Juges & Ruth

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MARY J. EVANS

La série de commentaires Tyndale est appréciée depuis longtemps par les anglophones. Son désir de combiner fiabilité (niveau académique dans la recherche) et accessibilité (dans la formulation) correspond aux préoccupations profondes des éditions La Maison de la Bible. Dans cette étude des livres des Juges et de Ruth, Mary J. Evans n'évite pas les questions qui nous posent problème, à nous, lecteurs modernes, et elle nous fait découvrir des richesses insoupçonnées, avec des réflexions stimulantes.

Ancienne doyenne de l'Ethiopian Graduate School of Theology à Addis Adeba, Mary J. Evans continue d'y enseigner l'Ancien Testament à titre de professeure invitée. Elle a également été maîtresse de conférences à la London School of Theology.

J'ai toujours apprécié les commentaires Tyndale de la Bible. Ils sont à la fois sérieux et synthétiques. Sérieux, par leur fine analyse des textes bibliques dans leur contexte historique et littéraire. Synthétiques, par leur capacité à rendre compte d’autres commentaires et à mettre en évidence l’actualité des messages bibliques pour aujourd’hui. SHAFIQUE KESHAVJEE, THÉOLOGIEN ET AUTEUR

CHF 26.90 / 22.90 € ISBN 978-2-8260-3107-9

Juges & Ruth

Un regard féminin plein de pertinence.

de l’Ancien Testament

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COMMENTAIRES TYNDALE

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Mary J. Evans Commentaires Tyndale de l’Ancien Testament Volume 7 Editeur en chef de la série : David G. Firth Conseiller éditorial de la série : Tremper Longman III

Juges & Ruth Introduction et commentaire


Juges & Ruth. Introduction et commentaire – Commentaires Tyndale de l’Ancien Testament volume 7 Titre original en anglais : Judges and Ruth. An Introduction and Commentary – Tyndale Old Testament Commentaries Volume 7 InterVarsity Press USA, P. O. Box 1400, Downers Grove, IL 60515‑1426, USA Website : www.ivpress.com. Email : email@ivpress.com Inter-Varsity Press England, 36 Causton Street, London SW1P 4ST, England Website : www.ivpbooks.com. Email : ivp@ivpbooks.com © 2017 by Mary J. Evans Mary J. Evans has asserted her right under the Copyright, Designs and Patents Act, 1988, to be identified as Author of this work. All rights reserved. No part of this book may be reproduced in any form wit‑ hout written permission from InterVarsity Press. © et édition (française) : La Maison de la Bible, 2020 Case postale 50 Chemin de Praz-Roussy 4bis 1032 Romanel-sur-Lausanne, Suisse E-mail : info@bible.ch Internet : http ://www.maisonbible.net Tous droits réservés. Traduction : Elodie Meribault Sauf indication contraire, les textes bibliques sont tirés de la version Segond 21 © 2007 Société Biblique de Genève http ://www.universdelabible.net Conception de la couverture : © Olivier Leycuras ISBN édition imprimée 978‑2‑8260‑3107‑9 ISBN format epub 978‑2‑8260‑0400‑4 ISBN format pdf 978‑2‑8260‑9577‑4 Imprimé en France par Sepec numérique


Table des matières Préface générale........................................................................... 7 Préface de l’auteure...................................................................... 9 Abréviations................................................................................ 11 Bibliographie sélective................................................................. 13

Juges Introduction................................................................................ 21 1.  Questions littéraires................................................................ 22 2.  Contexte canonique................................................................ 31 3.  Contexte historique et politique.............................................. 35 4.  Contexte géographique........................................................... 43 5.  Thèmes théologiques.............................................................. 44 6.  Problèmes éthiques pour les lecteurs modernes..................... 52 Analyse...................................................................................... 59 Commentaire...............................................................................61

Ruth Introduction.............................................................................. 251 1. Contexte................................................................................252 2. Personnages..........................................................................255 3.  Thèmes théologiques.............................................................258 4.  Questions littéraires............................................................. 263 Analyse.....................................................................................273 Commentaire.............................................................................275


Préface générale La décision de réviser entièrement les commentaires Tyndale de l’Ancien Testament est un indice du rôle important qu’ils jouent depuis l’apparition des premiers volumes, au milieu des années 1960. A cette époque et aujourd’hui encore, on relevait à la fois leur atta‑ chement à l’importance du texte en tant qu’Ecriture et leur désir d’examiner autant de questions d’interprétation que possible sans se perdre dans les subtilités d’un débat érudit. Leur but était d’expli‑ quer la Bible à une génération de lecteurs confrontée aux modèles de l’érudition critique et aux découvertes récentes dans le domaine du Proche-Orient ancien, sans oublier qu’il ne s’agit pas d’un simple texte antique comme les autres. Même si aucune uniformité n’avait été requise dans le processus d’exégèse, tous les auteurs étaient unis par une conviction commune : l’Ancien Testament reste la Parole de Dieu pour nous aujourd’hui. La capacité des volumes initiaux à remplir ce rôle est démontrée par la façon dont ils sont utilisés, aujourd’hui encore, dans de nombreuses parties du monde. Un élément capital de la série initiale était l’exigence d’une lecture actualisée du texte, et c’est précisément la raison pour laquelle il est nécessaire de rédiger de nouveaux volumes. Les questions aux‑ quelles sont confrontés les êtres humains du vingt et unième siècle ne sont pas forcément identiques à celles de la seconde moitié du vingtième. Des découvertes effectuées dans le cadre de l’étude du Proche-Orient antique continuent de projeter un nouvel éclairage sur l’Ancien Testament, et les accents exégétiques ont ostensible‑ ment changé. Tout en restant fidèle aux objectifs poursuivis par les volumes initiaux, la série a besoin d’être entièrement mise à jour pour répondre au besoin d’une étude contemporaine du texte. Il ne s’agit pas seulement de passer commande à de nouveaux rédacteurs ; nous avons aussi saisi l’occasion de modifier quelque peu le format pour refléter une notion essentielle venue de la linguistique : la com‑ munication se fait par morceaux d’une certaine étendue plutôt que par de courts segments tels que des versets pris isolément. De ce fait, le traitement de chaque section inclut trois parties : tout d’abord, une courte information par rapport au contexte évoque la place du Préface générale

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passage concerné à l’intérieur du livre et signale les données histo‑ riques essentielles à son interprétation ; la partie commentaire suit la structure traditionnelle d’un commentaire en proposant une exé‑ gèse des divers éléments du texte ; enfin, la partie signification expose le message que cherche à transmettre le passage à l’intérieur du livre, en soulignant ses thèmes théologiques clés. Cette dernière section rassemble les détails du commentaire pour dévoiler la manière dont le passage concerné dans son ensemble s’efforce de communiquer. Notre prière est que ces nouveaux volumes continuent à enrichir l’héritage des commentaires Tyndale de l’Ancien Testament et à rendre témoignage au Dieu qui se révèle dans le texte. David G. Firth, éditeur en chef de la série Tremper Longman III, conseiller éditorial

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Juges


Introduction Le livre des Juges ne constitue pas une lecture facile, mais l’effort à fournir en vaut véritablement la peine. Il contient des éléments ardus, autant d’un point de vue narratif que littéraire. Certaines de ses histoires ne peuvent être perçues que comme très déplaisantes, mais on y trouve aussi de merveilleux « sommets ». Les problèmes de compréhension sont en particulier liés à la tendance, apparemment courante en contexte ecclésial, à ignorer largement les passages dif‑ ficiles au profit de ces « sommets », qui deviennent les uniques sujets connus et abordés. Ils proviennent également du fait que l’on inter‑ prète des sections narratives comme si elles étaient destinées à jouer un rôle déterminant ou à servir de modèles. Cela incite le lecteur à chercher des moyens d’excuser des comportements inexcusables, ou alors à écarter ce livre – et souvent le Dieu dont il parle – comme étant intrinsèquement violent et indéfendable. Nous rendre compte que le texte – tel qu’il se présente à nous aujourd’hui – recourt réguliè‑ rement à l’humour, à l’énigme et, en particulier, à l’ironie pour faire passer son message permet de faire obstacle aux deux approches évoquées. Nous devons cependant noter qu’il « correspond à de la tra‑ gédie et non à de la comédie. Son ironie tient davantage de l’humour noir que des rebondissements d’opérette » (Butler, 2009, p. lxiii). Si nous souhaitons appréhender le texte sérieusement, en fonction de sa logique propre et de son cadre spécifique, il est donc important que nous nous penchions sur les questions de structure, de genre et de contexte avant toute tentative d’interprétation. Par conséquent, l’examen de ces éléments introductifs n’est pas purement option‑ nel, et il n’est pas non plus secondaire par rapport à l’exégèse ; au contraire, c’est un préambule essentiel au processus d’explication du texte. Evidemment, nous nous retrouvons un peu dans la situa‑ tion de la poule et de l’œuf : certains passages de cette introduction ne prendront tout leur sens qu’après la lecture et l’analyse du texte. Néanmoins, les lecteurs sont chaudement encouragés à se frotter à ces questions introductives à un moment ou à un autre, et de préfé‑ rence avant d’entreprendre une lecture du texte dans le détail. Introduction

