudiantes avec des sacs Louis Vuitton, photo anonyme Steve Jobs, cofondateur d’Apple, photo de Paul Sakuma

iconique. La valeur ajoutée serait dans ce cas, ce sentiment d’appartenance à une communauté exclusive.

Le marketing et la création sont particuliè-

rement mêlés dans ce genre d’entreprise mondiale. Les photos troublantes de gens dormant devant des magasins la veille de la sortie d’un objet électronique (consoles de jeux, ordinateurs, téléphone, tablettes numériques) ou bien d’objet de luxe nous rappellent l’envergure que prennent ces objets pour certains : des rassemblements qui peuvent aller jusqu’à l’émeute. En 2002, une nouvelle boutique de Louis Vuitton fut créée à Omotesando au Japon comme un fleuron de la marque, dans le luxe et la démesure. Et la maison française, forte de son immense popularité, fit florès : « Deux jours avant l’ouverture, mille quatre

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cents groupies de Vuitton campaient devant l’établissement en attendant de pouvoir faire leurs achats. Le premier jour, les vendeurs enregistrèrent un chiffre d’affaire extraordinaire de 1,04 million de dollars3. » L’excitation, la ferveur de ces « groupies » révèlent tout à fait jusqu’où le désir peut induire en acte : l’idole n’est plus un chanteur ou un mannequin mais une marque, c’est à dire qu’une marque, le « signifié » est incarné par un objet, le « signifiant ».

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hacun veut toucher du doigt le luxe, qui en deviendrait presque banal : « En 2006, 40% [des 3 Dana Thomas, Luxe & Co : Comment les marques ont tué le luxe/Deluxe : How luxury lost its lustre, traduit de l’américain par Olivier Colette, Paris, 2008 (2007), Édition des Arènes, p.101.


japonais] possédaient un article Vuitton4 ». Pour ce qui est d’Apple, chaque présentation d’objet depuis l’IMac, l’ordinateur monobloc et coloré en 1993, est l’occasion d’une ferveur internationale. Pour la nouvelle tablette à tout faire, l’IPad, un chroniqueur média du New-York Times a écrit : « Je n’ai pas été aussi enthousiaste à l’idée d’acheter quelque chose depuis mes 8 ans, quand j’ai commandé de petits hippocampes proposés en quatrième de couverture d’un magazine de bandes dessinées5 ». Et c’est bien là la subtilité de ces jouets pour « geeks ». Steve Jobs aurait ainsi pour devise : « Je vous redonnerai le sens de l’émerveillement enfantin. Il n’y a rien que vous puissiez faire pour m’en empêcher6 ». Cette qualité qu’un objet peut offrir, ce sentiment de recevoir un cadeau de noël, correspond à une forme de luxe. L’acte d’achat doit avoir pour but l’accession à un plaisir. Et pour que cette envie naisse, le créateur doit séduire.

2. S&duction

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tre séduit par l’objet implique une relation particulière avec celui-ci, et l’idée que la production industrielle coïncide avec une envie intime met en exergue les qualités d’un objet designé : «Le design cherche à rendre désirable les objets de l’industrie. Si l’objet du design n’est rien moins que le désir, son excitation passe par le contrôle de la sensibilité des

4 Ibid., p.33. 5 Charles Arthur citant David Carr, « Pourquoi Steve Jobs gagne presque à tous les coups », The Guardian, Londres, publié dans Courrier International, n°1004, Paris, janvier 2010, p.32. 6 Bryan Appleyard, « Un patron perfectionniste et exigeant », The Times, Londres, publié dans Courrier International, n°1004, Paris, janvier 2010, p.34.

consommateurs»7. Le désir est, en tant qu’émotion, amené à être vécu : il y’a là une incitation au désir qui est prédéfinie et qui s’impose au spectateur-usager. Cette appréciation d’un ressenti dans l’usage est une plus-value importante, et la responsabilité de l’usager serait d’apprécier l’idée qu’un objet manufacturé puisse lui offrir des émotions. Cette attente de l’objet désiré est elle même fabriquée. L’émotion que peut susciter la découverte d’un objet convoité, c’est un peu celle de l’ouverture d’un cadeau. La surprise est attendue… C’est bien un paradoxe, mais ce désir de nouveautés, toujours renouvelé structure le lien que l’on a aux objets. L’innovation est excitante, elle permet de rêver du futur et des possibles.

L’objet du désir pour le marketing, c’est en

quelque sorte donner une réponse à une question qui n’a pas été formulée. Nous sommes fascinés par certaines découvertes technologique ou scientifique. Les designers et les ingénieurs créent des objets surprenants, entre science fiction et dessin animé. Le réveil Clocky du Massachusetts Institute of Technology saute de la table de chevet et roule pour mieux obliger l’ensommeillé à se lever. En incarnant ce qui ne semble qu’être un gag de bande dessinée, ces inventeurs nous surprennent. Ils créent un désir, celui de posséder un objet singulier.

L’anecdote, l’histoire et le vécu que l’on peut

avoir avec un tel objet sont des éléments attractifs. Posséder un objet hors du commun crée une fierté, comme si l’on avait réussi à séduire l’être rêvé. Cette implication sentimentale pour l’objet industriel fonctionne aussi par la valorisation de la possession. Les objets néo-précieux comme les ordinateurs ou les objets électroniques sont pour les passionnés comme 7 Olivier Assouly, « Le design comme esthétique de la réception », dans, Brigitte Flamand, Le design, essais sur des théories et des pratiques, Paris, Institut Français de la mode, 2006, Édition du regard, p.260.

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des œuvres qu’ils collectionnent. L’enchère des qualités technologiques ou de l’exclusivité est étonnante pour des objets qui, au final, sont quotidiens. On peut aussi s’étonner des collectionneurs d’un nouveau genre, comme ceux de baskets en édition limitée. Que des objets si ordinaires (nous ne parlons pas ici de joaillerie ou de haute couture) déclenchent de telles passions montre combien le désir est devenu incarné dans des objets. La culture mainstream, celle qui plaît à tous et reste dominante, s’est trouvée de nouveaux défis.

De grands ingénieurs développent parfois

des objets qui pourraient être vendus dans des magasins de gadgets. Le designer Matthieu Lehanneur s’associe quant à lui à des ingénieurs pour créer Andréa, un système de filtration d’air par les plantes. Les domaines s’entrechoquent car les enjeux d’innovation sont constants. C’est une nécessité que de croiser les compétences pour mieux réfléchir et trouver : se laisser surprendre.

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Nike, baskets Nike air royalty macaron pour Colette, 2009 Massachusetts Institute of Technology et Nanda, réveil farceur Clocky, 2005 Mathieu Lehanneur en collaboration avec David Edwards, système de filtration d’air par les plantes, Andrea, 2009

[ Curiosité & philosophie : la surprise comme médiatrice L’introduction de Bertrand Rougé, dans l’acte du colloque de 1996 La Surprise, commence par une évocation mythologique qui lui permet de poser la notion de surprise : Socrate échange avec Théétète ces propos : « Car c’est cet état qui consiste à s’émerveiller, est tout à fait d’un philosophe, la philosophie en effet ne débute pas autrement, et il semble bien ne pas s’être trompé celui qui a dit qu’Iris est la fille de Thaumas ». L’explication étymologique et mythologique éclaire nos lanternes : « L’amour de la sagesse étant divin, Iris, Messagère des Dieux, n’a pu qu’être le canal par lequel la philosophie est venue aux hommes. Or le père d’Iris n’est autre que Thaumas, dont le nom fait écho au verbe latin taumazein, qui signifie : s’étonner, admirer, vénérer. Bref, c’est la surprise(Thaumas) qui ouvre la voie à (Iris) menant à l’amour de la sagesse. Autrement dit, au-delà du cas particulier de Théétète, c’est bien universellement par l’entremise de l’étonnement que l’homme vient à la philosophie, par la surprise que la philosophie vient aux hommes1 ». De cette longue citation, nous déduisons une filiation entre surprise et philosophie, que l’on acquiert si l’on est réceptif et capable de se laisser surprendre ; il faut, semble-t-il, pour pouvoir philosopher, accepter le risque de l’inconnu. Ce sursaut seul peut initier l’idée neuve. La continuité généalogique nous permet de faire la transition avec les arts : la création et la réception de l’œuvre naissent dans la surprise. C’est dans la possibilité de ressentir quelque chose que le spectateur vient à l’art : sa curiosité lui permet l’émotion, et peut-être la connaissance. « La curiosité philosophique ou scientifique se trouve, en quelque sorte, gratifiée de surprise. Une surprise attendue, désirée, puis goutée qui fournit dès lors le primum movens de la curiosité en suscitant l’attente puis en déclenchant le plaisir de la découverte. 2». ] 1 Bertrand Rougé (sous la direction de), La Surprise, Pau, Publication de l’Université de Pau, 1998, , p.7. 2 Ibid, p.10.

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Chaise, anonyme

Philippe Bestenheider, fauteuils Binta, édité par Moroso, 2009 Bram Boo, chaise Overdose Chair, 2009

3. Nouveaut&s

II s’agit presque d’un truisme que de constater

le défilement des inventions, pourtant toujours désirées à leur époque : « De nombreuses inventions liées aux nouveaux matériaux, aux nouvelles technologies et à l’imagination de leur temps ont disparu aussi brusquement qu’elles ont vu le jour »8. On peut aussi insister sur la définition d’inventer : « créer le premier, en faisant preuve d’ingéniosité ce qui n’existait pas encore et dont personne n’avait eu l’idée9 », pour saisir davantage la compétition qui peut exister dans l’inventivité : les génies se succèdent, innovant sans cesse. Mais les nouveautés peuvent connaitre le succès aussi vite que le désamour. Un exemple probant de cette succession d’objets est l’addition des machines à écouter la musique : phonographe, tourne-disque, radio, et cela jusqu’aux mp3. Ainsi, ce sont tout à la fois les progrès techniques, les nouveaux matériaux et les besoins que l’on peut décoder dans les objets usuels. On peut ensuite lire dans le chapitre de Mel Byars sur les nouveaux matériaux dans l’ouvrage Design, carrefour des arts de Raymond Guidot, une énumération des objets abandonnés pour cause de progrès technique. Mais il rappelle aussi que les objets les plus traditionnels persistent : les chaises en bois et les vases en cristal sont toujours fabriqués : « la production d’objets en matériaux traditionnels se poursuit. »10. Leur utilité, voire leur nécessité semblent leur garantir une pérennité. C’est aussi à l’habitude que ces objets doivent leur persistance : sans âge, sans identité ni grande valeur, acheter ces objets classiques n’implique aucun risque. La déchéance d’un objet est bien 8 Mel Byars, « Nouveaux matériaux, nouvelles technologies : « les bons, les brutes et les truands » », dans, Raymond Guidot, Design, carrefour des arts, Paris, Flammarion, 2003, p. 291. 9 Philippe Merlet, sous la direction de. Le petit Larousse illustré, Larousse, 2004, p.594. 10 Ibid., p. 309.

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plus rapide lorsqu’il y’a de la technologie mise en jeu : on hérite plus facilement de mobilier que de hi-fi.

Si les matériaux restent, les techniques, elles,

ont bien évolué depuis l’artisanat : « On pourrait dire, de façon générale, que la technique de reproduction détache l’objet reproduit du modèle de la tradition. En multipliant les exemplaires, elle substitue à son occurrence unique son existence en série. Et en permettant à la reproduction de s’offrir au récepteur dans la situation où il se trouve, elle actualise l’objet reproduit »11. La disponibilité des objets est tributaire du développement des techniques de reproduction, mais rend aussi les créateurs responsables de créer de l’unique, de l’authentique, en un mot de surprendre. Et c’est ainsi que nous sommes devenus des collectionneurs d’objets hétéroclites : la multiplicité du choix, même de produits industriels, donne une impression de diversité, voire de rareté. Nous avons donc à disposition toutes les variétés, toutes les familles d’objets, et nous cherchons celui qui saura nous émouvoir ou nous parler. C’est un des aspects étonnants de cette démultiplication, cette recherche de l’identité dans l’objet usiné. Ce ne sont en effet plus que les détails qui font la distinction : prix et formes se suivent (nous parlons ici des objets courants, hors luxe), ne restent plus que le «petit plus » ou le plus petit écart à la norme qui touche la sensibilité de l’acheteur et le décide à posséder. La constance dans l’inconstance, c’est le sacerdoce de certains designers, notamment de mobilier (ce sont des investissements plus lourds) : il faut créer des pièces qui vieillissent bien, voire deviennent des incontournables.

11 Walter Benjamin, L’Œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique, Paris, Édition Allia, 2007, p. 17.


B. Designers & désirs

L

es designers peuvent répondre à leurs désirs, leurs frustrations d’objets ou d’usage par la création. Sans dénoncer les designers comme nécessairement égoïstes, on peut invoquer que dans leurs besoins se cristallisent ceux d’autres citoyens. C’est souvent l’histoire intime qui décide de l’axe du travail du créateur (si le cahier des charges le permet) même si la démarche est altruiste. L’envie du designer est de démontrer un nouvel usage, une nouvelle matière voire une utopie : « Mes idées sont des rêves que je traduis en réalité »12 , commente le designer Belge Bram Boo. Il utilise essentiellement le verbe surprendre pour évoquer son travail13. Une auréole de boîtes au-dessus d’une chaise met en évidence de manière assez élégante, le désamour du belge pour l’ultra-optimisation d’espace, notamment insufflés par Ikea et consorts. Les passions et les dégouts se démontrent dans les objets, qui s’imbibent des histoires et des voyages.

