JEANNOT CHEZ LES BAGNARDS (MB4050)

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Samuel Grandjean

Jeannot chez les bagnards


Table des matières 1ère partie: Jeannot chez les bagnards Quelle affreuse punition! ............................................................................ Deux étranges voyageurs ............................................................................ Au pays du bagne ...................................................................................... Jeannot: précieux cadeau ........................................................................... Le thermos cassé ...................................................................................... La décision de Namour .............................................................................. Le redoutable buffle ................................................................................... On retrouve Georges ................................................................................. Dans le vide .............................................................................................. La réponse de Manuche ............................................................................. Un tout jeune missionnaire ......................................................................... Un pull-over pour le vieux Louis ................................................................. Etrange disparition .................................................................................... Une erreur monumentale ...........................................................................

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2e partie: Jeannot pendant la guerre La fille des chiffonniers .............................................................................. Des jours bien sombres .............................................................................. Dans la prison ........................................................................................... Fils d’un prisonnier? .................................................................................. Le plus beau des cadeaux ........................................................................... A deux... on y arrive mieux! ....................................................................... Dans le ruisseau! ....................................................................................... Le gros rat ................................................................................................ Une ville sous les bombes ........................................................................... On a faim! ................................................................................................. Le dernier chant ........................................................................................

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3e partie: Jeannot et ses exploits La libération .............................................................................................. Les enfants du deuxième ............................................................................ La terrible chute ........................................................................................ Les vieux souliers ...................................................................................... Le porte-monnaie vide ............................................................................... A l’assaut des vieux remparts ...................................................................... Le mystérieux souterrain ............................................................................ La forêt brûle ............................................................................................ Un autre nuit inoubliable ............................................................................

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- Je l'ai... je l'ai! crie un joyeux petit garçon. Sur le chemin qui conduit à la forêt vierge, il court à droite, à gauche, fasciné par le vol capricieux d'un grand papillon bleu. Il voudrait l'attraper. Mais à chaque tentative, le bel insecte réussit heureusement à lui échapper. Cet enfant, c'est Jeannot, rayon de soleil pour ses jeunes parents. La jolie frimousse, les yeux malicieux et pétillants, l'intrépidité du petit bonhomme, quelle source de joie dans ce monde pénitentiaire! Quoi? Ses parents seraient-ils en prison? Non, heureusement pas. Mais alors... où sommes-nous? Sous ce soleil accablant, pourquoi tant de misère? Pour le savoir, reculons un peu dans le temps... Quelques années plus tôt, que s'est-il passé, un matin de juin, au palais de justice d'une petite ville de France?

Quelle affreuse punition! Dans la salle du tribunal, chacun retient son souffle. Rompant un lourd silence, le juge en robe noire va prononcer la condamnation: - Sept ans de travaux forcés au bagne! Tous les regard sont braqués sur un seul homme qui baisse la tête: Georges. Mais les yeux, brillants de satisfaction ou humides de pitié, ne peuvent pas lire ce qui se passe au fond du coeur de ce malfaiteur. 6


- Qu'est-ce que je risque, au point où j'en suis? avait pensé Georges. Avec tout ce que j'ai connu comme misère, et récolté comme coups depuis mon enfance, je ne pourrai quand même pas souffrir plus, ni haïr davantage! Eh bien! qu'ils décident de la punition et qu'ils la prononcent, leur sentence... ça me laisse froid! Mais être condamné au bagne? Non! Georges ne s'attendait tout de même pas à cela! Lié, il va donc être embarqué. Il partira pour la Guyane, ce lointain pays d'Amérique du Sud. Il devra vivre là, sous un soleil de plomb, au milieu de criminels, de brigands et de malfaiteurs comme lui... Les terribles paroles du juge résonnent dans la tête de Georges comme des clous qu'on planterait dans son coeur. Tandis que deux robustes agents de police s'approchent pour l'enchaîner, il est là, sombre et immobile. Estce au ventre ou au coeur qu'il a mal? Il n'en sait rien, mais il tremble malgré lui. La salive refuse de passer par sa gorge brûlante... un peu comme le jour où sa mère est morte en le serrant dans ses bras, et en disant: «Mon pauvre petit garçon...» Avant le jugement, pendant des mois Georges est resté en cellule. Mais maintenant les choses se précipitent. Le 10 juillet, avec tout un contingent d'autres condamnés, il est embarqué dans un bateau-prison, le Lamartinière. Enfermés dans la cale du navire pendant les vingt-et-un jours de traversée, les futurs bagnards ne verront rien des vagues écumantes ni du soleil qui se couche tout rouge sur l'Océan. Trois semaines de navigation, ce sera long! Mais les condamnés arriveront toujours assez tôt pour connaître l'horreur du bagne... 7