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1. Questions littéraires a. Structure générale On s’accorde généralement pour identifier trois sections plus ou moins indépendantes dans les Juges : 1.1–3.6; 3.7–16.31; 17.1–21.25. Il existe, en revanche, des désaccords quant aux liens existant entre ces trois parties, voire entre les passages qu’elles contiennent. Certains commentateurs présentent ce livre comme un recueil de narrations diverses dépourvu de cohésion intrinsèque, que ce soit le fruit d’une intention ou non. Pour d’autres, bien que certainement composé de récits tirés de sources différentes, le document final se caractérise par un objectif et une structure clairs. Greger Andersson, représen‑ tant du premier groupe, affirme : Le simple fait de rassembler plusieurs récits indépendants ne les transforme pas en un seul long récit, en dépit de la présence poten‑ tielle de schémas et de thèmes récurrents. L’histoire individuelle représente donc le niveau principal de signification, et des éléments discrets sont compris comme des motifs au sein de la construction littéraire. Ainsi, les histoires du livre des Juges sont des textes au sein d’un texte. C’est la raison pour laquelle on observe un manque de cohérence du point de vue idéologique et moral.

Il précise encore que la présence de tensions et ambiguïtés– dont l’existence est indubitable – « ne saurait être résolue par le recours à la notion de construction littéraire. […] Au contraire, une telle manière d’agir confirme et explique les difficultés que pose ce texte, à savoir le caractère incohérent à la fois du livre et de ses récits. »a A l’inverse, s’appuyant sur les travaux de Boling et d’autres, Barry Webb argumente que « certaines études synchroniques exploratoires ont suggéré la possibilité d’une lecture inclusive de ce texte et l’exis‑ tence d’une cohérence plus profonde que la plupart des spécialistes de la méthode historico-critiqueb ne l’ont admis »c. a Andersson, 2001, p. II. b L’exégèse historico-critique s’intéresse en particulier à la production, à la réception, au genre littéraire et au contexte historique des textes bibliques. (N. d. E.) c Webb, 1987, p. 208 ; 2012, p. 8‑9.

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Si l’insistance d’Andersson sur la nécessité d’étudier chacune des histoires pour elle-même doit être prise au sérieux, cela ne signifie pas, pour autant, que la recherche d’une « cohérence plus profonde » se révèle automatiquement infructueuse : on peut plaider qu’il y a cohésion à la fois dans la structure, dans l’idéologie et dans la morale du livre, lorsqu’on le considère dans son ensemble. Les différentes parties des Juges diffèrent manifestement au niveau du style et du contenu. De plus, même au sein d’une sec‑ tion, les histoires ont des approches différentes. La première partie (1.1–3.6) évoque les tentatives dénuées de succès des tribus israé‑ lites de prendre possession des terres qui leur ont été données par Dieu et d’y établir une communauté fonctionnelle, qui se distingue des peuplades voisines et des précédents occupants du pays en matière d’autorités, de structures sociales et de religion. La deu‑ xième partie (3.7–16.31) contient une série de récits de longueur variable décrivant la vie et l’époque de douze libérateurs d’Israël, traditionnellement connus sous le nom de « juges ». Certes, des vic‑ toires sont relatées, tant du point de vue militaire que spirituel. Cependant, le texte montre apparemment ceci : si l’objectif était d’établir une communauté fonctionnelle susceptible d’être décrite, de manière réaliste, comme vivant une relation d’alliance avec l’Eternel, c’est la notion d’échec qui domine. La troisième partie (17.1–21.25) comprend deux séries de récits rapportant le vécu de simples particuliers et l’effet domino de leur comportement. Si l’oc‑ cupation du pays promis visait la mise en place d’un peuple vivant dans l’obéissance à Dieu et dans une véritable relation avec lui, conformément aux conditions de son alliance, une fois encore, il semble que les auteurs nous présentent l’histoire d’un échec. Si tel est bien le cas, même à un niveau basique, nous distinguons une certaine unité entre les trois parties. C’est la raison pour laquelle je préfère la position de Webb, qui défend l’idée d’un cadre structurel délibéré, à celle d’Andersson.

b. Datation et paternité Comme nous l’avons déjà noté, les Juges sont une compilation de récits provenant de différentes sources. Il nous faut donc préciser, lorsque nous parlons de l’époque et de l’auteur, si nous parlons du Introduction

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livre dans son ensemble ou d’un récit en particulier. Dans les deux cas toutefois, il faut relever que les informations disponibles sont très limitées. Aucun auteur n’est jamais nommé ni identifié. Une tradition juive l’associe à Samuel, mais sans preuve réelle dans ce sens. D’après une opinion répandue – qui s’appuie à la fois sur des similarités lexicales et des liens théologiques – les Juges seraient, à l’instar des livres de Josué, de Samuel et des Rois, étroitement liés au Deutéronome. La désignation de toute cette section de l’Ancien Testament sous le nom d’« h istoire deutéronomiste » fait l’objet d’un large consensus, et nous évoquerons les relations entre certains de ces livres dans la ­section 2 de cette introduction. Cependant, même à la lumière de ces connexions, l’identité de chacun des auteurs ou éditeurs est inconnue, et toute discussion à ce sujet ne peut être que spéculative. Même lorsqu’on est convaincu du caractère intentionnel de la structure et de l’existence d’un objectif cohérent, on ne saurait dire si cette structure éditoriale a été imposée par un simple individu ou par un groupe, ni si certains accents résultent d’un choix des éditeurs ou apparaissaient déjà dans les sources plus anciennes. Voilà pourquoi ce commentaire, lorsqu’il évoquera la paternité de l’œuvre en général, utilisera l’expression « les auteurs ». Toutefois, la potentielle implication de plusieurs auteurs dans la production du texte final ne veut pas dire que le livre lui-même ou les événements qui y sont relatés doivent être considérés comme incohérents ou d’une fiabilité douteuse : des éditeurs ont pu choi‑ sir d’adopter une perspective spécifique ou d’ajouter certains élé‑ ments, mais il n’y a aucune raison de supposer qu’ils n’aient pas pris au sérieux le texte original et, donc, que les opinions, les points de vue et les informations fournis par les premiers auteurs aient disparu. En d’autres termes, admettre l’existence d’éditeurs tardifs du livre n’amène en aucun cas à conclure que le texte et/ou les histoires qui y sont racontées devraient être considérés comme non authentiques. La plupart des lecteurs modernes – dont l’approche n’est pas influencée par le contexte académique – peuvent rencon‑ trer des problèmes en tout genre à la lecture des Juges. Néanmoins, en ce qui concerne les trois parties au moins, ils reconnaîtront généralement que le texte dans sa forme actuelle se lit aisément et a du sens. 24

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Juges 17.1–21.25 3. Histoires individuelles : illustrations de cette époque

