Alex - La passion du risque (MB3491)

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damaris kofmehl

Alex, ce jeune Suisse peu ordinaire, toujours à la recherche d’une nouvelle poussée d’adrénaline, cambrioleur professionnel à ses heures perdues, va-t-il réussir à sortir du terrible engrenage dans lequel il s’est engagé? Vous le saurez en lisant ce récit authentique et captivant, qui ne peut laisser indifférent. Damaris Kofmehl a écrit plusieurs témoignages de vie. Engagée dans des missions d’entraide auprès des enfants des rues, elle a côtoyé de près les personnages et les situations dont ses récits se font l’écho. ISBN 978-2-8260-3491-9

Ale x Damaris kofmehl

«Des sensations fortes! C’est exactement comme cela que je me l’étais imaginé. Et c’était même plus fort encore! Nous étions campés devant le restaurant du village, comme les fameux trois mousquetaires. A la place de l’épée, une pince coupante à portée de main, cachée sous la veste en jean. C’était une belle nuit d’été; une de ces nuits qui fait inventer les histoires les plus invraisemblables autour d’un feu de camp, et où l’exubérance dégénère dans l’incommensurable…»

la passion du risque

Alex, la passion du risque Damaris Kofmehl

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Damaris Kofmehl

Alex, la passion du risque

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Titre original en allemand: Alex – Adrenalin pur! Titel der im Brunnen Verlag Basel erschienenen deutschen Originalausgabe: «Alex – Adrenalin pur!» © 2001 by Brunnen Verlag Basel

Les textes bibliques sont tirés de la version Segond 21

Traduction: Trudy Baudrier © et édition: La Maison de la Bible, 2007 BP 151, Chemin de Praz-Roussy 4bis CH-1032 Romanel-sur-Lausanne E-mail: info@bible.ch www.maisonbible.net

ISBN 978-2-8260-3491-9 Imprimé en UE

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Table des matières

Prologue .......................................................................

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01. Les poissons pour seuls témoins . ................... 9 02. Le test . ................................................................... 19 03. A fond la caisse! ................................................... 37 04. L’allié ...................................................................... 57 05. La rencontre ......................................................... 67 06. Amoureux?! .......................................................... 77 07. Rien que nous deux . ........................................... 93 08. Andy ....................................................................... 107 09. Le coup du siècle . ............................................... 119 10. Suspects! . ............................................................. 131 11. Simone .................................................................. 147 12. L’Afrique ............................................................... 159 13. Entre paradis et enfer ........................................ 163 14. La fuite .................................................................. 173 15. La crise ................................................................. 187 16. Le trou . ................................................................. 201 17. Le tournant .......................................................... 217 18. Changement radical ........................................... 229 19. Alex à 100% .......................................................... 239 Epilogue ...................................................................... 253

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Prologue

Cinq jours après que j’ai apporté la dernière touche à mon livre Shannon – Combat pour la vie, une de mes amies a mentionné devant moi l’histoire bouleversante d’un jeune homme nommé Alex Huber. Elle l’avait rencontré lors d’une réunion de leur groupe de jeunes, où il l’avait racontée. Complètement enthousiasmée par cette histoire, j’ai demandé à mon amie de me procurer le numéro de téléphone du jeune en question. Je n’avais pas beaucoup de temps, car deux semaines plus tard, je devais prendre l’avion pour São Paulo. Mais à peine deux jours après, j’étais en possession du numéro désiré. J’ai appelé Alex, et sans tourner autour du pot, je lui ai dit: «Je m’appelle Damaris Kofmehl. Je suis écrivain, et j’aimerais écrire un livre sur vous. Est-ce qu’on pourrait se rencontrer?» D’abord, il y a eu un grand silence à l’autre bout du fil. Puis, Alex a répondu, un peu interloqué, mais de façon spontanée: «Oui, bien sûr. On m’a déjà dit plusieurs fois que je devrais écrire mon histoire.» C’est ainsi que j’ai fait la connaissance d’Alex Huber. Et quand, à l’occasion d’une promenade en

