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Titre original en anglais: Blue Like Jazz. Nonreligious Thoughts on Christian Spirituality, publié par Thomas Nelson Inc. Copyright © 2003 by Donald Miller

Traduction: Thomas Constantini

© et édition: Ourania, 2007 Case postale 128, CH-1032 Romanel-sur-Lausanne info@ourania.ch ISBN 978-2-940335-22-0 Imprimé en UE


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Table des matières

Note de l’auteur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 01

Commencement. Dieu qui marche vers moi sur un chemin de terre . . . . . . . . . .

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7 9

Problème Ce que j’ai appris en regardant la télévision . . . . . . . . . . . . . . . .

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03. Magie Le problème avec Roméo . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

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04. Transformation Comment on trouve une Penny . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

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05. Foi A propos de la vie sexuelle des pingouins . . . . . . . . . . . . . . . . .

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06. Rachat Sexy Carotte . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

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07. Grâce Le royaume des mendiants . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

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08. Dieux Nos chers amis invisibles . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

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09. Changement Nouveau commencement pour foi ancienne . . . . . . . . . . . . . .

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10. Croyance La naissance de la cool attitude . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

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11. Confession La sortie du placard . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

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12. Eglise Comment y aller sans devenir dingue . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

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13. Amour A la rencontre des filles . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

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14. Solitude Des années dans l’espace . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

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15. Communauté Vivre avec des cinglés . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

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16. Argent Quand il faut payer le loyer . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

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17. Louange L’émerveillement mystique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

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18. Amour Vraiment aimer les autres . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 19. Amour

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Vraiment s’aimer soi-même . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

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20. Jésus Les traits de son visage . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

271

Remerciements . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Informations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

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Note de l’auteur

Je n’ai jamais aimé la musique jazz, parce que la musique jazz ne résout rien. Cependant, un soir, je me trouvais devant le Bagdad Theater à Portland, et j’ai vu un homme jouer du saxophone. Je suis resté là une bonne quinzaine de minutes, et il n’a pas ouvert une seule fois les yeux. Après ça, j’ai aimé la musique jazz. Parfois, il faut voir quelqu’un aimer quelque chose pour vous mettre à aimer cette chose vous-même. C’est comme si cette personne vous montrait la voie. Je n’aimais pas Dieu parce qu’apparemment il ne résolvait rien. Mais c’était avant que tout cela n’arrive.


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Chapitre 3

Magie Le problème avec Roméo

Quand j’étais enfant, ma mère m’a emmené un soir voir un spectacle de David Copperfield, le magicien. Je crois qu’elle le trouvait très bel homme. C’était l’année où il a fait disparaître la statue de la liberté à la télé. Par la suite, il a fait disparaître un avion et il s’est fiancé avec Claudia Schiffer. Au début du spectacle, David Copperfield nous a dit que la magie n’existait pas et que tout ce qu’il allait faire n’était qu’illusion. Il est entré dans une boîte que ses assistantes sexy ont retournée et, quand elles l’ont ouverte, le magicien avait disparu. Il a placé une dame en état de lévitation. Il a transformé un tigre en perroquet, puis l’a fait redevenir un tigre, mais de couleur différente, puis il a rendu à son pelage ses couleurs d’origine. Tout le monde était fasciné. Il y avait juste devant moi un monsieur avec une très grosse tête, et j’ai dû me pencher pour arriver à tout voir. Plus tard, je suis moi-même devenu magicien. Ma mère m’avait acheté une boîte de tours de magie, et j’ai étudié le livret qui allait avec. Je pouvais faire transformer trois petits morceaux de ficelle en un seul long morceau. Je pouvais faire passer une pièce à travers une assiette. Je pouvais deviner quelle carte vous aviez choisi dans un paquet. 37