A. Commentaires introductifs La section centrale des Juges se concentrait sur 12 juges et leur famille. Les cinq derniers chapitres contiennent deux cycles cou‑ vrant une série d’événements lancés par la manière d’agir de deux individus. Ces deux personnes – un certain Mica (17.1) et un Lévite dont nous ignorons le nom – ne jouent aucun rôle significatif en lien avec le leadership d’Israël. Pourtant, leur comportement a un impact remarquable sur celui d’autres personnes, non seulement sur celui d’individus mais également sur celui de tribus entières et même de la nation dans son ensemble. Il est possible que la mention de Lévites dans chacun de ces cycles soit significative : elle démontre que cette tribu, bien que non concernée par la conquête de territoires qui lui auraient été attribués ni par les questions de gouvernement local ou national, joue un rôle dans la corruption générale qui gangrène de manière évidente Israël. Cette corruption et l’incapacité des Israélites à vivre en tant que peuple de l’alliance avec l’Eternel ne résultent pas simplement des échecs militaires rencontrés par les différentes tribus dans le cadre de leurs campagnes de conquête ni d’un mauvais leadership (ni même d’une adhésion insuffisante de la part du peuple à l’autorité exercée par de bons leaders) ; chaque individu au sein de la nation a sa part de responsabilité, y compris les deux groupes pré‑ sentés dans ces textes. Ainsi, cette section, bien que parfois décrite comme un appendice, peut clairement être considérée comme fai‑ sant partie intégrante de la stratégie narrative globale des auteurs. Les deux cycles sont reliés par la présence de la phrase : « A cette époque-là, il n’y avait pas de roi en Israël. » Elle apparaît 4 fois dans Juges 17.1–21.25

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cette troisième section du livre, 2 fois dans chaque cycle (17.6 ; 18.1 ; 19.1 ; 21.25). La première occurrence et la dernière, respectivement au début du premier cycle et à la fin du second, ajoutent une remarque : « Chacun faisait ce qui lui semblait bon » (litt. « ce qui était bon à ses yeux »). Ces commentaires éditoriaux servent à structurer la section. Ils montrent qu’elle doit être vue comme un ensemble et fournissent des indices sur la préoccupation des auteurs dans ce contexte. On a souvent présumé qu’ils voulaient justifier l’instauration de la monarchie en montrant que sans elle, il était impossible pour Israël de vivre de la manière dont l’Eternel le désirait. Mais l’on peut aussi supposer que leur intérêt porte sur la possibilité d’un bon gouverne‑ ment ; au lieu de pousser leurs lecteurs initiaux à soutenir la royauté, ils les inviteraient à évaluer si ce système tel qu’ils le connaissent a réellement modifié la situation. Concrètement, a-t‑il réellement poussé plus d’Israélites à faire ce qui plaît à l’Eternel ? Le constat « Chacun faisait ce qui lui semblait bon » offre clairement un paral‑ lèle à la remarque : « Les Israélites firent ce qui déplaît à l’Eternel », présente 7 fois dans les premières parties du livre mais absente de celle-ci. Un autre lien entre les deux histoires de cette section réside dans le fait que les deux Lévites ont des liens avec Bethléhem de Juda et la région montagneuse d’Ephraïm, et que toutes deux (18.31 ; 21.19) mentionnent Silo (voir Webb, 2012, p. 419‑420). Le caractère significa‑ tif ou purement fortuit de ces parallèles reste toutefois à déterminer. Aucun des juges n’est mentionné dans ces chapitres et nous ne dis‑ posons, de ce fait, d’aucun repère chronologique. Certains suggèrent que cette seconde série d’histoires est à situer avant la première. Nous ne pouvons cependant pas en être sûrs. Si 20.1 est vu comme une indication que les Danites sont, à ce moment-là, installés sur leur propre territoire, ces événements sont postérieurs à la situation décrite en 18.1. Puisque la première histoire met en scène les Danites, il est possible qu’elle ait été placée là en raison de son lien immédiat avec le cycle de Samson, lui aussi lié à Dan. Cependant, Mica lui-même étant originaire d’Ephraïm, le lien semble plutôt ténu. Dans cette section, on ne mentionne pas non plus d’ennemis extérieurs exer‑ çant un contrôle quelconque, ni même une présence étrangère sur le territoire autre que celle de gens paisibles confrontés à la conquête entreprise par des Israélites. Les auteurs étaient sans aucun doute 210

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conscients de cette absence de concordance avec leurs descriptions précédentes, et une telle omission était probablement délibérée. Sans la présence de cette dernière section, Israël pourrait prétendre que tous ses problèmes sont dus à des oppressions et influences d’origine extérieure. Ici, il apparaît clairement que la corruption, qu’elle soit d’ordre éthique ou spirituel, existe en son sein indépendamment de pressions étrangères. Les auteurs cherchent sûrement à suggérer que le peuple de Dieu doit assumer la responsabilité du désordre régnant à l’intérieur de ses frontières, même à une époque où celles-ci ne sont pas particulièrement sûres.

B. Histoires liées à Mica (17.1–18.31) i. Idoles et prêtres de Mica (17.1‑13) Contexte Le récit consacré à Mica paraît constitué de plusieurs couches liées les unes aux autres. Il y a d’abord l’histoire de la famille de cet homme, peut-être présentée comme le foyer rural typique de l’époque, au sein duquel le syncrétisme religieux et le vol mutuel côtoient la loyauté et l’affection. Il y a aussi les déplacements des Danites, qui livrent de plus amples informations sur la manière dont les tribus ont été capables, ou non, d’accomplir leur mission d’occuper le pays promis. On trouve par ailleurs des indications concernant la manière dont les Lévites étaient perçus à cette époque. La nature principale de ce récit ne rencontre pas de consensus : on y voit tour à tour une histoire d’espionnage (comme celles de Nb 13 et de Jos 2, où des hommes sont envoyés explorer le pays), une histoire de guerre, une histoire d’oc‑ cupation ou même une histoire d’anti-espionnage (Bauer, 2000). On relève des parallèles avec l’histoire de Jéroboam, marquée par l’érec‑ tion d’autels dont des prêtres illégitimes assurent le service à Dan et Béthel, et l’on se demande s’il faut y voir un texte polémique visant le royaume du nord d’Israël (Na’aman, 2005 ; Amit, 1990). En dépit de la rareté des commentaires éditoriaux, il paraît évident que les auteurs souhaitent amener le lecteur à une perception négative des événements relatés. Parler d’un caractère polémique du texte semble donc correct, et l’on peut imaginer le plaisir des lecteurs originaires Juges 17.1–21.25

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des tribus du sud face à un tableau qui présente celles du nord comme corrompues au niveau cultuel. Cependant, on peut raisonnablement mettre en doute la thèse selon laquelle les parallèles avec Jéroboam prouveraient que la rédaction de ce texte lui est postérieure. En effet, il est tout aussi probable que ce passage des Juges ait influencé la manière dont l’histoire de 1 Rois 12–14 est racontée, sous-entendant qu’il n’y a pas eu de réel progrès depuis l’époque de la conquête ini‑ tiale du pays promis.

Commentaire 17.1‑2 Le chapitre 17 semble s’ouvrir au beau milieu d’une histoire, mais tout ce que le lecteur a besoin de savoir peut être deviné grâce aux informations fournies. Une femme de la campagne, probable‑ ment une paysanne, a subi un vol de 1100 siclesa. C’est une somme conséquente ; même si cela représente toutes ses économies, il s’agit d’une famille aisée. La plupart des villes étaient construites dans les montagnes, et il est précisé que son fils était originaire de la région montagneuse d’Ephraïm. S’ils possèdent un domaine important de la région, cela explique la fréquence des voyageurs passant par là. Aucun mari n’est mentionné, et l’argent est visiblement la propriété de cette femme. La perte est considérable, et elle maudit toute per‑ sonne susceptible d’avoir commis ce vol. Le fait qu’elle prononce de telles malédictions devant Mica peut suggérer ou non qu’elle le soupçonne. Les malédictions jouaient un rôle très important dans les tribus et nations voisines d’Israël ; leur littérature contient de nom‑ breux rituels et formules visant à les briser et perçus comme néces‑ saires pour qu’elles ne se réalisent pas de façon irrévocable. Tout cela contraste avec les Ecritures hébraïques : nulle part on n’y trouve l’idée qu’il serait approprié pour le peuple de Dieu de prononcer de telles malédictions, et nulle part non plus on n’y trouve de formule visant à les contrecarrer. Les seules malédictions pertinentes sont celles qui émanent de Dieu lui-même. La réaction de David aux pro‑ pos de Shimeï (2S 16.5‑13) montre qu’à ses yeux, si la malédiction venait de Dieu, sa volonté devait s’accomplir ; si elle ne venait pas de lui, elle n’aurait de toute manière aucun effet (Evans, 1994). Nous a Il se peut qu’il y ait un lien délibéré avec le montant promis à Delila par chacun des chefs philistins (16.5), mais il est assez difficile de déterminer de quelle nature il peut être.

