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Sommaire / Brèves / Interview / 18e Fête du MiniBasket / Nationaux M / Bilan NM3 / OTM / LFB / Tournoi de Bellegarde / Portrait / Français de l’étranger
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/ INTERVIEW / "JE SUIS UN ROMANTIQUE" P ROPOS
RECUEILLIS PAR
J ULIEN G UÉRINEAU ,
À
R OME
À 26 ans Ali Traore dispute sa première saison d’expatrié avec la Virtus Rome. Si tout n’est pas rose dans la ville éternelle, le pivot de l’Équipe de France s’y est finalement imposé (9,8 pts, 4,5 rbds en Lega). L’ancien joueur de l’ASVEL aborde avec une grande lucidité et son éternel sens de la dérision ses premiers pas dans la peau d’un étranger et revient sur un Mondial raté qui l’a profondément marqué. Était-il clair dans votre esprit que cette saison, vous évolueriez à l’étranger ? J’ai un plan de carrière en tête et pour l’instant il se déroule plutôt bien. Et dans ce plan, je devais partir à l’étranger à la fin de cette saison. Les choses ont été un peu plus vite que prévu parce que j’ai fait une grosse saison 2009/2010 d’Euroleague et j’ai donc attiré les regards. Je ne vais pas m’en plaindre. L’ASVEL c’était la famille, un cocon. Mais ma progression, mon évolution, passait par un départ à l’étranger. Mon nouvel agent, Predrag Materic, m’a contacté pendant la saison d’Euroleague pour me faire part de l’intérêt de certains clubs européens plutôt bien cotés. Sienne s’est renseigné et c’était une possibilité sous certaines conditions. Mais ça ne s’est pas fait.
촞 REPÈRES ALI TRAORE
J’étais ravi. Déjà, Rome c’est Boscia Tanjevic (ndlr : le directeur technique, coach de l’ASVEL en 2001/02, champion d’Europe avec l’Italie en 1999, vice-champion du Monde avec la Turquie en 2010). Donc c’est une vraie garantie. Ensuite je connaissais B ASKET B ALL M AGAZINE - M AI 20 11
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ALI TRAORE (Lottomatica Rome)
JF MOLLIÈRE/FFBB
Quelle a été votre réaction lorsque la Virtus s’est positionnée ?
JF MO LLIÈR E/FFB B
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TAILLE
2,05 m
AGE
26 ans
CLUB
Lottomatica Rome
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les grands joueurs et les grands coaches passés par le club dans un passé récent : Dejan Bodiroga, Erazem Lorbek, Dino Radja, Svetislav Pesic. Je me suis dit que ce n’était pas un hasard. Donc je devais tenter l’aventure et j’ai pensé que c’était le meilleur premier palier européen pour moi. Au début je pensais
À quand remonte ce plan de carrière ? J’ai commencé à y penser à la fin de ma première année au Havre. J’ai bien réfléchi à ce que je pouvais faire peu de temps après mon échec à la draft en 2007.
Pourtant à l’époque, entre votre départ de l’ASVEL, vos quelques mois dans un Junior College aux Etats-Unis, votre retour en France à Quimper en Pro B, votre parcours n’était pas très linéaire… C’est clair. Mais à ce moment-là, j’ai pensé que même si c’était difficile à digérer, il fallait repartir du bon pied. J’étais un jeune homme pressé auparavant. Je voyais des mecs de ma génération en NBA et je me disais : pourquoi pas moi ? Mais c’est en s’en prenant plein la gueule qu’un petit garçon devient un homme (il rigole). Tu comprends que la vie n’est pas forcément facile. Du moins pour certains elle l’est, pour d’autres moins. À partir de là, je me suis dit que j’allais faire les choses bien et par étapes.
Ces épreuves ont-elles modifié une personnalité que l’on décrivait comme explosive il y a quelques années ? Attention je suis toujours un sanguin. Ça n’a pas changé. Mais moins… Je mets de l’eau dans mon vin comme dit mon père. Je suis une mèche moins courte qu’avant. Et je suis plus costaud dans ma tête, surtout depuis que je suis venu ici à Rome. Je peux encaisser beaucoup plus sans péter un plomb. Je pense que je suis plus professionnel qu’avant. Le jeu, le mental, tout est lié.
