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Un immeuble de bureaux à son image
from now JUIN 2022
De plus en plus, le choix de leur immeuble de bureaux et les espaces qu’il propose deviennent des éléments clés de la communication des entreprises. Ils sont révélateurs de leur identité et contribuent à exprimer leurs valeurs et leurs engagements. ▶
Un bureau, c’est bien plus qu’un simple espace de travail. C’est le plus souvent au départ d’un immeuble qu’une entreprise organise toute son activité. Élément structurant de la vie en communauté, il est constitutif de son identité et contribue à l’image qu’elle renvoie à ses collaborateurs, ses clients et plus généralement à la communauté dans laquelle elle s’inscrit. C’est un lieu d’accueil, d’échange, de rencontre. De là naissent et se développent des projets qui contribueront au développement futur de l’activité. Partant de ce constat, nous nous sommes demandé dans quelle mesure l’architecture d’un immeuble participait à l’identité d’une entreprise et avons soumis la question à divers acteurs du marché immobilier.
Les projets remarquables ne manquent pas au Luxembourg. Beaucoup des bâtiments livrés ces dernières années se distinguent par leur originalité et leur audace architecturale. On pense notam- ment à One on One (IKO/Moreno Architecture), au Royal 20 (Leasinvest/Christian de Portzamparc), au «Bijou» (Grossfeld/Valentiny HVP Architects) ou encore à l’immeuble voisin qui accueille Deloitte (Grossfeld/Bretz – Moreno). On peut aussi évoquer Infinity, projet signé par Arquitectonica, où s’est installé Allen & Overy.
Esthétique ou fonctionnel ?
«Ces immeubles emblématiques marquent les esprits. Ils deviennent même représentatifs d’une époque. Le Dôme, quartier Gare, a très souvent été utilisé dans des supports de communication. On peut aussi évo- quer le bâtiment rouge de RBC à Belval, aujourd’hui directement associé à ce quartier de la ville d’Esch, explique Julien Pillot, Head of Office Agency au sein d’INOWAI. Cependant, si l’aspect esthétique est un élément pris en considération par les entre- prises à la recherche de nouveaux bureaux, il n’est pas déterminant. Un bâtiment peut être très beau, s’il n’est pas fonctionnel, il peinera à trouver un occupant.»
L’esthétique d’un bâtiment n’est donc souvent pas le premier critère pris en compte par les acteurs économiques à la recherche de nouveaux locaux. D’autres éléments, comme la localisation, la performance énergétique du bâtiment et le montant des charges, l’accessibilité, les possibilités d’aménagement intérieur, la disponibilité des places de station- nement et, évidemment, le coût seront souvent considérés en priorité. «Sur le marché, cependant, l’esthétique du bâtiment peut avoir une certaine valeur. Elle contribue à l’image des occupants. L’immeuble, en tant qu’élément visible de tous, est représentatif de l’entreprise. C’est la première chose que l’on voit. Or, j’aime à rappeler que l’on n’a jamais de deuxième chance de faire une première bonne impression, explique Julien Pillot. Les acteurs qui font le choix d’un immeuble remarquable n’hésitent d’ailleurs pas à utiliser l’architecture du bâtiment dans leurs supports de communication.» Toute chose étant égale par ailleurs, si un locataire a le choix entre deux bâtiments, il optera pour le beau. Un bel immeuble, un bien qui se démarque par son architecture, se louera plus facilement. «C’est pour cette raison, notamment, que certains développeurs n’hésitent pas à faire appel à des architectes de renom.
L’esthétique du lieu participant à l’image de l’entreprise, cela contribue à fidéliser les occupants, à réduire les risques liés à l’investissement», ajoute le Head of Office Agency.
Si l’architecture contribue à l’identité d’une entreprise, cela ne vaut pas uniquement pour l’esthétique qu’elle renvoie au niveau de la rue. Les aménagements intérieurs, l’organisation des espaces comptent aussi beaucoup, notam- ment pour les collaborateurs. Les ambiances et les divers espaces proposés revêtent une importance toujours plus grande, contribuant à améliorer l’expérience vécue par les équipes comme par les visiteurs. «C’est à travers les aménagements intérieurs que l’entreprise, le plus souvent, cherchera à exprimer son identité. Cela peut se traduire dans les matériaux utilisés, les couleurs choisies, mais aussi dans la diversité des espaces proposés, explique Geoffrey Castagna, Head of Technical & Project Management au sein d’INOWAI. Il faut mettre en œuvre des espaces dans lesquels on peut travailler de manière flexible et, surtout, donner à le voir. Il y a une volonté, renforcée par l’exigence de faire revenir au bureau, de montrer des espaces ouverts, dynamiques, davantage hybrides, dans lesquels on a envie de travailler.»