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Alex, la passion du risque forêt, accompagné de son cheval, il m’a raconté son passé mouvementé sans détour et sans mâcher ses mots, je l’ai su aussitôt: je tenais mon livre! Dans la même semaine, j’ai fait aussi la connaissance de Sybille et de Simone, deux jeunes femmes qui ont joué un rôle prépondérant dans la vie d’Alex. Sybille a consenti à mettre à ma disposition des extraits de son journal, et j’ai pu ainsi rapidement rassembler la matière brute nécessaire pour me mettre au travail. C’est la relation insolite qui a uni Alex et Sybille qui m’a le plus fascinée. Cela m’a donné l’idée d’aborder la biographie d’Alex sous deux angles différents. C’est ainsi qu’est né le présent livre. Mes recherches et ma curiosité ont provoqué un rendez-vous entre Alex et Sybille qui ne s’étaient pas revus depuis plusieurs années. Stimulée par cette rencontre, Sybille s’est mise à fouiller dans ses «archives», et c’est ainsi qu’elle a découvert la raison pour laquelle elle avait dû partir pour l’Afrique de l’Ouest, huit ans auparavant. Cette raison se résumait en deux mots: Alex Huber… Damaris Kofmehl

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1 Les poissons pour seuls témoins

Enfin, j’ouvre les yeux! Enfin, j’ai trouvé la véritable raison de mon séjour en Afrique. Pourquoi ne l’ai-je pas comprise durant tout ce temps? Il m’a fallu huit ans pour cela! J’ai toujours douté des causes profondes qui ont motivé ce voyage. Pourtant, il faisait partie du plan de Dieu. Il ne s’agissait pas seulement de moi. Non! Il s’agissait aussi de lui… d’Alex! D’Alex Huber! C’est à cause de lui que j’ai dû me rendre sur ce continent… à cause de lui que j’ai dû partir au bout du monde. Incroyable! Je suis profondément émue d’avoir saisi cela. Je suis en train de relire les notes de mon journal intime, et je n’en reviens pas! Une fois de plus, les plans de Dieu dépassent de loin le cadre étroit de ma pensée. Dieu m’a envoyée en Afrique pour «poser un jalon dans la vie d’Alex». C’est extraordinaire! J’ai l’impression que notre fuite du Togo date d’hier, comme tout ce que j’ai vécu avec Alex: nos promenades à cheval dans les forêts de Strengelbach1, les leçons de conduite et de pêche… Dès le début, je 1

Village du canton d’Argovie, en Suisse alémanique. (N.d.E.)

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Alex, la passion du risque l’ai su: avec Alex, j’allais pouvoir faire les quatre cents coups. Je n’ai appris qu’en Afrique à quel point je ne m’étais pas trompée. A cette époque, quand la bande des Kruckers a commencé à commettre des vols, je n’étais au courant de rien. Pourtant, j’habitais le même village. J’avais 15 ans alors, tout comme Alex, et pour être tout à fait honnête, je ne lui trouvais rien d’attirant. Pour moi, il n’était rien d’autre qu’un hurluberlu complètement cinglé. Un pauvre type! Et si quelqu’un m’avait dit qu’un jour, il y aurait entre nous deux une véritable et solide amitié, j’aurais vraiment pris cela comme une insulte. Et oui, les temps changent! Dieu sait combien nous avons évolué tous les deux. Et quand aujourd’hui, je repense à cette période, cela me semble avoir été un rêve un peu fou. Un rêve qui a un nom: Alex Huber. Des sensations fortes! C’est exactement comme cela que je me l’étais imaginé. Et c’était même plus fort encore! Nous étions campés devant le restaurant du village, comme les fameux trois mousquetaires. A la place de l’épée, une pince cou-pante à portée de main, cachée sous la veste en jean. C’était une belle nuit d’été; une de ces nuits qui fait inventer les histoires les plus invraisemblables autour d’un feu de camp, et où l’exubérance dégénère dans l’incommensurable. Au-dessus de nos têtes s’étendait le ciel étoilé. Des grillons chantaient, et dans le pré clôturé, derrière le restaurant, on entendait le tintement des cloches des vaches. L’air embaumait l’herbe fraîchement coupée et les fleurs d’été. Mais pour moi, il sentait le vaste monde, plein d’aventures et de sensations fortes. Et, j’en suis persuadé, Dirk et Patrick ressentaient la même chose.

