Le chrétien et la politique

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Table des matières Charles W. Colson L’illusion du pouvoir

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Le pouvoir: domination ou service . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .8 Le monde évangélique et la solution politique . . . . . . . . . . . . . . . . 12 Le chrétien: un citoyen ou un dirigeant . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .14 Les dangers de l’activisme utopique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .15 Trois pièges de la politique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .17

Kenneth A. Myers Agir autrement : Proclamer au lieu de protester

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La stratégie du boycott . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .25 Supposons... . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .27 Quand l’idéologie remplace la théologie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .29 La mort et la chrétienté . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .33 Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .36


Le chrétien : un citoyen ou un dirigeant La doctrine triomphaliste omet une distinction cruciale entre le rôle du chrétien citoyen ordinaire et celui du chrétien qui exerce des responsabilités politiques. En tant que citoyens ordinaires, les chrétiens ont la liberté de faire valoir de quelque façon que ce soit leurs idées chrétiennes. Aux Etats-Unis, ce droit fondamental est inscrit dans la Constitution. Les citoyens chrétiens devraient militer pour leur foi en s'efforçant, non par la force de l'épée, mais par la force de leurs idées, d'évangéliser leurs contemporains en rendant témoignage. En revanche, les chrétiens élus à des postes de direction de l'Etat acquièrent une autre forme de responsabilités. Ils deviennent les détenteurs du pouvoir de l'épée, de ce pouvoir que Dieu a confié aux gouvernements pour maintenir l'ordre et préserver la justice. Ils agissent non plus pour eux-mêmes, mais pour tous ceux qu'ils servent. Ils ne peuvent donc pas se prévaloir de leurs fonctions pour évangéliser leur civilisation. Leur devoir est de promouvoir la justice et de garantir la liberté religieuse à tous les citoyens, sans distinction de croyance. Ceci ne veut pas dire qu'ils peuvent compromettre leur foi et leur fidélité absolue à Dieu : ils doivent au contraire en parler librement et rendre témoignage de la place qu'occupent les valeurs chrétiennes dans leur vie. En revanche, ils ne peuvent mettre à profit leurs fonctions pour octroyer aux chrétiens et à l'Eglise un statut privilégié. Un auteur chrétien résume ainsi cette idée: “l'Etat chrétien est un Etat qui ne confère aucune prérogative aux citoyens chrétiens, mais qui recherche la justice pour tous, conformément au principe de l'intérêt général.”10 Au tout début du vingtième siècle, Abraham Kuyper, théologien néerlandais de renom, fut élu premier ministre des Pays-Bas. Ses opposants redoutèrent l'instauration d'un régime théocratique d'oppression, mais au lieu de cela, le pouvoir en place fut un véritable modèle de tolérance et de pluralisme, car Kuyper considérait la représentation proportionnelle comme le moyen de faire valoir pleinement les droits légitimes de tous11. Lorsque Kuyper quitta le pouvoir, il était devenu (et peut-être l'est-il encore aujourd'hui) l'homme d'Etat néerlandais le plus apprécié de son temps. Si les chrétiens d'aujourd'hui prenaient conscience de cette différence de rôles entre chrétiens citoyens ordinaires et chrétiens au pouvoir, ils auraient sans doute moins les traits des croisés du Moyen

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Age. Si les laïques percevaient correctement la nature des devoirs des dirigeants chrétiens envers l'Etat, ils ne redouteraient pas de voir des chrétiens s'engager de façon responsable dans la politique, mais s'en féliciteraient.

Les dangers de l’activisme utopiste Les chrétiens ne doivent cependant pas se jeter sans réfléchir dans le marécage de la politique en pensant pouvoir l'assécher. Il existe des pièges. J'en sais d'ailleurs quelque chose, puisque j'ai eu moi-même l'occasion d'en tendre. Ma première mission en tant que conseiller spécial du président Nixon a consisté à élaborer des stratégies en vue de sa réélection en 1972. La tâche s'annonçait rude. En effet, Nixon avait été élu de justesse en 1968, lors d'une élection triangulaire qui l'avait opposé à Hubert Humphrey et George Wallace. Le Parti républicain était en minorité et Nixon avait hérité d'une guerre impopulaire et d'une presse hostile. A tout cela s'ajoutait le fait qu'il n'affichait pas le charisme de rigueur devant les faiseurs d'images de la télévision, dont l'influence sur la politique devenait prépondérante. Dans le premier mémorandum que j'adressai au Président, je traçais les grandes lignes de ce que j'avais appelé le “plan pour l'Amérique moyenne”. Ce plan comprenait les volets suivants: sacrifier les minorités au profit des électeurs traditionnels des cercles d'affaires et de l'agriculture; récupérer quelques syndicats conservateurs; flatter les évangéliques du Sud; et bâtir une nouvelle coalition réunissant les “cols bleus” catholiques du Nord-Est et du Midwest. C'était un projet cynique, pragmatique, mais efficace, conçu pour exploiter n'importe quel allié susceptible de prêter le flan. Nixon fut enchanté et lorsque le mémorandum me fut retourné, quelques jours plus tard, la marge était entièrement recouverte de l'écriture du Président: “C'est bon... Allez-y... Je suis d'accord.” Je m'employai donc à inviter les groupes les plus divers, éleveurs de bétail débonnaires ou enseignants raffinés exaspérés par les réductions budgétaires ou par la guerre du Viet-nam. Chaque groupe était reçu par le Président. Les choses se déroulaient toujours de la même façon. Dans la salle d'attente, ils ressassaient leurs doléances, se rassurant les uns les

