La victoire de Charlie (MB3337)

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Charlie & Lucy Wedemeyer

La victoire de Charlie Autobiographie


Edition originale en anglais: Charlie’s Victory © 1993 by Charlie and Lucy Wedemeyer Zondervan Publishing House Grands Rapids, Michigan 49530

Les textes bibliques sont tirés de la Bible Segond revue, Nouvelle Edition de Genève, 1979

Edition 1999 © La Maison de la Bible, CH-1028 Préverenges Edition 201 © La Maison de la Bible, CH-1032 Romanel-sur-Lausanne www.maisonbible.net

ISBN édition imprimée 978-2-8260-3341-7 ISBN format epub 978-2-8260-0091-4 ISBN format pdf 978-2-8260-9821-8


Table des matières

Avant-propos . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9 Première partie : Changement de tactique 1. Rencontre avec l’entraîneur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 17 2. Le diagnostic . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 27 Deuxième partie : Rêves et romance 3. L’histoire commence au paradis . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 41 4. Faits l’un pour l’autre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 49 5. Ensemble dans la ligue des “ Big Ten ” . . . . . . . . . . . . . . . 59 Troisième partie : Aux prises avec la maladie 6. La vérité fait son chemin . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 69 7. A la recherche d’un traitement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 77 8. Bosses, bleus et embarras . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 87 9. La perte de l’indépendance . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 95 10. La révélation au public . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 105 11. Vivre avec des limites . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 113


8 Quatrième partie : Rester en vie 12. Le besoin d’aide . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 125 13. L’aide acceptée . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 135 14. La bataille pour respirer . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 149 15. Il faut être deux pour se battre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 159 Cinquième partie : La quête du championnat 16. Une défaite amère . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 175 17. Une victoire qui ne fait pas de bruit . . . . . . . . . . . . . . . 189 18. Une aide inattendue . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 201 19. “N.T.B.R.” . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 211 20. Entraîneur depuis la réanimation . . . . . . . . . . . . . . . . . 223 21.Vivre sous assistance respiratoire . . . . . . . . . . . . . . . . . 233 22. Une dernière saison . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 245 Sixième partie : La vie continue 23. Mis sur la touche . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 261 24. Un tout nouveau défi . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 275 25. Donner de l’espoir . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 283 26. Trouver de nouvelles forces . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 291 27. Demain . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 299 Chronologie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 305 Epilogue . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 309 Appendice A ceux qui sont confrontés à une maladie incurable . . . . 321


Première partie

Changement de tactique


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Chapitre 1

Rencontre avec l’entraîneur

CHARLIE Si vous vous trouviez en face de moi pour la première fois, certaines choses évidentes me concernant vous sauteraient immédiatement aux yeux. Je ne peux pas marcher ; je suis confiné à une chaise roulante. Je ne peux pas parler à haute voix ; quand je veux communiquer avec d’autres, c’est ma femme qui doit lire sur mes lèvres. Je ne peux même pas respirer par moi-même ; le système portable qui me maintient en vie m’accompagne où que j’aille, vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Je me suis habitué à la réaction que provoque mon apparition en public. La plupart des adultes essaient de m’examiner discrètement quand ils voient un homme immobile avec des tuyaux reliant son corps à une machine alimentée par batteries sous sa chaise roulante. Ce sont habituellement les jeunes enfants dont la curiosité n’est pas encore trop inhibée qui s’approchent de la personne qui pousse ma chaise roulante et lui demandent : “De quoi souffre-t-il ?” Ce qui cloche, c’est une maladie progressive qui finalement détruit la capacité du corps à contrôler tous les muscles volontaires. C’est une maladie incurable. Personne


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n’en connaît la cause ni le traitement. Quand mes médecins se sont aperçus que j’avais la SLA, il y a plus de seize ans, ils m’ont dit qu’il me restait peut-être une année à vivre. S’ils se sont trompés dans le timing, ils ne se sont pas trompés dans le diagnostic de la maladie qui dévaste mon corps peu à peu. J’hésite toujours à dire aux gens que j’ai la SLA parce que je voudrais que les autres voient au-delà de ma maladie. Le fait évident que je sois prisonnier d’un corps qui ne fonctionne plus comme autrefois, ou que je souffre d’une maladie qui peut causer ma mort à tout moment ne change pas mon identité fondamentale. Je suis toujours Charlie Wedemeyer – un mari, un père, un entraîneur de football. Ainsi, d’un côté j’ai envie que les gens comprennent que la SLA n’a rien à voir avec la vraie personne que je suis, que j’ai été et que je serai toujours. Et pourtant, d’un autre côté, je suis forcé d’admettre que cette maladie a quelque chose à voir avec qui je suis, car c’est elle qui détermine la manière dont je vis. Elle me dicte ce que je dois faire et tout ce que je ne peux pas faire. Il y a plus de dix-sept ans que je n’ai plus pu serrer ma femme Lucy contre moi ou même caresser sa joue et passer mes doigts dans ses cheveux. Cela fait plus longtemps encore que je n’ai pu faire une promenade le dimanche après-midi, tenant la main de ma fille Carri, ou sortir dans le jardin après le repas pour jouer à la balle avec mon fils Kale. J’ai regardé avec fierté mes enfants grandir et devenir des adultes, sans même être capable d’applaudir à un seul des solos chantés par Carri, sans pouvoir me lever afin de donner libre cours à mon enthousiasme pour un seul des magnifiques essais marqués par Kale. Je n’ai plus avalé une seule bouchée de nourriture depuis huit ans. Je “mange” à travers un tuyau en caoutchouc qui arrive directement dans mon estomac par un petit trou dans mon abdomen. J’ai demandé à mes médecins un modèle à grand orifice pour que nous puissions y glisser un hamburger ou mieux encore, une assiette hawaïenne de poulet teriyaki, de riz et de friture. Mais, tant qu’ils ne me prendront pas au sérieux, il faut que je m’en sorte avec un régime de liquide beigeâtre nommé Ensure (une solution