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Les poissons pour seuls témoins C’était déjà notre deuxième coup, pour moi, instant quasi solennel. C’était un de ces moments où tu sens ton rythme cardiaque s’accélérer et une vague de chaleur te monter à la tête. Notre but premier n’était pas de nous faire de l’argent. Sinon, nous n’aurions pas commencé avec le distributeur de friandises situé à côté du magasin de Tante Emma! Il n’y avait pas eu grand-chose à récolter. Toute notre fierté avait été de réussir à obtenir, pour 1 franc2, deux barres de chocolat au lieu d’une, et cela en dévissant simplement une plaque de Plexiglas, dont le remplacement a certainement coûté plus d’1 franc au concessionnaire. Mais ça nous était bien égal. Nous avions déjoué la technique du distributeur, et cela nous remplissait de satisfaction… un peu comme la personne qui construit un train électrique et qui s’amuse mille fois plus à fignoler la mise en place des montagnes et des tunnels qu’à voir tourner le train à travers le paysage terminé. Ce n’est pas le résultat qui importe, mais la réalisation. Ou, pour le dire avec les mots philosophiques d’un de mes profs au lycée: le moyen est plus important que le but. Mais je m’écarte du sujet; revenons à cette nuit d’été à Strengelbach. Lorsque nous nous sommes retrouvés, ce vendredi-là, devant le restaurant Löwen, Patrick, Dirk et moi-même n’avons pas douté un seul instant que notre deuxième méfait resterait marqué dans les annales de Strengelbach. Car cette fois, notre objectif n’était pas de gagner des barres de chocolat mais… des poissons! C’était pour «eux» que nous nous étions rendus en mobylette jusqu’au grand chêne situé près 2

1 CHF = env. 0.60 EUR. (N.d.E.)

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Alex, la passion du risque de l’école, et que nous avions attendu que le dernier ivrogne regagne ses pénates en titubant. Les poissons, c’était l’idée de Patrick. Son copain Raphaël l’avait invité à une soirée grillades qu’il organisait dans la forêt, et il lui avait dit qu’il pouvait amener ce qu’il voulait, à condition que ce soit comestible. Patrick avait promis de se procurer du poisson. Dès qu’il nous a confié son plan, Dirk et moi avons été partants. Piquer des poissons dans l’aquarium d’un restaurant: quel truc chouette! C’est une idée qu’il faudrait déposer avant que quelqu’un ne nous la vole! Mais personne, à part nous, n’aura jamais une idée aussi originale. Les gens de notre village sont tellement fades… tous tellement gentillets et sans originalité! Sans la bande des Kruckers, la vie à Strengelbach serait barbante et ennuyeuse. Ils ne savent pas s’amuser. Il faut de l’action! Et du suspense! Et une bonne dose d’adrénaline! C’est ça la vraie vie! Mais, apparemment, personne dans le coin ne semble avoir pigé cette vérité! Patrick avait emprunté la pince coupante de son travail. Il est apprenti mécanicien. Je trouve que ça lui va bien, mais je suis convaincu qu’il est appelé à de plus grandes choses. Il a 16 ans, un an de plus que moi, et c’est de loin le garçon le plus futé que j’aie jamais rencontré (à part moi, bien sûr…). Géo Trouvetou3 et Einstein n’ont qu’à bien se tenir! Quand Patrick part dans ses formules, même les profs de maths font une crise d’identité. Pourtant, il n’est pas issu d’une grande famille. Son père est un simple agriculteur qui a une ferme 3 Personnage de la bande dessinée Picsou, inventeur prolifique. (N.d.E.)

