Zvi - Un destin extraordinaire (MB3280)

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Elwood McQuaid

ZVI


Avertissement Pour des raisons bien compréhensibles, l’auteur et l’éditeur ont modifié la plupart des noms qui figurent dans cette biographie. Les personnes et les événements décrits dans ce récit sont cependant véridiques. Titre original en anglais: ZVI, by Elwood McQuaid © de la version originale: 1978, Friends of Israel Gospel Ministry, Inc. West Collingswood, N.J. 08107, USA Les textes bibliques sont tirés de la version Nouvelle Edition de Genève 1979 http://www.universdelabible.net Photo de couverture: Keystone Press AG © et édition: La Maison de la Bible, 1996, 2013 Chemin de Praz-Roussy 4bis 1032 Romanel-sur-Lausanne, Suisse Tous droits réservés E-mail: info@bible.ch Internet: http://www.maisonbible.net ISBN édition imprimée 978-2-8260-3281-6 ISBN format epub 978-2-8260-0172-0 ISBN format pdf 978-2-8260-9897-3


«Car mon père et ma mère m’abandonnent, mais l’Eternel me recueillera.» Psaume 27.10


Table des matières Introduction.............................................................................7 1. Maintenant tu es un homme........................................8 2. Comme un chat sur un mur....................................... 28 3. Le vacher du Führer....................................................... 43 4. Ce cochon mourra......................................................... 56 5. Toute une journée de travail!..................................... 71 6. En présence de mes ennemis.................................... 86 7. La recherche..................................................................... 98 8. La terre promise...........................................................109 9. S.O.S..................................................................................119 10. Un domicile loin de chez soi.................................131 11. Un nouveau nom pour une nouvelle terre......142 12. Aucun endroit où se cacher...................................154 13. Pas une seule erreur.................................................168 14. Un petit livre noir.......................................................186 15. Oserais-je entrer?.......................................................199 16. Yeux noirs, douces promesses..............................214 17. Ruth.................................................................................229


Introduction Zvi est la biographie d’un homme qui, comme sa nation, Israël, défie toute explication en dehors de Dieu. Au début son histoire rappelle celle du livre d’Esther dans la Bible, car si Dieu n’est pas mentionné explicitement, de toute évidence il est présent et à l’œuvre. Au fil du récit on reconnaîtra que les personnes et les événements influencent la vie de Zvi à des moments stratégiques qui excluent toute coïncidence. Dans son parcours tortueux pour échapper à la mort, le lecteur discernera la main de Dieu. Contrairement à un grand nombre de récits actuels, cette épopée se termine de manière heureuse. La vie de Zvi est certes loin d’être terminée, mais l’issue en a été décidée. Aujourd’hui il est vivant, et mène une vie joyeusement victorieuse dans le pays de ses ancêtres. La façon dont il survécut à la tentative d’extermination du peuple juif, se fraya un chemin jusqu’en Israël et rencontra le Messie qui transforma sa vie constitue une histoire que nul ne peut se permettre d’ignorer. Une étude approfondie de cette vie révèle jusqu’où peut aller un Sauveur plein d’amour pour ramener une seule âme en sécurité à la Maison. Elwood McQuaid 7


1. Maintenant tu es un homme Il regarda longtemps à la fenêtre. En bas dans la cour, il voyait de jeunes enfants qui jouaient. Dans l’obscurité croissante, le portail semblait plus grand que d’habitude. A dix ans, Henryk Weichert se trouvait seul. Il ignorait pourquoi. En outre ce jeune Juif à la silhouette frêle ne pouvait comprendre le tourbillon d’outrage et de démence meurtrière que l’Europe et lui traversaient. La Pologne qu’il avait connue lorsqu’il était encore un enfant sans souci, n’existait plus. Elle ne serait plus jamais pareille – Adolphe Hitler, dans sa folie pathologique des grandeurs, y veillerait. Avant 1939, Varsovie était une ville heureuse où un jeune garçon pouvait grandir et s’épanouir. Certes les adultes se montraient très prudents dans leurs conversations et s’entretenaient même parfois de guerre, mais dans la vie d’un jeune enfant ces faits importaient peu. Puis les Allemands étaient arrivés et Henryk avait découvert le monde dément d’Hitler. Un surveillant se présenta et conduisit le garçon par un long couloir jusqu’à la chambre qu’il occuperait avec d’autres enfants sans parents. Lentement il rangea les quelques affaires dont il disposait dans le 8