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riche en protéines utilisée pour les malades qui ont une sonde dans l’estomac), des jus, des fruits réduits en purée et une horrible mixture verte d’herbes chinoises et de vitamines dissoutes dans de l’eau. J’ai besoin d’une infirmière vingt-quatre heures sur vingt-quatre et cela depuis qu’on m’a mis sous respiration assistée en 1985 (plus de quatre mois avant ce soir mémorable du dernier match de championnat de Californie Centrale). Parce que je n’arrive plus à avaler, quelqu’un doit aspirer la salive de ma bouche toutes les quelques minutes pour qu’elle ne provoque pas un étouffement. Ma trachée a besoin d’être aspirée régulièrement pour éviter une congestion pulmonaire et empêcher que je me noie dans les sécrétions de mon propre corps. Je ne peux pas aller à la salle de bains sans aide. Je ne peux pas me gratter le nez quand il me démange. Je ne peux même pas me tourner pour admirer un oiseau-mouche voletant derrière la fenêtre de ma chambre sans que quelqu’un oriente ma chaise roulante différemment, lève mon lit ou tourne ma tête. Comme je suis un homme qui a toujours été fier de son indépendance, il m'a été dur d’accepter de dépendre si totalement des autres. Comme j’ai toujours été perfectionniste, cela a été souvent frustrant de ne pas avoir les choses faites conformément à mes désirs. Rien que de se préparer à quitter la maison nécessite une routine minimum de deux ou trois heures, routine qui a demandé des années d’entraînement avant qu’elle ne soit au point. Après avoir essayé toutes sortes de méthodes, nous avons trouvé que la meilleure façon de me faire un shampooing quand je suis au lit est de glisser une grande tôle à gâteau doublée d’un sac poubelle sous ma tête. On utilise une cruche d’eau pour me mouiller les cheveux, puis on ajoute le shampooing, on fait mousser avant qu’une dernière cruche d’eau ne soit versée sur ma tête pour la rincer. Alors, on enlève soigneusement le moule à gâteau doublé du sac poubelle et on le vide dans l’évier. Le brossage des dents n’est qu’un peu plus facile. Parce que je ne peux utiliser que partiellement (et douloureusement) les muscles de ma mâchoire, l’infirmière ouvre


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ma bouche de force et commence à brosser vigoureusement, aspirant le dentifrice quand ma bouche est pleine de mousse, puis aspirant de nouveau pour faire sortir l’eau de rinçage à la fin. Utiliser un fil dentaire peut devenir une vraie bataille. Il faut du temps pour apprendre à une nouvelle infirmière comment me raser d’aussi près que je le désire. (Certaines étaient si lentes que j'imaginais ma barbe en train de repousser d’un côté du visage avant qu'elles aient fini l’autre.) Puis il y a la toilette au lavabo qui prend tellement de temps et qui n’est pourtant jamais une vraie partie de plaisir. Il est déjà assez difficile en soi d’habiller une poupée de chiffon de soixante-dix kilos. Mais manipuler chemises et pantalons pour les enfiler en évitant d’abîmer les tuyaux de la trachée et de l’estomac augmente la difficulté. Parce que la contraction musculaire enroule mes orteils vers l’avant, on scotche un morceau de bâtonnet de sucette à la base de chaque orteil pour le maintenir assez droit pour pouvoir m’enfiler des chaussettes et glisser mes pieds dans mes chaussures. Une fois tout cela accompli, il faut encore sortir du lit. Pour me transporter dans ma chaise roulante, il faut au moins deux personnes expérimentées. Elles doivent me soulever en position assise, balancer mes jambes sur le côté du lit, me hisser à la verticale en position debout (je peux encore volontairement raidir mes jambes pendant quelques secondes), me faire pivoter sur mes pieds et me faire descendre doucement dans ma chaise roulante. Parce que les muscles de ma tête ne supportent plus aucun poids, ma tête doit être tenue pendant toute cette procédure pour l’empêcher de tomber brutalement et de léser ma nuque. Cette manœuvre complexe doit être faite sans heurts et rapidement parce que la seule façon de l’exécuter est de débrancher temporairement le respirateur. Et, comme je le fais régulièrement remarquer à ma femme, lorsque quelque chose ralentit la manœuvre et que je ne reçois pas tout l’oxygène dont j’ai besoin : “Le bleu ne me va pas bien”. La ceinture de sécurité de ma chaise roulante doit être ajustée très serré autour de ma taille pour qu'en cas de toux


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ou d'aspiration des sécrétions dans la trachée, mon corps tout entier ne glisse pas hors de la chaise sur le sol. Et si l’on me pousse par-dessus un seuil de porte ou une bosse sur le trottoir, quelqu’un doit tenir ma tête pour qu’elle ne tombe pas en avant. Quand je me rends n’importe où dans mon véhicule spécialement équipé, ma chaise est fixée étroitement au sol et ma tête est maintenue fermement en place par une ceinture matelassée nouée autour de mon front, dans le style Rambo, me faisant ressembler à la vedette d’un film de kung fu très étrange. Quelqu’un doit se trouver tout à côté de moi pendant que nous roulons pour aider à me maintenir dans les virages et pour surveiller l’équipement médical qui me relie à ma chaise. Prendre l’avion sur une ligne commerciale est une aventure plus grande encore. Les avions ne sont pas conçus pour les chaises roulantes. On doit donc me transférer dans un étroit siège sur roulettes, puis me basculer et me faire rouler rapidement dans la cabine comme on le ferait pour n'importe quel objet, me soulever pour me mettre dans un siège standard d’avion et me connecter à nouveau à mes appareils de survie. Le temps que tout cela soit fait et que notre entourage ait empilé une montagne d’équipement médical de survie et de rechange sous les sièges et dans les compartiments au-dessus de nos têtes, les autres passagers ont probablement bénéficié de plus de distractions (comédie et tragédie) que pouvaient leur offrir la plupart des films montrés durant le vol. Lucy a baptisé cette opération : “Mes Voyages avec Charlie”, et c’est une super production. Il faut également une production soigneusement orchestrée quand on me demande de “parler” à des conventions, des organisations civiques, des écoles ou des églises. On me roule sur la scène et on me place entre Lucy et Linda Peevyhouse, mon infirmière pour les soins de base; elles se passent le relais pour partager ce que nous avions décidé à l’avance de dire et lire sur mes lèvres pour raconter à l’auditoire mes plaisanteries et mes histoires improvisées. Quand je suis à la maison, mes occupations changent constamment – les nouvelles à la télé, parfois un film au magnétoscope, de la lecture, les préparatifs pour un “dis-


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cours” qu’on m’a demandé de faire, les réponses au courrier ou l’accueil des amis qui sont si nombreux à nous rendre visite que nous avons envisagé d’installer un tourniquet à l’entrée de notre maison. Pendant la saison de football, parce que je joue encore le rôle d’assistant entraîneur pour l’équipe junior de Los Gatos, je vais aux entraînements tous les jours, passe de nombreuses heures à visionner et revisionner des films de matches où jouent nos futurs adversaires pour détecter leurs faiblesses et mettre au point notre stratégie offensive. Mais même pendant mes journées les moins chargées, ce sont les mains d’autres personnes qui appuient sur les boutons de la télécommande, tournent les pages, ouvrent la porte d’entrée, servent des rafraîchissements et prennent des notes. Il n’y a jamais une heure, encore moins un jour, où je ne dépende pas de quelqu’un d’autre pour faire une douzaine de choses que je désirerais pouvoir faire moimême. Malgré toutes les aides et les infirmières que nous employons, il y a des jours où je sens que je suis un terrible fardeau pour ma famille. Spécialement pour ma femme. Je trouve alors du réconfort dans une parole que Lucy a prononcée au cours de ces premiers jours remplis de peur et d’incertitude qui ont suivi le diagnostic. Elle m’a dit : “Ce n’est pas ta maladie, Charlie. C’est notre maladie. Quoi qu’il arrive, nous y ferons face ensemble.” C’était beaucoup plus facile à dire qu’à faire. C'est pourtant dans cette attitude que Lucy vit depuis plus de vingt-et-un ans maintenant. Sans cet état d’esprit, sans son dévouement plein d’amour et son soutien, je ne serais pas en vie aujourd’hui. C’est pourquoi ce livre est tout autant le livre de Lucy que le mien.