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Le business prend-il le dessus lorsque l’on évolue en tant qu’étranger dans un grand club européen ?
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Je suis toujours un romantique. Je crois toujours à l’amour du club, l’amour des supporters. Ce sont des choses qui me font rêver. Mais quand tu as un statut de joueur international, d’étranger, les attentes sont plus importantes. Et c’est normal.
Quelles étaient vos relations avec Boscia Tanjevic lorsque vous aviez 18 ans et que vous étiez espoir à l’ASVEL ? Il était le coach de l’équipe première mais il était extrêmement disponible. Même pour les jeunes petits cons comme moi.
On l’avait prévenu à l’époque que le club n’avait pas de jeunes prometteurs… Exactement. Il est venu, il a vu Hervé Touré, Amara Sy et moi. Il avait ramené des jeunes avec lui pour travailler avec l’équipe parce qu’il ne conçoit pas de travailler sans jeunes. Il a renvoyé tout le monde et il a dit : je vais m’occuper de ceux qui sont là. J’en faisais partie et c’était une chance extraordinaire. Et il n’a pas changé. Avec lui c’est toujours l’amour vache. Il va te traiter de tous les noms pendant une demi-heure mais en même temps tu sens qu’il aime son boulot et qu’il est derrière toi. Il aime ses joueurs et fait tout pour qu’ils progressent.
Est-ce lui contacté ?
qui
vous
a
Tout à fait. Mon agent m’avait demandé quels genres de rapports j’avais avec Tanjevic et je lui ai répondu que cela avait été une rencontre charnière dans ma carrière. C’est avec lui et Nicolas Vujcic que j’ai appris tous mes mouvements en attaque. Et pendant que j’étais en vacances au Japon, Tanjevic m’a appelé. (Il prend l’accent serbe) : "Ali il faut que tu viennes à Rome, c’est un bon ville."
Comment s’est déroulée votre arrivée à la Virtus ? J’avais négocié trois jours de vacances avant de rejoindre l’équipe. Et je ne suis
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que je pouvais sauter des étapes comme certains joueurs. Mais non. Ma carrière se construit progressivement. J’ai 26 ans, je suis où je voulais être. C’est parfait.
UFFICIO STAMPA LOTTOMATICA VIRTUS ROMA
NIC ORTS/MOU PRESSE SP
"J’étais un jeune homme pressé auparavant. Je voyais des mecs de ma génération en NBA et je me disais : pourquoi pas moi ? Mais c’est en s’en prenant plein la gueule qu’un petit garçon devient un homme."
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même pas arrivé à Rome mais directement dans la montagne, à Folgaria, pour le training camp. Ouah ! Je l’ai senti passer. C’était dur. J’attendais avec impatience de revenir à Rome. Le choc a été terrible parce que c’était très physique. Vraiment spécial.
Vos performances décevantes avec l’Équipe de France lors du Mondial ontelles compliqué votre intégration ? Je suis sorti du Mondial complètement déprimé. Je me posais des questions sur mon niveau, sur le fait que j’avais perdu mon basket. Mentalement j’étais lessivé. Ça ne m’a pas aidé pour encaisser la préparation physique d’autant plus que je me suis blessé à l’index.
Connaissiez-vous l’équipe ?
les
joueurs
de
Je connaissais Hervé Touré (ndlr : le Français a ensuite quitté le club pour Brindisi). Mais j’ai eu de la chance. Les Italiens de l’équipe sont plutôt cools et quand je suis arrivé, le capitaine Alessandro Tonolli faisait les exercices avec moi. L’accueil a été bon.
" L’ E u r o l e a g u e c’est magique. Quand j’entends la musique devotion, devotion, j’ai les yeux injectés de sang, je suis prêt à jouer. J’adore ça."
Se sent-on parfois isolé dans un nouveau pays, une nouvelle ville, une nouvelle vie ?