tiroir qui lui était réservé. Puis Henryk alla jusqu’à son lit de camp et s’assit. Les événements oppressants de ces dernières semaines avaient imprimé en lui des images angoissantes et confuses qui maintenant se bousculaient dans sa tête. L’esprit d’un enfant ne pouvait assimiler les grands changements qui avaient lieu – changements qui menaçaient le monde entier et modifiaient le visage de l’Europe. Pendant des mois Hitler s’était employé à utiliser des ruses politiques dans le but de dissimuler aux Français et aux Anglais ses véritables desseins quant à la Pologne. Il espérait les maintenir dans l’inaction, au moins assez longtemps pour lui permettre d’exécuter son programme d’annexion de la Pologne par les armes. Le 23 août 1939, le Führer annonça la signature d’un pacte de non-agression avec la Russie. Hélas, une clause secrète dans cet accord exigeait le partage de la Pologne entre les deux nations conquérantes. La Vistule, le Nare et le San constitueraient la ligne de partage entre les forces occupantes. Dès les premiers jours de septembre, de nombreuses divisions mécanisées allemandes franchirent la frontière. Simultanément, les avions de la Luftwaffe pilonnèrent les villes polonaises par vagues successives. Les Polonais étaient décidés à résister à l’assaut, mais leurs efforts ne purent 9


arrêter l’avance des nazis. Le 9 septembre, la quatrième division de chars avait pris position dans la périphérie de Varsovie, prête à envahir la ville. Une contre-attaque de la part des forces polonaises retarda brièvement l’inévitable, mais la formidable puissance des armées allemandes et les attaques continuelles de l’aviation mirent un terme à tous les combats. Le 27 septembre, Varsovie se rendit et la résistance fut anéantie dans tout le pays. La Pologne devint un Etat esclave, saignée à la fois par les Nazis et par les Soviétiques. Hitler avait prévu pour la Pologne l’annexion pure et simple d’une partie du pays, qui deviendrait alors une province allemande du troisième Reich. D’autre part, les villes de Varsovie, Cracovie et Lublin passeraient sous administration allemande. Hitler avait l’intention de poignarder dans le dos ses camarades soviétiques (22 juin 1941), dans le but d’étendre l’utopie nazie jusqu’à Moscou et au-delà. Telle était la situation dans les faubourgs de Varsovie quand Henryk Weichert rentra chez lui. Malgré les bombardements intensifs de la ville, le quartier où habitaient les Weichert semblait avoir échappé aux méfaits de la guerre. La rue bordée d’arbres qui se paraient à présent de couleurs automnales était d’un calme trompeur. La sérénité se brisa quand le jeune

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garçon pénétra dans la cuisine et trouva ses parents en pleurs. – Qu’y a-t-il? demanda Henryk. – Nous avons perdu la guerre, répondit son père. Les Allemands sont arrivés à Varsovie. Va t’asseoir dans l’autre pièce, je dois parler à ta mère. Henryk pénétra dans la pièce contiguë et s’assit avec sa sœur et ses trois frères aînés. Ces derniers parlaient à voix basse et l’atmosphère semblait lourde, mais Henryk écoutait intensément leur conversation. Arthur, l’aîné, rapportait les propos entendus le matin même chez les voisins. D’innombrables soldats et des centaines de blindés avaient envahi Varsovie. Un grand nombre de civils avaient été tués. Une terrible crainte de l’avenir étreignait leurs cœurs. Il fallait se préparer au pire. Mendel et Ruth Weichert étaient courageux. Mendel était un homme calme et réservé qui extériorisait rarement ses émotions. Aujourd’hui c’était différent, tandis qu’il tentait d’expliquer la nouvelle situation aux enfants, il ressentait le besoin de s’arrêter fréquemment afin de retrouver son calme. «Maintenant la vie va changer pour nous,» dit-il de façon solennelle. «Vous ne serez plus libres d’aller et venir comme auparavant. Désormais, restez près de la maison. Si vous voyez des soldats allemands, éloignez-vous d’eux; notre seul espoir est de les voir 11