LUCY Il est vrai que Charlie et moi avons dû nous adapter à beaucoup de situations nouvelles pendant les vingt dernières années. Mais nous essayons de passer plus de temps à apprécier ce que nous avons qu’à nous lamenter sur ce


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que nous avons perdu ; nous essayons de dépenser plus d’énergie à utiliser les occasions qui se présentent à nous qu'à nous inquiéter des portes fermées et de ce que nous ne pouvons pas faire. Nous y arrivons la plupart du temps. Mais je ne vais pas prétendre que ce soit facile. Cela me fait mal de penser qu’il y a plus de dix-sept ans que mon mari si beau, si fort, n’a plus pu m’entourer de ses bras ni me serrer contre lui. J’ai pourtant encore besoin de sa force, de son toucher, de son affection physique. Il y a plus de huit ans que je n’ai plus entendu le son de sa voix et cela me manque terriblement de ne plus savoir, rien qu’à son inflexion, quand il est heureux ou triste, quand il est ému ou en colère. Nous avons dû apprendre d’autres façons d’aller l’un vers l’autre et de nous toucher – non seulement sur le plan physique mais aussi sur les plans émotionnel et spirituel. Pourtant je pense que nous communiquons mieux et que nous nous comprenons mieux que jamais. Bien que j’aie appris à lire sur les lèvres de Charlie, je découvre que je n’ai même pas besoin de le faire. Ses yeux me disent presque toujours exactement ce qu’il ressent et ses sourcils ponctuent ces sentiments en montant ou en descendant ou en creusant des rides dans son front. Et si vous ne croyez pas que celui qui traverse des circonstances difficiles puisse trouver le bonheur et le contentement, si vous doutez du fait que la joie soit contagieuse, alors, c’est sûr, vous n’avez jamais vu Charlie sourire. Bien sûr, j’ai pleuré en voyant la frustration de Charlie perdant peu à peu son indépendance. J’ai pleuré devant le contraste de l’homme que j’aime, prisonnier d’un corps qui le trahit, et le jeune athlète que j’ai épousé, capable d'éviter si adroitement les tacles et l'un des meilleurs athlètes universitaires du pays. Nous avons subi de sombres orages et traversé plusieurs vallées profondes dans notre voyage à deux. Souvent, j’étais sûre que Charlie ne s’en sortirait pas, et plus d’une fois il m'a semblé ne plus pouvoir continuer moi-même. J’ai imploré Dieu de nous accorder juste encore une saison de football, juste un anniversaire.


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Je ne peux compter les fois où j’aurais tout donné en échange d’un seul jour normal dans nos vies. Juste vingtquatre heures sans ce continuel sentiment d’urgence et de responsabilité. Un seul matin où je n’aurais pas besoin de me lever pour vérifier l’emploi du temps des infirmières et être sûre que quelqu’un veillera sur Charlie à chaque heure du jour. Un après-midi libre pour faire un tour ensemble dans les magasins, sans chaise roulante, respirateur, batteries récemment rechargées, machine à aspirer portable et grand sac à dos de médicaments et de matériel de rechange en cas d’urgence. Un dîner romantique à deux ou un soir d’intimité à la maison, seule avec mon mari. Ou tout simplement une seule nuit de sommeil ininterrompue. Au lieu de cela, nous sommes poussés par le devoir. Nous nous adaptons et nous acceptons les contraintes d’une vie avec la SLA. Le flot constant d’infirmières à mitemps qui entrent et sortent de notre vie, jouant un rôle si crucial dans notre survie quotidienne. Le chaos habituel d’une maison où peu de choses peuvent se faire sans avoir été soigneusement planifiées à l’avance, où les projets sont sans cesse modifiés, où tout prend toujours plus de temps que prévu, où même des activités toutes simples peuvent soudain représenter une menace de mort. Et ces bruits continuels de la vie de Charlie – le gargouillement fort et fréquent de la machine à aspirer et le ronronnement plus doux mais constant du respirateur – un rappel rythmé que la mort n’est jamais qu’à une respiration près, un commentaire permanent du prix de la vie. Nous en sommes venus à accepter le fait que nos vies sont maintenant marquées par des circonstances très différentes de celles qu’elles étaient par le passé, très différentes de celles de la plupart des autres gens. En apparence, vous pourriez penser que la vie pour Charlie et Lucy Wedemeyer doit être désormais gouvernée par une série de principes très différents. Et pourtant, ces principes ne sont pas si différents après tout. Car nous en sommes arrivés à la conclusion que les leçons apprises au sujet de la vie et la mort, de l’amour et du mariage ne s’appliquent certainement pas uniquement à notre cas. C’est pourquoi nous ne racontons pas notre histoire


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pour attirer la sympathie. Nous avons écrit ce livre pour une toute autre raison. Nous aimerions vous faire savoir comment nous en sommes arrivés là où nous sommes aujourd’hui. Mais il nous faut d’abord faire un retour en arrière – un retour à cette époque si lointaine où tout était différent. Quand la vie était normale.


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Chapitre 2

Le diagnostic

Les contractions musculaires semblèrent d’abord si peu importantes que Charlie ne pensa même pas à en parler à Lucy. Plus tard seulement, en regardant en arrière, il comprit que les premiers symptômes d’un mal apparurent probablement au cours de l’automne 1976.

CHARLIE Je ne souviens avoir été debout devant le tableau noir de ma salle de classe au lycée de Los Gatos. J’avais pris un morceau de craie et j’écrivais l'énoncé d'un problème au tableau pour mon cours de maths quand j’ai remarqué que je devais tenir la craie un peu plus serrée que d’habitude pour écrire. Cette petite faiblesse réapparut les jours et les semaines suivants, mais je ne me fis pas de souci. A partir du moment où je dus saisir la craie avec trois doigts et le pouce, je constatai une progression et un changement notables. A ce moment-là, en y réfléchissant, je me disais que c'était peut-être un début d’arthrite ou de quelque chose de ce genre. A trente ans, j’étais tout de même un peu jeune pour de l’arthrite, mais mon corps avait été si malmené sur


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le terrain de sport depuis tant d’années – depuis que j’avais commencé à jouer au football chez les poussins, puis au lycée et à l’université jusqu’à ce que j’arrête de jouer pour la compétition après trois années de football semi-professionnel. Je pensais que n’importe laquelle de mes nombreuses anciennes blessures pouvait en être la cause. Et, quelle que soit l’explication, cette faiblesse n’était qu’une petite source d’irritation. Pendant ces premiers mois, je l’ai inconsciemment compensée. Je faisais souvent un peu de basket au gymnase entre midi et deux heures, avec d’autres entraîneurs assistants et des professeurs. Au début de 1977, comme mes tirs en extension étaient de plus en plus courts, j’ai constaté que je perdais des forces dans mon bras droit. Je ne mis pas longtemps à faire le lien entre ce nouvel handicap et le fait de devoir utiliser tous mes doigts pour tenir une craie. Je parlai donc de ce souci à Lucy pour la première fois.