Le petit Ali cherchait son papa (il rigole). Assis seul sur mon balcon j’ai eu quelques moments de déprime. Surtout qu’au niveau basket ça n’allait pas très fort. Le championnat italien est vraiment très éloigné de la Pro A. Avec le Mondial, je me suis même demandé : et si j’arrêtais ? Franchement je me suis posé la question. Les gens ne se rendent pas compte dans quel état j’étais.
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Vous donnez l’impression d’avoir évalué vos performances au Mondial non pas uniquement par rapport aux attentes du staff mais également du public, de la presse…
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Je sais que des gens nous suivent et placent beaucoup d’espoirs en nous. Cela fait partie de ma personnalité : je déteste décevoir. Ça me fout mal à l’aise d’avoir l’impression de laisser tomber les gens. Il manquait beaucoup de joueurs au Mondial et ceux qui étaient présents devaient assurer. Mais j’ai beaucoup appris sur moi-même lors de cette compétition et je me sens vraiment beaucoup plus fort.
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basketteur pro partage des choses avec moi sur le ton de la dérision tout en parlant de choses un peu techniques.
Avez-vous ressenti que votre second degré pouvait vous porter préjudice ? Clairement. J’aime l’humour un peu cynique mais parfois les gens ne perçoivent pas que c’est une plaisanterie. Et je m’en prends plein la gueule. Cela m’est déjà arrivé ici à Rome, donc je fais attention.
Votre accessibilité vis-à-vis de la presse et des fans a-t-elle rendu l’expérience encore plus pénible ?
Vous êtes-vous promis de prendre votre revanche à l’Euro ?
À l’époque je devais tenir une chronique pour L’Equipe.fr. Il fallait que j’alimente le truc mais je n’avais pas envie de parler. Je n’avais rien à dire. Je ne voulais pas entrer dans les détails et je n’ai toujours pas envie de parler des choses qui ont contribué à ce que je rate mon Mondial. Je suis entier. J’aime discuter, raconter ma vie. Montrer l’envers du décor sans tout dévoiler parce qu’il ne faut jamais perdre la confiance de ses coéquipiers. Il faut que j’apprenne à gérer certaines choses différemment. Je peux toujours être drôle en privé mais il va falloir que je prenne une certaine distance vis-à-vis des médias ou du public.
Franchement en sortant du Mondial je ne voulais plus entendre parler de basket. Il me fallait un break mais je n’ai pas pu l’avoir. D’où ma déprime. Mais en partant de Turquie je me suis surtout dit qu’il allait être compliqué de faire partie de l’équipe qui fera l’Euro.
Que vous a apporté le nouvel entraîneur depuis sa prise de fonction ? On travaille beaucoup. Quand il est arrivé il nous a prévenus : je ne crois pas au raccourci, je crois au travail. Mais ce n’est pas un tyran. Simplement, quand on arrive à la salle et que l’entraînement commence, il ne veut plus de bruit, plus de sourires. C’est concentration à 100%. Ensuite tu vis ta vie. L’école de Filipovski c’est celle de Dusko Vujosevic (ndlr : ancien entraîneur du Partizan Belgrade) avec une colère froide où tu comprends très vite que c’est le moment de la fermer. Mon avantage c’est que j’ai B AU/FFB
Ça me manque des fois. Mais dans les commentaires, j’ai lu des choses… ça me donnait envie de vomir. Ça me touchait. On m’a dit que j’avais eu une réaction d’enfant gâté qui arrêtait car les gens le critiquaient. Mais pas du tout ! Certaines limites ont été dépassées et pour ma quiétude il valait mieux y mettre un terme. Pourtant j’aimais bien partager. Je m’étais mis à la place d’un fan : j’aurais bien aimé qu’un
Je suis un diesel. J’ai besoin d’avoir des marques, de connaître le championnat, les joueurs, les arbitres, les salles. L’adaptation est longue. Entre le début et la fin de saison, c’est le jour et la nuit. Au début je n’étais pas vraiment utilisé sur mes points forts. Cela a changé au fil du temps, d’abord avec Matteo Boniciolli puis avec Saso Filipovski. Le jeu me sied bien mieux désormais.
