J ’ai vécu l’inceste
Christiane Berville
Christiane Berville
Les petites fleurs ne meurent jamais «Et là, je n’étais plus dans mon corps. Ma tête s’est détachée, et je suis partie sur le nuage en cœur d’amour. Je ne savais pas où j’étais. On aurait dit que j’allais étouffer. Et, pendant ces horribles moments, j’aurais voulu me tuer. J’avais… presque cinq ans. La princesse venait de mourir, sa vie d’enfant venait de voler en éclats, elle a basculé dans l’horreur.»
Christiane Berville est mariée; elle est mère de deux garçons et a un petit-fils. Elle poursuit une formation dans le domaine de l’aide aux personnes abusées sexuellement. Son passé lui sert aujourd’hui à aider les personnes qui ont subi les mêmes souffrances. Elle donne des conférences sur la maltraitance sexuelle et la prévention. Une petite fleur blessée avant d’éclore. Le long silence de la nuit. Puis oser mettre des mots sur des maux secrets, profondément enfouis, moment douloureux qui accompagne une naissance. Enfin, une fleur avec tout son éclat. Puisse ce livre aider d’autres fleurs blessées à devenir un magnifique bouquet.
Christiane Berville
Les petites fleurs ne meurent jamais
Pour celles et ceux qui, de près ou de loin, sont concernés par le problème de l’inceste et des abus sexuels, ce livre est un magnifique témoignage d’espoir.
Les petites fleurs ne meurent jamais
Roger Eykermann
ISBN 978-2-940335-26-8
J ’ai vécu l’inceste
Christiane Berville
Les petites fleurs ne meurent jamais J'ai vĂŠcu l'inceste
Sauf indication, les textes bibliques sont tirés de la version Segond 21 © et édition: Ourania, 2008, 2013 Case postale 128, CH-1032 Romanel-sur-Lausanne Couverture : DEOM (Design of Mars) Photo de couverture: Matthieu Patient ISBN édition imprimée 978-2-940335-26-8 ISBN format epub 978-2-88913-546-2 ISBN format pdf 978-2-88913-940-8 Imprimé en UE sur les presses de Lightning Source
Table des matières Préface ........................................................................... 7 Dédicaces .................................................................... 11 Prologue ...................................................................... 15 Partie 1. L’enfance bafouée ....................................... 19 1. Patrick ...................................................................... 21 2. Mon papa ................................................................ 25 3. Mourir à 5 ans ......................................................... 31 4. Le placard ................................................................ 35 5. Survivre ................................................................... 39 Partie 2. Du Spleen de Paris à l’Evangile .................. 45 6. Mourir pour mieux vivre ......................................... 47 7. Une nouvelle vie ...................................................... 51 8. Vers la guérison ........................................................ 57 9. Jésus… la Vie ............................................................ 63 10. Dieu comme un père ou Dieu quand même Père? 75 11. Pardonner afin d’être libre .................................... 83 12. Je ne suis plus une petite fille ................................. 87 13. L'intimité sexuelle réconciliée ............................... 93 14. Aimer vraiment ..................................................... 97
Partie 3. Comprendre l’inceste ............................... 101 15. L’inceste, qu’est-ce que c’est? .............................. 103 16. Les stigmates de l’inceste .................................... 111 17. Un temps pour guérir .......................................... 131 18. Un temps pour le pardon .................................... 137 19. Un temps pour être aimé(e) et un temps pour aimer ............................................... 145 20. Plus jamais seul(e) ............................................... 149 Epilogue .................................................................... 155 Annexes .................................................................... 159 Prévention ................................................................. 163 La loi française et l’inceste ........................................ 166 La loi belge et l’inceste .............................................. 169 La loi suisse et l’inceste ............................................. 174 La loi canadienne et l’inceste .................................... 179 Maltraitance: associations, sites Internet .................. 181 Ils ont lu le livre ......................................................... 185 Remerciements .......................................................... 193 Poème de Nadine ...................................................... 197 Références bibliographiques ..................................... 199
PARTIE 1
L'enfance bafouée Nous pouvons ne pas garder dans le silence les violences reçues dans l’enfance. Nous pouvons oser mettre des mots sur les silences imposés. L’inceste devrait être reconnu comme un crime imprescriptible. Peut-être le sera-t-il un jour!!1
1 Jacques Salomé, Contes d’errances, contes d’espérance, Paris, Albin Michel, 2007, p. 79.
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1. PATRICK Il est des géniteurs qui ont beaucoup de mal à devenir des papas ou des pères. Il en est d’autres qui ne le seront jamais, car l’enfant blessé qui est en eux ne supporte pas l’enfant qui sera devant eux.1