LUCY Je me rappelle qu’un soir, Charlie, assis sur le bord du lit en train de fléchir son poignet, m’a dit : “Je crois que j’ai une petite bursite ou un peu d’arthrose ou quelque chose de semblable dans mon bras droit.” Puis il m’a expliqué avoir remarqué une faiblesse en jouant au basket-ball, et avoir eu du mal à écrire au tableau. Mais la conversation était si banale, et Charlie en parlait de façon si détachée que tout cela me parut de peu d’importance ; je ne me suis donc pas inquiétée outre mesure. Sa théorie que cela devait avoir un lien avec une ancienne blessure de football me semblait sensée. Depuis que Charlie et moi avions commencé à nous fréquenter au lycée, il avait eu d’innombrables contusions, entorses, foulures et fractures. Il s’était blessé la nuque et aussi le dos en jouant au football au lycée et à l’université. Et les conséquences d’anciennes blessures aux genoux avaient fait dire à un orthopédiste que Charlie avait les genoux d’un homme de soixante-dix ans. Il n’était donc pas étonnant qu’il ait une petite bursite ou un peu d’arthrose. Mais Charlie était,


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comme d'habitude, en grande forme. Il avait toujours été très fier de sa résistance physique et mentale ; je l’avais vu jouer des matches de football tout en ayant des fractures. Il ne s’inquiétait donc pas d’une petite faiblesse inexpliquée, et moi non plus. Nous aurions peut-être fait plus attention au problème de Charlie si nos existences déjà si trépidantes n’étaient arrivées à un moment de nouvelles décisions ce printempslà. En plus de son travail à plein temps de professeur de mathématiques au lycée, Charlie était entraîneur assistant de football et entraîneur principal de basket-ball au lycée de Los Gatos, tout en essayant de se lancer dans l'immobilier pendant l’été. Je dirigeais mon entreprise de plantes à mitemps ; j'enseignais l’horticulture à des adultes, je faisais de la décoration intérieure de maisons et de bureaux, et je recevais des clients pour les aider à soigner leurs plantes. Moi aussi, j’avais depuis peu commencé à travailler pour obtenir la licence d’agent immobilier. En plus de nos responsabilités liées à notre travail, Charlie et moi consacrions le plus de temps possible à nos deux jeunes enfants : Carri, neuf ans, et Kale, six ans. Ce qui compliquait nos vies encore plus ce printemps, était une importante décision à prendre. L’entraîneur principal de football de Los Gatos prenait sa retraite. Plusieurs personnes encourageaient Charlie à présenter sa candidature pour le poste. Les Wedemeyer discutèrent longuement des implications nouvelles de ce travail et Lucy donna l’assurance à son mari qu’elle le soutiendrait, quelle que soit sa décision. Tout d’abord, Charlie n’avait pas envisagé cette place sérieusement, de peur que la responsabilité administrative supplémentaire ne lui prenne du temps sur ce qu’il préférait en tant qu’entraîneur – travailler un à un avec chacun des jeunes. Mais trois facteurs principaux commencèrent à modifier sa réflexion : premièrement, le nombre important de personnes (collègues entraîneurs, parents, joueurs, professeurs) qui l’encourageaient à poser sa candidature ; deuxièmement, la conviction qu'il vaudrait mieux pour le programme et tous ceux qui en faisaient partie que le nouvel entraîneur fasse


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déjà partie du personnel de Los Gatos ; et, troisièmement, l’intérêt que représentait pour lui le défi de diriger un programme de football. Charlie posa sa candidature. Quand il obtint le poste, il passa chaque minute de libre pendant les quelques mois qui suivirent à mettre au point la nouvelle attaque complexe qu’il voulait que les Wildcats de Los Gatos adoptent la saison prochaine.

CHARLIE J’ai été moi-même surpris de voir à quel point j’aimais mon nouveau rôle. Comme tout entraîneur principal pendant sa première année, j’avais beaucoup à apprendre. Mais après toutes ces années où j’avais été joueur moi-même et mes trois années d'entraîneur assistant à Los Gatos, il y avait certains aspects de ma philosophie d’entraînement que je décidai de mettre à exécution immédiatement et de ne jamais changer. Quand je jouais au football au lycée, un de mes amis essaya d’entrer dans l’équipe, mais on le refusa, ce qui l’accabla profondément. Je décidai alors que si un jour je devenais entraîneur pour le lycée, je ne refuserais jamais un candidat qui me prouverait son désir de travailler et d'apprendre. J'essaierais d’aider chaque garçon, doué ou non, à atteindre son potentiel maximum. La nouvelle règle la plus importante que je mis en œuvre cette première année fut : “Pas de jurons.” J’avais entendu tant de blasphèmes sur les terrains de football au fil des années que je décidai de ne plus l'admettre dans mon équipe. Je voulais que les Wildcats de Los Gatos soient connus et respectés par nos adversaires et par les officiels pour leur esprit sportif. Je voulais inculquer un sens de la discipline et du respect de soi durable, j’ai donc dit à l’équipe qu’il n’y aurait pas de jurons - ni pendant les matches, ni aux entraînements, ni dans les vestiaires, ni dans le bus ou à l’école. Chaque joueur que j’entendrais jurer devrait courir deux kilomètres.


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Le diagnostic

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Ce fut étonnant de voir à quelle vitesse ces garçons utilisèrent un langage correct. Mon plan d’attaque complexe prit plus longtemps à se mettre en place. Mais les joueurs se révélèrent si intelligents et si désireux d’apprendre qu’ils saisirent les bases de notre système compliqué bien plus rapidement qu’on aurait pu s’y attendre. Il nous fallait être plus intelligents parce que nous n’avions pas beaucoup de masse musculaire. Le poids moyen de notre ligne d’attaquants n’était que de quatrevingt-quatre kilos cette année-là. Voilà pourquoi mes discours se concentraient sur le double thème : “fierté et courage”. Je répétais à mon équipe que pour nous, la seule façon de gagner était de croire en nous-mêmes et de compenser notre manque de force physique par des cœurs généreux. Et ils le firent ! Tout ce que les entraîneurs avaient demandé – et plus. Les Wildcats de Los Gatos de 1977 gagnèrent le championnat, remportant tous les matches et terminant avec un record impressionnant de 8 victoires et 2 défaites. Je n’aurais pas pu être plus heureux pour cette bande de garçons et pour ma nouvelle équipe.