bientôt chassés de notre pays. Jusque-là nous devons nous montrer forts.» Nul ne pouvait imaginer alors combien ils devraient faire preuve de courage. La Pologne et son peuple entraient dans une période d’horreur rarement égalée dans l’histoire du monde. Le plan froidement élaboré par Hitler pour imposer à l’Europe la suprématie de la «race aryenne» allait se poursuivre avec un acharnement forcené. Quiconque ne s’y soumettait pas était condamné. Le programme nazi pour la conquête de la Pologne fut à la fois simple et brutal. Des milliers d’êtres humains furent exécutés de façon sommaire. D’autres milliers furent envoyés en Allemagne afin de grossir les effectifs des camps de travail. D’autres encore furent chassés de leur pays et exilés dans les territoires annexés pour laisser la place aux colons amenés d’Allemagne. Des fermiers déplacés et d’autres «indésirables» furent expatriés de force dans la région placée sous administration allemande et considérée d’abord par les Allemands comme une décharge destinée aux déportés. Par conséquent, la population de Varsovie allait s’accroître de façon considérable par le flot de réfugiés arrivant dans la ville. Déjà très affaiblie par les ravages de la guerre, cette population était mal préparée à affronter le défi de reloger des multitudes. 12


L’arrivée des soldats fut immédiatement suivie par la très redoutable police politique connue sous le nom de «Einsatzgruppen». Leur rôle consistait à agir comme une force de frappe destinée à rechercher et à éliminer toute personne soupçonnée de s’opposer aux objectifs du national-socialisme. Un règne de terreur s’instaura rapidement partout dans le pays. Ainsi la population se trouva sans cesse en proie à l’inquiétude, à la suspicion et à la terreur. Survivre à Varsovie devint une entreprise désespérée. On rencontrait partout des conscrits polonais au visage soucieux, casqués et enrôlés de force dans l’armée du troisième Reich. Il fut bientôt évident que la simple survie deviendrait la préoccupation majeure des victimes de la conquête nazie. Les arrestations et les emprisonnements de fonctionnaires haut placés devinrent chose courante. Soudain des voisins disparaissaient, sans préavis ni explication. Puis, comme si ces outrages n’étaient pas suffisants, la faim commença à harceler les habitants. Cette situation désastreuse pour le citoyen polonais moyen, devenait insupportable pour les membres de la communauté juive. Ils se trouvaient placés d’avance au centre de la haine nazie. Le plan d’Hitler pour parvenir à «une solution finale du problème juif» passerait par des étapes successives.

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D’abord, on devait isoler les Juifs et les humilier. Le port de brassards devint obligatoire. Les rassemblements de Juifs furent limités. A tout moment, ils pouvaient se trouver dépossédés de leurs biens et disparaître eux-mêmes subitement. Les synagogues furent détruites et des milliers d’exécutions eurent lieu. Les Juifs n’avaient pas le droit d’obtenir autant de nourriture que leurs voisins polonais. Des commerçants juifs étaient arrachés à leurs magasins, puis traînés et battus dans les rues. Les vitrines étaient brisées et des slogans antisémites défiguraient les murs des bâtiments. Les jeunes filles et les femmes juives devinrent l’objet d’humiliations publiques. Par conséquent, elles restèrent de plus en plus enfermées chez elles. Après plusieurs mois d’un harcèlement délibéré, l’occupant procéda à l’installation des Juifs dans des quartiers qui leur furent spécifiquement attribués. La police bouda les rues et érigea des murs. Ainsi furent installés les ghettos dans lesquels on parqua les Juifs. Le premier fut établi à Lodz en mai 1940. Varsovie fut dotée de son propre ghetto tristement célèbre en novembre de la même année. Ces lieux de détention contenaient souvent de petites unités industrielles où l’on obligeait les habitants à participer à l’effort de guerre tout en les faisant mourir de faim de façon délibérée. 14


L’étape finale du plan d’Hitler pour parvenir à un monde sans Juifs impliquait l’établissement de camps de la mort, puis la destruction des ghettos. Ce devait être la phase ultime. Six centres d’extermination furent aménagés sur le territoire polonais. Auschwitz, Belzec, Treblinka et les autres camps reçurent ce qui semblait être une succession interminable de Juifs aux visages émaciés. Ils descendaient des wagons en longues files et franchissaient l’entrée avant d’être «orientés». Au milieu de l’année 1942, uniquement à Treblinka, plus de trois cent mille Juifs avaient effectué le voyage sans retour jusqu’aux fours crématoires. La destruction des ghettos commença à la fin de l’année 1942. On tira sur l’enclave de Varsovie en avril 1943. Là, les Juifs assiégés, y compris de jeunes garçons et filles, opposèrent une résistance héroïque. Pendant six semaines ils réussirent à résister à leurs attaquants haineux. Le 10 mai 1943 cette bataille monstrueuse cessa: le ghetto était anéanti. Avant le début de la guerre, trois millions trois cent mille Juifs avaient choisi la Pologne comme terre d’accueil. A la fin de la guerre, trois millions avaient péri. Ces événements constituèrent le creuset dans lequel le petit Henryk et sa famille furent précipités.

