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L’immobilier face aux défis de l’ESG

Aujourd’hui dans l’immobilier, l’ensemble de la chaîne de valeur adopte de nouvelles approches pour intégrer les critères de durabilité. C’est un tournant majeur, qui se traduit aussi dans les activités au Luxembourg.

L’immobilier face au défi de l’ESG

Le secteur immobilier négocie actuellement un tournant majeur. L’objectif est de veiller à une meilleure intégration des critères environnementaux, sociaux et de bonne gouvernance (ESG) dans le développement des immeubles, en matière de valorisation des biens et dans la gestion des fonds Real Estate. Le 18 mai dernier, LuxReal, en collaboration avec PwC Luxembourg, consacrait une conférence à cette thématique, avec la volonté de prendre le pouls du marché vis-à-vis de ces enjeux. Poussés par une réglementation contraignante, mais aussi par une demande croissante des investisseurs et des occupants pour des immeubles toujours plus verts et socialement responsables, les acteurs de l’immobilier au Luxembourg et en Europe font évoluer leurs approches, pour le bien de tous. ▶

«Prendre le pouls de la finance et du développement durables.» La thématique de la dernière conférence LuxReal, l’association des acteurs du Real Estate au Luxembourg, constitue un sujet «chaud» pour l’ensemble des acteurs du secteur. Aujourd’hui, comme l’a rappelé Frédéric Vonner, Advisory Partner au sein de PwC Luxembourg, une vague de réglementations durables s’abat sur les acteurs économiques européens. L’enjeu? Verdir l’économie et atteindre les objectifs de neutralité carbone définis à la suite de l’accord de Paris.

Vague réglementaire

«L’une des premières réglementations mises en œuvre concerne les fonds d’investissement. Sustainable Finance Disclosure Regulation (SFDR) vise à apporter davantage de transparence à l’investisseur, au travers de nouvelles obligations de reporting notamment, eu égard aux objectifs durables poursuivis par un fonds», explique Frédéric Vonner. Une autre évolution réglementaire importante réside dans la taxonomie ESG, en cours d’adoption. «Celle-ci se concentre d’abord sur les aspects environnementaux. Elle détermine ce qui constitue une activité durable ou pas, selon le secteur dans lequel on évolue», explique le partner de PwC. Si l’on considère le secteur de la construction, un immeuble neuf sera considéré comme durable s’il répond à une série de critères techniques précis. Si l’on parle de rénovation, d’autres standards sont à considérer.

Ces deux textes sont appelés à fonctionner de manière complémentaire. À l’avenir, un fonds immobilier durable, poursuivant des objectifs environnementaux, devra donc démontrer que les biens qu’il détient au sein de son portefeuille répondent aux critères définis au niveau de la taxonomie. «C’est un changement important qui, pour les acteurs, revêt une réelle complexité, commente encore Frédéric Vonner, pointant notamment un effet délétère lié à ces évolutions. Alors qu’elles visent à lutter contre le greenwashing, les contraintes et risques associés à ces évolutions ont tendance à inciter les acteurs de l’industrie à réduire

leur niveau d’engagement en matière de durabilité, et ce par crainte de ne pas pouvoir répondre aux exigences fixées.»

Accélérer la transition

Ces réglementations ont toutefois le mérite d’obliger l’ensemble des acteurs du secteur immobilier à s’engager dans une démarche durable. Si l’on s’intéresse aux acteurs de la finance, sans doute n’auraient-ils pas négocié ce tournant aussi rapidement sans ces régle- mentations. «Face aux enjeux, nous n’avons pas d’autre choix que de changer d’approche. Il y a dix ans, une première enquête menée à l’échelle du secteur financier révélait une volonté des acteurs à s’engager en faveur de la finance durable, explique Jane Wilkinson, Independent Director/ESG Sustainable Finance Expert. Au-delà de la déclaration d’intention, il ne s’est pas passé grand-chose, et ce jusqu’il y a trois ans, avec la volonté de l’Union européenne de mettre en œuvre un cadre contraignant.»

Le législateur, à travers cette vague réglementaire, poursuit trois objectifs principaux. Il entend réorienter les flux financiers vers des activités durables. Il souhaite que les acteurs de la finance tiennent mieux compte des risques environnementaux, sociaux et de bonne gouvernance. Enfin, il s’agit d’apporter plus de transparence aux investisseurs vis-à-vis des engagements durables formulés.

B

QUELQUES CHIFFRES

40%

L’immobilier participe à 40% des émissions de CO2 sur la planète.

800.000

m2 d’immeubles de bureaux disposent d’une certification BREEAM ou DGNB au Luxembourg.

3 à 6

Selon le Giec, les flux financiers sont trois à six fois plus faibles que ce qui est nécessaire d’ici 2030 pour limiter le réchauffement climatique à moins de 2°C.

36%

Les bâtiments sont à l’origine de 36% de la consommation d’énergie mondiale par leur construction et leur exploitation.

-30%

Les Nations unies estiment que, pour limiter la hausse des tempé- ratures mondiales à moins de 2 degrés d’ici à 2030, le secteur de l’immobilier doit réduire l’intensité énergétique moyenne des bâtiments d’au moins 30%.

A+B . Intervention de Jean-Nicolas Montrieux lors de la conférence LuxReal autour du défi de l’ESG.