LUCY Au cours de sa première saison, couronnée de succès, en tant qu’entraîneur principal, Charlie avait à endosser de nombreuses responsabilités nouvelles. Pourtant, il demeura exactement le même être, le même mari dévoué, le même père attentif qu’il avait toujours été. Et j’en fus impressionnée. Il y avait pourtant une ombre au tableau. Ce n’était pas une ombre particulièrement grande ou sombre en comparaison d’une saison de football si réussie. Mais elle était là. L'état de la main de Charlie ne faisait qu’empirer. Parfois, il rapportait ses interrogations écrites à la maison pour que je l’aide à les corriger parce qu‘il avait du mal à tenir son stylo. De temps en temps, je remarquais qu’il laissait tomber des objets qu’il avait essayé de ramasser. Bien


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que je ne me souvienne pas avoir été spécialement préoccupée par ce problème, j’en étais beaucoup plus consciente. Nous l’étions tous les deux. Un jour, pendant la saison de football, Charlie mentionna la faiblesse de sa main à notre ami le docteur Frank Griffin, un orthopédiste local et médecin de l’équipe, dont le fils aîné jouait avec les Wildcats. Charlie parla au docteur de sa théorie d’une ancienne blessure de football, mais le docteur Griffin recommanda de faire des tests au plus vite pour essayer de trouver la cause du mal. Charlie se rendit donc à l’hôpital pour une série de tests, comprenant un myélogramme horriblement douloureux où une aiguille était introduite dans sa moelle épinière, avec injection de colorant pour voir si l’on pouvait détecter une anomalie. Les seuls résultats immédiats furent une migraine carabinée pour Charlie et un voyage de retour de l’hôpital atrocement douloureux, Charlie étendu, le visage vers le bas, gémissant comme un mourant à l’arrière de notre monospace. Pourtant, aucune douleur, si forte soit-elle, ne pouvait empêcher Charlie de penser à entraîner son équipe. Notre itinéraire pour regagner la maison nous faisait passer à côté d’un lycée rival, où se déroulait un match de football. Je n’allais pas parler du match à Charlie. Mais mon mari souffrant entendit les sons de l’orchestre et voulut savoir où nous nous trouvions. Je lui dis : – A Camden High School. – Que se passe-t-il ? Peux-tu voir le tableau de score ? – Désolée. C’est un peu difficile de conduire et de faire le reporter sportif en même temps. – Arrêtons-nous. Je veux observer le match et voir comment jouent nos adversaires. – Je ne pense pas que ce soit raisonnable. Tu n’es pas en état… En regardant dans le rétroviseur, je le vis lever sa tête pour protester. Mais avant qu’il ne puisse prononcer un mot, il s’abattit avec un cri plaintif. Heureusement, il comprit qu’il ne pourrait pas faire un rapport très utile de ses observations s’il s’évanouissait de douleur à chaque mouvement de sa tête.


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Quelques jours plus tard, le docteur Griffin nous informa que les tests n’avaient pas permis de tirer une conclusion. Il ajouta toutefois avoir parlé à un de ses amis au Centre Médical de l’université de Stanford et il souhaitait que Charlie s’y rende pour une autre série d'examens. A l’exception des migraines qui ne duraient pas, les tests médicaux ne semblaient être qu’une distraction mineure, qui nous dérangeait en pleine saison de football plutôt qu'une source d'inquiétude à laquelle nous accordions beaucoup d’importance. Nous n’avions pas délibérément essayé de garder secrets ces examens, mais très peu de gens étaient au courant. Charlie le dit à ses entraîneurs assistants, bien sûr, mais ils n’avaient aucune raison de s’inquiéter plus que nous. Je me souviens qu'Eric Van Patten, l’un des entraîneurs assistants, taquinait Charlie et lui dit, “Ne t’en fais pas. Même si nous devons te transporter sur une civière, tu seras sur le bord du terrain pour conseiller l’équipe.” Tout le monde se mit à rire, n’imaginant à aucun moment combien ces mots se révéleraient prophétiques un jour. Une semaine après les tests à Stanford, le docteur Griffin fit un compte-rendu aux Wedemeyer, disant qu’aucun des examens n’avait révélé de lésions qui pourraient provoquer les symptômes de Charlie. Bien qu’ils fussent tous deux un peu déçus de ne pas avoir d’explication, Charlie et Lucy considérèrent le résultat négatif comme une confirmation qu’ils n’avaient pas à s’inquiéter. Après tout, ils étaient pris par l’excitation de cette première saison de football avec Charlie comme entraîneur principal. Plus tard seulement, en y réfléchissant, ils se rendirent compte qu’il y avait beaucoup de choses que le docteur Griffin n’avait pas dites. Ils ne s'imaginaient pas que les tests avaient exclus tellement de possibilités, que les médecins étaient presque certains du diagnostic. Ils ne se doutaient pas du tout que leur ami Frank Griffin ne savait tout simplement pas comment leur annoncer à quelle conclusion il était arrivé. Ils auraient pu soupçonner quelque chose quand, pour la fête de Thanksgiving, le docteur Griffin leur offrit quatre billets d’avion pour Hawaii. Il leur dit qu’il voulait que Charlie, Lucy


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et leurs enfants puissent retourner à la maison et revoir leurs familles pendant les vacances de Noël. Les Wedemeyer trouvèrent instinctivement cette offre trop généreuse et la refusèrent. Mais il insista, prétextant que le modeste salaire qu’il recevait en tant que médecin de l’équipe couvrait largement le prix des billets. Finalement, Charlie et Lucy acceptèrent avec gratitude et jouirent de magnifiques fêtes de Noël avec leur parenté dans les îles. Mais un doute agaçant persistait quant aux raisons qu’avait eues le docteur Griffin d’insister si lourdement pour qu’ils entreprennent ce voyage.

CHARLIE Un soir, début février 1978, Lucy et moi avions mis les enfants tôt au lit et nous étions assis bien confortablement sur le canapé, regardant un film sur Lou Gehring, la grande vedette de base-ball. Au cours d’une des scènes filmées au restaurant, la caméra fit un zoom sur sa main pour montrer comme il avait du mal à tenir sa fourchette. Puis, il étendit la main pour prendre la sauce de steak, mais la bouteille lui glissa des mains et se renversa sur la table. A cet instant, Lucy me regarda. Je la regardai. Mon cœur se mit à battre à toute vitesse dans ma poitrine et un million de pensées assaillirent mon esprit en même temps. C’est à cet instant, je crois, que nous avons tous les deux compris. Cette scène avec la fourchette et la sauce à steak qui tombait ne nous était que trop familière. Cela aurait pu être moi.

LUCY Le lendemain matin, une fois Charlie parti à l’école, je me rendis à la bibliothèque municipale pour m'informer sur la sclérose latérale amyotrophique. Je ne trouvai pas grand chose à ce sujet, et ce que je découvris ne décrivait pas vraiment la maladie et ne disait pas qu’elle était mortelle. En rentrant de la bibliothèque, je téléphonai au docteur Griffin.