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J’étais absolument sensationnel. J’avais dans l’idée de devenir un très grand magicien, d’engager une assistante sexy et de partir m’installer à Las Vegas. Malgré tout, au bout de quelques mois, j’ai commencé à me sentir frustré. Je ne faisais que des tours de magie, pas de la vraie magie; tout n’était qu’illusion. J’ai donc décidé de grandir et de devenir un astronaute avec une assistante sexy. Je m’imaginais vêtu d’un costume d’astronaute sophistiqué et immaculé. A mes côtés se trouvait une fille du genre Katie Couric1 qui me regardait avec des yeux de biche pendant que je manipulais les leviers et les boutons de notre vaisseau spatial. Régulièrement, elle m’essuyait doucement le front. Tout le monde veut être quelqu’un de cool, même les plus timides. J’ai une amie qui est tellement timide qu’elle fait pipi dans sa culotte si vous la regardez. Bon, elle ne fait pas vraiment pipi dans sa culotte, mais c’est presque ça. C’est une très jolie fille, mais elle ne sort jamais parce qu’elle est trop timide pour ça. Si vous ne la connaissez pas bien, il est tout à fait possible qu’elle ne veuille rien faire d’autre que se cacher dans un placard. On pourrait croire qu’elle voudrait à tout prix éviter d’attirer l’attention mais, quand j’ai commencé à mieux la connaître, elle m’a avoué qu’elle rêvait d’être actrice. Quand on la connaît un peu mieux, on oublie à quel point elle est timide, et je lui ai donc dit qu’elle pourrait devenir actrice. Elle est suffisamment belle pour ça. Mais je me suis rendu compte que ce n’était pas une bonne idée, parce qu’elle est si timide qu’elle pourrait bien fondre en larmes si elle se retrouvait devant un public, ou quelque chose dans ce style. 1 N.d.E.: journaliste et présentatrice télé américaine connue notamment pour ses

interviews de personnalités

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Je n’ai jamais voulu être acteur, mais j’ai toujours rêvé d’être une rock star. Même quand j’étais magicien, je voulais être une rock star. Quand j’étais plus jeune, j’écoutais les chanteurs à la radio et j’imaginais que c’était moi qui étais en face de milliers de personnes, avec toutes les filles que je connaissais au premier rang. Je leur faisais un petit signe pendant que je chantais, et elles criaient comme si leur tête allait exploser. Je voulais être une rock star, mais je n’ai jamais voulu être acteur. *** Je suis allé à une pièce de théâtre, une fois. Pour la première fois de ma vie, j’avais invité une fille à sortir avec moi, et nous sommes allés voir Roméo et Juliette. Certes, je n’ai jamais voulu être un acteur, mais je croyais bien marquer des points avec elle en l’emmenant voir une pièce. Elle était assise si près de moi que je pouvais entendre sa respiration. Elle était chaude comme le soleil et douce comme si elle avait utilisé un savon spécial. Même si c’était une bonne idée de l’emmener à cette pièce, j’ai tout planté. Résumons: il y a un moment dans la pièce où Juliette (le personnage féminin principal) se tient à un balcon et Roméo (le personnage masculin principal) est caché en dessous, dans les buissons. C’est très intense, parce que Juliette dit combien elle aime Roméo, sans savoir qu’il peut l’entendre. Tout a très bien commencé. La fille s’est roulée en boule tout près de moi, si près que je pouvais sentir la douceur de sa peau et de son bras, qu’elle avait passé autour du mien. Je pensais que tout ça, c’était vraiment un truc à l’eau de rose mais, par moments, je faisais des petits bruits, comme si je pensais que les acteurs disaient des 39


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choses merveilleuses. Quand je faisais ça, la fille me regardait avec des yeux surpris. C’est toujours une bonne idée de faire des petits bruits, quand vous emmenez une fille voir une pièce. La fille était emballée par le thème de l’amour, mais ça ne prenait pas avec moi. C’était plus fort que moi, tous ces machins ne marchaient pas. Juliette disait que Roméo devait renier sa famille et il répondait: «Ah, ben, O.K.» Et puis Juliette disait à Roméo qu’il sentait comme une rose, et il répondait encore: «Ah, ben, O.K.» Et après ça, la phrase clé, dont j’ai compris, depuis, que toute la pièce repose sur elle. Roméo: «Je veux te prendre au mot. Nomme-moi seulement ‘amour’ et que ce soit comme un autre baptême! Jamais plus je ne serai Roméo.»2 Plus tard dans la pièce, ils se tuent accidentellement tous les deux. Ce n’était pas très crédible, mais l’histoire finissait comme ça. La fille pleurait. Je pensais qu’ils avaient ce qu’ils méritaient. Tout ça me semblait stupide. Je ne comprenais pas tout ce dont il était question, mais j’étais bien persuadé que ça devait avoir été écrit pour les filles. Les gens devraient quand même apprendre à réfréner leurs émotions. Alors que nous sortions, la fille a mis sa main dans la mienne et, même si j’étais peu sensible à l’ambiance, je lui ai souri. Nous avons remonté les allées pour arriver à l’entrée du théâtre où les gens s’étaient agglutinés. Il y avait des filles partout, et elles avaient toutes les yeux humides. Il y en avait deux en face de nous qui parlaient ensemble. L’une d’elle a levé les bras au ciel et a dit: «J’aimerai tant pouvoir aimer comme Roméo et Juliette!!» 2 N.d.T.: William Shakespeare, Roméo et Juliette (acte II scène II), Folio, p. 70, traduc-