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autres: “Je lui dirai ce qui ne va pas. Il doit absolument faire quelque chose.” Lorsque l'assistant venait nous chercher, ils serraient les dents et marchaient vers la porte d'un pas décidé. Mais dès que la porte s'ouvrait et que l'assistant annonçait: “le Président va vous recevoir”, c'était tout à coup comme s'ils venaient de respirer un gaz toxique. La plupart d'entre eux étaient intimidés par le simple fait de fouler le somptueux tapis bleu, sur lequel était sculpté le grand sceau du Président des Etats-Unis. La voix et la présence de M. Nixon pouvaient alors emplir la pièce (ni plus ni moins que la voix et la présence de n'importe quel autre président). Invariablement, les lions de la salle d'attente devenaient les agneaux du Bureau ovale et, comble de l'ironie, il n'y avait pas visiteurs plus dociles que les responsables religieux. Ce sont pourtant eux qui auraient dû être le plus au fait de la nature pécheresse de l'homme et, partant, qui auraient dû ne pas se laisser impressionner par le faste et le protocole. Il m'arrivait fréquemment d'organiser des réunions à l'intention de groupes évangéliques, de conseils de dénominations et de responsables d'églises. Dans la salle Roosevelt, située en face du Bureau ovale, les interventions d'Henry Kissinger constituaient toujours une attraction. Les services religieux organisés presque chaque dimanche par Nixon dans la Salle Est offraient également des possibilités considérables. Nous choisissions le prédicateur susceptible d'exercer en notre faveur le maximum d'impact (je veux parler d'impact politique et non spirituel). A cette époque, je n'étais tout au plus qu'un chrétien de nom et n'étais pas en mesure de juger des choses spirituelles. Il y avait en permanence au moins 200 sièges à remplir et des billets d'entrée qui étaient autant de clés du royaume de la politique. Je pourrais citer de nombreux autres exemples pour montrer la facilité avec laquelle certains responsables chrétiens se laissaient duper par l'illusion du pouvoir. Je ne suis pas en train de dire que les milieux chrétiens et leurs responsables doivent boycotter la Maison-Blanche ou les palais et les parlements de la planète. C'est en ces lieux que l'action politique s'exerce et les chrétiens doivent influencer la politique pour plus de droiture et de justice. Une telle attitude s'inscrit dans la plus pure tradition biblique, de Jérémie à Amos, en passant par Michée, Daniel et tant d'autres hommes encore. Mais les chrétiens (ainsi, d'ailleurs, que les non-chrétiens) qui adoptent cette démarche doivent garder les yeux ouverts pour éviter les pièges. C. S. Lewis a écrit: “Le démon qui vit dans chaque parti politique demeure à chaque instant prêt à prendre l'apparence du Saint-

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Esprit.”12 Tolstoï allait dans le même sens lorsqu'il affirmait: “Pour disposer d'un fondement légitime au contrôle des masses, les gouvernements sont obligés de faire semblant de professer les valeurs religieuses les plus nobles auxquelles l'homme ait jamais adhéré.”13 Examinons à présent quelques-uns des pièges les plus dangereux qui attendent l'imprudent.

Trois pièges de la politique En premier lieu, l'Eglise court le risque de s'ajouter au nombre des corporations particulièrement choyées. Lorsque, durant la campagne électorale de 1980, la presse a reproché à M. Reagan de mélanger politique et religion en assistant à une réunion des militants du mouvement Religious Rights, celui-ci a rétorqué qu'après tout, l'Eglise était aussi digne d'intérêt qu'un autre groupe, qu'un syndicat par exemple14. Reagan était d'une candeur bienfaisante, mais il se trompait complètement. En deuxième lieu, la politique peut donner les yeux plus gros que le ventre. Les responsables chrétiens qui sont courtisés par les milieux de la politique ont rapidement tendance à surestimer leur propre importance. Le responsable d'une importante organisation internationale d'aide humanitaire s'est persuadé à tort que les chefs d'Etat l'appréciaient pour ce qu'il était lui-même et non pour ce qu'il représentait. Très vite, il connut dans son travail et sa vie privée une chute qui n'eut d'égale que l'illusion du pouvoir dans laquelle il s'était fourvoyé. Il quitta sa famille, puis fut destitué de son poste, après avoir largement desservi la cause à laquelle il avait consacré une grande partie de sa vie. L'un des effets pervers de cette illusion réside dans le fait que certains responsables religieux ont préféré renoncer à leur indépendance, plutôt qu'à leur influence politique. Leur raisonnement est le suivant: “Si je désapprouve ouvertement telle ou telle mesure, je ne serai pas invité aux dîners et les possibilités de rendre témoignage me seront fermées.” Ce raisonnement, quoique compréhensible, conduit exactement au résultat inverse; s'ils conservent leur place, ils n'ont plus voix au chapitre et ne sont donc plus en mesure de demander des comptes au gouvernement.

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