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ignorons le contenu de la malédiction prononcée par cette mère et la nature du mal qu’elle a souhaité voir s’abattre sur le coupable, mais le simple fait qu’elle en a lancé une démontre qu’elle est fortement influencée par les pratiques religieuses des nations voisines, et son idolâtrie s’explique tout à coup. Le texte ne précise pas si elle l’a pro‑ noncée au nom de l’une ou l’autre des divinités locales, même si ses allusions à l’Eternel par la suite signalent une certaine conscience de son existence. En tout cas, elle n’a pas de réelle connaissance de lui et de ses exigences, et elle n’a apparemment aucune idée du fait qu’uti‑ liser son nom ainsi pourrait l’exposer à toute la rigueur de la loi. Il est impossible de déterminer si le sursaut de conscience de Mica est provoqué par la peur qu’il éprouve face à la malédiction prononcée, mais il admet être le voleur et lui rend l’argent. Certains ont suggéré (Jost, 1996) que sa malédiction contre Mica pouvait être comprise comme une critique indirecte de toute personne utilisant à tort des objets cultuels, mais la malédiction prononcée ici concerne le vol de l’argent et non la fabrication d’une idole, dont elle va du reste être l’initiatrice par la suite. Le fait que la mère de Mica, après qu’il lui a rendu l’argent, réagit en disant : « Que mon fils soit béni de l’Eternel ! » correspond manifes‑ tement à une ironie délibérée de la part des auteurs, mais probable‑ ment pas de la sienne : le syncrétisme qui amène à utiliser le nom de l’Eternel à côté de pratiques que la loi décrit comme inacceptables reflète la situation générale d’Israël à cette époque-là. Une fois son bien récupéré et la culpabilité de son fils reconnue, elle change du tout au tout d’attitude. Peut-être cherche-t-elle par cette bénédiction à renverser la malédiction prononcée. Si tel est le cas, il est peu pro‑ bable qu’elle ait eu une idée de l’identité du coupable avant de la prononcer. L’emploi du nom d’alliance du Dieu d’Israël, Yahvé (rendu ici par l’Eternel), dans sa bénédiction – et probablement dans sa malé‑ diction également – montre que ces gens ont une certaine notion de lui et qu’il fait partie de leur existence. Cela dit, en dépit de sa mention ici, l’Eternel ne joue aucun rôle dans le récit ; cela signale sans doute que personne ne songe à une véritable relation avec lui ni n’a l’intention de rechercher sa volonté et de la respecter. En fait, il est possible que les auteurs attirent l’attention du lecteur sur la désobéissance flagrante au commandement qui interdit d’utiliser le Juges 17.1–21.25

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nom de l’Eternel en vain, tout comme le verset suivant rappelle le deuxième commandement qui ordonne de ne pas adorer ni fabriquer d’images taillées. 17.3‑6 En consacrant l’argent rendu à l’Eternel et en plaçant l’idole fabriquée dans la maison, la mère de Mica cherche peut-être à lui faire peur afin qu’il ne réitère pas son vol. Une fois de plus, sa com‑ préhension de ce que peut signifier un tel acte est visiblement limitée. Elle met de côté 200 sicles (environ 2,3 kilogrammes) pour la fabrica‑ tion d’une idole. Même si celle-ci est censée les encourager à adorer l’Eternel – ce qui est loin d’être clair –, la création d’une image de ce genre est strictement interdite. Toute tentative humaine de créer une représentation de l’Eternel ne peut être qu’idolâtrie. Il y a probable‑ ment une certaine ironie dans la mention de sa malédiction contre toute personne qui aurait volé son argent et, parallèlement, de son initiative de fabriquer une idole, action qui, en elle-même, entraîne la malédiction divine (Dt 27.15). Le manque de connaissance qu’a cette famille de ce que signifie l’appartenance au peuple de l’Eter‑ nel est illustré plus tard par l’appellation du lieu de culte de Mica : littéralement « maison de Dieu » ou « maison des dieux ». L’ambiguïté de l’expression – le pluriel ’elohim est soit un pluriel de respect ren‑ voyant à Dieu, soit le terme normal pour désigner « les dieux » – cor‑ respond sans doute de nouveau à une ironie volontaire de la part des auteurs : l’Eternel est mentionné en rapport avec ce lieu de culte, mais celui-ci abrite en réalité des idoles (voir Webb, 2012, p. 425‑426). Peut-être situé dans la maison de Mica ou dans un autre bâtiment, il contient une sélection de dieux, la nouvelle idole et un éphod. Ce dernier terme évoque probablement un objet utilisé pour déterminer la meilleure chose à faire dans une situation donnée (1S 23.9 ; 30.7). Ses usages alternatifs pour décrire un vêtement (1S 2.18 ; 2S 6.14) ou une partie de l’habit d’un prêtre n’ont pas réellement de sens dans ce contexte. L’un des fils de Mica devient prêtre de son lieu de culte. Ce qui arrive au reste de l’argent consacré à l’Eternel n’est pas indiqué. Cela suggère qu’il reste au sein de la famille comme partie intégrante de sa fortune. La première des 4 occurrences, aux chapitres 17–21, de la phrase à cette époque-là, il n’y avait pas de roi en Israël se trouve au verset 6. 214

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On suppose généralement que l’objectif des auteurs, dans cette sec‑ tion, est d’attirer l’attention du lecteur sur le constat, très manifeste dans la précédente partie, que la méthode de leadership adoptée n’a pas fonctionné et de le préparer à la prochaine étape de l’his‑ toire d’Israël : la monarchie. On sous-entendrait alors que s’il y avait eu un roi, tout au moins un roi respectant les principes fixés par la loi (Dt 17.14‑20), les histoires d’une horreur sans nom du point de vue éthique et spirituel décrites dans ces chapitres ne se seraient jamais produites ou n’auraient jamais pu arriver. Cependant, si les auteurs étaient conscients des échecs de la royauté comme les auteurs des livres de Samuel et des Rois l’étaient, ils veulent peut-être suggérer que les échecs de cette période ne doivent pas être imputés à la monarchie elle-même mais à ceux qui agissent comme il leur plaît. Dans le contexte immédiat du chapitre 17, la phrase sert également à fournir une explication, jugée nécessaire par les auteurs, de ce qui a permis à une situation terrible telle que celle-ci – l’idolâtrie de Mica et le manque de discernement de sa famille quant au caractère inapproprié de malédictions ou quant à la nécessité de véritables prêtres – d’exister en Israël. La remarque chacun faisait ce qui lui semblait bon – ou, plus littéralement, « ce qui était droit à ses yeux » – est ajoutée ici et à la quatrième occurrence de cette phrase. Il est possible d’argumenter ici que ce commen‑ taire éditorial est purement descriptif et ne porte pas de jugement. Néanmoins, le lien avec « ce qui déplaît à l’Eternel » dans les cha‑ pitres précédents suggère fortement que ce qui est droit aux yeux des Israélites est, en réalité, mal aux yeux de leur Dieu. C’est aussi un indice supplémentaire de l’unité dans le livre, au moins dans une certaine mesure. Si les auteurs utilisent cette phrase comme un indicateur structurel, il semble surprenant que la première occurrence apparaisse ici et non au début de l’histoire. L’idée que les lecteurs ont besoin de comprendre à quel point les choses vont mal avant que l’on ne leur en expose la raison (Harris, Brown & Moore, 2000, p. 263) paraît assez logique. Le lecteur pourrait être tenté de penser que la famille de Mica était une exception au sein d’une société dans l’ensemble pieuse, mais, en réalité, ils étaient de simples exemples parmi de nombreux autres d’une population qui faisait, de manière générale, ce qui lui paraissait bon. Juges 17.1–21.25