Deux étranges voyageurs

Parmi tous les paquebots amarrés dans le port de Bordeaux, le Lamartinière n'est pas le seul en partance pour les côtes lointaines de l'Amérique du Sud. Voici le Flandre, prêt à prendre le large, lui aussi. A bord, on s'affaire. Déjà les passerelles ont été retirées. Les cordes se relâchent. On entend des ordres secs. La grosse cheminée crache un flot de fumée qui obscurcit presque le soleil. Trois fois la sirène hurle gravement. Lentement, très lentement, la coque du navire se sépare du quai, sans la moindre secousse. Sur le pont, des mouchoirs s'agitent. A terre d'autres répondent. On dirait des papillons blancs. Tiens! un groupe se rassemble sur le quai... ils entonnent un cantique. Que c'est insolite! Peu à peu l'étendue d'eau grandit entre ceux qui partent et ceux qui restent. A mesure qu'on s'éloigne, les petits papillons blancs deviennent plus minuscules. Les dernières harmonies du cantique se perdent dans l'atmosphère du port. Des chrétiens ont adressé de cette façon un salut fraternel à deux de leurs amis... Qui sont-ils donc, ces heureux passagers? Jean et Lydie Klopfenstein. Des explorateurs en route vers la mystérieuse Amazonie, ou des amateurs de fortune à la recherche des fameuses mines d'or du Brésil? Mais alors... pourquoi un cantique en leur honneur? Non, ils doivent partir pour autre chose... Jeunes mariés, c'est sur Cayenne, en Guyane, qu'ils mettent le cap pour y vivre la plus belle, la plus glorieuse des aventures: être missionnaires, au service de Dieu parmi les bagnards. Ils vont aimer ces 8


misérables, ils leur apportent la bonne nouvelle du pardon de Dieu même pour les pires des pécheurs. - Courage, Georges! De vrais amis te suivent sur l'Océan. Tu ne les connais pas, mais un jour, peut-être les rencontreras-tu là-bas... Pendant trois semaines on ne voit que le bleu de l'eau et celui du ciel. Puis enfin, un matin, la terre apparaît à l'horizon comme une ligne violette qui s'allonge, s'épaissit, change de couleur, se garnit d'arbres... et de maisons. On touche bientôt aux rives de la Guyane française. Maintenant, on distingue nettement des palmiers, des cocotiers et plus loin des bananiers. De temps en temps on entend même les cris perçants des perroquets qui se disputent dans les feuillages touffus. Hélas, c'est sur cette terre que des milliers d'hommes condamnés pour leurs crimes, ou parfois pour peu de chose, ont déjà connu les horribles camps de travail et la vie déprimante d'un être sans liberté, sans famille, sans but. Presque tous y sont morts! Vers midi, le bateau accoste à Cayenne. Le jeune couple s'apprête à descendre. Avant que ces deux personnes ne se mêlent à la foule colorée qui envahit le quai, vous devez savoir de qui il s'agit: ce sont les futurs parents de Jeannot. 9