tion d’Yves Bonnefoy

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Je n’en pouvais plus. J’ai murmuré entre les dents: «Ils sont morts!» Je pensais que personne n’avait entendu, mais la fille avec qui j’étais venu avait entendu. Deux filles près de nous m’avaient aussi entendu, et elles ont tout raconté aux autres. Un idiot a répété ce que j’avais dit et il a rigolé en me montrant du doigt. Toutes les filles me regardaient comme si je venais d’écraser un chaton. Le corps de ma copine est devenu froid. Elle a lâché ma main. Elle a croisé ses bras sur la poitrine et a marché devant moi durant tout le trajet jusqu’à ma camionnette. Sur le chemin du retour, elle se tenait si près de la porte que j’ai cru qu’elle allait tomber. Quand nous sommes arrivés chez elle, je lui ai demandé si elle aimerait sortir de nouveau avec moi. «Je ne pense pas», m’a-t-elle dit. «Pourquoi?» «Je ne pense pas que je pourrai être avec toi.» «Pourquoi?» «C’est juste que je ne peux pas.» «Est-ce qu’on peut s’embrasser? Il paraît que ça aide les filles à tomber amoureuses.» «Tu es mauvais, a-t-elle dit, tu es l’Antichrist!» Elle est rentrée chez elle en claquant la porte à mon nez et à notre relation. Sincèrement, je ne l’avais jamais vraiment aimée. Elle était jolie et tout, mais il n’y avait jamais rien eu de profond. Je n’ai donc pas vraiment été triste. Ma mère m’avait donné sa carte Texaco pour mon rendez-vous et, avant de rentrer, je me suis arrêté acheter des Cheetos et des beignets. Je me suis garé dans le parking du Texaco et j’ai pensé à ce pauvre vieux Roméo, assoiffé d’amour, quittant tout avec la femme qu’il aime et mourant dans un accident. Certaines relations se révèlent désastreuses, c’est un fait. Et, si voulez savoir, j’aurais pu vous dire dès 41


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le début qu’il était voué à l’échec. Il était voué à l’échec parce qu’il croyait à la magie. Il croyait qu’en s’accrochant à Juliette il deviendrait une nouvelle personne, avec un nouveau nom, qu’il serait baptisé et tout brillant. Tout le monde veut être cool et neuf. Nous ne voulons jamais être nous-mêmes. Enfin, peut-être que nous sommes prêts à être nous-mêmes, mais différents, mieux habillés, mieux coiffés ou moins gros. S’il existait un seul type qui aime être lui-même et qui ne veuille pas être quelqu’un d’autre, il serait la personne la plus différente au monde et tout le monde voudrait être lui. Un soir, j’ai vu à la télé une publicité pour un couteau qui pouvait découper une botte et rester suffisamment affûté pour couper une tomate en rondelles. Ils l’appelaient la lame miracle. Un autre soir, c’était un produit nettoyant fait à base de jus d’orange qui pouvait enlever des taches de sang sur un tapis. Ils ont dit qu’il était quasiment magique. Dans ma relation avec Dieu, tout ce désir d’être une nouvelle personne jouait un rôle important. Dieu avait en magasin quelque chose que je voulais. Mais je plaçais Dieu dans la même catégorie que le gars qui voulait me vendre son couteau ou Juliette promettant à Roméo de faire de lui une nouvelle personne. Tous ceux qui veulent vous vendre quelque chose exagèrent. Tout le monde dit que son produit est magique. A l’époque, je comprenais l’offre de Dieu comme une proposition magique, et c’est d’ailleurs ce qu’elle est en réalité. Mais la plupart de ces propositions magiques sont des pièges. Plus vous vieillissez et plus il devient difficile de croire en la magie. Plus vous vieillissez et mieux vous comprenez que le magicien d’Oz n’existe pas et qu’il n’y a qu’un crétin derrière un rideau. Le pasteur m’apparaissait comme un représentant ou un magicien qui essayait d’embobiner l’assemblée pour lui faire croire que 42