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La première intrusion violente dans leur vie se produisit quand un représentant du nouveau régime portant des bottes noires surgit chez les Weichert un après-midi d’hiver. Après s’être présenté sèchement, l’homme en vint aux faits: «Lundi matin vous conduirez vos trois fils aînés à la gare de Varsovie. Ils seront emmenés en Allemagne pour y être formés, puis ils iront travailler dans une usine. Inutile de vous inquiéter à leur sujet, ils seront bien traités. Et quand la guerre sera finie, vous les reverrez.» Il s’avérait inutile de discuter ou de refuser. L’affaire avait été décidée par les autorités. Arthur, Hersh et Jacob seraient arrachés à leur famille afin de travailler pour leurs agresseurs. Une intense appréhension ne quitta plus la maisonnée jusqu’à la fin de la semaine. C’était comme si la famille goûtait à des moments extrêmement précieux mais qui leur échappaient de façon inexorable. Chacun d’eux semblait très conscient du fait que ce qu’ils avaient connu pendant toute leur vie allait prendre fin. Seraient-ils de nouveau ensemble? A cette question nul ne pouvait répondre. Lundi fut un jour sombre. Il faisait mauvais temps, et le moral était au plus bas. Arthur fit quelques tentatives timides pour redonner du courage à la famille. En vain. 16


Le hall de la gare grouillait d’activité. Les gens se bousculaient pour se frayer un chemin d’accès aux trains ou pour en revenir. De nombreuses familles, dont beaucoup étaient des amis ou des connaissances des Weichert, se trouvaient là pour la même raison. Des adolescents se tenaient debout, leurs sacs à la main, prêts à monter dans le train pour se rendre en Allemagne. Tema et Henryk s’agrippèrent aux vêtements de leurs parents lorsque vint le moment déchirant des adieux. Puis les garçons montèrent dans le train et partirent. Henryk pensait que la maison semblait plus grande sans ses frères; elle était sans aucun doute plus calme. Lui et sa sœur passaient maintenant plus de temps à jouer ensemble et avec les enfants du voisinage qu’auparavant. Les garçons plus âgés avaient disparu de la communauté, seuls restaient les plus jeunes. Au cours des mois suivants, Mendel devint de plus en plus renfermé et silencieux. Quand les enfants lui parlaient, leurs paroles ne paraissaient pas pénétrer. C’était comme si ses pensées ne cessaient de s’envoler auprès des frères d’Henryk. Quand il rentrait le soir, sa femme et lui envoyaient les enfants dans une autre partie de la maison et s’entretenaient à voix basse. Des heures passaient, semblait-il, avant que Téma et Henryk puissent revenir dans la pièce. 17


Fréquemment, après ces conversations, le visage de Ruth reflétait un profond sentiment d’inquiétude. Les enfants voyaient souvent qu’elle avait pleuré. Un soir les nouvelles furent particulièrement alarmantes. Mendel dit à son épouse que les rumeurs parvenues jusqu’à eux étaient maintenant confirmées. Toutes les familles juives seraient relogées dans un quartier spécifique de la ville de Varsovie. La notification de l’ordre deviendrait bientôt officielle. – Mais qu’adviendra-t-il de notre maison? demanda Ruth en proie au désarroi. – Elle servira à héberger des soldats allemands. Du moins c’est ce que l’on m’a dit. Ils font ainsi, paraît-il, de la plupart des habitations confisquées aux Juifs. – Et les enfants, Mendel? que vont devenir nos enfants? Le ton de sa voix trahissait une consternation sans cesse grandissante au fil des mois. – J’ai beaucoup réfléchi à cette question, répondit doucement son mari. Tema doit nous accompagner. Mais je ne vois aucun avenir pour Henryk dans le ghetto. Il serait préférable, me semble-t-il, de faire ce que nous pouvons pour cacher son identité juive et de le placer dans un orphelinat. Ruth fut stupéfaite, mais ne s’opposa pas à cette idée. – J’ai vu ce qui est arrivé aux autres. Ce ne peut être pire pour lui dans un orphelinat. Au moins nous 18