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Les poissons pour seuls témoins à Brittnau4. Et, extérieurement, rien ne laisse supposer qu’il est un génie, au contraire. On ne peut pas avoir l’air plus quelconque: il est de taille moyenne, assez maigre, a des cheveux blonds qui lui arrivent jusqu’aux épaules et qu’il attache en une queue de cheval, des yeux marron, des lunettes, des taches de rousseur, un sourire canaille, un chewing-gum dans la bouche, et toujours un tee-shirt usé à l’effigie des Rolling Stones. Et, pour compléter le tout, des tennis qui tiennent comme par miracle et qui vont bientôt être classées pièces de musée. C’est lui, Patrick, notre technicien, toujours partant dès qu’il s’agit de faire une bêtise. Il n’y a que pour la pêche qu’il n’était absolument pas doué, au début. En fait, c’est justement comme ça que j’ai fait sa connaissance, il y a un an: je pêchais dans l’Aare et lui aussi. Il m’a presque fait de la peine: pendant plus d’une demi-heure, il s’est battu obstinément avec un prétendu brochet géant, jusqu’à ce que j’aie pitié de lui et que je lui fasse comprendre que sa ligne s’était simplement prise dans les galets. Eh oui! Il faut bien faire ses débuts! Nous nous sommes assis sur la berge, avons discuté de pêche, de filles et de motos, et nous nous sommes rendu compte que nous étions sur la même longueur d’onde. Depuis ce jour, nous sommes souvent allés pêcher ensemble, et aujourd’hui, nous sommes des amis inséparables. Avec Dirk, je n’ai jamais été pêcher. La pêche, ce n’est pas son genre. Il préfère courir les filles… ou faire une virée avec la voiture de son père, sans sa permission, je veux dire! C’est d’ailleurs comme ça que nous l’avons rencontré. 4

Village voisin de Strengelbach. (N.d.E.)

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Alex, la passion du risque Tout le village a été au courant quand Dirk a bousillé la Mercedes de son père en roulant à 120 km/h sur une départementale, sans permis. Cela date déjà de six mois; c’était trois semaines après son 17e anniversaire. Il s’en est sorti sans une égratignure, Dirk, un vrai miracle! Evidemment, j’ai été impressionné. Pas qu’il s’en soit sorti indemne, mais qu’il ait roulé à 120 à l’heure. Je n’aurais pas cru ça de lui. Un gars surprenant! Un après-midi, Patrick et moi nous l’avons croisé par hasard, près du kiosque de la gare. Nous l’avons abordé, et il ne s’est pas fait prier pour nous raconter ses exploits avec la Mercedes de son père. Je suis fasciné par ses manières, cool et supérieures. A mon avis, il bat toutes les stars de cinéma: James Dean, Elvis, Mel Gibson, toute la palette d’Hollywood. (Dommage qu’on n’ait pas découvert son talent, j’aurais pu frimer à l’école!) Oui, Dirk sait quel effet il fait sur les gens, et il sait que les gens le savent. Je parie que chaque matin, il passe plus de temps devant sa glace qu’un topmodèle pour arranger sa mèche à la Lucky Luke. Et il dépense, par jour, certainement plus d’argent en gel qu’un punk pendant toute une année. Moi, je ne m’embête pas avec ça. Surtout que je passe mes journées en bleu de travail à monter des chambres froides, et que, dans ces cas-là, personne ne voit si tu portes des vêtements de marque dessous. Mais Dirk est très attaché à ces choses, et il vaut mieux ne pas l’agacer avec ça. Je l’ai fait une fois. Il m’a alors traité de tous les noms, incroyable! J’aurais pu publier un dictionnaire avec tous les gros mots utilisés. Depuis, je l’appelle «minet» en son ab-