Garantir une homogénéité
Actuellement, au Grand-Duché, Société Générale mène un important projet immobilier. Les équipes de la banque sont aujourd’hui réparties sur cinq sites différents. La volonté est donc de rationaliser la situation et de rassembler les équipes. Pour cela, l’entreprise est en train de construire son nouveau
Julien Pillot
Head of office agency au sein d’inoWai
siège, un bâtiment de 10.000 m2 baptisé «Arsenal» et situé rue Émile Reuter. «Là, nous rassemblerons un tiers de l’effectif, explique Olivier Blanc, COO de Société Générale au Luxembourg. D’autre part, nous occuperons le bâtiment «Icône», développé sur 17.300 m2 par BeSix à Belval, où l’on retrouvera deux tiers des collaborateurs.»
Dans le cadre de ces développements, Société Générale a veillé à garantir une homogénéité entre les deux bâtiments. La signature souhaitée se traduit au niveau des espaces de travail proposés, dans les aménagements et le design intérieurs. «Un des enjeux, avec ce projet, a été de coconstruire les espaces avec les équipes, en cherchant à identifier les attentes et les besoins des collaborateurs, pour créer des espaces et des solutions fonctionnels et dans lesquels chacun se sent bien, explique le COO. Plus d’une centaine de salariés se sont investis dans ce projet, définissant les espaces, les ambiances, opérant le choix des couleurs. À ce titre, l’architecture intérieure participe à l’identité de la banque. Elle correspond à ce que nous sommes et veille à garantir à chacun une qualité de vie au travail optimale.»
Nouveaux modes de travail
Les bâtiments compteront une grande diversité d’espaces, répondant aux divers besoins. Certains permettent de s’isoler quand d’autres sont plus propices à la collaboration entre collègues. Les immeubles intègreront aussi une série de services, comme une salle de fitness, un espace culturel, un café où l’on peut s’installer et travailler. «Le concept facilite l’adoption d’un mode de travail hybride, avec des équipes qui peuvent aussi bien travailler au bureau qu’à la maison, explique Olivier Blanc. À travers ces espaces, nous privilégions le recours au concept de flex office, permettant à chacun de travailler où il le souhaite, en fonction de ce qu’il a à faire. » Pour ce qui est des aspects extérieurs, l’immeuble Arsenal étant développé directement par la banque, celle-ci a souhaité que l’architecture reflète l’image qu’elle cherche à donner, explique Olivier Blanc. «Nous avons privilégié un style moderne et dynamique, afin de montrer une réelle ouverture de la banque vis-à-vis de l’extérieur. Nous voulions casser cette image plutôt conventionnelle associée au secteur bancaire. L’immeuble de Belval, bien que la banque n’ait pas totalement la main sur l’architecture extérieure, correspond aussi à cette image d’ouverture et de modernité qu’elle souhaite se donner.
L’architecture, vecteur de valeurs
Si les aspects architecturaux, d’un point de vue esthétique comme fonctionnel, sont constitutifs de l’identité de l’entreprise, ils traduisent aussi les tendances et les préoccupations d’une époque.
Olivier Blanc
COO de SOCiété Générale au luxembOurG
Avec l’évolution des normes techniques, environnementales ou encore énergétiques, les bâtiments se réinventent sans cesse. On peut voir, à travers l’architecture, les évolutions générationnelles des bâtiments, répondant notamment à des exigences de confort et de bien-être des occupants, mais aussi à des enjeux environnementaux. «Il y a quinze ans, le béton était beaucoup plus présent. Aujourd’hui, le bois intègre davantage les structures des bâtiments. Les architectes s’adaptent aux enjeux de la société. Et les occupants, soucieux de faire valoir leur démarche de durabilité, considèrent de plus en plus ces aspects», explique Geoffrey Castagna.
L’engagement responsable des organisa- tions se traduit donc aussi à travers le bâtiment, de manière plus ou moins visible. La pose ostentatoire de panneaux solaires, le recours à des murs végétalisés en façade ou, plus rare, l’installation d’éoliennes visent avant tout des démarches de communication plus qu’ils ne contribuent effectivement à la qualité et à la performance du bâtiment. «D’autres éléments contribuent directement à l’amélioration de la qualité du bâtiment, notam- ment des solutions d’autoconsommation de l’énergie ou de minimisation des déperditions, explique Geoffrey Castagna. À cela s’ajoutent la mise à disposition de bornes de recharge de voitures électriques, des espaces de stationnement pour vélos, des offres de restauration healthy…»
Faire valoir ses engagements
Au cœur de son projet, Société Générale a inté- gré ces éléments et enjeux. «Notre banque soutient considérablement le développement de la finance responsable, commente Olivier Blanc.