Au pays du bagne Comme une prison ne ressemble à aucune autre maison, Cayenne ne ressemble à aucun autre port du monde. Partout d'anciens bagnards errent çà et là, visages mornes, sans expression. Pour beaucoup d'entre eux, ce triste pays sera le tombeau après avoir été la prison! Devraient-ils mourir sans rien savoir du ciel? N'était-il pas aussi coupable qu'eux celui qui, de la croix voisine, a entendu Jésus lui dire: «Aujourd'hui, tu seras avec moi dans le paradis»? Seul l'Evangile peut encore leur apporter le goût de vivre. C'est pourquoi ces missionnaires viennent en Guyane. - Regarde! Oh... que ça fait mal de les voir dans cet état! dit la jeune femme en apercevant des prisonniers qui se traînent lamentablement, affaiblis par les fièvres. - Et là derrière! tu vois ces longs bâtiments? Les malheureux bagnards y sont enfermés de six heures du soir à six heures du matin, quarante par case! Ils débarquent ici, cent, deux cents, cinq cents à la fois. Pour qu'on les reconnaisse du premier coup s'ils tentent de s'échapper, tous ont la tête rasée et portent une sorte de pyjama à raies rouges! - Que fait-on d'eux, quand ils arrivent? - On les répartit dans les différents camps du bagne. Les plus grands criminels vivront enchaînés comme des bêtes dans une cage. Les autres travailleront comme bûcherons en pleine forêt vierge, abattant d'immenses arbres dont le bois est exploité. D'autres encore seront manoeuvres au port ou employés à des travaux pénibles. - Et chacun restera définitivement à cette place? - Non! souvent, au bout de six mois déjà, certains bagnards succombent aux fièvres. On les transporte dans un camp de malades, mais le médecin 10


n'y passe qu'une fois par mois... les misérables ont le temps de mourir avant qu'on ne vienne avec des médicaments! - Pauvres hommes! Il faudra que nous allions les visiter, eux aussi! Ah! quel beau jour ce doit être quand un bagnard, ayant résisté à la maladie, arrive enfin au bout de sa peine! - On l'appelle «libéré», mais c'est alors que commence pour lui l'étape la plus pénible. En réalité, il est libre de mourir bien plus que de vivre! En quittant le camp, il se voit tout à coup sans gîte et sans pain! Il n'a qu'une ressource: trouver du travail. Ce n'est pas facile: les «patrons» exigent beaucoup et paient peu. Si le nouvel employé ne donne pas satisfaction, on aura vite fait de le mettre à la porte puisque dix autres viendront offrir leurs services à sa place! Certains anciens bagnards préfèrent se construire une petite masure et cultiver un coin de terre pour avoir des légumes à vendre. Mais quand ils réussissent péniblement à mettre de côté l'argent destiné au voyage de retour en France, ils risquent d'être victimes d'un mauvais coup et dépouillés de toutes leurs économies. Alors, découragés, ils se mettent aussi à voler ou, las de lutter, lancent un pavé dans une vitrine pour pouvoir être repris au bagne! - Si seulement quelqu'un de la famille leur envoyait la somme nécessaire, juste au moment de la libération! Au moins ils pourraient quitter cette terre maudite! - Pas si facilement! Il faut encore tenir compte de la terrible loi du «doublage». Après trois ans de bagne, par exemple, un libéré est tenu de passer sur place une nouvelle période aussi longue avant de pouvoir quitter la Guyane! - Heureusement qu'un foyer d'accueil se construit pour les libérés! Il y a une grande salle. Nous y recevrons tous ceux qui viendront! - Oui, quel bonheur de pouvoir leur offrir autre chose que la fumée et l'alcool des bars où tant de petites économies se volatilisent chaque soir! - C'est là que nous habiterons. Et nous allons certainement vivre des heures inoubliables avec ceux que la société ne veut plus! Le jeune couple s'installe. Le foyer peut s'ouvrir. Au début, les premiers libérés sont assez méfiants, mais ensuite ils viennent plus nombreux, puisqu'on ne les repousse pas. On leur offre même de prendre soin de leurs économies. 11