1 Jacques Salomé, Contes d’errances, contes d’espérance, Paris, Albin Michel, 2007, p. 79.
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– Lève ta tête bien haute, mais tiens-la haute! Et là, tu vois bien que les nuages, ils flottent. Mais si! Et regarde, quand ils avancent, ils se transforment. Regarde, regarde! Celui-là, on dirait un cœur d’amour. – Ouah! Un vrai cœur d’amour… Aïe! J’avais la tête dans les mains de mon grand frère, et il me la tordait pour que je puisse la garder aussi haute que possible. Je ne voyais pas ce cœur d’amour, j’imaginais plutôt une grosse tête de chien sans oreille! Mais je voulais lui faire plaisir. J’étais heureuse de lui dire que je voyais son cœur d’amour. Tous les jours, j’apprenais de nouvelles choses avec lui. On se comprenait, il me considérait, nous étions de vrais amis. – Quand j’serai grande, je voudrais me marier avec toi. – Quand j’serai grand, j’voudrais voler dans les nuages! Patrick était le troisième d’une fratrie de sept enfants. Il était mon aîné de trois ans, il avait huit ans dans ce «monceau» de vie. Lui et moi étions victimes tous deux de la perversité des grands. Je ne saurais décrire les horreurs qu’il a subies durant cette enfance meurtrie. Horreurs qui me liaient toujours plus à lui, incapable que j’étais d’agir pour le sortir de perversités innommables. Tu es mort, mon grand frère, de la folie d’un homme. Je n’oublierai jamais ces moments où, 22
dans notre douleur, nous nous promettions de ne jamais nous quitter, nous nous promettions de nous protéger. Non, grand frère, je n’oublierai jamais. Et pardon, Patrick, pardon de n’avoir pas tenu ma promesse. Pardon de n’avoir pas réagi, quand «il» te violait et m’obligeait à ne pas fermer les yeux, cher et tendre grand frère, pardon… de n’avoir eu que cinq ans. (Patrick est mort à l’âge de 36 ans, tué sur le coup par un chauffard ivre, qui a pris la fuite. Patrick était musicien professionnel, il sortait d’un concert ce soir-là. Il était papa d’un petit garçon de sept ans.)
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2. MON PAPA Une femme ne se construit pas en un jour. Pour chacune, il s’agit d’assumer pleinement sa féminité, que ce soit dans le domaine amoureux et sexuel, ou dans son désir d’être mère. Le père est l’un des piliers de cette réussite. Il est l’indispensable soutien qui va aider sa fille tout au long du périlleux chemin qui l’attend dans son devenir de femme. Il est l’expérience d’un amour unique en son genre. Ce lien si intense se déploie pour un être de l’autre sexe, mais avec l’impératif qu’il n’y aura jamais de sexualité entre eux. C’est même cet interdit qui présidera à la qualité du lien, et à l’épanouissement du féminin. Une petite fille devient femme sous le regard de son père.1
1 Didier Lauru, Père-fille. Une histoire de regard, Paris, Albin Michel, 2006.
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Le soleil était déjà bien haut dans le ciel quand on entendit un bruit de moteur. – Papa, c’est papa! Mon cœur s’est mis à battre, c’était mon papa. Mon héros, celui qui savait tout, qui me protégeait, qui savait si bien me faire rire, qui me portait sur ses épaules pour que je sois «grande jusqu’au ciel». Mon papa. Je courais, du haut de mes cinq ans, aussi vite que mes petites jambes me le permettaient. – Papa! Papa! Je me jetais dans ses bras et me laissais enlacer et embrasser par celui qui était tout pour moi. – Ma princesse, comment vas-tu? As-tu été sage? Comme tu es belle! Mon papa. Comme c’était bon d’être blottie dans ses grands bras forts! En fait, je ne savais plus trop: allais-je me marier avec mon frère ou avec mon père? Avec mon père, c’était mieux. Lui, au moins, il ne me tirait pas les couettes et il ne me traitait pas de poule mouillée! La maison résonnait de cris et de rires d’enfants. C’était la fête. C’était toujours la fête quand papa rentrait du travail. Maman était plutôt «dure». Elle ne s’inquiétait que de sa maison qui devait rester propre. «Dehors les gosses!» Elle me faisait très souvent peur. Je n’aimais pas quand elle me lavait ou me coiffait. Elle me tirait si fort les cheveux. Et je n’avais pas à broncher, sinon je me prenais une claque. 26