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Les poissons pour seuls témoins sence, et je me permets des remarques discrètes sur les snobinards et les machos uniquement quand il est de très bonne humeur. Mais mis à part son look gominé, Dirk est un mec super. Notre passion commune pour les aventures sortant de l’ordinaire, risquées de préférence, nous a soudés dès notre première rencontre. Nous sentions en nous des énergies criminelles que nous voulions réunir et développer. C’est ainsi que Patrick, Dirk et moi avons fondé la fameuse et tristement célèbre bande des Kruckers. Nous avons commencé par trafiquer des mobylettes, comme tous les jeunes de notre âge. Mais, rapidement, nous avons recherché de nouveaux défis. Le distributeur de friandises a servi, en quelque sorte, de répétition générale à notre entrée dans l’illégalité, et l’aquarium du restaurant Löwen allait être la première action géniale de notre carrière criminelle… notre image de marque, si on peut dire. – Bon, faut y aller, ai-je dit pour donner le signal du départ. Nous avons traversé la rue et nous nous sommes dirigés vers l’aquarium, qui mesurait deux mètres de long et un mètre de haut, et qui se trouvait près de l’entrée du restaurant. Le couvercle était fermé par un cadenas afin que les gens comme nous ne se servent pas de poissons (même si, certainement, personne n’avait jamais sérieusement envisagé cette éventualité…). Huit magnifiques truites et un chevesne nageaient, beautés élégantes dans leur habitacle faiblement éclairé, sans se douter de rien. Dès que je vois des poissons, j’ai les doigts qui me démangent. La sensation que l’on ressent à chaque tressaillement de la canne à pêche, et quand un

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Alex, la passion du risque poisson frétillant sort de l’eau et combat pour survivre, est indescriptible. Elle donne des ailes, te donne l’impression de faire partie de la nature et, en même temps, de la dompter. Nous avons jeté un dernier regard scrutateur vers le haut de la rue, puis nous nous sommes mis au travail. Patrick a sorti la pince coupante et a sectionné le cadenas, comme si c’était du beurre. Son visage affichait un sourire satisfait, et sa bouche mâchait le chewing-gum habituel. – Donne-moi un coup de main, Alex! a-t-il commandé. Ensemble, nous avons ôté le lourd couvercle, tandis que Dirk surveillait les alentours avec ses yeux de lynx. Ensuite, j’ai grimpé sur les épaules de Patrick et j’ai commencé par remplir d’eau le sac en plastique que j’avais apporté. Ça me démangeait vraiment jusqu’au bout des doigts quand j’ai plongé ma main droite dans l’eau pour attraper la première truite. Dirk a pris le relais et l’a laissée tomber dans le sac en plastique où elle s’est rapidement calmée. – Dommage que nous n’ayons pas pris d’appareil photo, a-t-il remarqué. Personne ne va me croire quand je raconterai ça! – Numéro deux! ai-je annoncé en lui tendant un poisson particulièrement gros. – Nous devrions écrire la suite des aventures de Max et Moritz5! a proposé Patrick. Sous un pseudonyme, évidemment. Ce serait le succès du siècle, crois-moi! – J’ai hâte d’être au barbecue, ai-je dit en passant le troisième poisson à Dirk. Il ne nous a fallu que 5 Célèbre bande dessinée allemande pour enfants. Met en scène deux garnements qui passent leur temps à inventer des bêtises. (N.d.T.)

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Les poissons pour seuls témoins quelques minutes pour faire disparaître les huit truites et le chevesne dans le sac, remettre le couvercle à sa place (il faut respecter l’ordre) et regagner tranquillement nos mobs garées près de l’école. Là, nous avons enterré le chevesne dans le bac à sable (ce n’est pas un poisson particulièrement digeste). – Je voudrais bien voir leur tête, quand ils vont découvrir l’aquarium vide! a dit Patrick d’un air amusé. – Notre feuille de chou locale aura enfin quelque chose d’intéressant à écrire! a ajouté Dirk. – Les seuls témoins, ce sont les poissons, ai-je ajouté en jetant un regard sur notre butin, et ils seront muets comme seuls des poissons peuvent l’être! Et demain, ils vont se faire griller sur le feu. Les pauvres! Nous étions euphoriques et avions l’impression d’être des héros. Le fait d’avoir fait quelque chose de défendu nous ravissait; cela nous rendait forts et nous donnait le sentiment d’être intouchables. – Hé, les gars! on aurait dû laisser une sorte de signature, comme dans les films, ai-je proposé en arrivant près des bécanes. Par exemple: «Zorro, le justicier des poissons.» Ou, mieux encore: «Neptune vous salue bien!» Dirk a allumé une cigarette et sauté sur sa mobylette. – Moi, je mettrais: «Nous fauchons ce que nous voulons, où nous voulons, quand nous voulons!» Il a soufflé la fumée dans l’air tiède de la nuit et nous a regardés, attendant notre réaction. J’étais scié par sa créativité, et Patrick en a même arrêté de mâcher son chewing-gum, ce qui était un signe. – Bingo! s’est-il exclamé en levant le pouce. Qu’en pense notre éleveur de poissons?