Patricia

Urquiola, designer d’origine espagnole mais européenne dans la vie, compile les voyages et extrait de sa compréhension des cultures des métissages uniques. Les matières, pliées, tissées ont le beau rôle dans ses créations. Elle a participé à un grand projet de collaboration entre l’éditeur italien Moroso et des artisans africains, M’Afrique. Ces rencontres permettent de créer mais aussi de rafraichir l’image de l’ethnique qui tend à devenir surannée. Tord Boontje, Philippe Bestenaider, Ron Arad et Stephen Burks ont participé à cet échange, qui, ressemblant à de nombreux workshop, permet de démontrer tout l’enjeu du plaisir et de la découverte pour le processus de création. La stimulation du designer par de nouvelles compétences, de nouveaux matériaux, ne peut qu’améliorer le résultat d’un défi. 12 Bram Boo, http://www.blog-espritdesign.com/mobilier/bram-boo-profession-designer-1430 13 http://www.etapes.com/pleins-feux-sur-bram-boo

Mais puisque le design n’est pas à un para-

doxe près, la créativité peut aussi venir d’une passion pour… l’ordinaire, le banal, le « Supernormal » de Jasper Morrisson14. Ce dernier préconise la normalité pour défier le temps - et le gâchis- pendant que le duo suédois TAF15 cherche à « rendre le quotidien moins ordinaire », tout en utilisant les codes des clichés…Les objets créés ont l’air banals, et c’est là que leur poésie apparait : ils apaisent. On ne saurait parler de simplicité sans évoquer l’entreprise japonaise MUJI dont « l’abréviation de Mujirushi Ryohin […] signifie en japonais : produits de qualité sans marque16 ». La marque sans marque propose des objets anonymes, intemporels et essentiels. La fonction et le matériau priment pour « répondre à des besoins et non pour les créer. »17. Les projets des designers contemporains sont donc subtils, animés, vivants –comme peut l’être le spectacle vivant- et souvent bien plus intimes et uniques qu’ils n’y paraissent. 14 15 16 17

http://www.jaspermorrison.com/html/index.html http://www.tafarkitektkontor.se http://shoponline.muji.fr/index.php Ibid.

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Parallèlement à ces designers qui choisissent,

décident, il faut aussi évoquer ce que l’industrie et la technique imposent. Les contraintes, les cahiers des charges sont plus importants si l’on designe pour de grandes séries. Parfois c’est aussi la grande technicité qui astreint le créatif à un travail d’enveloppement, c’est-à-dire à créer une coquille, aussi belle que possible pour un corps technologique complexe : « Ceci pose la question très actuelle de la place de l’artistique vis-à-vis d’objets définis par un jeu serré de conditions et conçus par application de modèle déductifs.18 ». C’est pour certains une grande frustration que de ne pouvoir s’impliquer avec sensibilité dans le projet, mais cela peut aussi être l’occasion de démontrer l’importance de la technique et de la fonction sur lesquels reposent la création appliquée. Aussi, lorsque les contraintes sont identiques, les objets se ressemblent : « Quand l’ingénieur Tupolev fut accusé d’avoir, avec son TU144, copié l’avion supersonique Concorde, il répondit très logiquement qu’ayant à résoudre les mêmes problèmes, avec les mêmes modèles déductifs, les mêmes moyens de calcul que les concepteurs franco-anglais, il ne pouvait que trouver le même avion.19 ». 18 Yves Deforge, L’œuvre et le produit, Seyssel, Édition Champ, collection milieux, 1990, p.27. 19 Ibid., p.27.

Concorde, avion de ligne supersonique, 1969

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C. Designers & art 1. Diffusion & rareté

Les designers contemporains ont une visibi-

lité très spécifique : la connaissance de leurs travaux s’effectue majoritairement sur Internet, et la circulation d’images ou vidéos capables de saisir les esprits aident à la diffusion de leurs produits. « Quantitativement infimes dans la création d’objets utiles, ces éditions limitées et pièces uniques sont d’une visibilité souvent inversement proportionnelle à leur nombre. Elles fonctionnent comme des révélateurs –en négatif, où à l’avance, d’une production industrielle – que la « banalité » renvoie, pour le grand public, à une sorte d’invisibilité.20». Il existe alors un écart certain entre ces enjeux de design de représentation -qui n’existe pas à l’échelle industrielle- et parfois reste de l’ordre du prototypage ou de l’image de synthèse, et celui qui est mis en vente. Des partenariats avec de grandes structures de ventes (Printemps, Habitat…) permet20 Camille Morineau, « Artistes et designers contemporains, la fin des rivalités », dans, Raymond Guidot, Design, carrefour des arts, Paris, Flammarion, 2003, p. 245.

Tupolev TU 144, avion de ligne supersonique, 1968


«

I was having a cup of tea with Takashi Okutani in Milan, during the 2005 Salone del Mobile, talking about projects underway with Muji and describing to him the Alessi cutlery project and how I was feeling this approach to design, of leaving out the design, seemed more and more the way to go. I mentioned having seen Naoto Fukasawas aluminium stools for Magis and how they seemed to have a special kind of normality about them, and he added: “super normal“. That was it, a name for what I have been trying to achieve all these years, a perfect summary of what design should be, now more than ever.

fact a certain lack of noticeability has become a requirement. Meanwhile design, which used to be almost unknown as a profession, has become a major source of pollution. Encouraged by glossy lifestyle magazine, and marketing departments, its become a competition to make things as noticeable as possible by means of colour, shape and surprise. Its historic and idealistic purpose, to serve industry and the happy consuming masses at the same time, of conceiving things easier to make and better to live with, seems to have been side-tracked. The virus has already infected the everyday environment. The need for businesses to attract attention provides the perfect carrier for the disease. Design makes things seem special, and who wants normal if they can have special?

I have been feeling more and more uncomfortable with the increasing presence of design in everyday situations and in products lined up on the shelves of everyday shops. For years And thats the problem. Once normal has been wiped people have faulted design for being inaccessible, over priced and out theres no going back. Its a bit like building new housing out of tune with the mass market. Now that it has become on virgin countryside, or developing huge areas of cities at one mainstream its beginning to look like a sell time. What has grown naturally and unout, as if design simply stepped into the selfconsciously over the years cannot easily Jasper Morrison shoes of all the cheap ugly products which be replaced. The normality of a street Super Normal were previously available and made them of shops, which has developed over time, 2006 cheap and ugly and highly visible. offering various products and trades, is a Published by Lars Müller delicate organism. Not, that old things Publishers Design, which is supposed to be shouldnt be replaced or that new things are responsible for the man-made environment bad, just that things which are designed to we all inhabit, seems to be polluting it instead. Its historic attract attention are, from the outset, going to be unsatisfactory. and idealistic goal to serve industry and the happy consuming There are better ways to design than putting a lot of effort into masses at the same time, of conceiving things easier to make making something look special. Special is generally less useand better to live with, has been side-tracked. ful than normal, and less rewarding in the long term. Special things demand attention for the wrong reasons, interrupting A while ago I found some heavy old hand-blown wine potentially good atmosphere with their awkward presence.~ glasses in a junk shop. At first it was just their shape which attracted my attention, but slowly, using them every day, they The wine glasses are a signpost to somewhere beyond have become something more than just nice shapes, and I notice normal, because they transcend normality. Theres nothing their presence in other ways. If I use a different type of glass, wrong with normal of course, but normal was the product for example, I feel something missing in the in the atmosphere of an earlier, less self conscious age, and designers working of the table. When I use them the atmosphere returns, and at replacing old with new and hopefully better, are doing it each sip of wines a pleasure even if the wine is not. If I even without the benefit of innocence which normal demands. The catch a look at them on the shelf they radiate something good. wine glasses and other objects form the past reveal the existence This quota of atmospheric spirit is the most mysterious and of super normal, like spraying paint on a ghost. You may have elusive quality in objects. How can it be that so many designs a feeling its there but its difficult to see. The super normal object fail to have any real beneficial effect on the atmosphere, and is the result of a long tradition of evolutionary advancement yet these glasses, made without much design thought or any in the shape of everyday things, not attempting to break with attempt to achieve anything other than a good ordinary wine the history of form but rather trying to summarise it, knowing glass, happen to be successful? Its been puzzling me for years is the artificial replacement for normal, which with time and and influencing my attitude to what constitutes a good design. understanding may become grafted to everyday life. 1 Ive started to measure my own designs against objects like these glasses, and not to care if the designs become less noticeable. In 1 http://www.jaspermorrison.com/html/5851561.html

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Front Design pour IKEA PS, lampe Svarva, 2009

tent la diffusion des objets les plus pragmatiques, tandis que des objets audacieux et utopiques restent des images sur internet, diffusées largement sur les blogs et les sites consacrés au design ou lors d’expositions et de Biennales. « L’histoire d’une production limitée (qu’il s’agisse de prototypes, d’objets de recherches, d’éditions à faible tirage, d’objet différenciés ou d’objet uniques à valeur manifeste) semble au moins aussi constitutive de l’histoire du design au XXème siècle que les étapes et objets-stars de sa production de masse. 21» .

C

’est aussi grâce à des productions plus originales, plus pionnières que les créations industrielles sont innovantes. La stimulation, l’inspiration, voire le plagiat sont évidents entre haute couture et prêt-à-porter, entre objets rares et communs. L’éblouissement qui peut exister face à la rareté peut disparaître progressivement, noyé sous les succédanés. C’est la thèse que défend Dana Thomas22 dans Luxe & Co : Comment les marques ont tué le luxe : les objets anciennement artisanaux, précieux tendent à disparaitre à cause d’une demande trop forte créée par les entre21 Ibid., p. 225. 22 Dana Thomas, Luxe & Co : Comment les marques ont tué le luxe/Deluxe : How luxury lost its lustre, traduit de l’américain par Olivier Colette, Paris, 2008 (2007), Édition des Arènes,

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prises. Une partie des entreprises du luxe ont « autorisé » les classes moyennes à consommer du luxe en proposant des produits moins chers (mais moins bien fabriqués). Il y’a dans la réalisation un appauvrissement de la qualité de l’objet. Les modèles se multiplient, le renouvellement étant primordial pour créer une mode.

Ce goût du luxe, du

moins de certains objets luxueux, implique aussi la copie, qu’elle soit contrefaçon illégale ou inspiration commerciale. Alors que les marques s’indignent légitimement des contrefaçons (et du trafic impliqué), on trouve dans les magasins de prêt à porter les cousins des vêtements de podium. Et c’est ainsi que des défilés naissent les tendances populaires. C’est une banalité, mais il nous faut prendre conscience des différents états de la création. Sans mépris pour les créateurs de prêt-à-porter, ou ceux d’objets « inspirés », on peut sans conteste saisir que l’ébahissement devant les objets rares, qui sont parfois presque des chefs-d’œuvre de créativité et de dextérité, inspirent à une frange plus large de la population l’envie, le goût de cet extraordinaire.

Il est une der-

nière facette de la création qui associe grands noms et enseignes populaires. On voit des partenariats fleurir : IKEA qui a notam-


2. Artistes & designers

ment convié Hella Jongerius ou les Front Design pour ses collections PS, Starck pour les 3suisses en 1994, Christian Lacroix pour La Redoute, H&M avec Karl Lagerfeld… Ces projets semblent offrir aux deux parties une grande popularité, mais cela contrecarre aussi la copie, il y a un contrôle sur la production. Avec ces grands élans démocratisant une forme de luxe, on peut lire à la fois une convoitise des marques et des noms prestigieux, et peut-être aussi, le désir d’innovations. On peut enfin, évoquer l’envie de marques renommées d’atteindre un marché plus large et ainsi d’attirer un potentiel panel de consommateurs.

La naissance du design critique, qui ne s’ins-

crit pas dans la production de série, est le corollaire d’un design d’élite. Celui-ci, déjà, ne correspondait pas à la définition d’un produit largement diffusé23. Cette production limitée les démarque de ce qui définit, d’ordinaire, les produits d’arts appliqués : des objets industrialisés. Les éditeurs proposent aux artistes de créer des meubles, et aux designers de faire de l’art. Antoine + Manuel, jeune duo de designers graphiques parisiens, a créé pour l’entreprise d’édition espagnole b.dBarcelona Design, le cabinet Tout va bien24, un buffet blanc de science fiction, décoré d’un bas relief graphique. Florence Doléac, designer de son état, créé des installations artistiques pour des galeries25. Ces deux exemples ne sont là que pour rappeler le métissage des arts appliqués et des arts qui en fait sa richesse.

Nous retrouvons dans les objets usuels les

Chloé, manteau, collection hiver 2009-2010

La Redoute, manteau, 2010

H&M, manteau, 2010

plus anciens une sensibilité artistique, souvent ornementale : peintures et gravures sur de la vaisselle, des vases, ou sur l’architecture. La transversalité existe depuis la naissance des arts appliqués modernes – soit la révolution industrielle du XIXème siècle-. Ainsi les machines qui font leur apparition à cette époque sont parfois étonnamment décorées par leurs concepteurs : « la presse à imprimer de Clymer (1829) décorée comme un meuble Empire, avec appliques en bronze et aigle impérial, la presse à monnaie de Hartann (1838), audacieux mélange de gothique et de mauresque ; la machine à vapeur de Sulzer (1865) avec son bâti grec ou cette autre, tout en gothique 23 Camille Morineau, « Artistes et designers contemporains, la fin des rivalités », dans, Raymond Guidot, Design, carrefour des arts, Paris, Flammarion, 2003, p. 219 : 24 http://www.bdbarcelona.com/en/noticias/prototype_tout_va_bien.php 25 http://www.doleac.net

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Antoine +Manuel pour B.d Barcelona, cabinet Tout va bien, 2009

flamboyant. 26 » . Mais l’acceptation réciproque des notions contingentes -prédominance de la forme pour les arts, de la fonction pour les designs-, a permis aux créateurs de regarder ce qui se faisait ailleurs. Cette approbation d’une création ouverte, sans définition arrêtée, a permis aux designers contemporains de proposer des productions beaucoup plus diverses : objets commerciaux et critiques, installations artistiques et vidéos se jouxtent sur les sites des designers.

guerre : les années 50 offrent en effet un champ des possibles infini. Les technologies et les envies sont en plein essor. L’innovation et l’expansion du choix permettent alors aux créateurs d’inventer un nouveau vocabulaire formel.