– Pour être belle, il faut souffrir, princesse! J’étais sa poupée. Elle passait son temps à m’habiller, à me déshabiller. A m’ausculter tous les petits trous pour voir s’il n’y avait pas un brin de crasse qui traînait encore. Elle me détestait, et moi je faisais tout pour lui plaire, pour gagner un peu de son affection. – Maman, tu m’aimes? – Mais qu’est-ce que j’ai fait au Bon Dieu pour mériter une gosse pareille?! Oui, qu’est-ce qu’elle avait fait au Bon Dieu? Et moi, qu’est ce que je lui avais fait au Bon Dieu? Dans mes cauchemars d’enfant, je la voyais très souvent voler dans le ciel sur un balai de paille. Elle me poursuivait avec sa savonnette et sa brosse à cheveux. Et je m’imaginais Dieu, recouvrant tout ce ciel, me faisant les gros yeux: – Qu’est-ce que tu as fait à ta maman, dis… qu’est-ce que tu lui as fait? Mais là, j’étais bien, dans les bras de mon papa. Que pouvait-il m’arriver? Je me sentais heureuse et je riais. J’aimais tant les histoires qu’il me racontait! C’était comme un rêve qui ne devait jamais finir. Il aimait la nature, il aimait la poésie, il chantait toujours. Je garderai toujours en mémoire l’air qu’il me fredonnait: «Ma petite est comme l’eau, elle est comme l’eau vive, elle court comme un ruisseau que les enfants poursuivent, courez, courez, vite si vous le pouvez, jamais, jamais vous ne la rattraperez…» 27
On allait au jardin et il me racontait l’histoire des fleurs qui meurent en hiver parce qu’elles souffrent de ce qu’elles ont subi en automne, du vent, de la pluie, des tempêtes. Et il disait qu’après, il y a forcément un printemps, et là, elles s’éveillaient à la vie, encore plus belles, encore plus odorantes. Et moi, je riais, je tapais dans les mains. J’étais heureuse parce qu’il y a toujours un printemps et que, quoi qu’on puisse penser, les petites fleurs, finalement, ne meurent jamais! Ce jour-là était un dimanche, un dimanche de printemps, là où les fleurs s’éveillent à la vie, où les rayons du soleil sont encore bien timides. «Il» me faisait danser et je tournais, et je tourbillonnais, et je dansais, et je riais, et ma robe se gonflait. J’étais vraiment une princesse, la princesse de MON papa. «Il» disait que mes cheveux blonds de l’enfance brillaient sous le soleil, que j’étais sa petite fleur printanière. – Princesse, danse, danse encore! «Il» me prenait dans ses bras, ses bras tendres qui me faisaient tout oublier, qui me réjouissaient, qui me faisaient penser que j’étais aimée, que j’étais une petite fille heureuse à qui rien ne manquait. Oui, j’étais heureuse. – Princesse, viens, je t’emmène faire un tour sur ma mobylette. Ouah! Les mots magiques! Faire un tour sur la mobylette de papa: ce moment que tous mes frères 28
et sœurs souhaitaient vivre. Je n’étais jamais partie avec papa sur sa mobylette. Il disait toujours que c’était pour les grands. Et aujourd’hui, j’étais donc assez grande? Je n’avais pas encore cinq ans, mais presque, et j’étais fière de savoir que j’allais faire partie du «groupe» des grands, comme disait souvent un de mes grands frères. Ce «grand frère» me rejetait. Ma grande sœur et lui disaient de moi que j’étais la «chouchou du paternel» et j’étais très souvent exclue de leurs jeux. Mais là, peu m’importait: j’allais vivre des moments de rêve avec mon papa. Aujourd’hui, pourtant, je comprends qu’à ce moment-là aucun de mes frères ne pouvait soupçonner quels étaient les «privilèges» que je vivais avec «le paternel»…
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J ’ai vécu l’inceste
Christiane Berville
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Les petites fleurs ne meurent jamais «Et là, je n’étais plus dans mon corps. Ma tête s’est détachée, et je suis partie sur le nuage en cœur d’amour. Je ne savais pas où j’étais. On aurait dit que j’allais étouffer. Et, pendant ces horribles moments, j’aurais voulu me tuer. J’avais… presque cinq ans. La princesse venait de mourir, sa vie d’enfant venait de voler en éclats, elle a basculé dans l’horreur.»
Christiane Berville est mariée; elle est mère de deux garçons et a un petit-fils. Elle poursuit une formation dans le domaine de l’aide aux personnes abusées sexuellement. Son passé lui sert aujourd’hui à aider les personnes qui ont subi les mêmes souffrances. Elle donne des conférences sur la maltraitance sexuelle et la prévention. Une petite fleur blessée avant d’éclore. Le long silence de la nuit. Puis oser mettre des mots sur des maux secrets, profondément enfouis, moment douloureux qui accompagne une naissance. Enfin, une fleur avec tout son éclat. Puisse ce livre aider d’autres fleurs blessées à devenir un magnifique bouquet.
Christiane Berville
Les petites fleurs ne meurent jamais
Pour celles et ceux qui, de près ou de loin, sont concernés par le problème de l’inceste et des abus sexuels, ce livre est un magnifique témoignage d’espoir.
Les petites fleurs ne meurent jamais
Roger Eykermann
ISBN 978-2-940335-26-8
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