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Le diagnostic

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– Tu ne me croiras pas, Frank. Quelque chose de très étonnant s’est passé hier soir. Charlie et moi avons regardé un film à propos de Lou Gehrig. – Oh ? – Oui. Lou Gehrig avait exactement certains des mêmes symptômes que Charlie. – C’est vrai, répondit le docteur Griffin. Il y avait une hésitation, quelque chose d’incertain dans sa voix. Je me demandai s’il repoussait l’idée ou s’il y avait quelque chose de plus. – Bon, c’est bien de m’avoir appelé. J’avais l’intention de parler à Charlie. Nous étions peut-être sur une piste. – Frank, si tu as quelque chose de grave à dire à Charlie, je veux être présente. – Oh, ne t’inquiète pas. Plus tard en repensant à ses paroles, j’étais en colère. Peut-être nous estimait-il incapables d'affronter la nouvelle. Cela a été dur de pardonner au médecin ce qui s’est passé cet après-midi-là, à cause de la blessure que j’ai ressentie de ne pas être avec Charlie quand il a entendu le diagnostic pour la première fois.

CHARLIE Je ne savais pas que Lucy avait déjà parlé au médecin quand on m’a transmis le message de Frank me demandant de passer à son cabinet en rentrant de l’école cet après-midi-là. Je ne savais pas de quoi il voulait me parler au juste mais le trajet de cinq minutes entre le lycée de Los Gatos et le cabinet du médecin me laissa assez de temps pour conclure que ce devait être de mauvaises nouvelles. La secrétaire me dirigea directement vers le bureau de Frank, et il m’y rejoignit presque aussitôt. Pendant quelques minutes nous discutâmes plaisamment de la superbe saison de football que nous avions eue et des perspectives pour l’équipe de l’année prochaine. Mais il me semblait mal à l’aise pendant que nous bavardions et son malaise ne fit qu’ajouter au mien. Je savais maintenant que les nouvelles ne seraient pas bonnes.


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Il me parla du coup de fil de Lucy, l'informant que nous avions regardé le film de Lou Gehrig. Puis il ajouta que, les tests ayant permis d’éliminer presque toute autre cause possible, j’avais, selon lui, la SLA, la maladie de Lou Gehrig. – Est-ce grave ? J’écoutais attentivement le docteur Griffin m’expliquer que la SLA est un dysfonctionnement dégénératif des nerfs pour lequel il n’existait pas de traitement connu. – Cela signifie que je vais aller de mal en pis ? Le médecin soupira et fit oui de la tête. Il avait travaillé un temps dans une clinique spécialisée en SLA et me dit, en se basant sur son expérience avec les patients atteints de cette maladie, que je n’avais sans doute plus qu’un an environ à vivre. J’entendis ces paroles mais je ne pouvais pas les croire parce qu’elles ne voulaient rien dire pour moi. Je ne me sens pas malade. Je ne suis certainement pas assez malade pour en mourir. Cela ne peut pas être vrai. Frank continua à me parler pendant un moment, mais je n’ai aucune idée de ce qu’il me dit ensuite. Je me souviens seulement d’un désir irrésistible de sortir de son cabinet. Mais sur le chemin de retour, une pensée me traversa l'esprit. Et s’il avait raison ? En essayant de me représenter l’avenir, je me rendis compte que pour le médecin, je n’avais aucun avenir. Si c’est vrai, je ne verrai pas même grandir mes enfants ! En pensant à Carri, Kale et Lucy, les larmes commencèrent à couler sur mon visage. Soudain, je fus envahi par une profonde vague d'émotion. Je traversai un carrefour au feu rouge avant de mesurer que je devais m’arrêter, sécher mes yeux brouillés par les larmes, et reprendre mon sang-froid. Je ne sais comment je parvins à rentrer. Je me souviens être sorti de la voiture et avoir marché lentement vers la porte d’entrée me demandant : Comment vais-je annoncer cela à Lucy ? Je ne sais toujours pas ce que j’ai dit. Je me rappelle juste que nous étions dans notre chambre à coucher, je l’ai serrée dans mes bras et nous nous sommes tous deux mis à pleurer.


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LUCY Charlie et moi ne nous souvenons que d’une façon confuse de certains détails de ce jour-là. Je pense que nous ne le comprenions pas à ce moment, mais nous nous trouvions dans des états contradictoires de choc et de refus. D’un côté, nous mesurions la gravité terrible de ce que le docteur avait dit, et de l’autre, nous ne le croyions pas vraiment, parce que Charlie n’avait pas l’air malade. Je me souviens que nous nous serrions beaucoup dans les bras l’un de l’autre. Mais je ne crois pas que nous ayons beaucoup parlé ; les mots ne servaient à rien. Nous nous cramponnions simplement l’un à l’autre, cherchant un réconfort physique face à ce cyclone émotionnel imprévu. Je ne fus pas contente du tout quand Charlie décida de ne pas changer ses plans et de partir, en soirée, à San Francisco avec ses entraîneurs assistants pour un important séminaire annuel. Je n’avais pas du tout envie d’être à quatre-vingts kilomètres de mon mari ce soir-là. J'avais beau être bouleversée, une partie de moi comprit même à ce moment-là déjà, que nous ne pouvions pas nous arrêter de vivre, que le diagnostic soit exact ou non. Ce séminaire l’aiderait peut-être à ne plus penser à l’impensable. Mais je n’ai pas dormi beaucoup cette nuit-là. Le lit semblait si vide, je me sentais si vulnérable. A l’approche du matin j’ai dû m’assoupir car je me rappelle qu’en ouvrant les yeux, il faisait jour. J’avais envie de me dire que c’était un mauvais rêve, que Charlie n’était pas allé voir le docteur Griffin hier, qu’il était impossible qu’il ait la SLA et qu’il n’allait certainement pas mourir. Mais j’étais déjà assez réveillée pour comprendre l’horrible vérité. Par la fenêtre de notre chambre à coucher, le soleil brillait sur l’oranger de notre jardin, les narcisses étaient en fleurs. J’entendais des fauvettes chanter tout en s’aspergeant dans notre baignoire à oiseaux et je me souviens avoir éprouvé une brusque colère en me demandant : Comment est-ce possible ? Comment le reste du monde peut-il continuer à tourner quand tout a changé ? Bien sûr, j’appris rapidement que le reste de l’univers ne s’arrête pas simplement parce qu'une personne vous dit


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que votre mari est en train de mourir. Même si vous n’y croyez pas et que vous ne vous sentez pas prête, la vie continue. Il faut s’y faire.