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mettre notre confiance en Jésus ferait de nous de nouvelles personnes. Et, très honnêtement, j’avais l’impression qu’il essayait de se convaincre lui-même, comme s’il n’avait cru qu’à moitié tout ce qu’il disait. Ce n’est pas que toute la spiritualité chrétienne ait eu l’air d’une complète escroquerie, mais elle y ressemblait par certains de ses aspects. Cependant, j’étais attiré par ce message. Dieu disait qu’il ferait de moi quelqu’un de nouveau. Il m’est impossible de dire que je ne le voulais pas, que je ne voulais pas prendre un nouveau départ. Et c’est ce qui est arrivé. *** Il y avait des aspects de la spiritualité chrétienne que j’aimais et d’autres qui me semblaient être d’une affligeante banalité. J’avais envie de pouvoir adhérer à certains aspects de la foi chrétienne, mais pas à l’ensemble. Laissez-moi vous expliquer. J’ai grandi dans l’église et, à cause de cela, j’associais une grande partie de la doctrine chrétienne avec les histoires pour enfants. Les personnes qui nous faisaient le catéchisme avaient transformé le récit biblique en fables pour enfants. Elles nous parlaient de Noé et de l’arche parce qu’il y avait des animaux dans l’histoire. On négligeait quand même de nous mentionner que c’était à cette occasion-là que Dieu avait détruit presque toute l’humanité. J’étais aussi confus quand je voyais des chrétiens se référer à certaines parties de la Bible, mais pas à son ensemble. Ils ignoraient un grand nombre de questions bien réelles. J’avais l’impression qu’en tant que système religieux le christianisme était un produit en train de s’effriter complètement et que ceux qui le vendaient devaient tenir les morceaux ensemble derrière leur dos en essayant de détourner l’attention de tout le monde. 43


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Toutes ces histoires pour enfants représentaient ce que le christianisme essayait de tenir derrière son dos. Le jardin d’Eden et la chute de l’homme, c’était une histoire assez idiote, et tout le récit autour de Noé et de son arche ressemblait quand même beaucoup à un conte de fées. Il m’a fallu du temps avant de comprendre que ces histoires, bien que souvent utilisées avec les enfants, n’étaient pas du tout des histoires pour enfants. Je pense que le diable a réussi à nous faire croire que la plus grande partie de la Bible relève du conte. Comment en sommes-nous arrivés à penser que l’histoire de l’arche de Noé convient aux plus jeunes? Est-ce que vous pouvez imaginer un livre pour enfants sur cette histoire qui serait rempli d’images de gens suffoquant dans des décilitres d’eau, avec des mères s’accrochant à leurs enfants pendant qu’elles sont emportées par des torrents en crue et que la petite tête des enfants finit écrasée sur un rocher ou accrochée aux arbres tombés? Je ne pense pas qu’un livre comme celui-là aurait du succès au rayon jeunesse de nos librairies. Je ne pouvais pas devenir chrétien parce que c’était une religion bonne pour des personnes intellectuellement naïves. Pour devenir chrétien, il fallait réduire d’énormes difficultés théologiques en fables pour enfants, ou bien les ignorer. Mon intellect avait beaucoup de mal à saisir toute cette question, mais rien de tout ça n’était bien défini, et la plus grande partie se jouait dans mon subconscient. *** La solution est venue d’où je ne l’attendais pas. J’ai suivi à l’université un cours de littérature où nous avons étudié les éléments qui composent une histoire: le contexte, le conflit, le paroxysme et le dénouement. 44