serons dans la même ville. Ainsi peut-être aura-t-il une chance de survivre. La décision fut prise. Dans quelques jours Ruth conduirait le jeune garçon à l’orphelinat. Une mère et son fils marchaient main dans la main dans les rues de Varsovie. Ruth avançait avec hésitation, tenant une petite valise. Elle aurait souhaité qu’ils puissent d’une manière ou d’une autre passer devant l’orphelinat et pénétrer dans un monde où la mort et le malheur n’existeraient plus. Mais en vain. Très vite, un bâtiment gris et austère apparut devant eux; il se dressait derrière un mur de pierre peu élevé. Ruth hâta le pas en passant par le portail et en montant les marches qui conduisaient à l’entrée. Une fois à l’intérieur, ils échangèrent quelques brèves paroles avec la secrétaire avant de remplir les formulaires d’admission. Puis Ruth demanda l’autorisation de demeurer seule avec son fils pendant quelques instants. Elle s’assit dans un fauteuil et l’attira tout près de son visage. L’une de ses mains serra étroitement son bras pendant que les doigts de l’autre passaient à maintes reprises dans ses cheveux. Henryk regarda le visage de sa mère. Ce qu’il vit allait rester gravé à jamais dans sa mémoire. Elle lui apparut beaucoup plus âgée qu’il y avait seulement quelques semaines. Ses yeux reflétaient une expression étrange d’effroi qu’il ne leur avait jamais vu 19


auparavant. Néanmoins, elle demeurait à ses yeux une femme très bene. Petite, blonde, le visage rond, elle évoquait tout ce qu’une mère peut représenter pour un fils. Quand il la regardait, il voyait toute l’affection, la force et l’attention qu’un fils pouvait désirer. Elle s’exprima sur un ton volontairement mesuré: – Henryk, je veux que tu me fasses une promesse, que tu garderas toujours à l’esprit – une promesse que tu ne devras jamais oublier. Ne dis à personne que tu es juif. – Mais Maman, pourquoi? – Parce qu’ils n’aiment pas les Juifs ici. Tu dois veiller à tes paroles. Fais attention à ce que tu dis, et n’oublie jamais ce que je viens de te dire. Mon fils, tu dois apprendre à être fort. Désormais tu n’es plus mon enfant – maintenant tu es un homme. Il sentit le corps de sa mère trembler quand elle l’embrassa. Elle se releva rapidement, puis s’arrêta un instant et lui répéta: – Rappelle-toi, sois fort. Je viendrai souvent te voir. Puis, se retournant, elle quitta la pièce. Quand il ne put plus entendre ses pas dans le couloir, il alla à la fenêtre et regarda. Il vit sa mère traverser la cour et franchir le portail. Pendant un certain temps Henryk passa des heures à la fenêtre dans l’espoir de voir sa mère venir lui 20


rendre visite – ou mieux encore, le ramener à la maison et mettre un terme à ce cauchemar. Lors des vacances et des week-ends, il scrutait les visages de ceux qui venaient voir des enfants, dans l’espoir de trouver quelqu’un de familier. Mais invariablement, le garçon déçu retournait dans sa chambre et il attendait de nouveau, espérant que le lendemain lui amènerait sa mère. Mais ses parents, comme les autres familles juives, enduraient toutes les rigueurs de leur épreuve. Bientôt la situation à l’orphelinat commença à changer. Des professeurs allemands arrivèrent à l’école pour enseigner l’allemand aux enfants. L’étude de cette langue était accompagnée d’un endoctrinement obligatoire de l’idéologie nazie. Ces jeunes garçons constituaient les éléments prometteurs de la future jeunesse hitlérienne, dont les maîtres nazis assuraient la formation en Pologne. En peu de temps les enfants furent capables d’entonner des chants à la gloire de la patrie, dont plusieurs comportaient des propos antisémites. Dans la cour on voyait souvent les enfants occupés à imiter le «pas de l’oie» des soldats du Reich, et étendre le bras pour saluer le Führer. Après toute une année de lavage de cerveau intensif, ces garçons étaient littéralement devenus très allemands. Henryk ne faisait pas exception à la règle. Désormais il pouvait converser en allemand et 21