Deuxième partie

RĂŞves et romance


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Chapitre 3

L’histoire commence au paradis

CHARLIE Je n’oublierai jamais quand j’ai vu Lucy pour la première fois. C’était une merveilleuse journée à Hawaii ! Le soleil tropical n’était voilé que par quelques gros nuages moutonnants poussés vers la terre depuis l’étendue d’un bleu profond de l’Océan Pacifique qui s’étirait à l’horizon derrière la silhouette des hôtels de Waikiki. Mais ce n’était pas à la vue depuis le campus, sur la colline de Punahou Academy à Honolulu, que je pensais. J’étais avec quelques-uns de mes copains de football, à bavarder, à rire et à comparer nos notes de cours, les professeurs et les emplois du temps de notre année de terminale. Elle était là. Je la vis gravir les escaliers sous l’immense flamboyant qui dominait la cour devant la cafétéria du campus. Ce doit être une nouvelle élève. Je ne l’ai jamais vue auparavant ; je suis sûr que je l’aurais remarquée. Oubliant soudain tout ce qui se disait autour de moi, je remarquai comme les rayons du soleil illuminaient sa chevelure blonde, comme son visage entier s’éclairait quand elle souriait et comme elle riait facilement d'une remarque de son amie Jane pendant qu’elles attendaient dans la longue


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queue qui s’étirait comme un serpent devant la librairie du campus. Je me dis : Il faut que je fasse la connaissance de cette fille. Etant plutôt timide, surtout avec les personnes du sexe opposé, je pris en renfort quelques copains plus extravertis. Puis, nous nous dirigeâmes vers la queue devant la librairie où je réussis à être présenté (apprenant qu’elle venait d’arriver à Punahou et que son nom était Lucy Dangler) et échangeai de brèves salutations avec elle avant de laisser mes camarades plus bavards continuer la conversation. Durant les jours qui suivirent, je n’arrivais pas à chasser Lucy Dangler de mes pensées. C’est pourquoi, après m’être renseigné pour savoir si elle ne sortait pas avec un autre garçon, je rassemblai tout mon courage et lui fixai un rendez-vous. J’empruntai la voiture d’une de mes sœurs qui était mariée et emmenai Lucy au restaurant après le premier match de football de la saison. Un seul rendez-vous et je sus que j’étais déjà amoureux.

LUCY Je me rappelle avoir rencontré Charlie et avoir pensé qu’il était vraiment mignon. Alors que ses amis cherchaient visiblement à impressionner les filles devant la librairie, lui semblait calme et timide, mais d’une façon attirante. Ce n’était pas une grande bouche et il n’avait pas cet air prétentieux et ce toupet que j’avais remarqué chez les autres athlètes du lycée. Avec son 1 mètre 70 et ses soixante-douze kilos, Charlie n’était pas un sportif imposant. Je ne savais absolument pas qu’il avait déjà été reconnu comme l’un des meilleurs joueurs de l’État en football (deux fois), en basket-ball et en base-ball (une fois chacun) et gagnerait à nouveau les honneurs de l’État dans les trois sports durant sa dernière année. En tant que nouvelle élève à Punahou, je ne savais rien de ses exploits athlétiques déjà légendaires qui le conduiraient un jour à être nommé l’Athlète de la Décennie 1960 pour Hawaii. Je ne savais certainement pas, quand il


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me fixa notre premier rendez-vous, que la moitié des lycéennes de l’île de Oahu seraient jalouses. J’aurais dû soupçonner quelque chose à partir du moment où tant de filles de l’école voulurent être mes amies. Mais la vraie révélation de sa popularité, je l’avais quand Charlie quittait le terrain à la fin d’un match de football. Les colliers de fleurs sont une tradition hawaïenne pour chaque événement important – événements sportifs y compris. Après les matches, les mères, les sœurs, les amies et d’autres admiratrices convergent vers leur “héros” personnel pour lui passer des colliers de fleurs, les “leis”, et lui donner des baisers de félicitations. Le temps que j’arrive à atteindre Charlie sur le terrain à la fin d’un match avec mon “lei”, il avait déjà une douzaine de colliers autour du cou. Le soir où Charlie me dit qu’il m’aimait et me demanda de sortir régulièrement avec lui, nous étions assis à l’avant de la voiture de sa sœur – le siège arrière couvert de “leis” que d’autres filles, qui l’adoraient, lui avaient offerts. Je lui répondis “oui” tout en pensant : Je dois être en train de rêver ! Non parce que c’était un garçon si populaire, mais parce qu’il était si différent de tous les autres garçons avec qui j’étais sortie auparavant. Et je ne faisais que commencer à découvrir qui il était réellement et quelles influences avaient orienté sa vie. La force fondamentale dans la vie de Charlie Wedemeyer, la plus grande influence sur l'être qu’il allait devenir, était sa famille. Quand Charlie naquit, quelques mois après la fin de la seconde guerre mondiale, les Wedemeyer vivaient dans la vallée Kalihi, la région la plus dure et sans doute la plus pauvre de toute l’île d’Oahu. Le 7 décembre 1941, le premier escadron d’avions japonais arriva avec le soleil levant, s’engouffra par un col de montagne à l’est et passa en grondant dans cette vallée, à peine une centaine de mètres au-dessus de la maison de sa famille, en route pour aller bombarder la flotte américaine à Pearl Harbor. C’est pourquoi les récits de cette attaque honteuse font partie, pour Charlie, de la tradition orale de sa famille. Il a entendu si souvent ses parents, ses frères aînés et


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ses sœurs évoquer ce matin-là, le hurlement des avions au-dessus de leurs têtes, le reflet des explosions au loin et la fumée noire qui emplissait le ciel. Le père de Charlie qui travaillait sur les docks de Pearl Harbor, parfois six ou sept jours par semaine, n’était pas allé au travail en ce dimanche historique, sinon Charlie n’aurait sans doute jamais vu le jour. Les choses étant ce qu’elles sont, Charlie arriva comme dernier-né des neuf enfants que Bill et Ruth Wedemeyer eurent en l’espace de 18 ans. L’aîné s’appelait Hermann, puis venaient Ruth, Jewel, Kenneth, Earl, Winona, Bridget, Penny et, pour finir, Charlie. Pendant les premières années de sa vie, Charlie ne se considéra jamais comme “pauvre” ; le fait que sa grande famille vive dans une minuscule maison avec seulement deux chambres à coucher et une salle de bain ne le préoccupait pas. Le fait de devoir partager une seule chambre à coucher avec tous ses frères et sœurs (les filles dormaient dans le lit, les garçons sur le plancher) lui fit acquérir un très fort sens de l’intimité familiale, mais il avait très peu, sinon pas du tout, d’“espace personnel”. Comme la porte de la salle de bain de cette maison ne se fermait pas entièrement, les membres de la famille devaient y suspendre une serviette ou un vêtement s’ils désiraient un semblant d’intimité dans le “lua”. Malgré ses difficultés économiques, la famille de Charlie était fière de revendiquer un héritage varié. Comme la plupart des familles hawaïennes du XXe siècle, les Wedemeyer étaient le produit d’un riche mélange d’héritages culturels – hawaïen, irlandais, anglais, allemand, chinois et français de Tahiti. Et pendant que Charlie grandissait, ses frères et sœurs plus âgés ajoutèrent encore au mélange en épousant des personnes avec un arrière-plan chinois, philippin, japonais et hawaïen. Il y avait même un “haole” de l’île principale dans la famille.