RINE S GUÉ PHOTO
Est-ce la raison pour laquelle vous avez arrêté de publier votre blog sur le site www.basketsession.com, un blog remarquable d’humour et de recul?
Pour revenir à Rome, depuis quelques semaines votre production est nettement en hausse (18,5 pts à 73,3% et 7,3 rbds comme titulaire entre la 23e et la 26e journée, une pointe à 44 d’évaluation). À quoi cela est-il du ?
JF MOLLIÈRE/FFBB
UFFICIO STAMPA LOTTOMATICA VIRTUS ROMA
Il faudra faire un autre test grandeur nature. Mais j’ai appris sur mon physique, mon mental. Je ne regrette pas. Finalement, tant mieux que cela me soit arrivé. Mes débuts en Équipe de France, en 2009, c’était la fête (il explose de rire). Ma première campagne était géniale : humainement, basketballistiquement… Ça se dit ça ? Je rentrais, je faisais mon petit show. Parfait. Et la deuxième année ce n’était plus du tout ça. J’ai complètement merdé.
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Vincent Collet estimait qu’une de vos limites résidait dans la gestion des mauvais moments. Estimez-vous avoir progressé sur ce plan ?
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connu Vincent Collet qui est extrêmement pointilleux. C’est ce que j’ai retrouvé ici. Mais il laisse la place au talent des joueurs. Le basket ce n’est pas des mathématiques.
Comment expliquer vos résultats décevants en Lega ? Le championnat est très dense mais ce qui fait la différence c’est notre inconstance. En regardant de plus près l’équipe est très jeune entre Washington (25 ans), Dasic (23), Vitali (25), Djedovic (21), Gordic (23), Datome (23). Seuls Tonolli et Smith ont leur carte vermeille. On peut avoir des hauts et des bas incroyables.
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Qui met la pression à la Virtus ? Sans doute pas les tifosi, bien moins nombreux que dans d’autres villes d’Italie… Ils ont quand même débarqué à l’entraînement un jour pour nous dire qu’ils en avaient marre que l’on perde. Ça a duré une bonne demi-heure. Ce n’est pas aussi passionné que dans certains coins de l’Italie mais quand "Assis seul sur mon même. Sinon la pression vient du balcon j’ai eu quelques coach, du directeur moments de déprime. technique et du Président qui nous a Avec le Mondial, je me rappelé qu’il était suis même demandé : très important pour le club de se qualifier et si j’arrêtais ? Franpour les playoffs. Sinon l’Euroleague chement je me suis nous passe sous le posé la question. Les nez.
Une Euroleague qui semble être votre principal centre d’intérêt…
gens ne se rendent pas compte dans quel état j’étais."
C’est magique. Quand j’entends la musique devotion, devotion, j’ai les yeux injectés de sang, je suis prêt à jouer. J’adore ça. Une saison sans Euroleague, je serais déçu. Avec les playoffs, le club assure sa place pour la saison prochaine. Jouer contre les meilleurs joueurs européens, ça me fait rêver. Le Pana, Olympiakos, le Barça, le Real... C’est génial ! Et je trouve que je commence à devenir un vrai joueur d’Euroleague. À Madrid, Garbajosa a dit à Tomic, "tu prends Traore." Il ne lui a pas dit, "tu prends le n°12." Je commence à être connu. Quand j’étais à l’ASVEL, en cadets, espoirs, j’avais déjà les yeux grands ouverts. Mon plus grand souvenir c’est quand le CSKA était venu gagner à l’Astroballe. Andrei Kirilenko avait tué le match à lui tout seul. C’était incroyable. Jouer l’Euroleague avec l’ASVEL était l’un de mes objectifs. BELLENGER/IS/FFBB
Avez-vous une liste d’objectifs à remplir ?
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C’est ça… Je n’ai pas pu cocher le Top 16 avec l’ASVEL mais qui sait. Un jour peut-être… J’ai réussi avec Rome et l’année prochaine, je veux au moins les quarts de finale. Et un jour, champion d’Europe (il lève les bras au ciel). I