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17.7‑13 A nouveau, alors qu’un jeune Lévite entre en scène, le lec‑ teur a le sentiment qu’une autre histoire devrait être racontée. Que faisait-il en Juda et pourquoi en part-il ? Cette question est dépourvue de pertinence pour notre histoire, si bien qu’aucun renseignement à ce sujet n’est fourni. Il est impossible de dire si la question de Mica : « D’où viens-tu ? » reflète de la suspicion ou le simple intérêt d’un hôte accueillant. Cela dit, il réagit immédiatement en apprenant qu’il s’agit d’un Lévite cherchant un endroit où s’installer. En dépit de sa théologie quelque peu altérée, il a conscience qu’il vaudrait mieux avoir un membre de cette tribu en charge de son lieu de culte plutôt que son propre fils. Il n’y a aucun indice que ce Lévite soit un des‑ cendant d’Aaron et, donc, réellement éligible au rôle de prêtre. Cela dit, le lieu de culte de Mica n’est pas très conforme à la loi non plus ! En fait, il est précisé en 18.30 que le nom de ce Lévite est Jonathan et qu’il est issu de Moïse, non d’Aaron. Il est difficile d’estimer la valeur des biens matériels à cette époque, mais le Lévite semble se satisfaire de 10 sicles d’argent par an, en plus de la nourriture et du vêtement. Le fait que 10 sicles d’argent – qui entament à peine les 900 restants – correspondent à un salaire annuel acceptable indique à quel point la famille de son employeur est riche. Son propre empressement à participer à un système reli‑ gieux corrompu démontre que le manque d’attention aux exigences de l’alliance caractérise toutes les tribus d’Israël, y compris celle de Lévi. Le texte souligne qu’il est traité comme un membre de la famille. En tant que prêtre, il devient le père de Mica (v. 10). C’est un qualificatif assez étrange pour quelqu’un qui est décrit au verset 7 comme un jeune homme. On comprend donc aisément pourquoi, dans tous les autres aspects, il est décrit comme son fils. La réaction du véritable fils de Mica, déchu de sa fonction de prêtre, face à cette désignation n’est pas rapportée ! Mica est convaincu que maintenant qu’il a quelqu’un, sinon du bon clan, du moins de la bonne tribu pour lui servir de prêtre, l’Eternel le bénira forcément. Cette réflexion est exposée sans commentaire. Néanmoins, au vu de ce qui a été dit auparavant, il est difficile de ne pas conclure que les auteurs poussent le lecteur à porter un regard critique sur la situation. Il est censé comprendre que les bénédictions de l’Eternel ne peuvent pas être garanties ni achetées par des rituels particuliers, mais passent par 216

Commentaires Tyndale de l’Ancien Testament


une vie d’obéissance envers lui et de relation avec lui. La conscience qu’a Mica du rôle particulier de la tribu de Lévi suggère que sa famille dispose d’un certain accès aux attentes de l’Eternel vis-à‑vis de son peuple. En d’autres termes, s’ils connaissent cet élément de la loi, ils peuvent connaître la loi entière. Or, rien ne montre que Mica et sa famille cherchent à découvrir ce qui plaît à l’Eternel, sauf lorsqu’il s’agit d’assurer leur propre bien-être.

Signification Le tableau brossé ici n’est pas uniquement celui du syncrétisme et de l’idolâtrie, qui semblent être un fait acquis pour tous les protago‑ nistes de cette histoire ; c’est aussi celui de l’effondrement du concept de peuple de l’alliance dans son ensemble. Le nom de Mica signifie « qui est comme Dieu ». Or, il est clair que pas un des personnages décrits ne sait qui est l’Eternel ni ce qu’il attend réellement d’eux. Lorsqu’il arrive que l’on pense à lui, il n’est pas vu comme devant être servi et adoré, mais comme devant être manipulé de manière à procurer un profit à ceux qui prononcent son nom. La notion d’ado‑ ration exclusive de l’Eternel est un non-sens pour Mica et les siens. On nous décrit ici une famille qui fait tout de travers par rapport aux termes de l’alliance qu’Israël est censé respecter. Cependant, cette présentation négative peut orienter la réflexion du lecteur vers ce qui aurait pu se passer si le peuple, au lieu de faire ce qui lui semblait bon, s’était conformé au plan que Dieu voulait pour lui.

ii. Vol du prêtre de Mica par les Danites (18.1‑31) Contexte En parlant du lieu de culte formé par Mica et sa famille et pré‑ sidé par un jeune Lévite, le chapitre 17 brosse le contexte immédiat du récit du chapitre 18. Celui-ci relate le voyage d’exploration de cinq espions de Dan qui débouchera sur la migration vers le nord d’une grande partie de cette tribu, intégrant au passage les dieux et le prêtre de Mica. Le contexte plus large est celui de l’incapacité des Danites à s’emparer véritablement de la terre qui leur avait été attribuée (Jos 19.40‑46) et qui constituait leur héritage. Josué 19.47 et Juges 1.34‑36 décrivent plus en détail cet échec qui explique leur besoin de trouver un nouveau territoire. Juges 17.1–21.25

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Ruth


Introduction Le livre de Ruth suit les Juges dans le canon des Ecritures, et il est délibérément placé dans le même contexte, mais les deux livres ne sauraient être plus différents : celui de Ruth est beaucoup plus court, fait intervenir beaucoup moins de personnages, propose un scénario beaucoup plus modeste, ne contient que très peu de problèmes textuels, ne s’intéresse pas aux politiques tribales et nationales ni à la guerre et ne fait que très peu mention de la vio‑ lence. Lorsqu’on le lit après les Juges, on est tenté de l’associer au calme après la tempête. Toutefois, même s’il est souvent présenté comme « u ne belle idylle », « u ne charmante histoire d’amour » ou encore « u n texte idéal pour une réunion de femmes »a, aucun de ces qualificatifs ne rend justice à l’histoire qu’il relate, beaucoup plus complexe qu’il n’y paraît de prime abord. L’auteur est visiblement désireux d’attirer l’attention des lecteurs sur un certain nombre de problèmes sérieux qu’ils doivent prendre en considération, qu’ils soient hommes ou femmes. Nous sommes confrontés à une sorte de cycle herméneutique, une situation de « l’œuf et de la poule » : chaque décision prise quant à la structure et à l’objectif du livre va influencer la manière dont les sujets qu’il traite seront perçus, mais on ne saurait déterminer cette structure et cet objectif sans avoir attentivement examiné son contenu et mené une réflexion construite dessus. Dans cette introduction, nous avons choisi de nous pencher d’abord sur l’histoire, et ensuite seulement sur les questions littéraires, notamment les objectifs et la structure. Il serait cependant tout aussi pertinent de commencer par les pro‑ blèmes littéraires. De même, le lecteur doit décider s’il étudie le livre biblique en entier avant de se pencher sur les éléments intro‑ ductifs ou seulement après les avoir examinés. Que cette intro‑ duction soit lue avant ou après peut ne faire aucune différence. a Sylvia Roache (2004, p. 15) cite plusieurs de ces appellations. Ainsi, Herbert Lockyer, dans All the Books and Chapters of the Bible, estime que « cette idylle champêtre hébraïque forme le récit le plus parfait, le plus charmant et le plus touchant de tous dans les Ecritures ». Elle qualifie elle-même ce livre d’« histoire ravissante, captivante et romantique ».

Introduction

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Néanmoins, pour prendre au sérieux le texte dans son ensemble, il est essentiel de considérer les questions abordées ici comme des clés permettant une pleine compréhension et non comme de simples commentaires additionnels.