nourrissait l’ambition de devenir soldat afin de combattre pour l’Allemagne. Lors d’un rassemblement spécial, l’on annonça aux garçons: «Vous serez heureux d’apprendre que vous allez partir pour un long voyage. Demain matin vous vous rendrez en train à Berlin. Pour la première fois vous verrez la patrie. A cette occasion vous visiterez une grande partie de l’Allemagne et vous aurez ainsi un bon aperçu du pays du Führer. Qui sait, peut-être même le verrez-vous.» Chacun était enchanté de cette nouvelle. Se rendre en train si loin! C’était «la chance de leur vie», et aller en Allemagne! Que pouvait-on demander de plus? Henryk se montrait moins enthousiaste que les autres, car cela signifierait quitter Varsovie. Si sa mère venait le voir, il ne serait plus là. Son inquiétude devint insupportable quand il apprit qu’après leur départ, l’orphelinat fermerait définitivement ses portes. Comment pourrait-elle le retrouver s’il partait si loin? Il ne dormit pas beaucoup cette nuit-là. Les paroles de sa mère tournaient dans sa tête: «Sois fort… je reviendrai te voir…» Là, dans l’obscurité de la chambre, il lui semblait qu’il pouvait étendre le bras et toucher son visage. Il était presque certain de sentir l’étreinte de sa main sur son bras. Sans aucun doute elle viendrait le voir. Enfin le sommeil

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envahit le petit Henryk et apporta le calme à son esprit troublé. Le lendemain matin il parvint à une décision: Ce qui arriverait, arriverait. L’Allemagne était devant lui. Il s’y rendrait en homme – il serait fort. Ce voyage de plusieurs jours en train procura d’abondantes distractions au jeune voyageur. La campagne était magnifique, coupée de ravins profonds où couraient des torrents pittoresques. Ils traversèrent des hameaux et des villes où les gens semblaient toujours très pressés d’atteindre leur destination, et les soldats étaient omniprésents. Parfois ils marchaient le long des routes en longues files. A chaque gare on les voyait déambuler lentement, le fusil en bandoulière. Les Allemands tinrent leur promesse de montrer à ces jeunes garçons polonais le cœur du Troisième Reich. Le train traversa les villes principales de l’est et du sud de l’Allemagne. Dresde, Francfort sur l’Oder et Brandebourg défilaient lentement devant les vitres du train avant que celui-ci n’atteigne sa destination finale. Comme le convoi s’approchait de la ville de Berlin, il ralentit et se dirigea sur une voie de garage près de la gare. «Tout le monde descend!» cria l’un des hommes qui accompagnait les garçons. «Prenez toutes vos affaires, ne laissez rien dans le train.» 23


Il était agréable d’en avoir fini avec ce long voyage et de respirer l’air frais du dehors. Ils attendirent environ une demi-heure avant qu’une voiture noire reluisante ne pénètre dans la gare et ne s’arrête. Plusieurs Allemands en uniforme en sortirent et s’approchèrent de l’homme chargé des enfants. «Faites-les entrer à l’intérieur, et mettez-les en rangs selon leur taille,» ordonna l’un des officiers. Les garçons furent poussés dans une grande salle et alignés selon les instructions. Un officier s’avança pour s’adresser au groupe. «Bienvenue dans la patrie! Je vous salue au nom du Führer. Votre groupe va maintenant être divisé en deux parties. Ceux qui sont grands et forts seront placés dans un groupe à destination de Berlin. Les autres retourneront en Pologne.» Puis les soldats les· disposèrent de façon brusque en une ligne où devait s’opérer la sélection finale. Henryk se trouva face à face avec un officier très maigre. – Eh bien, jeune homme, qu’est-ce-que tu veux faire quand tu seras grand? demanda le soldat. – Je veux être officier dans l’armée allemande et combattre pour l’Allemagne, répondit Henryk. L’Allemand rejeta la tête en arrière et rit. – Un si grand courage dans un si petit bonhomme! s’exclama-t-il. 24