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Alex, la passion du risque – Super! ai-je acquiescé. Je fauche ce que vous voulez, quand vous voulez et où vous voulez. Un pour tous et tous pour un! C’est juré! Nous nous sommes tapé dans les mains comme si nous avions scellé un pacte. Et nous le savions tous: cela signifiait le début d’une aventure qui dépasserait de loin celles de Tom Sawyer ou de Robin des bois… une aventure dont nous ignorions alors encore toute l’étendue. Mais nous étions prêts, quoi qu’il puisse nous en coûter.

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2 Le test

– Les poissons étaient vraiment délicieux. Raphaël dit que tu les as pêchés toi-même? Patrick a failli avaler son jus d’orange de travers. – Euh, oui, on peut dire ça, a-t-il fini par balbutier. La pêche est effectivement ma passion. – Comme c’est excitant! a minaudé la jeune fille qui avait posé la question tout en se débattant avec une arête. J’étais près d’eux et j’avais du mal à ne pas pouffer de rire. Mais j’ai eu une meilleure idée. – C’est moi qui l’ai initié à la pêche, ai-je déclaré sans la moindre modestie en posant nonchalamment un bras sur l’épaule de mon copain et en faisant un clin d’œil à la belle inconnue en face de moi. Si tu veux, tu pourras nous accompagner un jour. – Vraiment?! s’est-elle exclamée la bouche en cœur en papillotant avec ses longs cils et en bougeant son postérieur, caché sous une minijupe noire moulante, de façon provocante. Pour ma part, je ne suis pas un inconditionnel de ce genre de filles allumeuses. Je ne suis pas un type

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Alex, la passion du risque très séducteur, et jamais je n’oserais me lancer dans «une aventure d’une nuit». Mais je m’amuse à jouer avec leurs sentiments, et cela me plaît d’observer l’étincelle d’admiration et de fascination s’allumer dans leurs yeux, lorsque je réussis à me faire passer pour le mec le plus cool du monde. Je sais, bien sûr, que cela ne me correspond pas, mais avec une musique qui chauffe et des filles enflammées par la passion, j’y crois presque et je suis prêt à me surpasser. C’est une impression géniale quand quelqu’un craque pour moi, même si ce n’est que pour quelques instants fugaces. Il faut savourer de tels moments, ils sont si rares. – Bien sûr que tu peux venir avec nous, ai-je répété en me rengorgeant comme un paon qui veut impressionner sa femelle, n’est-ce pas Patrick? – Aucun problème, s’est-il empressé de confirmer, les poissons, en te voyant, vont sauter d’euxmêmes hors de l’eau! Lui aussi s’épanouissait, visiblement. La jeune fille a pouffé de rire et écarté d’un geste élégant une mèche de cheveux noirs qui tombait sur son visage maquillé. Je dois avouer que son sourire aurait pu faire tourner la tête à n’importe qui. – Et qu’est-ce que vous pêchez d’habitude? Holà! il ne faut jamais poser une telle question par pure politesse à des pêcheurs «professionnels»! Sauf si on a un réel intérêt pour le sujet et qu’on dispose d’au moins une heure pour écouter la réponse… Naturellement, la fille n’avait ni l’un ni l’autre, mais dans notre enthousiasme, nous ne l’avons pas remarqué. L’occasion que nous avions attendue en vain toute la soirée se présentait enfin: nous nous sommes donc mis à disserter sur la pêche comme des fous, tandis que la jeune fille essayait désespé-