L

’anti-design des années 60, mais aussi les collectifs Archizoom et Menphis, tout comme l’art plastique de l’époque, avaient une attitude « qui consiste à mettre l’accent plutôt sur la manière de penser l’objet, et de critiquer son environnement que sur son mode de fabrication, à quoi s’ajoute l’idée que le créateur doit œuvrer sur le registre de l’utopie afin de redessiner le système de valeurs attribuées aux objets »28 face au conformisme et aux goûts traditionnels.

L

a transdisciplinarité est assumée, et ce fut long, car on a enfin admis qu’art et design convergent : « Style organique, esthétique de l’objet trouvé, pop art, arte povera offrent autant d’exemples de rencontres simultanées, et peuvent dès lors, être examinés avec un nouveau point de vue : plongés dans le même univers visuel, culturel, politique et économique, deux types de créateurs de formes en arrivent à des objets similaires »27. On peut penser que c’est particulièrement par l’art que le design s’est converti au second degré, à une forme d’humour. Les premières générations de designers tels que nous les reconnaissons datent de l’après26 Yves Deforge, L’œuvre et le produit, Seyssel, Édition Champ, collection milieux, 1990, p.24. 27 Camille Morineau, « Artistes et designers contemporains, la fin des rivalités », dans, Raymond Guidot, Design, carrefour des arts, Paris, Flammarion, 2003, p. 212.

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Ces tiraillements au cours des dernières dé-

cennies entre techniques et valeurs intrinsèques des objets permettent aux designers contemporains une grande liberté : en effet, après des générations où il fallait choisir son camp (entre art et technique, entre beau et utile), nos contemporains peuvent aller et venir, concilier et changer d’axes de recherche. Et créer des objets décomplexés, où l’envie et l’utopie peuvent s’incarner.

28 Ibid., p. 225


« « Floating minds » de Florence Doléac

Exposition "Static dancing and floatings minds"/ Florence Doléac & Stéphane Daflon, Frac Aquitaine, septembre 2007, Bordeaux Exposé dans "Des constructeurs éclectiques I", commissariat Lise Guéhenneux, CRAC LR, Sète du 18 janvier au 3 mars 2008, Sète « Floating Minds » est une installation invitant le visiteur à une expérience sensorielle « comico-soporifique ». Cet espace dédié à une forme de lâcher prise individuelle dans un collectif, mixe stimulations physique, visuelle et sonore ; il est constitué de cinq matelas en forme de gros boudins, reliés comme des flotteurs par des cordes, posés à même le sol. Le sol est saupoudré de particules en paillettes qui réfléchissent la lumière en multiples petits réflecteurs. Un marchand de sable pop a dû passer. A contempler et à expérimenter, l’installation invite le visiteur à s’allonger et faire corps avec le dispositif et/ou à le regarder. Passant ainsi d’une perception visuelle à la perception tactile puis sonore, il peut s’abandonner le sourire aux lèvres le temps d’écouter une boucle musicale comico-soporifique. Son état ainsi légèrement modifié se verra flotter et rejoindre une sorte de bulle mentale collective, qui pourrait bien être le colmatage des autres bulles libérées. Matériaux: mousses, simili cuir, corde, accroches métal, sur-chaussure papier, corbeille polystyrène1 1 http://www.doleac.net/index.php?/projects/floating-minds/

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Extraits de Mon Oncle, film de Jacques Tati, 1958

Dans les années 1950 (ré) apparaît la notion de modernité dans le design ( même si, il faut rappeler, dès la naissance de l’avant-gardiste Bauhaus en 1919, des objets rationalisés et très modernes sont créés mais ne connaîtront pas le succès populaire ) : les innovations et les envies sont nombreuses. Jacques Tati se moque dans son film Mon Oncle de cette course au nouveau. Son héros s’étonne des objets et montre un certain scepticisme. La villa Arpel – du nom des propriétaires dans le film- est devenue mythique grâce à son aspect caricatural de la modernité. L’innovation est désirée et détestée, surtout lorsque, comme ici, elle en devient absurde. Mais c’est aussi dans les extravagances que la surprise nait.

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Le cabinet de curiosité Ma réflexion sur la surprise dans le design m’a conduite à me focaliser sur un

meuble rare, et pourtant vivant, le cabinet de curiosités.

Suite aux découvertes de nouveaux territoires au XVIème et XVIIème siècles, la haute société constitue des collections d’objets étonnants, d’ossements ou de fossiles ramenés de ces expéditions. Les princes, les notables et les savants leur dédient une pièce, le cabinet de curiosité qui est l’ancêtre de nos musées. À l’intérieur, des collections d’objets rares et précieux, des animaux empaillés, des insectes séchés, des reliques mythiques (licorne, dragons…), squelettes, minéraux, herbiers ainsi que des œuvres d’art. L’apogée de la renaissance et les grandes conquêtes de l’époque donnent à tous des désirs de grands voyages. La noblesse puis la bourgeoisie collectionne donc, pour mieux comprendre la nature et l’histoire. On pouvait même visiter ces micros-musées avec une lettre d’introduction. Dans ces pièces, apparaît une pièce de mobilier nouvelle, le cabinet. Extrêmement décoré, 1 il est exubérant, inutile en tant que rangement, et ne semble être qu’un meuble de parade. De fait, c’est un meuble pour ranger les collections, mais qui est une œuvre en lui-même. La poésie, l’histoire de ces pièces d’exception m’intriguent. On peut y voir le pendant mobilier des folies architecturales du XVIIIème siècle que les nobles firent construire dans les parcs pour incarner leurs fantasmes d’exotisme. Les cabinets existent en vérité depuis l’antiquité, chez les romains et les égyptiens, chez qui ils étaient déjà des chefs d’œuvre de dextérité : « La préciosité et le raffinement avec lesquels certains de ces meubles étaient fabriqués sont, en bien des points, remarquables. Les bâtis de bois rouge, d’essences voisines du cèdre, sont plaqués d’ébène et d’ivoire incrustés de matières précieuses : feuilles d’or et d’argent, pierres précieuses et fines, faïences recouvertes d’un vernis vitrifié… 1» . Des cariatides2 peuvent servir de piétement, des mises en scène complexes sont travaillées à l’intérieur des boîtes : « Une niche centrale, « le théâtre est souvent, surtout dans les modèles italiens, l’objet de décors spectaculaires, réalisés grâce à des effets spectaculaires de perspective mettant en scène de minuscules miroirs, des peintures en trompe l’œil ou une statuaire miniature. La niche cache souvent l’accès à des mécanismes ouvrant sur des espaces secrets.3 » . Ainsi l’utilité propre de ce rangement est à mettre en doute, tous ces mécanismes évoquant davantage une invention destinée à émerveiller qu’une armoire. 1 Aurélia et Anne Lovreglio, Dictionnaire des mobiliers et objets d’art du Moyen Âge au XXIe siècle, Paris, Dictionnaires Le Robert, 2006, p. 84 2 Statue de femme souvent vêtue d’une longue tunique, remplaçant une colonne 3 Aurélia et Anne Lovreglio, Dictionnaire des mobiliers et objets d’art du Moyen Âge au XXIe siècle, Paris, Dictionnaires Le Robert, 2006, p. 84

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Les cabinets contemporains sont toujours des meubles d’apparat, élégants mais bien plus sobres que leurs ancêtres. Une boîte sur quatre pieds, voila tout l’objet. Et puisqu’il ne doit pas répondre à beaucoup de contraintes -son usage étant davantage de l’ordre de la poésie que du rangement -, la fantaisie peut permettre toutes les variations. Les ouvertures, la multiplication des tiroirs, le dessin des pieds sont les aspects sur lesquels jouent les designers et les ébénistes pour le graphisme de l’objet. Les créations que j’ai trouvées restent de l’ordre du luxe, les placages et façades sont faites dans des matériaux rares. Le cabinet reste une folie face au rationalisme du design contemporain, et il est logique que l’objet ait disparu pendant plusieurs siècles. Ni œuvre d’art, ni rangement, cet objet est un « entredeux ». Mais si Ikea se met à faire des meubles hauts à tiroirs dans sa collection PS, c’est un signe que l’objet est bien vivant ! Accumulation de boîtes, de tiroirs, de valises, les designers sont obsédés par les rangements, les cachettes à trésor.

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Ole Worm, Cabinet Of Curiosities, Museum Wormianum, 1655 Anonyme, cabinet avec peintures de la métamorphose d’Ovide, Anvers, 1652 Anonyme, Vargueño Anonyme, cabinet anglais laqué en bois, 1690 Paloma Pébereau, coffre sur piètement, Malaga, 200? Paloma Pébereau, coffre sur piètement, Séville, 200? Ehlén Johansson pour IKEA, élément à tiroir Sinka, 2009 Studio Bility, Curiosity Cabinet, 2009 Mieke Dingen, mobilier Alter Ego, 2009 Ibride, secrétaire Martin, 2009 Studio Ziben, cabinet Trashboy, 2009 Alison Smithson pour Tecta, cabinet Cornell Boxes, 2010 Studio Glithero, cabinets Les French, 2008 Kiki Van Eijk, assemblage de la série Cut and paste, Crate Shade, 2010

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Au cours d’un échange inter-universitaire au Québec, j’ai eu l’opportunité d’apprendre les bases de la menuiserie mais aussi de la sérigraphie. J’ai combiné ces pratiques pour faire un objet auquel je rêvais, un objet très haut, élancé, épuré et décoré d’images poétiques. Dans le cadre de ma réflexion sur la surprise, j’ai donc réalisé un cabinet de petit format, dont les longs pieds sont aussi la structure. J’ai sérigraphié chacune des six faces en multiplis de pin avec des photos que j’avais prise ainsi qu’une liste de végétaux. Le végétal, l’animal et l’humain sont donc réunis dans cet objet. Les quatres faces s’ouvrent et sont liés aux pieds par des pentures à piano. La sobriété de la forme permet de ne pas brouiller la lecture des images, mais aussi de contemporéaniser cet objet. Mon travail a été de rechercher des techniques simples pour un objet curieux, qui donne l’envie d’être ouvert. Il n’y a pas de système de fermeture, peut-être faudrait-il aimanter les faces, mais leur léger entrebaillement intrigue.

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J’ai aussi travaillé avec des petites maquettes pour trouver des nouvelles formes à partir d’objets existants. Comment créer un objet nouveau avec des matériaux déjà transformés, voilà le défi. En plaçant les charnières différemment, en modifiant les pieds, on découvre un panorama de formes singulières, qui pourrait faire l’objet d’une collection. En les alignant on obtient aussi des variations de volumes qui sont aussi très interessantes. L’acte d’ouverture invite à toutes les surprises : c’est Alice qui ne sait ce que contient la bouteille « Drink-me ». La curiosité pousse à ouvrir et à découvrir, c'est-à-dire à réveler l’inédit. En ouvrant les tiroirs on commet le sacrilège délicieux de l’espionnage

tilleul, orme, multipli et charnières à piano

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La boîte c’est ce qui cache et protège. Qu’il s’agisse de gâteaux ou de trésor, la boîte donne de l’importance au contenu. En créant une coquille cachant l’objet, elle crée la convoitise. Elle agit comme interdit, comme la serrure d’un journal intime. Le secret est caché, enfermé dans sa boîte. En valorisant l’emballage on renforce le mystère. La surprise c’est la découverte quelque chose de caché. Ce n’est d’ailleurs pas anodin si le secret était un « compartiment caché (ouvert via une manipulation spéciale, comme par exemple un double fond) dans un meuble de type "secrétaire" » . En cachant les documents précieux ou bien en exposant le contenant richement paré on en dévoile l’importance.

tilleul, pin, carton, clous tapissiers et charnières

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La boîte incarne donc la surprise car elle provoque la curiosité et s’offre : tout d’abord elle attire, elle intrigue puis si c’est possible s’ouvre pour enfin dévoiler ses mystères. C’est le contenant qui donne la valeur au contenu : en instaurant un écrin on donne une aura. Et même si cet écrin n’a de valeur qu’aux yeux de celui qui le décide : la mythique boite à trésor des enfants n’est-elle pas cela : une boite en fer blanc emplie de fantaisie et de souvenirs ? J’en possède moi-même un certain nombre, ce qui me permet d’affirmer que nous attribuons alors au contenant l’émotion qui convient théoriquement au contenu. En créant des boîtes, je propose des enveloppes pour des secrets.

Que contiennent les cabinets de curiosité du XXIème siècle? La technologie, internet, source intarrisable et les livres, toujours.

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pin, carton, clous tapissiers, poignÊes, papier et charnières

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II. Cré&r la surprise A. Poésie & bricolage

Le ton des designers s’est libéré et l’ imper-

tinence est désormais la signature de nombre d’entre eux (Alessandro Mendini avec ses détournements depuis les années 70, Fernando et Humberto Campana avec l’extravagance de leurs fauteuils) mais aussi la poésie qui s’est imposée tardivement comme valeur du design. On ne saurait passer à coté d’Ingo Maurer29, ou plus récemment, sa presque homonyme Inga Sempé30, « fille de » et designer de délicatesses, ou bien encore la star Tord Boontje31 aux découpages de motifs floraux. Ces fantaisies sont aussi la démonstration que les designers, pour le moins, ceux qui ont une certaine autonomie, peuvent créer avec une réelle signature, une sensibilité unique.