– Mais je ne suis pas trop petit pour combattre! Vous verrez, lança le garçon. L’officier lui sourit. – Oui, tu combattras, mais pas maintenant. Tu es trop petit. Retourne en Pologne et bois autant de lait que possible. Alors, tu reviendras et serviras le Reich. Des tickets et des rations de nourriture furent distribués à ceux qui n’avaient pas été désignés pour continuer le voyage. Très vite ils se retrouvèrent dans le train en direction de la Pologne. Pour Henryk c’était une grande déception. Cependant, sans aucun doute, sa petite taille lui sauva la vie. Dans le train il réfléchit profondément à la situation. Qu’allait-il faire maintenant? Il ne pouvait retourner à l’orphelinat. Mais où irait-il? Plus que jamais, il voulait voir sa famille. Voilà! Si ses parents ne pouvaient venir à lui, il irait à eux. Il retournerait à Varsovie et se rendrait chez lui. Il lui fallut quelque temps pour retrouver son ancien quartier. Les choses avaient changé. Comme Henryk s’approchait de chez lui, les alentours familiers le rassurèrent. Enfin sa maison apparut. Il commença à courir avec excitation dans cette direction. Enfin il allait retrouver ses parents et Tema. Combien cela allait lui sembler bon d’être de nouveau chez lui!

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Arrivé au chemin menant à la maison, la porte d’entrée s’ouvrit et une femme sortit. Ce n’était pas sa mère! Cette femme portait un uniforme allemand. Elle se tint devant lui sur le seuil, l’air glacial. «Que veux-tu?» s’écria-t-elle. «Si tu cherches de la nourriture, tu n’en trouveras pas ici! Va-t’en!» Abasourdi, le garçon de onze ans rebroussa chemin aussitôt et s’enfuit d’un pas rapide. De nouvelles questions harcelèrent dès lors son esprit. Qu’est-ce qui avait bien pu se passer? Où étaient ses parents? Les reverrait-il un jour? Comment les retrouverait-il? Comme il luttait avec ses pensées, un garçon se dirigea vers lui. Henryk lui accorda d’abord peu d’attention, puis il se rendit compte qu’il s’agissait de Janusz, un voisin avec lequel il avait joué pendant de longues heures avant d’entrer, à l’orphelinat. Henryk l’appela et se précipita vers lui. Le visage du garçon indiqua qu’il l’avait aussitôt reconnu, mais immédiatement ses traits trahirent la crainte. Il hâta le pas et passa à côté d’Henryk sans un mot. Comme ce dernier se mettait à le poursuivre, le garçon rentra chez lui vivement, en claquant brusquement la porte. Avec frénésie de petits poings frappèrent la porte où son camarade de jeux avait pénétré. Il lui fallait trouver une réponse. Quelqu’un devait lui dire où ses parents étaient allés. Enfin la porte s’entrouvrit

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et Henryk reconnut le père du garçon. Avant qu’il ait pu prononcer un seul mot, l’homme parlait. – Je t’en prie, quitte cet endroit le plus vite possible! A cet instant le garçon éclata en larmes. – Mais pourquoi? Qu’est-il arrivé? Il y eut un bref silence. Puis la porte s’ouvrit complètement et l’homme sortit. Son regard reflétait la crainte en inspectant la rue. Poussant Henryk vers l’intérieur, il dit: – D’accord, je vais te dire où ils sont, mais après tu partiras. Les Allemands nous ont interdit de faire pénétrer des Juifs dans nos maisons; cela signifie la mort pour toute la famille. Le simple fait de te parler m’expose à un grave danger. Ta famille a été envoyée dans le ghetto. Il n’y a plus de Juifs dans ce secteur. Tu pourras sans doute les trouver dans le quartier juif. Le mur qui entoure le ghetto est très surveillé, et j’ignore si tu réussiras à pénétrer à l’intérieur. Maintenant, vite! va-t’en par la porte de derrière. Dépêche-toi! Ne dis à personne que tu es venu ici.

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2. Comme un chat sur un mur La nuit tombait quand Henryk atteignit le ghetto. Le père de Janusz avait eu raison. Des gardes, vêtus de lourds manteaux militaires traînant presque jusqu’au sol, se tenaient à proximité du mur. Alors que le garçon s’arrêtait, préoccupé par la manière dont il entrerait dans le camp, plusieurs ombres pénétrèrent dans l’allée qu’il avait choisie comme poste d’observation. D’abord leur présence le fit sursauter, mais lorsqu’ils s’approchèrent, Henryk s’aperçut qu’il s’agissait de jeunes de son âge. Ils parvinrent à sa hauteur et s’arrêtèrent. L’un des garçons, à la large carrure et aux cheveux très courts, lui demanda ce qu’il faisait là. – Je cherche un moyen d’entrer dans le ghetto, répondit Henryk. – Et pourquoi veux-tu y entrer? Seules la mort et la misère existent derrière ce mur. – J’ai un message pour des amis de mes parents. Mais les gardes sont si nombreux qu’il paraît impossible d’y pénétrer. – Non, répondit le garçon d’un ton assuré, il est très facile d’entrer, si l’on sait où et comment. Nous le faisons tout le temps. 28