CHARLIE C’est probablement de ma mère que j’ai hérité ma personnalité fondamentalement timide. Petite, calme, douce – mais travailleuse infatigable – elle semblait toujours plus à l’aise à l’arrière-plan de la scène et hors des feux de la rampe. Bien


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que réservée, elle était toujours chaleureuse et affectueuse avec notre famille. Certains des souvenirs préférés que j’ai de ma mère remontent à ma petite enfance, quand elle m’emmenait avec elle dehors pour “aider” à jardiner et à m’occuper de ses fleurs – des gardénias tahitiens, des hibiscus, des orchidées, des ti et des pakalana parfumées. Je ne me rappelle pas avoir beaucoup parlé pendant que nous arrachions les mauvaises herbes et que nous arrosions, mais nous étions ensemble, juste elle et moi. Je crois qu’un autre trait de caractère que j’ai hérité de ma mère, c’est mon perfectionnisme. Car malgré ses limitations économiques, elle nourrissait de grands espoirs et visait haut pour notre famille. Bien que je n’aie jamais eu beaucoup d’habits, ni des vêtements très recherchés, elle s’assurait toujours qu’ils soient impeccablement propres et repassés avec soin quand je quittais la maison pour aller à l'école. Le repassage était tout un art pour ma mère. Elle était tout aussi exigeante quant à notre conduite ; je savais que je ne devais jamais rien faire qui soit cause de honte pour ma famille ou qui attire l’attention dans un mauvais sens sur elle. Maman n’aimait pas que ses enfants parlent le Pidgin, cette vieille langue parlée qui est un mélange d’anglais rudimentaire et d’autres langues, et qui est devenue la langue commerciale dans le Pacifique sud, encore employée par de nombreux Hawaïens aujourd’hui comme une sorte d’argot. Il fallait que nous parlions toujours un anglais correct. Ma mère avait beau être pauvre, cela ne l’empêchait pas d’être soigneuse et digne. Mon père la taquinait en racontant aux gens qu’il l’avait sauvée d’une vie de cloîtrée. Quand elle était jeune, elle avait sérieusement envisagé de consacrer sa vie au service de l’église. Adulte, elle resta une catholique fervente, faisant de la foi et de la fréquentation de l’église un élément fondamental de notre vie de famille. Mon père était son contraire, dans bien des domaines. Extraverti et d’une gaieté bruyante, il aimait attirer l’attention en racontant des bobards ou en faisant des blagues. Il était généreux et adorait les enfants. Je ne compte plus les


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fois où je l’ai vu, à des rencontres de famille, entouré d’une bande de jeunes qu’il taquinait, leur tapotant la tête, et vidant ses poches de la monnaie qu’elles contenaient pour distribuer les pièces une à une en disant : “Voilà, petit. Voilà pour toi, trésor. Voilà.” Je crois que je tiens de mon père mon amour des enfants. Mais j’ai aussi hérité un peu de son tempérament. Il explosait facilement ; spécialement si un membre de la famille n’était pas d’accord avec lui. Je me souviens qu’après un de mes matches de base-ball chez les poussins, il s’est lancé dans une bagarre avec un arbitre qui, d’après lui, n’avait pas fait du bon travail. Une autre fois, quand j’étais plus grand, je me souviens avoir quitté le terrain de base-ball en courant pour aider papa qui se battait derrière les gradins avec un supporter de l’équipe adverse. Il m’encourageait personnellement, bruyamment et loyalement, et ne prenait jamais à la légère son rôle de spectateur. Mais ce pourquoi je le respectais le plus, c’était son attitude fondamentale devant la vie. C’était un battant, qui affrontait toujours la vie et ne se laissait pas intimider par les circonstances. Les inconvénients, il les acceptait non comme des barrières, mais comme des défis – une leçon qu’il avait apprise tôt et qui marqua le reste de sa vie. Quand papa était adolescent, il décida un jour, avec quelques amis, de sauter sur un train de marchandises en marche pour être transporté gratuitement en ville. Ils l’avaient fait assez souvent et étaient devenus des experts pour courir le long des rails, étendre le bras, saisir l’échelle à l’arrière d’un wagon et sauter rapidement à bord. Mais cet après-midi-là, comme papa essayait de bondir sur le troisième wagon à partir de la fin du train, il lâcha prise et s’étala par terre. Avant qu’il n’ait le temps de retrouver ses esprits et de rouler sur le côté, les roues du wagon suivant lui passèrent dessus et écrasèrent son pied droit. L’un de ses amis courut chercher de l’aide et finalement, c’est une ambulance tirée par des chevaux qui le conduisit à l’hôpital le plus proche. Mais à cette époque, on ne faisait pas encore de chirurgie reconstructrice ; les médecins ne purent que nettoyer et recoudre la blessure, le laissant avec un moignon sans orteils.


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Aussi incroyable que cela paraisse, il ne laissa pas ce terrible accident le ralentir longtemps. Papa était un très grand sportif et il se lança dans le base-ball semi-professionnel et joua même au football dans la vieille Hawaiian Barefoot League. S’il s'apitoyait parfois un peu sur lui-même ou s'il se sentait embarrassé à cause de son handicap, il ne le montra jamais. Il me recrutait, moi et quelques-uns de ses petits-enfants qui étaient sensiblement de mon âge, pour aider à rouler du journal en boule et bourrer sa chaussure gauche afin que son moignon y soit à l’aise. Pendant toute l’opération, il nous régalait de quelque nouvelle histoire captivante et compliquée qu’il avait inventée sur la façon dont il avait perdu ses orteils. Ses histoires préférées impliquaient de vicieux chiens sauvages ou une tortue de mer géante mangeuse d’orteils qui l’avait attrapé pendant qu’il nageait dans l’océan. Ces aventures captivantes semblaient si vivantes et si réelles que je ne sais plus quel âge j’avais quand je compris que seule l’histoire du train était véridique. Avec un grand sportif pour père, il n’est pas étonnant que le sport joue un rôle si important dans notre famille. Ma mère aussi avait été supporter toute sa vie, son sport préféré étant le base-ball. Tous mes frères et sœurs étaient sportifs. Une de mes sœurs passa sa ceinture noire de judo. Chacun de mes frères aînés fit partie d’une équipe de football et pratiqua d’autres sports. Je me souviens que papa m’a emmené voir Kenneth jouer au football et que je me suis promis d’être un jour aussi rapide et coriace que Kenneth. Mais c’est mon frère aîné, Herman, qui mit la barre aussi haut pour la famille Wedemeyer en jouant au football à la petite université de St. Mary’s, en Californie, partageant l’honneur d’être nommé dans l’équipe des meilleurs joueurs de tout le pays, l’équipe All America, durant sa dernière année d’université, avec les légendaires Glenn Davis et Doc Blanchard de l’université de l’Army. Herman vint au quatrième rang des votes pour l'attribution du Heisman Trophy, trophée du meilleur joueur universitaire de tout le pays. Mais c’est l’esprit de compétition de mon père, son acharnement à ne jamais renoncer qui inspirèrent ma combativité. Je ne l’ai jamais vu jouer dans sa jeunesse. Mais


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