En utilisant des codes inscrits dans l’imagi-

naire collectif, les designers en extraient un potentiel poétique. Cet axe de démarcation est peut être le moins marqué culturellement. Les créations qui utilisent ces codes culturels sont lisibles : les références sont évidentes et même les matériaux peuvent être ordinaires… Prenons l’exemple de Jess Giffin et Jim TerMeer32 ont trouvé une technique simple, sur un objet simple, pour un usage simple: un stylo Bic, l’objet par excellence, est chauffé et gonflé en un point, créant une bulle de plastique qui désaxe le stylo. Le Daisy Vase n’est même pas anecdotique malgré sa simplicité : rendu unique par un procédé connu, le très ordinaire Bic devient fragile. 29 30 31 32

http://www.ingo-maurer.com http://www.ingasempe.fr http://www.tordboontje.com http://www.giffintermeer.com

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C

itons un autre exemple du travail de ce duo, un projet à la fois rationnel et malicieux : Drip-Dry Dishes est une série d’objets de vaisselle tout à fait banale, à laquelle à été greffé deux courts colombins de céramique, une drôle d’anse en T. Cet ajout permet aux assiettes et aux tasses de tenir à la verticale pour sécher, transformant un geste quotidien. L’esthétique devient la signature de cette gamme surprenante. Lorsqu’il reconstruit un objet archétypal (comme la tasse, dont l’ancêtre, le pot, est une des formes les plus anciennes de l’objet), on peut comparer la démarche du designer à celle d’un artiste, manipulant spontanément les objets pour mieux les recréer. Et cette « re »-construction n’existe que si, dans un premier temps, la « dé »-construction a été possible : il y’a déjà de la poésie dans cette réceptivité du banal. En se libérant de cette réception, le designer s’autorise à agir. La spontanéité apparente d’une création de ce type est gracieuse, délicate et surprenante !

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es collectifs français 5.5 Designers33 et Atypyk34 se sont eux-aussi souvent servi des objets quotidiens, faisant de leur production des objets manifestes. Atypyk propose même des ready-made à emporter, la série d’objets et de traits d’humour Please sur son site internet35. Les propositions sont farfelues, et offertes par la maison. On se rapproche furieusement d’une performance artistique. Le collectif des 5.5 propose sur leur site internet aussi des recettes d’objets, encourageant « l’au33 http://www.cinqcinqdesigners.com 34 http://www.atypyk.com 35 http://www.atypyk.com/home.html


Ingo Maurer, Installation Umbrella, Biennale du design de Milan, 2008 Jess Giffin et Jim TerMeer, fabrication soliflore Daisy Vase, 2003

Inga Sempé, lampe Vapeur, édité par Moustache, 2009

Jess Giffin et Jim TerMeer, vaisselle DripDry-Dishes, 2007

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5.5 Designer s, recette de designers, C velouté de lu uisine d’objet mière, 2009 s,

B. Création & découvertes 1. Int&ractions

to-production »36 . Ils offrent à la fois un mode d’emploi et leur signature, à apposer sur le résultat. On touche davantage au concept qu’aux savoir-faire ou à la création : c’est l’idée, l’envie qui prime. Ces dons d’idées –qui ne sont, en fait, que des bricolages novateurs- peuvent être perçus comme des cadeaux. Ce partage est suffisamment rare pour être notifié. C’est dans cette forme de générosité que l’on peut trouver une forme de poésie rebelle, ou du moins alternative à la consommation usuelle. Les liens tissés entre art et design ont permis d’observer une créativité plus étonnante, plus attentive à son histoire. Entre readymade et kit à monter, et grâce à des idées simples et lumineuses, les designers incitent à reconsidérer leur domaine avec plus de légèreté.

L

’usage de matériaux ou d’objets ordinaires, peu nobles et leur transformation en des objets délicats ou étonnants s’inscrit dans une démarche de revalorisation. Il ne s’agit pas seulement de bricolage de « récup », mais d’un choix en marge pour ces designers. Ils nous surprennent avec ces conceptions qui sortent de l’ordinaire. En proposant des sortes de ready-made, ils nous interrogent sur le statut de l’objet : sculpture ou non ? En incluant ces projets dans leur travail de designer, ils invoquent aussi un droit à créer de l’unique. 36 http://www.cinqcinqdesigners.com/index. php?centreloca=http://www.cinqcinqdesigners.com/home. php?rub=actualite*aa*srub=actus

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border le design sous l’angle d’attaque de la surprise, c’est chercher à déceler l’importance de l’inattendu dans le quotidien, la possibilité de créer industriellement de l’émotion, comme Pierre-Damien Huyghe l’écrit « L’humanité, qui ne trouve certes pas son abri essentiel dans l’insouciance, doit néanmoins éprouver l’imprévisibilité comme l’élément essentiel de son existence. »37. L’objet, et à fortiori celui issu du design, est réfléchi dans son existence, déterminé et peu enclin à l’inconstance. Cependant, une fois l’objet acheté, il va évoluer selon chacun de ses possesseurs. La problématique n’est pas à analyser avec cette seule idée d’objet magique et révolutionnaire mais aussi au moment même de la création : « Moi qui ai le souci de l’existence, je ne proposerai pas d’appeler design ce qui organise d’avance des usages ni ce qui induit des consommations ni ce qui assigne des comportements au règne de la marchandise, mais plutôt certaines recherches et attitudes qui permettent à un système de production d’hésiter. »38. La réflexion du designer est alors l’incarnation d’une mise en doute de l’existant : l’habituel cède face au renouveau, le mieux gomme le basique. La variété des utilisations doit contraindre le designer à ne pas être trop directif, trop invasif au travers de ses créations. 37 Pierre-Damien Huyghe, «Design et existence » ,dans,

Brigitte Flamand, Le design, essais sur des théories et des pratiques, Paris, Institut Français de la mode, 2006, édition du regard, p. 205. 38 Ibid. p.206.


Erwan et Ronan Bouroullec, module Algues, édité par Vitra, 2004

2. Possibilités

C’est

la liberté d’utilisation, voire de construction qui peut fournir au possesseur de l’objet un sentiment d’appropriation totale. Après que le créateur ait façonné l’objet, le faisant usiner, l’objet le dépasse et vit des scénarios d’usage inédits. Les frères Bouroullec39, ont, par exemple, avec la création de modules pour des claustras, généré un outil. Ils vendent à chacun un principe, et des possibilités infinies. Vous achetez des éléments et vous les assemblez selon votre usage et votre goût. Le designer se retrouve concepteur d’ingrédients dont vous êtes le cuisinier. Les résultats sont infinis, puisqu’individualisés. C’est alors une forme d’interactivité, où il y’a une collaboration, une adaptation du produit mais sans retour pour le créateur. La surprise est donc dans le résultat, dans l’interprétation autant qu’elle peut être dans la conception.

39 http://www.bouroullec.com

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a possibilité du choix est l’arme du décideur: l’initiative ne nait que grâce à cette liberté. La surprise est alors celle que le design engage dans la fabrication, la novation et l’exigence qu’il a d’enrichir le projet. Huyghe explique ce que Moholy-Nagy -dans son ouvrage posthume Le design pour la vie- développe : «la condition d’émergence du design repose à ses yeux sur la possibilité de choisir, à fonctionnalité égale, entre plusieurs solutions de fabrication. […] Dans le propos de Moholy, il y a très précisément pour moi cette idée que le designer est celui qui sait dérouter l’entreprise de production, la décaler du mode productif qui serait le sien si le décisif en elle devait seulement relever des calculs de l’ingénierie et de la finance ou de la façon d’organiser et d’économiser le temps de production propre à ces instances. »40. Ce que Huyghe synthétise si bien : « À reprendre ce propos majeur de Moholy, je dirai que le design apparaît chez lui, malgré l’aspect très déclaratif du texte, comme une force d’hésitation. »41. Le designer est alors ce personnage qui émet des doutes, exige des remises en question pour mieux découvrir une nouveauté. 40 Pierre-Damien Huyghe, «Design et existence », dans, Brigitte Flamand, Le design, essais sur des théories et des pratiques, Paris, Institut Français de la mode, 2006, édition du regard, p.207 et 208. 41 Ibid., p.209.

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yon pour Jaime Ha ases et ,v Baccarat Harcourt s, sculpture et cky Green Lolly, Lu dy, 2009 an Cr ystal C

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’approche rationnelle de la surprise en design justifie la nécessité de cette prise de risque. En demandant aux fabricants l’inédit, le créateur exige des prises de risques, des expérimentations. Il exige de sortir d’une routine, d’une chaîne ininterrompue pour mieux reformuler les besoins et donc les projets. Les designers sont alors souvent perçus comme perturbateurs, voire des artistes pénibles et exigeants… Bien sûr, le défi du designer n’est pas celui d’inventer ex-nihilo mais bien de prendre en compte les contraintes. Il tient compte de façon majeure des techniques dont dispose le fabricant mais cherche aussi à les contorsionner pour parvenir à ses desideratas. Il remet en question l’existant, tant les objets que les techniques. C’est en s’acharnant sur des projets improbables que certains changent radicalement notre quotidien. L’histoire du design est une succession de formes évoluées et évoluantes bien sur, mais aussi de matériaux et des techniques. Cette recherche constante est la convergence d’une qualité de l’artiste et de l’ingénieur : la persévérance.

Hésiter, c’est douter, être irrésolu face à plu-

sieurs choix, envisager une multitude de solutions à un problème, les associer, les rejeter, etc. Les collaborations entre des fabricants et des designers offrent ainsi des innovations à la fois techniques et formelles. On peut évoquer la cristallerie Baccarat, qui, depuis quelques années offre des partenariats à des designers pour s’offrir un rajeunissement d’image, offrant ainsi des objets détonants parmi les carafes et les verres à pied. En redécouvrant des techniques anciennes, l’entreprise se met au défi de les faire perdurer, de les actualiser.

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Entre 2005 et 2007, alors qu’il est chargé de

son aménagement, Starck ressort des archives le cristal noir et crée le lustre Zénith pour le musée Baccarat. Ce grand lustre baroque (1m10 de large pour 1m05 de large) a modernisé cette incarnation du luxe : le lustre en cristal. La tradition reste pour la typologie et le matériau, mais la couleur et les détails comme les petits abat-jours ont fait de cet objet un emblème du nouveau luxe. Le succès incite les collaborateurs, Baccarat et Starck, à une édition de l’objet (copié partout depuis) et à la création d’une série. Après les verres et d’autres lampes, Starck crée même une table en cristal, défi technique s’il en est. En 2009, Jaime Hayon, le nouveau talent du design espagnol, réalise des assemblages mêlant cristal et céramique dans des bonbonnières mutantes. Ce renouveau dans une entreprise de luxe est une prise de risque nécessaire : ces objets médiatiques sont des étendards de savoir-faire. Bien qu’il s’agisse davantage d’artisanat d’art que de production industrielle, ce type de démarche semble l’un des plus probants, permettant à des créateurs d’innover et de faire avancer de façon considérable des techniques ainsi que l’image de la marque.


Starck pour Baccarat, lustre Zénith, 2003

C. Subversivité & humour

L’événement parisien Designer’s Days, qui

crée de show-room en show-room, un « parcours design », a choisi pour l’édition 2009 la thématique du secret42 et avait orienté l’édition 2007 43autour du désir. On peut lire sur le site de la dernière édition : « Un produit «design » présente la qualité rare par rapport à d’autres, qu’il interroge les esprits curieux. Sa forme, sa fonction, sa part d’esthétique... intriguent, car l’objet design, de prime abord, raconte une histoire. Cependant, souvent, on ne perçoit cette histoire que de façon tronquée grâce aux discrètes empreintes semées çà et là par le créateur...». Et nous lisions sur le site de l’édition 2007 : « Rendre l’objet désirable, au delà de son utilité et de sa fonctionnalité, c’est lui insuffler de l’inattendu, de la rareté, de la novation et, plus subjectivement, une parcelle de beauté. C’est aussi le charger d’expérience, d’une histoire au long cours, celle de sa création, de ses secrets de fabrication... ».

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ussi en recoupant ces deux axes d’analyse du design contemporain, nous saisissons l’idée que le design émotionnel, mystérieux, avec lequel nous

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42 http://www.designersdays.com 43 http://www.designersdays.com/edition2007/home.

tisserions une relation toute particulière… Les créateurs s’amusent, enfin surtout ceux d’un marché haut de gamme où la fonctionnalité est parfois moins recherchée que la rareté, où l’objet de design est assimilé à un objet d’art. Ils veulent donc faire rêver, et que leurs objets troublent et trompent. Les fauxsemblants fleurissent dans les ouvrages spécifiques : dentelles de plastique ou de métal, impressions numériques trompeuses, matériaux surprenants… Tous convergent vers la dimension rebelle des designers. Ainsi des collectifs comme Atypyk44 et les 5.545 mais encore Florence Doléac46 ont une production majoritairement axée sur l’humour, la poésie du quotidien, mais surtout une forme de subversion. Et ce qui rend cette production « comique », c’est l’usage ou l’idée de l’usage de ces objets. Florence Doléac, avec sa Poignée Signalétique en forme d’étron « appuie juste là où ça fait un peu mal »47, Atypyk fait des pièges à souris en forme de cercueil et des trophées-billots, quant aux 5.5 designers, leur dernière lubie est de cloner nos ventres en coussins à nombril : si ce n’est pas de l’humour ça ! C’est aussi bien sur une démarche qui 44 http://www.atypyk.com 45 http://www.cinqcinqdesigners.com 46 http://florence-doleac.creationflux.com/pop.html 47 Florence Doléac, Florence Doléac, Paris, design et designers, édition Pyramyd, 2006, p. 8.