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C’est alors que, pendant que j’étudiais ce sujet, une drôle d’idée m’est venue, et j’ai pris conscience que nous ne savons pas d’où viennent les éléments d’une histoire. Bien sûr, nous pouvons connaître le nom de celui qui en a eu l’idée, mais nous ne savons pas pourquoi ils existent. J’ai commencé à me demander pourquoi nos esprits utilisent ce schéma spécifique pour raconter une histoire. J’ai donc tout décomposé. Contexte: c’était simple, toutes les histoires en ont un. Mon contexte, c’est l’Amérique, sur la planète Terre. Je comprends la notion de contexte parce que je l’expérimente. Je suis assis dans ma chambre, dans ma maison. D’autres gens partagent cette maison avec moi, etc., etc. Je savais par expérience ce qu’était un contexte, et mon cœur pouvait donc le comprendre. Mais ensuite vient le conflit. Toute bonne histoire contient un conflit. Il peut être interne ou externe, mais si vous voulez écrire un livre qui va se vendre, il faut que vous y mettiez du conflit. Là encore, je crois pouvoir dire que nous comprenons le conflit parce que nous l’expérimentons. Mais d’où vient le conflit? Pourquoi fait-il partie de notre existence? Cela m’a beaucoup aidé, d’accepter l’idée du péché originel et de la naissance du conflit. La rébellion contre Dieu expliquait pourquoi les humains font l’expérience du conflit dans leurs vies, et personne ne connaît d’autre explication à cet état de fait. Ce dernier point a été crucial. J’ai ressenti comme une révélation. Sans le péché originel et l’histoire apparemment idiote d’Adam et Eve avec l’arbre de la connaissance du bien et du mal, on se retrouve sans explication pour le conflit. Il n’y en a aucune. Il est vrai que certains verront le récit du péché originel comme une métaphore, comme un symbole de quelque chose de différent qui s’est produit. Mais que vous preniez l’histoire de façon littérale ou que vous préfériez son inter45


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prétation métaphorique, elle donne une explication satisfaisante des luttes que nous expérimentons tous: solitude, fait de s’endormir le soir en pleurant, dépendance, orgueil, guerre ou encore égoïsme. Notre cœur réagit au conflit qui se joue au sein de l’histoire, me suis-je dit, parce que nous sommes tous pris dans un grand conflit à l’échelle de l’univers, même si c’est de façon subconsciente. Si nous ne connaissions pas le conflit au sein de nos propres vies, il ne nous ferait pas réagir dans un livre ou dans un film. L’idée d’un conflit, d’une tension, de suspense ou même d’un ennemi nous serait étrangère. Mais elle ne l’est pas. Nous comprenons ces choses parce que nous les expérimentons. Même si je ne voulais pas l’admettre, la spiritualité chrétienne expliquait pourquoi. Il faut maintenant parler du paroxysme. Toute bonne histoire en a un. Le paroxysme se place là où une décision ou une action détermine la fin de l’histoire. C’est à ce moment-là que j’ai commencé à avoir un petit peu peur. Si le cœur humain utilise les éléments de la réalité pour créer une histoire, et s’il réagit au paroxysme au sein de sa structure, cela veut dire que le paroxysme, ou point de décision, pourrait très bien exister dans l’univers. Ce que je veux dire, c’est qu’il y a une décision que le cœur humain doit prendre. Les éléments de l’histoire commençaient à coïncider avec ma compréhension de la spiritualité chrétienne. Le christianisme offrait une décision, un paroxysme. Il offrait aussi une fin de l’histoire bonne ou mauvaise, et nos décisions étaient en partie responsables de la façon dont l’histoire se finissait. J’en arrivais donc à réaliser quelque chose d’assez effrayant. Cela fait des centaines d’années qu’un certain discours chrétien affirme que nous devons prendre une décision et choisir de suivre Jésus ou de le rejeter. C’est 46


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présenté comme une solution magique au dilemme de la vie. J’avais toujours détesté cette idée, qui m’apparaissait totalement passéiste, mais je devais reconnaître qu’elle fournissait une explication. Peut-être que cette idée passéiste pointait finalement vers quelque chose de mystique et de vrai. Et peut-être avais-je jugé l’idée, non pas sur ses mérites, mais sur la façon passéiste ou non de la présenter. *** Il y a longtemps, je suis allé au concert avec mon amie Rebecca, qui a la plus belle voix que je connaisse. J’avais entendu dire qu’un chanteur folk passait en ville et j’avais pensé qu’elle aimerait peut-être le voir, puisqu’elle était chanteuse, elle aussi. Les tickets m’ont coûté 20 dollars chacun, ce qui est cher quand vous invitez une fille à propos de laquelle vous n’avez aucune ambition. Entre deux airs, le chanteur nous a raconté une histoire qui m’a aidé à clarifier certaines choses dans ma façon de voir Dieu. C’était l’histoire d’un de ses amis, membre des Navy SEAL, une unité de commandos d’élite de la marine militaire américaine. Il l’a racontée comme si elle était vraie, et je pense donc qu’elle l’était, bien qu’il ait aussi pu s’agir d’une complète invention. Le chanteur nous a raconté que son ami menait une opération secrète dans le but de libérer des otages enfermés dans un immeuble, dans un pays marqué par la guerre. Son équipe a été transportée par hélicoptère, s’est rendue au bâtiment et a surgi dans la pièce où les otages étaient détenus depuis des mois. La pièce était sombre et répugnante de saleté. Les otages étaient recroquevillés dans un coin, terrifiés. Quand les SEAL sont entrés, ils ont entendu le souffle des otages. Les soldats se sont tenus à 47