«Aujourd’hui, le législateur se concentre avant tout sur les aspects environnementaux. C’est en effet le domaine pour lequel il existe déjà des indicateurs, des méthodologies permettant de calculer des émissions de CO 2, les performances environnementales associées à une activité ou encore à un bien immobilier», assure Jane Wilkinson. À terme, cependant, les autres aspects du développement durable, comme l’impact social, devraient aussi entrer en ligne de compte.

Un défi de taille

Pour les acteurs de l’immobilier, appréhender ces évolutions constitue un défi de taille. Les gestionnaires de fonds immobiliers doivent intégrer ces aspects de durabilité, pour répondre à la réglementation d’une part, mais aussi pour satisfaire les exigences des investisseurs toujours plus importantes en la matière. «En tant que gestionnaires, au final, nous gérons des immeubles. Le challenge qui se présente à nous est de réduire l’empreinte environnementale des biens que nous avons en portefeuille, assure Nehla Krir, Head of Sustainability & CSR, au sein de BNP Paribas REIM. Le défi concerne davantage les fonds existants que ceux que nous lançons et qui doivent tous démontrer des caractéristiques fortes.» L’enjeu, au-delà de la nécessité de se conformer à la réglementation, est de démontrer que l’on met en œuvre une stratégie cohérente, répondant aux objectifs poursuivis par le fonds, en collectant les bonnes données. Faire preuve de transparence, considérant la diversité des pratiques et des méthodes, sans compter la difficulté de collecter des données, n’a rien d’évident à l’heure actuelle. «Aujourd’hui, en outre, seul 1% des actifs européens répond aux critères de durabilité selon la vision qu’en a le législateur», ajoute Nehla Krir.

C. De gauche à droite : Frédéric Vonner, Advisory Partner chez PwC, Nehla Krir, directrice développement durable & RSE de BNP Paribas REIM, Laura Iftime, Partner Alternatives chez PwC, Jean-Nicolas Montrieux, Partner & Managing Director d’INOWAI, Jane Wilkinson, fondatrice de Ripple Effect, Michel Knepper, directeur des opérations de Grossfeld et Emmanuelle Ramponi, vice-présidente de LuxReal. C

Construire durable

À l’autre bout de la chaîne, les développeurs et promoteurs doivent aussi intégrer ces considérations, pour construire des immeubles plus performants en énergie, neutres en carbone (et même négatifs en carbone), dont l’impact environnemental et social est positif. Michel Knepper, Operations Director de Grossfeld Immobilière SA, chargé du développement du nouveau quartier de la Cloche d’Or, a témoigné de ce qui se faisait dans cette perspective. «Depuis plusieurs années, la tendance est à l’amélioration de la performance énergétique des bâtiments, à travers notamment la mise en œuvre de certifications environnementales. De nombreux autres éléments entrent en ligne de compte, au-delà du bâtiment même. Par exemple, la Cloche d’Or fonctionne sans recourir à une source d’énergie primaire, explique-t-il. L’apport énergétique provient d’une unité d’incinération de déchets située à Leudelange. La mobilité est aussi un aspect important.»

Valorisation durable

Sur le marché de l’immobilier, les critères de durabilité ont aussi été intégrés par les investisseurs et sont des éléments pris en compte par les occupants. «Près de 100% de nos clients investisseurs institutionnels sont attentifs aux aspects durables des bâtiments et à leur efficience énergétique. Aujourd’hui, si un building n’est pas vert, il n’est plus considéré comme un actif core, explique Jean-Nicolas Montrieux, Partner et Managing Director d’INOWAI. Les investisseurs ne souhaitent plus acheter un building qui ne dispose pas d’un bon score ESG. Un développeur qui se lancerait dans un projet sans prendre en compte ces critères s’expose aujourd’hui à un risque énorme, celui de ne pas trouver d’acheteur.» L’immobilier, plus que jamais, doit s’envisager dans une perspective durable, s’il veut préserver sa valeur. «Un immeuble doit pouvoir traverser les époques, durer au moins cinquante ans, commente Michel Knepper. Pour cela, il doit être conçu de manière flexible, pour permettre une éventuelle reconversion si cela s’imposait. Au-delà, de plus en plus, nous considérons le cycle de vie des divers matériaux, dans une démarche d’économie circulaire.» ◆ Jean-Nicolas Montrieux

Partner & Managing director d’inoWai

Lorsqu’il s’agit d’évaluer un bien immobilier, les critères environnementaux sont de plus en plus pris en considération. La réglementation, à la poursuite d’objectifs en matière de neutralité carbone, a pour effet de faire évoluer les normes environnementales et l’efficience des bâtiments plus rapidement. Les exigences du marché évoluent elles aussi plus rapidement. Ce qui est vrai pour l’investisseur l’est également pour l’utilisateur du bien, de plus en plus attentif à ces aspects environnementaux. Un immeuble vert permet de traduire l’engagement et les convictions durables de l’entreprise. Il est courant de faire valoir la certification environnementale dans une démarche marketing. Aujourd’hui, les certifications relatives au bien-être des occupants, à l’instar de WELL, sont des outils auxquels ont recours les RH pour faciliter le recrutement. Les certifications évoluent, accompagnant la transformation du secteur, conférant de la valeur aux bâtiments développés.

Les normes évoluant à rythme soutenu, les immeubles les moins performants pourraient perdre plus rapidement de la valeur. On peut se demander, au-delà des échéances pour lesquelles nous devons atteindre les objectifs de neutralité carbone, comment seront considérés les immeubles peu vertueux encore présents sur le marché. Toutefois, si ce critère est aujourd’hui mieux pris en considération pour envisager la valeur d’un immeuble, il reste difficile d’évaluer son incidence.

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