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Le test rément de se débarrasser, avec sa langue, des arêtes coincées entre ses dents. De temps en temps, elle hochait poliment la tête, mais elle se concentrait de plus en plus sur ses arêtes… bien plus, en tout cas, que sur notre discours hautement technique. Je m’en suis rendu compte quand elle a, de but en blanc, posé une question qui n’avait rien à voir avec ce que nous étions en train de dire: – Au fait, c’était du brochet? Nous nous sommes arrêtés net en plein milieu de nos explications, et nous devions avoir l’air passablement vexés. – C’était de la truite, ai-je fait laconiquement, toute envie de parler de notre passion me quittant d’un coup. Qu’elle est nulle! me suis-je dit. Elle connaît même pas la différence entre une truite et un brochet. Typiquement féminin! Notre conversation s’est poursuivie encore quelques instants, puis la fille s’est éclipsée avec une excuse bidon, ce qui ne pouvait que m’arranger. Quelqu’un qui ne faisait même pas la différence entre un brochet et une truite n’était pas digne de nous. Patrick, lui, voyait la chose différemment. – Dommage, je croyais avoir fait une touche, at-il soupiré en la suivant mélancoliquement des yeux. Je lui ai donné un léger coup dans les côtes en essayant de lui remonter le moral. – Une de perdue, dix de retrouvées, mon gars! – Mais pas avec un si joli derrière, a répliqué Patrick, rêveur. Et sur ce point, j’ai dû lui donner raison. De plus il se faisait tard, et notre chance de trouver une belle jeune fille était en train de se réduire comme une peau de chagrin. Les couples qui se formaient habituellement durant ce genre de fêtes s’étaient déjà

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Alex, la passion du risque retirés discrètement derrière le chalet. Cet endroit, qui fait aire de pique-nique avec barbecue, est apprécié pour des manifestations de toutes sortes. Dès les beaux jours, les bancs et les tables en bois sont pris d’assaut par des classes d’écoliers, des familles ou des randonneurs, et le week-end, c’est pire! Il ne restait rien de nos truites grillées, et les jeunes avaient dévoré tout le buffet. Les abords du chalet semblaient avoir été dévastés par un ouragan. Le sol était jonché de gobelets et d’assiettes en plastique, mais cela ne semblait déranger personne. On entendait une musique plutôt tonitruante, qui sortait d’une radio, et les rires des petits groupes qui s’étaient constitués au cours de la soirée. J’ai tenté de repérer Dirk, mais il s’était certainement caché derrière un buisson avec une fille sexy. Les filles sont folles de sa mèche à la Lucky Luke… et aussi de son charme, évidemment! Moi, je n’ai ni coiffure branchée ni charme, et ça complique les choses. Mon apparence est d’une banalité accablante. Je ressemble à un Suisse sur trois: taille moyenne, cheveux châtains, légèrement ondulés (et rarement coiffés), yeux marron, baskets, jean et tee-shirt. Et mon comportement, eh bien… Je dis toujours franchement ce que je pense, ce qui choque pas mal de monde. Mais je suis ainsi et je ne crois pas que quelqu’un puisse arriver un jour à me faire changer dans ce domaine. De toute façon, ce serait dommage. Sans contestataires comme moi, le monde serait désespérément vide. Mais malheureusement, la plupart des gens ne semblent pas s’en rendre compte! Lors de cette soirée barbecue, j’ai constaté une fois de plus que les gens comme moi sont comme un aimant mal polarisé. D’une manière ou d’une autre,