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l’entrée de la pièce et ont appelé les otages, en leur disant qu’ils étaient américains. Ils leur ont demandé de les suivre, mais les prisonniers refusaient. Ils restaient assis sur le sol et la peur leur faisait mettre leurs mains devant leurs yeux. Leur esprit avait été ébranlé par la captivité et ils ne croyaient pas qu’ils avaient devant eux leurs libérateurs. Les SEAL sont restés là, sans vraiment savoir que faire. Il leur était impossible d’emmener tous ces gens en les portant. C’est alors que l’ami du chanteur a eu une idée. Il a laissé son arme, enlevé son casque et s’est approché des otages, suffisamment près pour pouvoir les toucher. Il a adouci l’expression de son visage et a mis ses bras autour d’eux. Aucun de leurs gardiens n’aurait jamais fait ça. Il est resté ainsi un petit moment, jusqu’à ce que certains des otages commencent à le regarder et que leurs regards se croisent enfin. Le commando a murmuré qu’ils étaient américains et qu’ils étaient venus pour les secourir. «Est-ce que vous êtes prêts à nous suivre?» a-t-il murmuré. Il s’est redressé, et un des otages a fait de même, puis un autre, jusqu’à ce qu’ils soient tous prêts à partir. L’histoire se termine à bord d’un avion militaire emmenant tous les otages sains et saufs. Je n’ai jamais aimé quand les pasteurs disaient que nous devions suivre Jésus. Parfois, ils donnaient l’impression que Jésus était en colère contre nous. Mais j’ai beaucoup aimé l’histoire du chanteur. J’aimais l’idée que Jésus soit devenu un homme comme nous afin que nous puissions lui faire confiance, et j’aime le fait qu’il a guéri les gens, qu’il les a aimés et que ce qu’ils pouvaient ressentir était vraiment important pour lui. Quand j’ai compris que la décision de suivre Jésus ressemblait beaucoup à celle que les otages avaient prise de suivre leurs libérateurs, j’ai pris conscience que je devais décider de le suivre ou non. Cela a été simple une fois que je me suis posé certaines questions: «Est-ce que Jésus est le 48


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Fils de Dieu? Est-ce que nous sommes prisonniers d’un monde dominé par Satan et où nos vies sont brisées? Est-ce que je crois que Jésus peut me libérer de cette situation?» Si la vie avait un paroxysme, et il le fallait pour que l’élément du paroxysme se retrouve dans nos récits, alors la spiritualité chrétienne offrait un paroxysme. Elle offrait une décision à prendre. Le dernier élément d’une histoire est son dénouement. La spiritualité chrétienne en offrait un: le dénouement du pardon et d’un endroit préparé pour nous après la mort. Encore une fois, cela me paraissait être d’un simplisme confondant, mais j’avais désespérément envie d’y croire. C’était comme si mon âme avait été faite pour vivre l’histoire que racontait la spiritualité chrétienne. Je sentais que mon âme voulait être pardonnée. Je voulais le dénouement que Dieu m’offrait. Tout y était: contexte, conflit, paroxysme et dénouement. Cela pouvait sembler idiot, mais cela répondait aux besoins du cœur et correspondait aux faits de la réalité. Ça avait l’air plus que vrai, ça avait l’air riche de sens. Je commençais à croire que j’étais un personnage inclus dans une histoire bien plus vaste, ce qui expliquait que les éléments d’un récit aient eu du sens en premier lieu. Une fois libérée de l’emprise du conte de fées, la proposition magique de l’Evangile me semblait très adulte, aussi crue que quelque chose tiré d’Hemingway et de Steinbeck, quelque chose avec une copieuse quantité de sexe et de sang. La spiritualité chrétienne n’était pas une histoire pour enfants. Elle n’était pas mignonne ou gentillette. Elle était mystique, étrange et nette, et n’avait pas peur de mettre les mains dans le cambouis. Il y a avait en elle de la merveille et de l’enchantement. Peut-être, me suis-je dit, que la spiritualité chrétienne, c’est ce qui fait la différence entre la magie et l’illusion. 49


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