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interroge l’usager et perturbe les frontières entre art et design mais aussi entre bon et mauvais goût. En 2008, le Design Museum de Gand, en Belgique, a présenté dans une exposition nommée Design with a smile48, une sélection de 150 objets à potentiel humoristique. La difficulté, selon la curatrice de l’exposition, n’a pas été la sélection mais les choix de mise en place. Catégoriser des objets qui se veulent hors-normes, parfois même « hors d’usage » : cette volonté de déclamer une idée, d’être lisible, peut facilement dériver vers la gadgétisation du design. Elle peut aussi transformer un code de l’humour en une découverte signifiante. Le designer imagine des scénarios d’usage, fantasmant l’utilisateur qui découvre l’objet. Et cette adjonction d’esprit dans la production d’objets fait flirter le design avec le gadget.

D. Gadget, goût & design

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a volonté de surprendre l’usager, de le faire sourire peut influer les designers vers un design de gadget, axant la priorité de la recherche non pas vers l’usage ou l’ergonomie, mais vers l’obtention d’un objet sympathique, désirable voire anecdotique. Cet objet ne répond pas à une attente, il est de l’ordre du « plus ». L’ajout d’un décor, d’une matière ou d’une 5.5 Designers, coussins personnalisés Cloning, 2008 Atypyk, billot Trophée, 2010 Starck, tabouret Attila, édité par Kartell, 200 ? Fernando et Humberto Campana, fauteuil Banquette Shark, 2004 Escribà (pâtissier) et Hans Gissinger (photographe), Explosions, 2005 48 http://www.egodesign.ca/fr/article.php?article_ id=290&page=1

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référence, peut facilement faire basculer l’objet dans le pan le plus «futile » des arts appliqués. Les débats de forme et fonction ont toujours plus ou moins lieu, mais il s’agit ici de distinguer ce qui fait la surprise pour une raison « conceptuelle » et ce qui tient du gadget. La difficulté réside dans le terme de la surprise, qui tient davantage de la magie que de l’ingénierie. Il y a des surprises stéréotypées, les pop-up des livres d’enfants, l’organisation de fêtes ou bien les cadeaux impromptus. Or ces surprises-là s’inscrivent dans des scénarios de représentation.

Ces scénarios entrainent aussi dans les évé-

on peut observer des créations décalées de ceux qui, apparemment, aiment le premier degré. Il serait absurde de déclarer des critères précis distinguant un design utile et un autre superficiel. La superficialité de l’esthétisme tient toujours pour argument premier lorsque l’on met en doute la légitimité du design.

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ous ne pouvons cependant nier tout le pan du design, qui, en parallèle du design industriel, du design « critique », inscrit la poésie comme ligne de mire. Le duo français Atypik49 développe produits et images autour d’expressions de langage ou de petits objets anodins. 49 http://www.atypyk.com

nements populaires, son lot de gadgets, de carpes qui chantent et d’objets de farces et attrapes. Le gadget est par définition, éphémère, bon marché et superflu. Il est cependant ordinaire de partager ces petits objets inutiles, comme c’est le cas aussi pour les bibelots et souvenirs de vacances. Le partage des objets sans valeur est signifiant pour les designers car il est symptomatique d’une attention constante pour le frivole. Nous aimons les babioles, les objets sans sérieux : aux côtés des ouvrages précieux, nous cumulons boîtes de dragées, cartes postales, cadres avec des photos… On trouve aussi des éditeurs d’objets qui, sous le couvert de design, vendent des objets vitaminés mais futiles, très chers. L’objet peut donc être seulement drôle et avoir un intérêt pour le public. Et même si

cette valeur n’est pas revendiquée par les designers,

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Plats et assiettes, une histoire de contenant La vaisselle est le support de nombreux designers : la question de scénario d’usage et de manipulation dans sa quotidienneté sont inépuisables. Héréditaires, les objets de céramique sont particulièrement propices à la nostalgie et une célébration de l’ancien. Ce qui fait des objets des standards c’est leur diffusion. L’anonymat qui en découle est particulièrement intéressant puisqu’il n’y a plus de notions de créateurs. Ces objets sont alors assimilables à des outils. Ce sont des codes, universellement compréhensibles et lisibles. On utilise ces codes du standard pour créer de nouvelles formes, ou bien alors des objets très ordinaires qui se révélent grâce au piédestal que leur offre le design. Le sérieux de ces objets industriels est alors un prétexte pour les inscrire dans un scénario d’usage et d’accumulation, les rendant à la fois inutilisables et luxueux. C’est le serpent qui se mord la queue : ces objets, icônes du design industriels, tout à fait anonymes, sont réunis pour créer un objet luxueux, symbolique et plus ou moins fonctionnel.

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l’accumulation comme outil de révélation: la construction permet la découverte


Pl창tre, porcelaine

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Ma réflexion est ici d’aborder la vaisselle comme contenant usuel , et donc comme objet le plus à même de créer l’événement. Réinventer les gestes du quotidien en prenant un déjeuner dans de la vaisselle extravagante, désasortie… Rompre les habitudes, le bons goûts et s’abstraire de certains problème techniques (notamment le rangement) permet de mieux rêver à des objets inédits ou bien trop ordinaires. En créant des excroissances dans ces plats, j’impose une contrainte. L’anomalie est perturbante mais précieuse pour créer la surprise.

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Ces contenants sont inscrits dans des scénarios, dans une narration. Si l’objet peut inspirer une découverte au cours de l’acte banal de manger, il doit aussi permettre de découvrir l’aliment. La présentation est induite par l’objet et contribue à l’unicité de son esthétique : on sait combien la contrainte est nécessaire au créateur. La nourriture est un terrain de jeu pour qui veut surprendre : les associations, les métissages permettent d’innover sans fin. Le jeu des textures culinaires -auxquelles font écho mes recherches sur les matériaux et les empreintes- est fascinant : croquant, moelleux, croustillant, fondant… Associé aux saveurs, le palais a pour lui un répertoire fameux. La présentation collabore intensément à cette envie de découvrir. En multipliant les contenants et les textures, on contribue à ce qui fonde le repas : la convivialité. Dans la plupart des cultures on rencontre l’idée d’un plat accompagné de multiples agréments, laissant à chacun le choix ( que ce soit la fondue ou les plats indiens avec leurs petits bols métalliques). Les plats ou assiettes de taille différentes contribuent à la diversité visuelle des aliments proposés, incitant à s’aventurer dans des associations nouvelles.

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La vaisselle qui révèle une empreinte invite aussi à la découverte : c’est en mangeant que le motif apparît et que l’assiette se révèle. Cette apparition peut faire écho à un autre registre, celui des verres de saké où des images érotiques apparaissent après degustation. Apparition et dispartion sont le jeu du mangeur. L’aboutissement du repas est-il dans son ingération ou bien déjà dans sa présentation ? Le cuisinier propose un objet, une esthétique complète : texture, goût, odeur. Tout concoure pour la découverte ou la redécouverte. La quotidienneté du repas ( pour nous qui le pouvons) peut aussi rendre le moment banal et n’être qu’habitude. On doit donc tâcher de rompre grâce aux contenants, le rapport aux contenus.

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Publicité Bonux, anonyme Johan Lindstén, fauteuil Idyll Concept, 2010 Jeff Koons, photographie, Girl with Dolphin and Monkey, 2006 Marteen Baas, armoire Sculpt, 2007

Il

s’amuse de l’anecdote, proposent des objets narratifs.C’est l’idée qui est surprenante, la réflexion qui intrigue. Mais ce sont aussi des objets lisibles, qui usent des codes de l’humour et de la culture populaire pour se détourner : collier de coquillettes plaqué or, nappe représentant le déjeuner sur l’herbe de Manet ou rouleau à pâtisserie en forme de bouteille...Ces objets prêtent à sourire.

Les

frères brésiliens, Fernando et Humberto Campana50 utilisent eux aussi, des codes assez communs dans leurs créations : après Castelbajac51 et son manteau Teddybear de 1988, ils accumulèrent en 2004 les peluches de dauphins ou d’alligators sur une structure de fauteuil bas nommé Banquete. Ils ont plus récemment créé Cipria, un canapé recouvert de fausse fourrure rose pâle, réinventant ce symbole des années 70. Marteen Baas52 a dessiné des meubles qui semblent issus des Pierrafeux. La série Sculpt a des formes ondulantes, esquissées, et qui ont emporté un vrai succès. Le kitsch perdure, dans les créations les plus en vue car on leur attribue une qualité de recul, d’humour face à ces codes populaires. 50 http://www.campanas.com.br 51 http://www.jc-de-castelbajac.com 52 http://www.maartenbaas.com

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Le kitsch est en effet « indissociable de l’industrie de consommation de masse. »53. Le terme est à la fois dédaigneux et attendri. Ces objets auxquels on attribue le mauvais-goût, voire la vulgarité sont mondialement diffusés. L’imitation de faible qualité semble condamner son acquéreur à une culture elle-même amoindrie. Le bon goût du design est alors repoussé derrière la proximité de l’objet, son extravagante normalité pour ce qui est des créations des Campana.

Détourner

des codes populaires, c’est aussi prendre le risque de déplaire : l’ironie n’est pas toujours valorisée mais on peut aussi être récompensé d’une gloire à la fois populaire et élitiste. La proximité des codes permettra alors une diffusion beaucoup plus importante qu’un objet à l’esthétique rigoriste. Je ne soutiens pas par là que le kitsch et le laid sont le goût du peuple face à un goût d’élite, mais la singularité de telles productions entraîne davantage de diffusion et de débat, surtout en incarnant un fantasme proscrit par l’esthétique ordinaire. C’est cet aspect scandaleux qu’exploite la super star de l’art contemporain, Jeff Koons dans ses topiaires de chiot géant ou ses sculptures de cœur brillant. En utilisant les codes répulsifs et attractifs d’un langage du mauvais goût, du naïf, la création contemporaine fascine. Elle invite aussi, tout en se moquant, un public au goût populaire (potentiellement de « mauvais » goût). 53 http://fr.wikipedia.org/wiki/Kitsch


III. L’aventure du design A. Expérience & attraction 1. Le cadeau "Bonux "

Le design est en tant que générateur d’ob-

jets, soumis à des règles de marketing, et répond aux charges précises d’études sociologiques et de marché. Cette évidence implique des évolutions précises que le designer crée pour répondre à ces contraintes : les objets sont désormais développés dans un but d’expérience d’usage, et non plus de cet usage uniquement. Par exemple, l’achat d’un produit alimentaire, va découler de son bon packaging, mais son usage (et la satisfaction du client) ainsi que les manipulations, doivent offrir une innovation, un bonus. Le plus de cet achat, celui qui le fera être au dessus des autres est un argument commercial, designé. L’innovation passe donc par les mains du créatif, et cette valorisation du produit par le design le situe dans le sujet étudié.

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’expérience vécue d’un produit englobe son achat, l’ouverture de son emballage et l’usage même ; les sensations que l’on aura dépendent des gestes qu’il nous incite ou propose. La nouveauté peut se situer dans le rapport tactile à l’objet, ou bien parce qu’il permet quelque chose de supplémentaire par rapport à ses « concurrents » : c’est l’éternel cadeau Bonux ou encore la boîte de thé que l’on garde et que l’on expose. Le packaging est une des formes du design, et c’est peut être la plus bavarde : elle doit permettre à l’objet de se vendre seul. La notion de collection et de série limitée sont des arguments qui incitent à l’achat : en voyant le succès des bouteilles d’eau qui en période des fêtes sont enjolivées, on perçoit bien l’importance de la séduction dans l’acte d’achat.

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e design d’expérience se vit aussi dans des lieux réfléchis pour nous offrir des services supplémentaires : il ne s’agit plus de prendre un café mais de lire le journal, regarder un match ou disposer du

Wifi dans un commerce. Les centres commerciaux américains, les malls, incarnent ce design des commerces qui incite le consommateur à rester, et donc à acheter. On veut plus de services, plus de crème sur le café, un biscuit à côté et un bonbon avec l’addition. Ce qui fait passer au consommateur un sentiment d’attention qui lui est destiné est ce qui lui donnera l’envie de revenir (ou d’acheter à nouveau). Pour ceux qui peuvent choisir parmi des produits – dans le domaine alimentaire par exemple-, le goût, le prestige de la marque et le prix importent, mais les parents se doivent d’acheter les céréales qui permettront au collectionneur de collectionner, et on préférera celui qui appose une réduction flamboyante de 20 centimes ou un livret de recette.

Ces petits riens sont des atouts séduisant les

consommateurs, comme s’ils gagnaient quelque chose ou s’ils trouvaient une pièce en sortant du supermarché. Ce sentiment de bonne surprise, même minime, a beaucoup d’influence sur nos choix d’achat : on assiste en ce moment au green-washing ou « éco-blanchiment », c’est-à-dire à une utilisation mensongère ou abusive incitant à croire que le produit concerné

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2. Imm&rsion

est « biologique » ou non polluant. L’apposition de logos que les entreprises s’auto-attribuent et qui qualifient le produit de « vert », « écologique », « éco-efficace » fonctionne : noyés par les macarons certificateurs, cette valeur ajoutée nous convainc, en tant qu’éco-citoyens de ce que nous devons acheter pour l’avenir de nos arrières petits-enfants. Le « naturel » est alors amalgamé à une notion écologique par le consommateur. Ces médaillons abusifs (que l’on peut retrouver désormais dans tous les rayons) sont un peu des récompenses éthiques, des bons-points que l’on souhaite s’attribuer (entendons-nous, ce n’est pas un discours contre les produits qui respectent des éthiques mais bien ceux qui en font des usages abusifs).