1. Contexte Etant donné la date ancienne de l’histoire et le nombre limité de descriptions de la vie en société dont nous disposons pour cette époque, la plupart des choses que nous pourrions dire à propos du contexte de ce livre ne peuvent avoir valeur que de spéculations. Il est cependant très utile de relire le livre dans sa totalité à la lumière des thèmes abordés ici.

a. Contexte géographique Les lieux mentionnés dans le livre sont en nombre plutôt limité. Le chapitre 1 s’ouvre sur une famille installée dans le pays de Moab et évoque ensuite le trajet parcouru par Naomi et Ruth pour se rendre de là jusqu’à Bethléhem. Le lieu de résidence exact de la famille n’est pas précisé, pas plus qu’il n’est indiqué si elle est restée au même endroit pendant tout son séjour. Le territoire moabite se situe au sud-est de la mer Morte, au-dessus d’Edom et au-dessous de la terre attribuée à Ruben à l’est du Jourdain. Puisque nous igno‑ rons le domicile précis de la famille, il nous est impossible de déter‑ miner s’il était plus facile pour ces femmes d’emprunter la route contournant l’extrémité sud ou l’extrémité nord de la mer Morte. Par conséquent, nous ne pouvons pas être certains de la distance parcourue, bien qu’elle se situe probablement entre 70 et 150 kilo‑ mètres. Par ailleurs, puisque nous ignorons quel était leur mode de déplacement – possédaient-elles un âne ? ont-elles acheté des places dans une charrette ? ont-elles marché tout le long du parcours ? –, nous sommes incapables de savoir combien de temps le voyage a duré. Tout le reste du livre se déroule autour de Bethléhem, une ville se situant dans la région montagneuse accordée à la tribu de Juda, à quelques kilomètres au sud de Jérusalem et une trentaine de kilomètres à l’ouest de la mer Morte. La ville a gagné en impor‑ tance par la suite en tant que lieu d’origine de David ; cependant, 252

Commentaires Tyndale de l’AT – Ruth


à ce moment-là, tout indique qu’elle est jugée insignifiante et est plutôt petite. La proximité des territoires d’Israël et de Moab signifie que les conditions climatiques y étaient relativement similaires et qu’une sécheresse généralisée était susceptible d’avoir un impact sur les deux nations en même temps. Cependant, la mer Morte forme aussi une sorte de barrière, et des conditions climatiques limitées à un endroit spécifique sont clairement attestées . Il était donc possible que des régions d’Israël souffrent de la sécheresse, tandis que Moab pouvait toujours obtenir de bonnes récoltes, et vice-versa.

b. Contexte historique La seule information fournie à propos de la période où vivent Naomi, Ruth et Boaz se trouve en 1.1 : « à l’époque des juges », c’està‑dire entre l’installation des descendants de Jacob en Israël et l’ins‑ tauration de la monarchie. En d’autres termes, il n’existait alors aucun gouvernement national, et Israël n’était qu’un ensemble de tribus. Il est difficile d’indiquer une date précise, mais on se situe probablement entre 1400 et 1100 av. ­J.-C. Les relations entre Israël et Moab ne paraissent pas particulièrement tendues, et les Israélites sont bien installés sur leurs terres, tout au moins dans la région de Bethléhem. Les Juges évoquent une période de 18 ans de soumission à Eglon, le roi de Moab ( Jg 3.14), peu après le début de la conquête, et cette époque semble très lointaine au moment des événements relatés ici. Rien n’indique non plus que Moab soit « soumis à Israël ». Ainsi, même s’il est possible que l’on se trouve dans les 80 ans de paix consécutifs à sa défaite ( Jg 3.30), il semble plus probable que les faits se déroulent plus tard. Nous savons que la situation des Israélites a ensuite été caractérisée par l’instabi‑ lité, mais c’était probablement plus particulièrement le cas dans le nord, et la région de Bethléhem a pu ne pas en sentir les effets. Toute restriction de la fenêtre chrono­logique ne peut être que spé‑ culative, mais il ne semble pas déraisonnable de suggérer que ces événements se déroulent entre 1200 et 1100 av. ­J.-C. ; cela cadre avec la généalogie du chapitre 4, qui mentionne deux générations entre Boaz et David. Nous pouvons être relativement certains que ce dernier a vécu entre 1050 et 950 av. ­J.-C. Introduction

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c. Contexte social et religieux Le livre de Ruth nous offre l’un des meilleurs points de vue sur la vie quotidienne des Israélites à cette époque. La généalogie conclu‑ sive montre que l’auteur était conscient des problèmes nationaux, mais il n’y a aucune autre allusion à des préoccupations non locales ou extérieures à la famille. Nous n’apprenons rien à propos du gou‑ vernement tribal ni d’une quelconque structure de pouvoir, même si, à Bethléhem tout au moins, les problèmes locaux qui pourraient être décrits comme des questions légales étaient étudiés par un groupe d’anciens reconnus, visiblement rassemblés dans ce but spécifique. Il semble clair que les décisions prises dans ce contexte étaient acceptées par l’ensemble de la population, qui leur recon‑ naissait un caractère contraignant. La situation de Naomi était sans doute particulière, en partie du fait de la présence de Ruth, mais le fait qu’elle n’a pas été automatiquement accueillie – même à contre‑ cœur – au sein d’une parenté plus large suggère que ce que l’on appelle la « famille nucléaire » était peut-être plus important à cette époque qu’on ne le pense souvent. Bien que le livre n’en parle pas, on ne peut exclure que des familles aient vécu et œuvré de leur côté dans de petites fermes, qui donnaient moins de récoltes. Toutefois, il y avait clairement un certain nombre de grands domaines qui employaient des travailleurs réguliers et occasionnels, hommes ou femmes, à différentes sortes de tâches. Les allusions à l’état d’agi‑ tation de toute la ville, aux réactions collectives des femmes et au rassemblement des anciens et de toute la population aux portes (1.19 ; 4.9‑17) suggèrent à la fois qu’il s’agissait d’une localité rela‑ tivement petite et qu’elle entretenait le sentiment d’une identité commune. On trouve des indices qu’un tel sentiment excluait en général ceux qui n’étaient pas des Israélites de naissance. L’absence d’allusion à des personnes exerçant un service religieux ou même à toute organisation religieuse ne signifie pas qu’elles n’existaient pas. En revanche, cela pourrait indiquer qu’elles n’étaient pas cen‑ trales dans la vie et dans la pensée des gens. Ne pas les mentionner pourrait être le moyen choisi par l’auteur pour montrer qu’elles étaient perçues comme secondaires. Cependant, cela dépend de la volonté de l’auteur de considérer Boaz comme un homme typique de sa communauté ou, au contraire, comme une exception ; il avait, 254

Commentaires Tyndale de l’AT – Ruth


sans aucun doute, une compréhension claire de ce que signifiait l’engagement de l’alliance et jugeait qu’il était important de res‑ pecter la loi.

2. Personnages Les talents de l’auteur en matière de description sont remar‑ quables, et sa présentation des personnages, en particulier, est extraordinaire : on a l’impression de faire partie intégrante des situations où ils sont impliqués et l’on est informé de leurs sen‑ timents et réactions aussi bien que de leurs actes. Bien évidem‑ ment, le large recours au dialogue contribue à cela. Même lorsque des personnages secondaires – tels que le serviteur responsable des moissonneurs ou le proche parent ayant droit de rachat avant Boaz – ou des groupes sont décrits, le lecteur a la possibilité de comprendre ce qui se passe et pourquoi ces gens agissent de cette manière. Néanmoins, il est utile d’étudier plus attentivement cer‑ tains renseignements fournis à propos des trois personnages prin‑ cipaux. Dans une introduction aux personnages d’un récit tel que celui-ci, le but principal n’est pas d’établir un portrait détaillé qui pourrait être perçu comme allant au-delà de ce qui est dit ; il est de soulever des questions permettant au lecteur de revenir au texte et de découvrir par lui-même ce qu’il en est.

a. Naomi Les informations relatives à Naomi sont plutôt claires : elle a migré de Juda vers Moab avec son mari et ses fils pendant une famine et y est restée jusqu’à la mort de son mari, suivie du mariage de ses fils et, plus tard encore, de leur propre mort ; elle séjourne appa‑ remment quelque temps encore là-bas avec ses deux belles-filles, mais nous ignorons combien de temps exactement ; les trois femmes semblent bien s’entendre ; néanmoins, lorsqu’elle apprend (nous ignorons comment) qu’il y a de la nourriture dans sa région d’ori‑ gine, Naomi prend la décision d’y retourner. On a parfois suggéré que ce choix était lié au mal du pays (par exemple Harris, Brown & Moore, 2000, p. 305). Il est bien sûr possible que cela joue un rôle, mais le texte ne mentionne que la question du besoin de nourriture. Introduction