Jeannot: précieux cadeau

Les mois passent. Un jour, un mignon petit bébé fait son apparition. - Puisque c'est un garçon, on l'appellera Jeannot! disent les heureux parents. C'est toi, Seigneur, qui nous l'as donné. Nous voudrions qu'il vive pour toi. Nous te le confions comme Anne, dans le temple, t'avait présenté son petit Samuel. Au bout d'un mois, le bébé est déjà robuste. A plat ventre, il relève la tête et promène partout ses yeux ronds. Qu'il est privilégié, cet enfant, d'avoir un père et une mère qui l'éduqueront en comptant sur Dieu! Ce matin, Jeannot pleure dans son berceau. La petite voix déjà bien timbrée réclame à cris perçants le premier repas de la journée. Au-dessus de la casserole, Lydie secoue une boîte de lait en poudre pour faire tomber la fine poussière blanche retenue dans les plis du papier. - C'est ton dernier biberon, mon pauvre petit Jeannot! dit-elle à son bébé comme s'il pouvait partager ce souci; après... je n'ai plus rien à te donner! Pourquoi cette maman ne court-elle pas à la laiterie pour acheter de quoi préparer un biberon? La laiterie? mais il n'y en a pas ici puisqu'il n'y a pas de vaches! Et les bufflonnes domestiquées, n'en trouve-t-on pas dans cette région? Oui, mais elles sont si maigres qu'elles ne donnent pas de lait. Aussi n'y a-t-il qu'une ressource: un seul bateau accoste une fois par mois. Parmi les marchandises qu'il apporte, il y a régulièrement une caisse de boîtes de lait, commandée par les missionnaires exprès pour leur enfant. Hier soir on est arrivé au fond de la dernière boîte. Ce n'était pas bien grave puisque le bateau aborde aujourd'hui. Oui... seulement Jean s'en revient du port les mains vides: il n'y avait pas de caisse de lait dans la cale du navire! Que faire? - Mon bébé, tu ne peux boire que du lait, et je n'en ai point... Ah! s'il y avait dans la forêt une maman noire qui nourrisse son petit, je te porterais vers elle, mais il n'y en a aucune dans les environs! 12


Comme un petit glouton, Jeannot avale son biberon sans se douter que c'est le dernier; il fixe des yeux noirs tout ronds sur sa maman si préoccupée. Alors les parents se mettent à genoux: «Seigneur Jésus, toi qui as dit dans la Bible: Ne vous inquiétez de rien, mais en toutes choses faites connaître vos besoins à Dieu, envoie-nous du lait pour notre bébé!» Confiants, les missionnaires peuvent reprendre leur travail après avoir contemplé leur petit trésor qui s'est endormi paisiblement. - Tiens! dit soudain Jean, on entend des pas... - Qui peut bien venir chez nous à cette heure? Maintenant les pas font place à quelques coups vigoureux qui ébranlent la porte et risquent de réveiller le bébé... On ouvre. - Oh! c'est vous, entrez! s'exclame Lydie en voyant sur le seuil le «garçon de famille», jeune bagnard attribué aux missionnaires pour les aider dans les travaux du centre d'accueil. - Oui! j'arrive du port. Tenez, Madame! Au milieu des petits paquets et des lettres, ils ont encore trouvé ce colis! - Ah! et d'où vient-il? Voyons... île de Ré, tout près de la côte française. Mais... est-ce bien pour nous? Nous ne connaissons personne là-bas. Ouvrons vite! dit cette jeune maman qui, tout à coup, reste figée d'émotion en découvrant...treize boîtes de lait condensé! - Regarde, il y a une lettre! s'exclame Jean. Elle est datée d'il y a un mois! «Chère Madame, hier soir j'ai assisté à une causerie missionnaire. On y a aussi parlé de votre travail au bagne avec votre mari, de la naissance du bébé, etc. Tout de suite une pensée m'est venue: Je devrais envoyer un colis à cette dame, même si je ne la connais pas. Mais je ne savais pas ce qui pouvait vous être utile. Alors j'ai repoussé cette idée. Pourtant, comme je ne réussissais pas à trouver le sommeil, au milieu de la nuit je me suis levée. Soudain j'ai pensé à ma petite provision de lait condensé. Aussitôt j'ai préparé cet envoi, et enfin j'ai pu m'endormir. J'espère que ce lait sera utile à votre cher petit.»

Des semaines à l'avance, à plusieurs milliers de kilomètres, le Seigneur avait donc employé l'une de ses servantes pour sauver la vie du bébé. Il n'y eut pas une boîte de trop, et il n'en manqua pas une jusqu'à l'arrivée du prochain bateau. 13


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