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Le test j’avais loupé la connexion. Peut-être était-ce simplement parce que personne ne s’intéressait aux poissons! Mais peu importe. C’était à nouveau une de ces situations: tu te trouves entouré d’une quarantaine de jeunes et, au fond, tu es totalement seul. Personne ne s’occupe de toi. Tu pourrais tout aussi bien aller à l’opéra, tu y serais aussi peu à ta place! Mais au moins, cette fois, nous étions deux, et cela rendait la situation un peu moins pénible. Patrick et moi nous sommes assis un peu à l’écart, sur une souche d’arbre, et nous avons trituré nos gobelets vides tout en fixant le feu mourant, ne sachant pas quoi faire du reste de cette soirée. Soudain, une branche a craqué dans notre dos, et quelqu’un s’est assis près de nous sans nous demander notre avis. C’était Raphaël. Raphaël a deux ans de plus que moi et une tête de moins, comme j’ai pu m’en rendre compte ce soir-là. Je n’avais pas encore eu l’occasion de lui parler, car il avait toujours été à droite et à gauche pour essayer de contenter tous ses invités. Patrick m’a dit qu’il est apprenti pâtissier, qu’il est passionné de science-fiction et fan de Rambo et d’Arnold Schwarzenegger, peut-être parce qu’il est lui-même plutôt petit et sportif. Patrick m’a aussi confié que sa piaule ressemble plus à un musée de la guerre qu’à une chambre. Il a décoré ses murs de douilles vides, de grenades rouillées, de sabres, de drapeaux et de modèles réduits de chars et d’avions. J’aurais pu m’en douter quand j’ai vu le gars arriver en treillis, cheveux coupés ras, lunettes de soleil et boucle d’oreille argentée. Ça ne m’étonnerait pas qu’il dorme avec ses bottes militaires et un pyjama de camouflage.

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Alex, la passion du risque Patrick connaît Raphaël depuis le collège. Ils se sont trouvés dans la même classe. Un jour, ils ont jeté des pétards dans la salle de classe, mais l’un d’eux a explosé dans la main droite de Raphaël, celui-ci ayant attendu trop longtemps. Mais bon, il arrive à tout le monde de commettre une erreur, et «ce qui ne nous tue pas nous rend plus forts», comme on dit. Au bout de quelques semaines, il a complètement retrouvé l’usage de sa main. Depuis, cette histoire lui permet de marquer des points auprès des filles. C’est peut-être ça qui me manque pour épater la gente féminine: une histoire de héros. Mais ne parlons pas de cela pour l’instant. Raphaël s’est donc installé près de nous, et il a demandé: – Alors, les gars, tout va bien? – Au poil! a répondu Patrick. – La fête vous plaît? – Bien sûr! ai-je affirmé. – Les poissons étaient excellents, a poursuivi Raphaël. Mais sérieux, entre sportifs: tu les as pêchés où? – Tu veux vraiment savoir? a rétorqué Patrick. – Oui, parce que j’ai l’impression que tu essaies de me faire marcher mon vieux pote. Car pêcher huit truites d’une telle taille dans l’Aare, en un seul aprèsmidi, ça sent l’arnaque… Alors accouche: elles viennent d’où? Patrick m’a jeté un regard interrogateur. – On lui dit? – C’est toi qui vois, ai-je répondu en haussant les épaules. – Bon, a fait Patrick en prenant de grands airs.

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Le test Puis, réajustant ses lunettes, il a demandé: – Tu connais le restaurant Löwen? – Ah, non! C’est pas vrai! s’est exclamé Raphaël, lui coupant la parole. Apparemment, il avait déjà eu vent de ce vol insolite et il en était sidéré. Tu blagues?! – Ça a été facile comme tout, a raconté Patrick en souriant. Nous avons forcé le cadenas, Alex est monté sur mes épaules et il les a pêchées, l’une après l’autre. – Vous êtes complètement fous! a constaté Raphaël en affichant un large sourire. J’y crois pas! C’était donc vous? Il n’en revenait pas. – Eh bien, les mecs vous êtes forts, très forts! a-t-il ajouté en partant d’un grand éclat de rire tonitruant, que nous avons imité. Le fait que Raphaël apprécie l’originalité de notre créativité criminelle me le rendait éminemment sympathique. Mais il a renchéri: – Au prochain coup, je veux être de la partie, si vous êtes d’accord. – Tu es sérieux? ai-je demandé, sceptique. – Si vous avez besoin d’outils, mon père est dans le bâtiment, a-t-il rétorqué sans détour, et si vous pensez que je suis une poule mouillée, je veux bien vous prouver le contraire. J’ai regardé Patrick, Patrick m’a regardé, et j’ai su qu’il pensait comme moi: il ne suffisait pas de se gaver de films de Rambo pour devenir un héros. Il fallait bien plus que des bottes de combat et des chemises de l’armée pour nous impressionner. Mais si Raphaël était prêt à passer un test, nous allions lui donner cette chance, et ce, avec le plus grand plaisir.

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