Elle a d’ailleurs été élue banque de l’année 2022 en matière de développement durable par l’International Financing Review (IFR). Dès lors, nous voulions aussi traduire cet engagement au niveau de nos projets immobiliers. Beaucoup d’attention a été portée au niveau des certifications. Icône, par exemple, s’inscrit dans une démarche BREEAM Excellent tandis qu’Arsenal se positionne comme HQE Excellent et BREEAM Very Good. Le développement de ces immeubles et leur fonctionnement futur intègrent des considérations liées au recyclage des matériaux, à la préservation de l’eau, privilégient un éclairage naturel.» L’entreprise utilise ses immeubles pour révéler ses valeurs auprès des clients et des collaborateurs. Vis-à-vis des équipes, plus particulièrement, ces aspects sont importants. «En termes d’attractivité, l’engagement RSE autant que l’organisation du travail et la flexibilité qu’il offre sont des éléments évoqués par les candidats lors des entretiens», ajoute Olivier Blanc. Si l’immeuble donne directement à voir ce côté vert et cette flexibilité, c’est un réel atout.
«En faisant le choix d’un bâtiment disposant d’une certification environnementale, les locataires expriment leur engagement pour l’environnement, assure Julien Pillot. Aujourd’hui, les promoteurs, et avec eux les architectes, vont plus loin encore. Ces dernières années, on a vu émerger des considéra- tions plus grandes pour le bien-être et le confort des occupants, avec la popularisation de la certifica- tion WELL.» Les entreprises, en s’inscrivant dans de telles démarches, affirment aussi leur engagement à proposer des espaces de qualité. Et cherchent à renforcer leur attractivité.
Geoffrey Castagna
Head of TecHnical & ProjecT ManageMenT au sein d’inoWai
L’avis de l’architecte
L’achitecture d’un building participe-t-elle à l’identité d’une entreprise? Yves Berranger, architecte, directeur de l’agence parisienne Arquitectonica, a accepté de répondre à la question. «L’installation dans de nouveaux bureaux est toujours un projet de transformation important dans la vie d’une entreprise, explique-t-il. Dans ce contexte, très souvent, l’image du bâtiment sert de support à cette transformation en interne. L’entreprise utilise l’architecture de son immeuble comme une des premières manifestations de sa nouvelle identité.»
Le bureau Arquitectonica est l’auteur de nombreux projets iconiques à travers le monde. Au Luxembourg, on peut citer le projet Infinity, qui a accueilli le cabinet d’avocats Allen & Overy, ou encore le siège de la Banque de Luxembourg, le long du boulevard Royal. À Paris, ses références sont notamment les bâtiments aujourd’hui occupés par Microsoft, Accor ou encore Mazars. La plupart de ces bâtiments, toutefois, n’ont pas été conçus spécifiquement pour ces entreprises et ne répondent pas à la volonté d’une organisation de disposer d’un bâtiment qui reflète une identité existante. «Le plus souvent, nous répondons à des appels à projet visant à repenser des entrées de ville, avec la volonté de proposer des immeubles qui sont iconiques. Les utilisateurs de ces immeubles ne sont pas connus au moment de penser le projet, explique Yves Berranger. Cependant, la forte identité visuelle que nous leur avons donnée a souvent été utilisée par les entreprises. Elles se l’approprient, l’utilisent pour traduire la dynamique qui les anime.»
Si ces immeubles se distinguent par une esthétique audacieuse, au moment de leur conception,
Yves Berranger
Architecte, directeur de l’Agence pArisienne ArquitectonicA
c’est avant tout les enjeux fonctionnels qui sont pris en considération. «La qualité et l’originalité d’un immeuble, le plus souvent, découle de l’exigence de répondre à un ensemble de contraintes définies d’une part par la situation, d’autre part par les besoins fonctionnels ou encore les exigences et normes techniques et environnementales, explique Yves Berranger. C’est parce que ces exigences évoluent avec les époques que les critères esthétiques, eux aussi, changent de génération en génération d’immeubles.»
Les considérations esthétiques ne constituent pas un point de départ. «Pour les responsables immobiliers d’une entreprise, il y a la préoccupation de fournir aux employés le meilleur cadre possible, qui intègre les meilleurs espaces de travail, et donc les dernières pratiques et innovations pour accueillir les employés, explique l’architecte. Idéalement, toutefois, il y a un intérêt si le bâtiment donne à voir ces éléments. Ils peuvent plus facilement servir la communication interne et l’image de l’entreprise vis-à-vis de l’extérieur.»
Pour l’architecte, une conception qui serait trop orientée par une démarche de pure communication peut conduire à l’ajout de «gadgets» en façade. «Je pense à des panneaux photovoltaïques positionnés de façon ostentatoire ou encore à la présence d’éoliennes, des éléments qui ne créent pas d’avantages pour la qualité du lieu de travail ou la performance du bâtiment, explique-t-il. Contrairement à l’effet recherché, ils peuvent même être considérés comme des marqueurs de superficialité. Je pense qu’il est préférable qu’un projet privilégie le développement de solutions réelles, contribuant à la qualité et la richesse du lieu.» Il est primordial, en effet, qu’identité rime avec authenticité.