Ann Veronica Janssens vue d’installation de LEE 121, Biennale d’art contemporain « Expérience de la durée », 2005

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Ce constat d’un élan commercial vers l’effet

« waouh ! » fait écho à une facette de l’art contemporain qui se sert de l’expérience inédite pour modifier les rapports à l’art. L’écart est grand entre art et scénographies de magasins, mais si l’étonnement donne envie de rester dans un lieu, on peut essayer de mettre en parallèle ces deux domaines. L’artiste Mathieu Briand travaille ainsi sur les sensations des visiteurs, qui explorent par exemple, pieds nus, des pièces recouvertes de sable ou de talc, qui s’allongent dans un œuf fœtus géant ou bien flottent dans une piscine trop salée. La Biennale d’Art Contemporain de Lyon de 2005, Expérience de la durée, a permis aux visiteurs d’expérimenter, de s’aventurer dans des pièces et des installations fantastiques. La première salle était une installation d’Ann Veronica Janssens, artiste plasticienne belge. La pièce était emplie d’un nuage de lumière et d’une poussière qui la rendait opaque, d’une densité si forte que l’on ne pouvait voir ses propres pieds. Ces aventures artistiques sont des attractions, qui nous font frissonner, qui sont agréables, poétiques. Elles sont égalitaristes aussi : le néophyte ressent l’expérience aussi bien que le doctorant d’histoire de l’art. Cet aspect de la facilité de compréhension est ambivalent : il rend l’art accessible, mais il peut aussi remplacer l’idée que l’on se fait du musée par celle d’un parc d’attraction. Le public est attiré par les sensations physiologiques qu’il pourra vivre dans un musée.


B. Rénovation et invention

Sans vouloir faire par là un sophisme, l’écho

entre un marketing attentif aux sensations et des artistes qui donnent à vivre des expériences dans leurs œuvres, nous vivons cernés par des micros- scénarios qui doivent nous étonner. Il est donc normal que les objets du design racontent une petite histoire. Il y a même une Biennale internationale consacrée à la conception, l’architecture et la culture contemporaine, qui a lieu en alternance à Lisbonne et Amsterdam dont le nom est ExperimentaDesign54. Tous les designs y sont conviés, et les installations urbaines montrent le chemin d’un art qui se veut participatif.

L’émotion esthétique peut aussi être une

forme d’expérience du design, on peut être impressionné par un objet, ou une collection. Peut-être s’agit-il aussi d’une forme d’émotion intellectuelle due au plaisir de la reconnaissance - s’il s’agit d’une œuvre que l’on peut voir dans un musée après l’avoir vu dans les livres…-. Mais le design est capable d’impliquer l’usager, il modifie ses comportements, il insinue une manière de s’asseoir, de manger, d’attendre le bus. Les habitudes qui sont modifiées par le design urbain ou par celui d’Ikea le sont astucieusement : les designers proposent une nouvelle façon de disposer des objets. Ils peuvent aussi créer des objets que l’usager transforme, créé, fait vivre pour inventer sa propre expérience de l’objet. Malheureusement les demandes faites aux designers ne le sont pas toujours pour de bonnes raisons : pour chasser les sans domiciles et les personnes indésirables des espaces publiques, les bancs sont dessinés pour les empêcher de s’allonger.

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54 http://www.experimentadesign.pt/2009/pt/index.

La rentabilité d’un objet est liée à sa diffusion,

sa nouveauté, son coût, et bien entendu à sa popularité. « Avec la production de mobiliers et de vaisselles, d’automobiles et de vêtements, dans le fait de s’adresser au grand nombre, le public prend une forme normative et générale. Le destinataire – la masse des individus – entre directement dans la composition du style. Seul doit être manifeste un sentiment, un climat plus large, historique et social, qui permettra au design de s’intégrer avec justesse à l’existence d’un très grand nombre d’individus. »55. Il est évident que pour le designer, la contrainte de convenir au plus grand nombre est majeure ; mais la majorité est un terme étrange puisque nous devons l’appliquer à une référence, un groupe lui même défini. Aussi ce groupe possède des caractères communs. Un des moyens de séduction peut passer par des références culturelles largement diffusées ou bien à ce que l’on peut nommer comme mémoire collective. La notion de design émotionnel prend place parmi ce travail du commun.

Il y a une tendresse pour une image de l’ob-

jet artisanal, le vieillissant et le bibelot voire le kitsch que nous évoquions plus haut. L’engouement pour les codes graphiques « rétro », les années 70 fantasmées, le retour du dessin d’illustration dans la publicité ne sont pas de simples élans passéistes et nostalgiques. Il s’agit d’hommage à une émotion commune. Le vichy et les tapisseries surannées ont l’attention de nombre de designers et de stylistes. Identifier au travers de ces codes certaines valeurs est bien sûr une méthode pour rendre un objet explicite, bavard. 55 Olivier Assouly, « Le design comme esthétique de la réception », dans, Brigitte Flamand, sous la direction de, Le design, essais sur des théories et des pratiques de, Paris, Institut Français de la mode, 2006, édition du regard, p. 263.

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Nicolas Bourriaud contextualise ces redécouvertes dans son ouvrage Postproduction « Depuis le début des années quatrevingt-dix, un nombre sans cesse croissant d’artistes interprète, reproduit, réexpose ou utilise des œuvres réalisées par d’autres, ou des produits culturels disponibles […] [Ces artistes] contribuent à abolir la distinction traditionnelle entre production & consommation, création & copie, ready-made & œuvre originale. La matière qu’ils manipulent n’est plus première. Il ne s’agit plus pour eux d’élaborer une forme à partir d’un matériau brut, mais de travailler avec des objets d’ores et déjà en circulation sur le marché culturel, c’est à dire déjà informés par d’autres. 56 » Cela dit, il y a dans cette nostalgie un aspect conservateur dont nous devons nous méfier. Dans son livre Inventèr57 , le regard critique que pose Fabrice Praegér sur les traditions est le point de départ d’une réflexion sur cette identité culturelle française dé56 Nicolas Bourriaud, Postproduction, Dijon : Les Presses du Réel, 2003, p. 5. 57 Fabrice Praèger, Inventèr, collection Pas De Ville sans Visage, Éditions Dumerchez, 2002

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suète, où les codes stagnent apriori : fantasme d’une France d’antan, du marcel et du ballon de rouge.

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ais la nouvelle scène du design n’est pas aussi nostalgique qu’il le semble, elle exploite bien sûr les références, comme cela a toujours été le cas dans la mode. Les grandes entreprises demandent à ces nouvelles têtes chercheuses de renouveler leur image, tout en se basant sur une histoire. Les partenariats sont nombreux et fructueux : les 5.5 Designers signent pour l’entreprise Bernardaud un désormais célèbre service à café déconstruit - l’anse circule autour de la tasse- et l’accident dans la chaîne est une signature. Hella Jongerius58 a pioché dans les archives de la prestigieuse manufacture de porcelaine Nymphenburg 59 pour créer ses plats animaliers et Baccarat a offert à des créateurs des partenariats fructueux comme l’écrivions plus haut. Ce sont des résultats détonants parmi le reste de la production, qui peuvent revaloriser une entreprise vieillissante : Laguiole a par exemple redoré son blason en invitant Starck en 1986, puis Wilmotte ou Sonia Rykiel à redessiner le fameux couteau de sa marque. 58 http://www.jongeriuslab.com/index2.htm 59 http://www.nymphenburg.com/fr/nymphenburg/


C. Technique & innovation 1. Innovation

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a surprise a lieu là où nous sommes conscients qu’elle va advenir : l’attente et l’inattendu créent l’étonnement. Le décalage, le pas de côté ou l’adjuvant à un objet bien connu va permettre l’innovation. Le créateur veut se laisser surprendre par les choses, et les découvertes sont des résultats de l’aptitude à voir les choses d’un œil neuf. La nécessité de « trouble » que doit susciter la création implique une certaine obligation de la surprise. Il s’agit de mettre en branle l’émotion du spectateur, de l’utilisateur alors même qu’il est conscient qu’elle va advenir. Il y a donc une attente, une spéculation sur l’irruption de l’inattendu.

Hella Jongerius pour Nymphenburg (manufacture de porcelaine fine), Plats animaliers, Coupe avec faon, 2004 5.5 Designers pour Bernardaud (manufacture de porcelaine), projet Ouvriers-Designers, 2007 Anna Terhaar, chaise Cinderella’s Chair, 2010

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es méthodes de créations peuvent être en elles-mêmes des points de départ à l’aléatoire. Les technologies et les techniques permettent ainsi des process innovants, qui surprennent le designer. Ainsi, le collectif de « designeuses » suédois Front Design a dessiné dans l’espace, fictivement, des chaises désormais existantes. Elles utilisèrent des méthodes novatrices de capture vidéo couplée à un système informatique où les traces virtuelles devinrent des images 3D. Ce mobilier a ensuite été matérialisé en prototypage rapide, la stéréolithographie60, sans manipulation humaine. Cette volonté d’inventer un nouveau geste créateur a permis de s’éloigner des formes classiques et de toutes les conventions : « Chacune des pièces que nous avons créées a requis un certain degré d’expérimentation et les méthodes de production que nous utilisons laissent intentionnellement beaucoup de place à l’imprévu. Nous nous servons de la technologie à des fins artistiques. 61», déclarent-elles.

La surprise est

ici absolue, pour tous, et l’incompréhension face à la fabrication de l’objet final nous pousse à faire des hypothèses. Les créatrices ont autorisé la forme à advenir telle quelle, sans le contrôle minutieux ordi60 cf. encart page suivante 61 http://www.letsmotiv.com/Design/Article/618-Collectif-Front-Design-Droles-de-Dames.html

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« La stéréolithographie est un procédé de prototypage rapide. Les données CAO d’un objet sont découpées en couches très fines et envoyées à la machine. Un faisceau laser ultraviolet est ensuite mis au point sur la surface de la cuve de photopolymère liquide. Le laser dessine une tranche de la pièce, transformant une fine couche de plastique liquide en solide. La couche est ensuite abaissée dans la cuve et recouverte de photopolymère liquide, le laser dessine la tranche suivante au-dessus de la précédente. Le processus continue, couche par couche, jusqu’à ce que la pièce soit terminée.La stéréolithographie (nom déposé) est une technique utilisée depuis 15 ans déjà. » Définition trouvée sur : http://www.zedax.ch/

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Front Design, mobilier stéréolithographié Sketch furniture, 2006

Clemens Weisshaar et Reed Kram pour pour Nymphenburg (manufacture de porcelaine fine), lot de 7 assiettes, My Private Sky, 2008


2. Technologie & créativité

Les créateurs peuvent se laisser étonner par

naire. La chaîne de production est bouleversée, et on peut se prendre à rêver de cette liberté de créer intuitivement des objets immédiatement réalisés. Le temps d’exécution est tout à fait essentiel dans la problématique qui nous intéresse Ces découvertes technologiques sont fascinantes car elles font du créateur un chercheur, qui peut assez directement faire de l’utile grâce à une utilisation toute différente de celle prévue. Ces objets sont à la frontière de l’artisanat par la complexité de réalisation, mais on peut envisager des séries différentielles réalisées industriellement. Les matériaux sont devenus un pan de recherche dans la création et dans la science à part entière : « nous arrivons ici dans un domaine de très haute technicité où le designer, comme l’ingénieur, a plus à recevoir qu’à donner. L’expérience prouve néanmoins que, lorsque le matériau nouveau est là, les designers ne sont pas les derniers à en faire bon usage, en le portant à la limite de ses performances, libres d’opter pour un autre lorsque ces dernières sont atteintes. »62. En repoussant les limites du matériau, le designer agit comme un chevalier en quête d’un graal : il cherche jusqu’à se surprendre et se laisser dépasser par ses découvertes. 62 Stephen Bayley, « Design : synthèse des arts », dans, Raymond Guidot, Design, technique et matériaux, Paris, édition Flammarion, 2006, p. 64.

la machine, l’outil de création, voire créer l’outil qui décide seul. Ainsi Clemens Weisshaar et Reed Kram, deux jeunes designers allemand et américain, ont développé un logiciel qui calcule la carte stellaire du jour de naissance de l’acheteur : ces données sont ensuite transposées à la main sur des assiettes par les artisans de La Manufacture de Porcelaine de Nymphenburg63. Les algorithmes décident de l’emplacement des étoiles que l’artisan peint ensuite à la main : la rencontre de savoir-faire aussi paradoxaux est intéressante, surtout qu’il ne s’agit pas de la méthodologie habituelle. Si les designers utilisent les outils informatiques, c’est davantage pour la conception de l’objet et la qualité des images en trois dimensions ainsi rendues. Et si l’artisan intervient régulièrement en collaboration avec les designers, il s’agit de prototypage ou d’une compétence toute particulière. Or il ne s’agit « que » de la création des décors, du motif. Le duo a ainsi designé le logiciel bien plus que l’objet de l’assiette : celle-ci existait dans les archives de la manufacture. La production pourrait être automatisée : le logiciel décide des emplacements seuls, et l’on connait dans le design le principe de série différenciée. La politique de production est évidemment dans ce cas plus complexe, puisqu’il s’agit de pièces uniques adaptées à l’acheteur… L’intervention d’un logiciel est alors tout à fait cruciale, car on peut dès lors choisir de nommer ceci design et non pas artisanat d’art, même si la nuance est fine. Puisque la créativité du peintre est tout à fait niée dans cette demande d’exécution très précise, on considère qu’il ne s’agit plus d’un ou63 http://www.nymphenburg.com/fr/editions/my-private-sky/index3.html

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D. Aléatoire & hybridation 1. M&tamorphose vrage de l’art. Yves Deforge dans L’œuvre et le produit démontre que si l’artisan adapte ses savoir-faire, sa technique aux circonstances, il peut créer une œuvre. Mais s’il « procède «machinalement» en appliquant des procédés » 64, alors il crée un produit.