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Le plan initial consiste visiblement à partir avec ses deux bellesfilles ; cependant, en cours de route, elle estime qu’il vaudrait mieux pour elles qu’elles ne quittent pas leur pays. Orpa consent à ce chan‑ gement de plan, mais Ruth affiche sa détermination à rester avec sa belle-mère. A leur arrivée à Bethléhem, les deux femmes reçoivent un accueil que l’on peut au mieux qualifier de tiède de la part des habitants de la ville. Elles parviennent à survivre un certain temps, avant que Ruth ne finisse par épouser Boaz et par avoir un enfant. Cette circonstance permet à Naomi d’acquérir un nouveau statut, outre une bénédiction personnelle. La première image laissée par Naomi est celle d’une femme forte et déterminée, plus que capable d’analyser les situations et de prendre des décisions. L’absence d’amélioration apportée à sa situation par son retour à Bethléhem semble lui faire perdre pied. A ce moment-là, peut-être déprimée par l’incapacité de sa parenté et de ses concitoyens à lui apporter le moindre soutien, elle laisse tout entre les mains de Ruth, y compris les décisions à prendre. Toutefois, son habileté à analyser les situations et à comprendre ce qu’elles impliquent n’a pas totalement disparu et, dès qu’elle se rend compte que les initiatives de Ruth ont porté du fruit – à la fois dans un sens métaphorique et dans un sens littéral –, elle refait surface. Elle établit un plan d’action que sa belle-fille adapte. Boaz assume les responsabilités familiales qui lui ont été ainsi rap‑ pelées, achète la terre de Naomi et épouse Ruth. Naomi s’engage dans un rôle actif de grand-mère vis-à‑vis de leur petit et réagit de manière très positive aux encouragements qu’elle reçoit désormais des femmes de la ville.

b. Ruth Aucune information n’est fournie sur le passé de Ruth. Elle est simplement introduite dans le récit en tant que veuve de Machlon. L’idée que sa détermination de rester avec Naomi serait motivée par le désir d’échapper à une situation familiale malheureuse cor‑ respond à de la spéculation. Ce qui est indiqué dans le texte, c’est qu’elle aime sa belle-mère et que son choix de rester avec elle repose sur une compréhension claire de ce que cela peut impli‑ quer, y compris un engagement jusqu’à la mort. Il est également 256

Commentaires Tyndale de l’AT – Ruth


clair qu’elle veut s’engager auprès du Dieu de Naomi, sans que l’on n’aborde la question de savoir si cela constitue un facteur essentiel dans cette décision. Ruth est une femme forte, intelligente et pleine de bonté. Elle ne semble se laisser abattre par aucune des circonstances difficiles auxquelles elle est confrontée. Même si elle écoute Naomi et accepte son autorité, elle n’hésite pas à s’opposer à elle lorsqu’elle veut la renvoyer dans sa famille. Quand sa belle-mère semble perdre pied, après l’arrivée à Bethléhem, elle prend tranquillement les rênes, tout en restant disposée à écouter ses conseils. Elle semble avoir une belle capacité de comprendre les conséquences à la fois cultu‑ relles et personnelles des situations. Elle adapte le plan de Naomi de manière à n’offenser ni celle-ci ni Boaz, tout en préservant sa propre intégrité. A bien des égards, Ruth agit comme la protectrice familiale que la propre parenté de sa belle-mère s’est montrée inca‑ pable de fournir, au début.

c. Boaz D’après 2.1, Boaz fait partie de l’élite locale. C’est un notable, un propriétaire foncier ayant de nombreux employés à son ser‑ vice, un personnage respecté dans la communauté. Il semble être un bon employeur, connaissant ceux qui travaillent pour lui ; si la manière dont il traite Ruth est habituelle chez lui, il se préoccupe des besoins de ses subordonnés. Il a visiblement un certain âge, puisqu’il s’oppose lui-même aux jeunes gens qu’elle aurait pu cher‑ cher à épouser. Par conséquent, il serait surprenant qu’il n’ait pas déjà été marié, mais aucune information n’est fournie à propos de son passé. Ainsi, bien que la littérature juive tardive contienne de nombreuses histoires à son sujet, rien ne nous permet de savoir s’il est veuf ou a déjà des enfants. Appartenant à la famille d’Elimélek et Naomi, il fait partie de la chaîne des personnes susceptibles d’être considérées comme responsables de subvenir aux besoins de celle-ci, suite à son deuil, même s’il n’est pas le parent le plus proche. Il est décrit non seulement comme un homme d’affaires compétent mais également comme un négociateur apte à saisir les idées et à comprendre les réactions des autres et les implications de leurs actes. Il se comporte en homme bon et généreux. Etant donné Introduction

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toute l’aide qu’il finit par apporter et toutes les responsabilités qu’il se montre prêt à assumer, on est surpris qu’il ne soit pas intervenu pour secourir Naomi avant que Ruth ne pénètre sur sa propriété, apparemment par hasard.

d. Personnages secondaires En dehors de ces trois protagonistes, les personnages sont ano‑ nymes, sauf Orpa, qui disparaît assez tôt de l’histoire, et le bébé Obed, qui arrive à la fin. Deux individus participent cependant à un dialogue : le serviteur chargé de surveiller les moissonneurs en 2.5‑7 et le plus proche parent en 4.1‑8. Tous les autres personnages apparaissent sous la forme de groupes : les femmes de la ville, les moissonneurs, les anciens et la population présente aux portes. Qu’il s’agisse de groupes ou d’individus, tous semblent avoir pour fonction de souligner les besoins de Ruth et de Naomi, le rôle joué par Boaz dans la réponse apportée à ces besoins et le fait que la communauté dans son ensemble a failli à ses responsabilités en tant que peuple de l’alliance, puisqu’elle n’a rien entrepris pour prendre soin des membres les plus faibles et les plus démunis de la société.

3. Thèmes théologiques Etant donné le style narratif du livre de Ruth – qui raconte une his‑ toire et contient de nombreux dialogues mais très peu de commen‑ taires éditoriaux –, il nous est difficile d’être certains des intentions de l’auteur en matière d’enseignements théologiques. Cependant, plusieurs thématiques semblent soulignées par la manière dont l’histoire est relatée. En les examinant et en nous penchant sur les motifs récurrents du point 4d de cette introduction, nous nous rendons clairement compte d’une réalité : même s’il peut être décrit comme traitant des personnes marginalisées – en particulier des veuves et des étrangers dans la misère – et même s’il peut être très utile pour encourager et faire accepter des membres de cette caté‑ gorie, réduire ce texte à cela reviendrait à le parodier. Les leçons à en tirer étaient tout aussi importantes – et peut-être plus nécessaires encore – pour les hommes riches et puissants que pour les femmes pauvres de la société israélite. 258

Commentaires Tyndale de l’AT – Ruth


Ruth 4.18‑22 G. Epilogue : généalogie

Contexte Cette brève partie peut être vue comme un simple appendice, ajouté afin de relier l’histoire aux récits plus tardifs concernant David ou de montrer que les bénédictions prononcées sur Ruth en 2.12 et en 4.11 se sont définitivement réalisées grâce à la nais‑ sance d’un grand descendant. D’après une autre thèse, il s’agit du véritable point culminant du livre, qui a pour but d’établir le contexte dont David est issu et de fournir des informations sur ses ancêtres. La généalogie elle-même ne permet pas directement de trancher, même si elle indique clairement que la forme finale du texte remonte au plus tôt au règne de David. La mention de Pérets en 4.18 semble montrer que l’auteur cherche à souligner le lien avec la famille de Boaz. Nous apprenons qui sont ses ancêtres et qui sont ses descendants. Les généalogies étaient des marqueurs importants : elles servaient à préciser les liens de parenté et les responsabilités et à confirmer l’identité. Comme dans de nombreux pays aujourd’hui, les gens étaient probablement en mesure de citer la liste de leurs ancêtres sur de nombreuses générations.