– Mais avec tous les soldats et la police, comment vous y prenez-vous? – Parfois nous franchissons le mur à des endroits où les gardes sont moins nombreux, là où ça les dérange de voir les Juifs mourir de faim. Ce soir nous passerons par les égouts. Tu peux venir avec nous si tu acceptes de transporter un sac de pommes de terre sur ton dos. Cette rencontre fortuite constitua le premier contact d’Henryk avec les célèbres jeunes contrebandiers de Varsovie, qui la nuit déterraient des pommes de terre dans les champs autour de la ville, puis les vendaient aux occupants du ghetto. Ces enfants eurent le mérite de sauver ou de prolonger la vie de nombreux Juifs avant la destruction du ghetto. Pierre, le garçon avec lequel il avait fait connaissance, était le chef de bande de ces jeunes polonais occupés avant tout à rester en vie. Quand la nuit eut étendu son manteau épais sur la ville, les garçons se chargèrent de leur sac et se dirigèrent vers l’entrée des égouts de Varsovie. Ils avancèrent furtivement dans les rues, en tentant d’échapper aux regards des hommes chargés d’accomplir la triste besogne de maintenir les Juifs enfermés jusqu’à leur mort. Quand les garçons pénétrèrent dans les égouts, il devint aussitôt évident que Pierre connaissait très 29


bien les passages souterrains. Pour Henryk, son initiation aux opérations de contrebande s’avéra plutôt désagréable. L’espace d’un instant, des odeurs nauséabondes le suffoquèrent intensément, mais il ne put s’empêcher de prendre quelques rapides aspirations. La vase recouvrait le sol humide, et ses pieds s’y enfonçaient profondément sous le poids des pommes de terre. Sa première réaction fut de retourner le plus vite possible vers la fraîcheur de la nuit. Toutefois le désir intense de revoir sa famille le poussa en avant vers sa destination. Enfin, les garçons remontèrent avec leur chargement au niveau de la rue où ils poursuivirent leur chemin dans l’obscurité. Pendant quelques instants ils s’assirent dans cette rue pour aspirer de larges bouffées d’air pur. Pierre donna l’ordre à ses camarades de ne pas bouger jusqu’à son retour. Puis, se tournant vers Henryk, il lui dit: «Suis-moi et je te montrerai un endroit où tu pourras passer la nuit.» Il le conduisit à une niche située sous un porche derrière l’un des bâtiments. «Je dors ici parfois. Tu y seras à l’abri jusqu’au matin, ensuite tu pourras chercher tes amis. Bonne chance!» La silhouette de Pierre se fondit rapidement dans l’obscurité. Le lendemain matin quand Henryk s’éveilla, un beau soleil inondait le ghetto. Maintenant il allait se mettre à la recherche de ses parents. Se frayant 30


rapidement un chemin entre les bâtiments, il parvint à la rue. Le spectacle qui s’offrit à ses yeux était inimaginable. Il n’avait jamais vu tant de gens dans un si petit espace. Même à cette heure matinale, la rue fourmillait de monde. Plus d’un million et demi de Juifs avaient été contraints à gagner le ghetto de Varsovie. Cent cinquante mille étaient des réfugiés qui, comme les parents d’Henryk, avaient été obligés de s’y installer. Ils habitaient partout. Les écoles, les bâtiments désaffectés et les rues servaient de logis à ces masses décharnées. La famine et la maladie régnaient sur le ghetto de Varsovie. Henryk recula à la vue de ces enfants en haillons et aux visages émaciés qui tendaient la main en implorant: «]’ai faim. S’il vous plaît, donnez-moi du pain.» Par petits groupes, près des bâtiments, se trouvaient des personnes âgées et de très jeunes enfants au corps frêle, pelotonnés les uns contre les autres, destinés à voir plus ou moins lentement venir la fin de leurs souffrances physiques. Certains attendaient en silence, alors que d’autres élevaient leurs faibles mains et adressaient de pitoyables suppliques. De temps à autre il entendait marmonner des prières pour que le Messie vienne au plus vite les délivrer.

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