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a technique peut être curieuse avant même la conception de l’objet : Ford a fabriqué un « costume du troisième âge », avec lunettes rayés et sensation d’arthrite provoqué par le vêtement, afin que les concepteurs ciblent au mieux ce qui deviendra la Ford Focus, pour la clientèle sénior65. Ainsi les sensations mêmes des concepteurs sont mises à l’épreuve pour trouver la meilleure solution pour la voiture. La projection pour envisager les besoins de l’usager spécifique est ici physique. La création peut donc avoir recours à ces technologies pour mieux appréhender une production, à la fois quant à ses qualités physiques, esthétiques, de résistance et aussi d’usage. Le processus de réflexion est ici modifié à sa source. Cela a permis à la Focus de gagner des prix de design, sans que les jurys ne connaissent ces méthodes de conception. Pour éviter les mauvaises surprises, on utilise des technologies étonnantes.

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a méthode de création d’une surprise peut impliquer un accident, et donc du hasard dans la chaine de production. Gaetano Pesce, dès les années 60, a utilisé des procédés lui permettant de créer des séries différentielles. Il utilisa la technique du rotomoulage, qui permet de fabriquer de grands objets creux comme les canoës. L’aléa venait de l’injection de billes de plastiques de plusieurs couleurs qui se mêlaient par le facteur même de cette technique, créant des motifs toujours uniques. L’accident c’est aussi ce qui permet de faire des découvertes fortuites : la tarte tatin, la bêtise de cambrai, le carambar ou encore la pénicilline furent découverts par hasard.

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lus récemment, le partenariat des 5.5 designers66 avec l’entreprise de porcelaine Bernardaud a débouché sur des accidentés de la chaîne, avec des interventions des ouvriers eux-mêmes, créant des ratés à partir d’objets parfaits. La poésie qui se dégage de cette vaisselle leur ôte cependant une partie de leur fonctionnalité… Mais l’intervention de plusieurs personnes et ce au cours de la réalisation permet des incidents qui peuvent révéler des nouvelles perceptions de l’objet.

Les frères Campana

ont eux aussi collaboré avec l’usine, proposant un centre de table en biscuit68

64 Yves Deforge, L’œuvre et le produit, Seyssel, Édition Champ, collection milieux, 1990, p.48. 65 Jeremy Myerson, « Design pour tous », dans, Raymond Guidot, Design, carrefour des arts, Paris, Flammarion, 2003, p. 370.

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67

66 http://www.cinqcinqdesigners.com/index. php?centreloca=http://www.cinqcinqdesigners.com/home. php?rub=actualite*aa*srub=actus 67 http://www.bernardaud.fr/FR/actualites/index.html 68 Biscuit nom masculin (de bis et cuit) [...] Pâte céramique cuite sans glaçure et sans couverte et qui présente un aspect mat. définition trouvée sur http://www.larousse.fr/dictionnaires/


Sam Baron pour Sisley, vase Bizarre, 2009 Mike Mak, lampe Swing Pendant Lamp, 2007 Fernando et Humberto Campana pour Bernardaud (manufacture de porcelaine), coupe Nazareth, 2009 Sebastian Brajkovicn, chaise Lathe, 2009 Front Design, vase en porcelaine de Delft Blow Away, 2009

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Hella Jongerius, table Frog Table, Galerie Kreo, 2009

ou en porcelaine émaillée à partir de jambes de poupons sur lesquels ont voit, pour les exemplaires en biscuit encore la jointure du moule dans lesquels ils ont été coulés. Cet objet étrange, ce conglomérat nommé Nazareth, évoque l’univers de l’artiste Annette Messager et son obsession pour les poupées. Il est assez éloigné du design et s’inscrit pourtant dans la démarche des deux frères : accumuler pour modifier l’objet. Cette objet ne peut donc pas être reproduit à l’identique, l’intervention d’un artisan offre des résultats presque identiques. Accepter les infimes modifications que subit le projet pendant sa fabrication est devenu assez moderne.

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a céramique et la porcelaine sont desormais des matériaux que les designers aiment retrouver, surtout lorsque l’histoire d’une entreprise leur offre un lexique de formes déjà existantes, et une perfection certaine dans la réalisation. Hella Jongerius69 a francais/biscuit 69 http://www.nymphenburg.com/fr/designers/hella-

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utilisé cinq figurines d’animaux parmi les septcent archivées par la manufacture, et les a déposées dans des assiettes, avant de les décorer de motifs délicats, naturalistes en partie et empruntés au répertoire des décors déjà existants. Ces objets recyclent donc des savoirs faire et fait naître des gammes tout à fait nouvelles de porcelaine. Le designer Sam Baron70a créé des objets de porcelaine nommés Bizarre71 pour Sisley. C’est l’artisanat portugais qui a été sollicité pour cette hybridation d’un nouveau genre. Ces créations sont presque émouvantes de simplicité, transformant à peine des objets qui sont déjà dans les buffets, mais mutants en objet modernes, ils restent figés dans leur transformation. On touche au mythologique, et aux pouvoirs quasi divins que le designer possède en créant.

jongerius.html 70 http://www.sambaron.fr 71 http://www.designboom.com/weblog/cat/8/ view/7769/sam-baron-bizarre-collection-for-sisley.html


Erwan et Ronan Bouroullec en collaboration avec le fabricant de textiles Kvadrat., module Clouds, 2009 5.5 Designers, boite cadeau Plaisir d’Offrir, 2007

2. Construction

La transformation ou plutôt la transition

entre un état et un autre, renvoie aussi à la transdisciplinarité que l’on évoquait plus tôt, entre art et design. Ce sont des objets hybrides, étonnamment achevés, et donc inclassables dans le lexique du design. Ces objets « entre-deux », dont l’usage et l’utilité sont parfois interrogeables, peuvent être mis en parallèle avec un tout autre type d’objet, le module. Les frères Bouroullec72 en sont devenus les maîtres. Ainsi Clouds est un « système modulable composé de « tuiles » textiles réalisées avec le fabricant danois Kvadrat. 73» Tour à tour cloisons et pur décor, cette formule d’un élément simple qui se transforme par addition est une offre faite aux usagers. L’objet -si c’en est encore un-, se laisse apprivoiser pour répondre aux besoins. Les créateurs n’ont aucun contrôle sur la transformation de leur produit. Cette proposition est alors un jeu de construction que chacun interprète, et où l’action du client est nécessaire pour faire advenir l’objet.

armes chez les Droog Design, est obsédée par les assemblages, les accumulations. Mêlant animaux et mobilier, cumulant les strates de matériaux ou d’objets, elle décape le design en insufflant la fantaisie. Son travail semble intuitif, presque enfantin : sans devenir puérils, ses séries d’objets fascinent. En faisant des constructions, elle se laisse elle-même surprendre par des confrontations inédites. Les métissages d’objets permettent de réinventer en multipliant les possibilités.

Certains objets sont aussi des assemblages

expérimentaux, de matériaux, de petits objets quotidiens et très ordinaires. L’assemblage permet alors de recréer un lexique visuel, des silhouettes inédites. Hella Jongerius, designer néerlandaise qui a fait ses 72 http://www.bouroullec.com 73 AD Collector, le meilleur du design 2009, hors série spécial design 2009, n°01, Paris, Publication Condé, p. 45

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Front design, buffet Reflection Cupboard, Galerie Kreo, 2007

Maurice Scheltens (Droog Design), nappe Tableau tablecloth, 2005

E. Apparition & scénarios 1. Faux-semblants

L’apparition de la surprise est parfois perçue

comme un élan de l’objet. Nous captons alors l’instant, et le sentiment peut être le même que l’émoi de l’art. Le collectif Front Design74 a mené une réflexion sur des choses ordinaires révélées par la modification d’une caractéristique. Le mobilier Reflection Cupboard est imprimé de reflets d’un espace, comme si l’aspect miroir lui permettait de nous renvoyer la pièce dans laquelle il se trouve. Mais l’apparition de ce reflet fixe trouble notre perception de l’espace, nous

Les trompe-l’œil ont toujours fasciné dans les arts, mais le design utilise désormais ce procédé, brouillant les pistes sur les matériaux. Le collectif suédois a justement créé pour Moroso The Moment Collection, une série d’objets aux faux-semblants. Le banc Soft Wood Sofa est composé de bois mais aussi d’un textile moelleux auquel on ne s’attend pas. Elles ont designé pour Skitch une bibliothèque dont les portes sont recouvertes… d’une impression de bibliothèque vraisemblante.

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ans ces exemples l’apparition est trompeuse, les objets créent un doute et notre rapport peut s’en trouver modifié, on éprouve alors une forme de méfiance de la part des objets « animés ».

Il existe une autre façon d’envisager l’appa-

rition dans le design, c’est la mise en œuvre des objets par l’utilisateur. Ils vont découvrir qu’il n’y a pas impérativement un cadeau enfermé dans la boîte-cadeau Plaisir d’Offrir des 5.5 Designers75, mais que la boîte est le vase, le cendrier, le bougeoir, le miroir ou la tirelire. nous doutons de la supercherie sans savoir où elle se situe. Nous pouvons admirer l’objet comme nous le ferions d’un tour de magie : il ne s’agit pas tant de qualités esthétiques, techniques que de l’impression qu’il donne. La magie replace l’usager dans sa perception d’enfant : subjugué et curieux des astuces utilisées. La duperie de l’objet peut être troublante. 74 http://www.frontdesign.se

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L’ouverture, l’épanouissement de l’objet qui

se déploie, c’est aussi ce que l’on perçoit des lampes Vapeur d’Inga Sempé76 pour l’éditeur français Moustache. Entre la toque de chef et la montgolfière, elles sont réalisées avec un matériau nouveau dans 75 http://www.cinqcinqdesigners.com/index. php?centreloca=http://www.cinqcinqdesigners.com/home. php?rub=actualite*aa*srub=actus 76 http://www.ingasempe.fr/index2.htm


7002 ,oerK eirelaG ,draobpuC noitcefleR teffub ,ngised tnorF

Nendo, lampe Blown Fabric, 2009

le design, le Tyvek, qui lui donne cette apparence fragile de papier. L’objet semble s’envoler. Dans la même typologie d’objet, le collectif japonais Nendo77 a présenté au salon de Milan 2009 Blown Fabric, des lampes de papiers qui prennent forme lorsqu’on les gonfle, et qui « résume bien leur esprit, désireux de créer ce qu’ils appellent des « moments »78. Le produit vendu « contient » une action, un ready-made que l’usager doit faire pour rendre l’objet utilisable. Reproduisant le geste du souffleur de verre, le client détermine sa lampe unique. À la fois didactique et fantaisiste, cette production se base sur les différences qui naitront de cette imparfaite finition faite à la maison. L’interactivité est un atout pour cet objet, impliquant le consommateur.

Le Tableau tablecloth, nappe imprimée d’un

photogramme d’un repas par Maurice Scheltens pour Droog Design invite aussi à raconter et à revivre une histoire. Les traces de l’événement, du festin sont apparues miraculeusement sur cette nappe, évoquant un Saint-Suaire. L’usage va donc entraîner des questionnements, des suppositions et des scénarios.

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a scénarisation des objets, leur découverte, leur mise en service et leur(s) ouverture(s), sont autant de moyens de créer des micro-événements, réjouissant l’utilisateur. 77 http://www.nendo.jp/en 78 AD Collector, le meilleur du design 2009, hors série spécial design 2009, n°01, Paris, Publication Condé, p. 84

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2. Usage de la surprise

La surprise dans la création design est un évé-

nement qui présuppose l’organisation de la découverte. L’objet est pensé dans l’usage, et il doit sembler naturel de faire tous les gestes antérieurs à cette étape de l’étonnement face à l’inattendu. La progression de l’usage jusqu’à ce paroxysme implique aussi la disparition de ce micro-événement, et éventuellement sa « réapparition ». Il est évident que l’intérêt de la surprise c’est tout d’abord l’effet qu’elle produit, et ce sentiment s’inscrit dans une temporalité particulière, c’est-à-dire celle que le créateur a mise en scène, organisée. L’innovation est alors de nouveau interrogée : «la surprise pose aussi la question du nouveau, de l’inouï, voire de l’avant-garde ou du moderne : à partir de quand la surprise n’est-elle plus un simple « truc » pour attirer l’attention, à partir de quand commence-t-elle à prendre et donner sens, à faire œuvre ? »79. La surenchère qui peut exister dans les objets (plus techniques, plus petits ou plus grands, plus résistants etc.) sont-ils des arguments commerciaux séduisants ou bien des innovations réelles ? Si l’objet nous étonne seulement lors de son achat, alors on peut considérer qu’il s’agit d’une surprise « coup de foudre ». Si, par contre, l’attraction continue, alors le rapport à l’objet est de l’ordre de la séduction.

La manipulation qu’implique l’objet doit être

envisagée comme faisant partie de l’usage, et non pas comme une manière inhabituelle d’aborder l’objet. Il peut s’agir du quotidien, mais cela pose bien évidemment le problème de la répétition : peut-on surprendre avec l’habitude ? Peut-être s’agit-il d’envisager que l’intérêt n’est pas tant dans la surprise mais dans l’aspect surprenant de l’objet. C’est la valeur 79 Bertrand Rougé (sous la direction de), La Surprise, Pau, Publication de l’Université de Pau, 1998, p. 11.