Commentaire 4.18 Les généalogies peuvent démarrer n’importe où, et la raison pour laquelle l’auteur a choisi de faire commencer celle-ci par Pérets et non par Juda, Jacob ou Abraham n’est pas claire. Si l’intention, en 4.12, était de souligner les circonstances inhabituelles de la nais‑ sance de Pérets et le fait que cela ne l’a pas empêché de jouer un beau rôle en Israël, le but pourrait être identique ici : Obed a beau être né d’une femme étrangère, il n’y a aucune raison de penser qu’il Ruth 4.18‑22

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ne puisse pas connaître une certaine réussite, lui aussi. Hetsron est apparemment un nom assez courant ; c’est par exemple celui de l’un des fils de Ruben (Ex 6.14). L’idée que le but principal du livre serait de relever le lien direct entre David et les patriarches est peu vraisemblable, puisque la généalogie commence par Pérets et non par Abraham, même si, évidemment, n’importe quel Israélite était en mesure, théoriquement, de faire remonter ses origines jusqu’à Abraham. 4.19‑22 Nous en apprenons davantage sur Hetsron et sur sa des‑ cendance dans le matériel généalogique de 1 Chroniques 2. En dehors de ce chapitre-là, il n’y a aucune mention d’Hetsron, de Ram, d’Amminadab, de Nachshon et de Salmon (ou Salma dans certains manuscrits) jusqu’à Matthieu (Mt 1.3‑4) et Luc (Lc 3.32‑33). Dans 1 Chroniques 2.10, Nachshon est décrit comme un prince des Judéens. Il est cité dans les Nombres (Nb 1.7 ; 2.3 ; 7.12, 17 ; 10.14) en lien avec ce leadership : il a été désigné pour assister Moïse et exercer l’autorité sur la tribu de Juda pendant le périple du Sinaï vers Canaan. Cette origine familiale pourrait expliquer la prospé‑ rité de Boaz dont le livre de Ruth se fait l’écho. Obed lui aussi n’est mentionné, après cela, qu’en 1 Chroniques 2, Matthieu 1 et Luc 3. Il est systématiquement présenté comme le fils de Boaz, si bien que le maintien du nom de Machlon n’a clairement pas été permanent. D’après Matthieu 1.5, la mère de Boaz était Rahab, probablement la femme de Jéricho mentionnée dans le livre de Josué. L’évangéliste semble désireux de souligner la présence fréquente de naissances « non conventionnelles » dans la généalogie de Jésus. Cela dit, cette information n’apparaît nulle part ailleurs dans l’Ancien Testament, et nous n’avons aucune certitude quant à son origine. S’il s’agit bel et bien de la Rahab de Josué, cela peut expliquer pourquoi Boaz n’a pas semblé éprouver le moindre problème à l’idée d’épouser une non-Israélite, mais on peut se demander pourquoi son existence n’est pas mentionnée dans le livre de Ruth. Hubbard suggère que la liste est formulée de telle manière que Boaz soit le septième nom, traditionnellement vu comme « le rang d’un ancêtre dont l’honneur et l’importance sont particuliers » (1988, p. 283). Si tel est le cas, cela contrecarre l’idée que toute l’histoire tourne en réalité autour de 320

Commentaires Tyndale de l’Ancien Testament


David. Toutefois, le chapitre et le livre se ferment sur la mention d’Isaï et de David, présentés comme des descendants de Boaz et de Ruth.

Signification De toute évidence, les lecteurs sont invités à prendre note de la mention de David à la fin du livre (voir la discussion à ce sujet dans la section 4a de l’introduction) : tout ce qui figure avant doit être compris comme faisant partie des origines familiales de ce roi. Mais cela ne veut pas dire que cela invalide ou minimise en quoi que ce soit les enseignements fournis par le reste du texte. Nous sommes également incités à examiner la manière dont ces personnes vivaient « à l’époque des juges », à nous pencher sur les problèmes liés au traitement des femmes, peut-être des veuves en particulier, et des étrangers et à accepter de relever un défi : celui de refléter la bonté de l’Eternel comme Ruth a su le faire. Le livre confrontait ses destinataires initiaux à la question de savoir s’ils entretenaient une relation avec l’Eternel et respectaient son alliance, ce qui avait clairement des implications quant à leur manière d’aborder les personnes en marge et potentiellement dangereuses de la société. Le même défi est lancé aux lecteurs modernes qui ont accepté la nouvelle alliance.

Ruth 4.18‑22

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Ils apprécient cette série Les commentaires Tyndale de la Bible sont d’une aide précieuse pour toute per‑ sonne désireuse de se faire une idée rapide du sens des Ecritures. Les auteurs sont tous des exégètes de renom sur le plan académique et ecclésial, qui allient une solide étude du texte et une écriture accessible, avec une approche de conviction évangélique. Comme pasteur et comme enseignant, ces commentaires ont été pour moi une aide précieuse pour une approche préliminaire des passages sur lesquels j’ai été appelé à travailler en vue de la prédication ou de l’étude biblique. Les difficultés présentées par les textes n’y sont pas évitées et les différentes pistes d’explication sont présen‑ tées avec le respect et l’équilibre indispensables à des outils exégétiques sérieux. Je ne peux que recommander cette série de commentaires, qui permet de se consti‑ tuer une première bibliothèque d’étude de la Bible et qui sera d’une grande aide pour l’étude et la prédication. Robin Reeve, pasteur et professeur d’Ancien Testament à la HET-PRO (Suisse) La série de commentaires Tyndale est vraiment digne de notre vive recomman‑ dation. Ses auteurs sont des spécialistes évangéliques, qui respectent et aiment la Bible comme la parole du Dieu vivant. En plus, ils sont compétents, grâce à leur expérience et leur connaissance des disciplines bibliques. Dans leurs commentaires, ils combinent une exégèse solide avec des suggestions pour l’application pratique des textes dans la vie des églises et des croyants d’au‑ jourd’hui. Leurs exposés sont clairs et succincts, donc faciles à lire pour tout le monde. La série Tyndale comprend des commentaires sur tous les livres bibliques et est l’objet d’un processus de révision et renouvellement continu. C’est pourquoi on peut toujours y trouver un commentaire assez récent sur tel ou tel livre biblique. Pour toutes ces raisons, je salue l’initiative de traduire et publier ces commentaires en langue française et j’espère que beaucoup de chrétiens vont en profiter. Gert Kwakkel, professeur d’Ancien Testament et d’hébreu, Faculté Jean Calvin, Aix-en-Provence (France) et Theologische Universiteit Kampen (Pays-Bas) La série des Tyndale Commentaries m’a toujours accompagné, dans ses différentes éditions, depuis mes études théologiques jusqu’à aujourd’hui, et de nombreux volumes de la nouvelle édition tiennent une place de choix dans ma bibliothèque. Les commentaires présentent l’avantage rare d’être rigoureux au niveau de l’exé‑ gèse et accessibles aux non-spécialistes. C’est pourquoi je les utilise tant pour mes recherches théologiques que pour préparer mes prédications et études bibliques. Du travail sérieux, compétent, qui fera la joie de tout étudiant de la Bible. Je suis heureux que le public francophone soit dorénavant au bénéfice de ce travail. Alain Nisus, Dr en théologie, professeur associé à la FLTE et directeur de l’ITEAG


MARY J. EVANS

La série de commentaires Tyndale est appréciée depuis longtemps par les anglophones. Son désir de combiner fiabilité (niveau académique dans la recherche) et accessibilité (dans la formulation) correspond aux préoccupations profondes des éditions La Maison de la Bible. Dans cette étude des livres des Juges et de Ruth, Mary J. Evans n'évite pas les questions qui nous posent problème, à nous, lecteurs modernes, et elle nous fait découvrir des richesses insoupçonnées, avec des réflexions stimulantes.

Ancienne doyenne de l'Ethiopian Graduate School of Theology à Addis Adeba, Mary J. Evans continue d'y enseigner l'Ancien Testament à titre de professeure invitée. Elle a également été maîtresse de conférences à la London School of Theology.

J'ai toujours apprécié les commentaires Tyndale de la Bible. Ils sont à la fois sérieux et synthétiques. Sérieux, par leur fine analyse des textes bibliques dans leur contexte historique et littéraire. Synthétiques, par leur capacité à rendre compte d’autres commentaires et à mettre en évidence l’actualité des messages bibliques pour aujourd’hui. SHAFIQUE KESHAVJEE, THÉOLOGIEN ET AUTEUR

CHF 26.90 / 22.90 € ISBN 978-2-8260-3107-9

Juges & Ruth

Un regard féminin plein de pertinence.

de l’Ancien Testament

07

COMMENTAIRES TYNDALE

07 de l’Ancien Testament

MARY J. EVANS

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Juges & Ruth

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MARY J. EVANS

Juges & Ruth


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