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ajoutée à l’objet, qui, semblable au cadeau mis dans le paquet de céréales, peut justifier le choix du produit. La volonté de distinguer le produit est évidente dans l’industrie. Le design peut apporter une différenciation par cette façon d’utiliser l’objet et les gestes qu’il implique mais aussi par le potentiel de poésie que l’usager perçoit en l’utilisant. L’objet doit alors nous séduire à chaque usage, invoquant alors tout un potentiel sensible. Jasper Morrison, chantre du design « Super Normal » évoque ainsi la fascination qu’il a pour des verres à vin soufflés à la bouche : « This quota of atmospheric spirit is the most mysterious and elusive quality in objects. »80 .

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ous découvrons certains objets comme nous le faisons d’une musique, lorsque, à chaque écoute nous découvrons une subtilité, une parole qui nous échappait. C’est bien dans l’usage que l’objet se révèle : la qualité du matériau, de la couleur ou de la coupe pour un vêtement sont autant d’aspects qui ne sont pas offerts au premier coup d’œil. L’achat par internet a aussi modifié nos façons de choisir un objet. On étudie les commentaires d’autres acheteurs, on enquête et on se décide pour un objet virtuel. L’arrivée du colis conduit à une tout autre sensation que celle de sortir d’un magasin avec un sac. En distançant l’acte d’achat de la découverte du produit, nous nous offrons des cadeaux. Il y a une ouverture, un déballage encore plus conséquent que lors d’un achat standard. On apprécie enfin les qualités physiques de l’objet : taille, manipulation, qualités ergonomiques… En s’extasiant devant la nouvelle acquisition, nous nous laissons séduire par lui. Bien sur ce

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80 http://www.jaspermorrison.com/html/5851561.


sentiment s’émousse à l’usage. Mais certains objets, notamment les plus technologiques, nous poussent à l’exploration : des fonctions plus complexes, des jeux, des personnalisations infinies en font des objets chronophages. En utilisant les smartphones comme des tamagotchis –ces jeux électroniques où les enfants doivent s’occuper d’un petit animal-, les utilisateurs s’offrent du loisir, de l’étonnement devant les capacités de leurs joujoux. Mais c’est aussi le cas pour un appareil photo complexe ou un robot ménager.

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a surprise, cette bonne nouvelle est alors celle que l’on se construit. Et pour qu’elle dure, nous devons laisser l’habitude advenir, nous laissant gagner par l’objet pour enfin découvrir combien il nous séduit. Et nous nous en étonnons.

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Conclusion

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e design est un milieu de création extrêmement dynamique: les technologies et les techniques se diffusent, rebondissent d’une création à une autre, les matériaux se métissent, les codes sont transformés, travaillés puis jetés à nouveau. Le bouillonnement des arts appliqués tient à sa réactivité. Le partage des images de la création permet une résonance incroyable. Les créations surprenantes en appellent d’autres, les collaborations se tissent et s’exportent.

La surprise est surtout, comme nous avons

pu l’apercevoir une vraie motivation pour créer. Les notions de durée, d’apparition, de déballage, de réception mais aussi les modalités de créations, les process sont tous liés à une certaine volonté de surprendre. Cette émotion positive que nous recevons est puissante, épanouissante et largement ressentie. On pourrait presque la prôner comme valeur, comme leitmotiv. Sans tomber dans la naïveté, la capacité à se laisser surprendre est porteuse, montrant une forme d’optimisme.

Le design peut encore utiliser cette émotion

dans tous ses aspects car elle échappera ainsi à l’écueil de la création désabusée, distante ou prétentieuse. C’est en cherchant et en prenant des risques que le créateur, comme l’aventurier fait des découvertes. Sa curiosité et sa culture sont pour lui autant d’outils avec lesquels il innove. Il crée la rupture, la métamorphose nécessaire au progrès

L’œil critique du designer décèle les qualités

des objets anonymes et peut alors rehausser notre jugement de valeur sur ces « pas grand chose ».

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’exercice de citation se fait majoritairement à partir de chefs d’œuvres reconnus –bien que parfois anonymes-, le résultat en est toujours plus « intellectualisé ». Créer est par définition quelque chose de relatif à : on compare et on assimile. La différence peut s’inscrire dans le détail, dans une confrontation nouvelle. Distinguer une création de son modèle ne représente pas nécessairement de grands bouleversements, mais la perspicacité d’un choix. L’individualité et la créativité sont les valeurs ajoutées à l’anonymat d’un support, intellectuel ou concret. Nous pouvons nous référer indéfiniment à tous ces standards, à notre passé, puisque nous avons toujours des alternatives pour les rendre plus poétiques et basculer légèrement le point de vue porté sur l’objet pour étonner. Designer c’est alors un rapport entre l’individu créatif et les individualités, entre la création et l’innovation.

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es qualités de découverte voire d’ébahissement peuvent paraître enfantines : elles utilisent notre candeur pour mieux séduire : « Dans la vie imaginaire, nous chérissons les surprises, y compris les mauvaises. (Pensons à toutes les horreurs dont sont truffés les contes pour enfants et dont les enfants raffolent en quelque sorte ontologiquement. Car c’est ce qui les apprivoise, les prépare à l’horrible tranquillité d’une vie humaine : l’impression que toute cette routine n’est que sursis, parenthèse, dans un enfer de prodiges et de cruauté. Pensons à l’enfant prolongé, au sur-enfant qu’est, de ce point de vue, le lecteur de romans noirs, le spectateur de films d’horreur ou de suspens.)81 ».

Jouer à se faire peur, et imaginer les farces

qui feront sursauter parents ou amis est l’activité de l’enfant. En s’imposant la surprise comme défi 81 Dominique Noguez, « Œuvre d’art et Surprise », dans Bertrand Rougé, La Surprise, Pau, Publication de l’Université de Pau, 1998, p. 139.


quotidien, l’enfant innove, se doit d’imaginer. Dans cette qualité que l’on attribue si aisément aux enfants, l’imagination, nous reconnaissons aussi le profil du créatif. Non pas que la personne qui est imaginative soit un « grand enfant », mais bien qu’elle vit naturellement avec l’inhabituel. L’artiste, celui qui propose une vision différente, une rupture du quotidien ou de sa perception émet une force de proposition. La diversité, c’est aussi cela la surprise : « C’est la concentration monopolistique industrielle qui, abolissant les différences réelles entre les hommes, homogénéisant (les personnes et les produits), inaugure simultanément le règne de la différenciation.82». Nous avons besoin de la différence pour avancer, pour nous imaginer différemment. C’est la quête du voyageur, celle qui fait que nous voulons être partout, tout voir et sentir pour se sentir partout chez soi. Cette curiosité est sans limite, elle ne concerne pas que les objets mais bien tous les domaines. L’objet existe par sa différence, parce qu’il est original ; c’est-à-dire singulier et nouveau.

Le meilleur moment n’est-il pas celui qui an-

nonce la surprise, comme en amour ou avant l’ouverture des cadeaux? Les frissons et les possibles sont autant d’exaltations délicieuses. Dans cette suspension du moment, là où « un ange passe » les peut-être se déploient.

82 Jean Baudrillard, La société de consommation, Paris, Gallimard, collection « Bibliothèque des idées », 1970

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Bibliographie A.P.C.I, Panorama Design, Paris, Alternatives, 2007, ISBN : 978-2-86227-513-0, ouvrage collectif. BOURRIAUD Nicolas, Postproduction, La culture comme scénario : comment l’art reprogramme le monde contemporain, Paris, Les presses du réel, collection Documents sur l’art, 2003, ISBN : 978-2-84066-101-6. CASSAGNAU Pascale, PILLET Christophe, Beef, Bretillot/ Valette, Matali Crasset, Patrick Jouin, Jean-Marie Massaud, Petits enfants de Starck ? , Paris, Dis Voir, 1999, ISBN-10 : 2906571881 ; ISBN-13 : 978-2906571884. COLIN Christine (sous la direction de), Design et Prix, Paris, Industries françaises de l’ameublement, 2003, ISBN : 2-951186-86-X COUTURIER Élisabeth, Le design, hier, aujourd’hui demain, mode d’emploi, Paris, Filipacchi, collection HFA, 2006, ISBN-10: 2850188107; ISBN-13: 978-2850188107 DUBUISSON Sophie, HENION Antoine, Le Design : l’objet dans l’usage, la relation objet/ sage/usager dans le travail de trois agences, Paris, l’Ecole des Mines de Paris, Les Presses, 1996, MESR - 90-P-0939, rapport. FLAMAND Brigitte (sous la direction de) Le design, essais sur des théories et des pratiques, Paris, Institut Français de la mode, 2006, édition du regard, 2006, ISBN 2-914863-12-8 ouvrage collectif. GUIDOT Raymond (directeur d’ouvrage), Design, carrefour des arts, Paris, Flammarion, 2003, ISBN-10 : 2-08011126-4, ISBN-13 : 978-2-08-011126-5, ouvrage édité avec le concours du centre national des arts plastiques. KALT Marie, rédactrice en chef, AD Collector, Architectural Digest, le meilleur du design 2009, 421 designers cultes, 1054 modèles, 252 pages de nouveautés, Hors-série spécial design 2009, n°1, Paris, Publication Condé. LOVREGLIO Anne et LOVREGLIO Aurélia, Dictionnaire des mobiliers et des objets d'art du Moyen Âge au XXIe siècle, Paris, Dictionnaires Le Robert, 2006, ISBN : 2-84902-079-6 MITAL Alexandra, Florence Doléac, Paris, Pyramyd, collection design&designers, 2006, ISBN-10: 235017041; ISBN13: 978-2350170411 RENOUE Marie, Sémiotique et perception esthétique, Pierre Soulage et Sainte-Foy de Conques, Limoges, Presses de l’Université de Limoges, 2001, ISBN 2-84287-182-0 (br.). ROUGÉ Bertrand (sous la direction de), La Surprise, Pau, Publication de l’Université de Pau, 1998, actes du sixième colloque du CICADA, mai 1996, ISBN : 2-908930-44-7, STARCK Philipe, Starck Explications, Paris, Editions du Centre Pompidou, 2003, ISBN-10 : 2-84426-210-4 ; ISBN13 : 978-2-84426-210-3, catalogue d’exposition THOMAS Dana, Luxe and Co : Comment les marques ont tué le luxe : How luxury lost its lustre, traduit de l’américain par Olivier Colette, Paris, Édition des Arènes, 2008 (2007), ISBN-10: 2352040612 ; ISBN-13: 978-2352040613 VIDELING Raphaële, Cabinet de curiosité, Éditions Tana, 2009, ISBN-10: 2845674864 ; ISBN-13: 978-2845674868 ZAMBONI Agnès, Design & Designers, une histoire du beau et de l’utile, Genève, Minerva, Collection Aubanel, ISBN : 978-2-7006-0523-5

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( Fiche de lecture

Internetographie

ROUGÉ Bertrand (sous la direction de), La Surprise, Pau, Publication de l’Université de Pau, 1998, actes du sixième colloque du CICADA, mai 1996

www.atypyk.com

Le CICADA –Centre Intercritique des Arts du Domaine Anglo-saxon de Pau a organisé en mai 1996 un colloque sur le thème de la surprise. Il s’agit d’un Centre de recherche au sein de l’université de Pau qui coordonne des colloques annuels intitulés “Rhétoriques des Arts” dont la publication La surprise fait partie. Le centre développe des réflexions interdisciplinaires sur les arts, l’esthétique et la théorie de l’art. Le responsable de cette organisation, Bertrand Rougé, est professeur de civilisation américaine et travaille tout particulièrement sur des problématiques liées aux arts. Il publie une revue semestrielle, Figures de l’art, organise depuis 1990 une série de colloques, codirige la collection Quad, principalement consacrée à l’esthétique anglo-saxonne et anime depuis 2004 le Master Rhétoriques des arts à l’Université de Pau.

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Le sujet abordé au cours de cette édition analyse les aspects de la surprise dans la création, particulièrement du point de vue de la réception et du regard du spectateur mais aussi comme point de départ de la création. Les intervenants de ce colloque se basent sur des analyses d’œuvres d’arts très précises pour capter des aspects de cette notion, et les enjeux qu’elle représente pour l’art. La nécessité de « trouble » que doit susciter la création implique une certaine obligation de la surprise. Il s’agit de mettre en branle l’émotion du spectateur ou de l’auditeur, alors même qu’il est conscient qu’elle va advenir. Il y a donc une attente, une spéculation sur l’irruption de l’inattendu. La notion de l’admiration est aussi envisagée comme évidence de l’œuvre d’art, et le spectateur semble soumis à des émotions plus violentes « le spectateur/auditeur se trouve rétrospectivement avoir été frappé, anéanti par l’œuvre, comme si elle l’avait mis en syncope (durablement) » Il y a alors toute une palette de sensations qui définissent le plaisir esthétique de l’œuvre d’art. La réhabilitation du terme même de surprise dans un discours sur l’art est une des optiques du colloque. La justification se construit autour de divers aspects : réflexion, réception et création. La magie de l’œuvre d’art commence dans l’acte créatif qui est soumis aux aléas, à l’accident et à ce qui s’impose à l’artiste. La surprise qu’il ressent en faisant l’œuvre, et celle qui a pu l’inspirer pour créer et donc innover sont des facteurs qui permettent l’inédit. On en déduit des questionnements sur l’originalité de l’œuvre, son unicité et sa capacité à toujours créer l’émotion, malgré la connaissance que l’on peut en avoir. La nouveauté de ce que nous voyons de l’œuvre dans l’œuvre connue est une surprise. )

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