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Débat
Face aux difficultés que rencontre une partie de la population pour se loger, les acteurs privés se disent prêts à s’engager dans le développement de logements à coûts modérés.
Logements abordables: à quand une place pour les acteurs privés?
Au Luxembourg comme dans des pays proches, une part de plus en plus importante de la population ne peut plus se payer un toit, car les prix ont explosé et l’offre en logements sociaux ou abordables est insuffisante. Au cours d’une conférence organisée ce 14 octobre par LuxReal et INOWAI, plusieurs experts internationaux ont répété que les acteurs privés étaient prêts à participer au développement de ces logements… pour autant que toutes les parties prenantes parviennent à dialoguer. ▶
Le 14 octobre 2021 s’est tenue, à LuxExpo The Box au Kirchberg, une conférence sur la place des acteurs privés dans le développement de logements à coût abordable.
Depuis plusieurs années maintenant, les prix de l’immobilier au Luxembourg connaissent une hausse annuelle à deux chiffres. Ce phénomène complique considérablement l’accès au logement des personnes disposant de moins de moyens, catégorie constituant pourtant une part importante de la population. Malheureusement, l’offre en logements sociaux ou abordables ne suffit pas à loger ces personnes, ce qui menace ce droit fondamental qu’est l’accès au logement. C’est au départ de ce constat qu’ont débattu, ce 14 octobre à LuxExpo The Box, un panel d’experts actifs dans des structures privées ou publiques qui s’attèlent à développer des projets immobiliers abordables.
Une longue histoire publique
Dans un premier temps, ces experts venus de Belgique, de France et du Luxembourg sont remontés aux sources du logement social ou abordable dans leur pays respectif, juste après la Deuxième Guerre mondiale. Partout, les acteurs publics ont toujours eu une réelle emprise sur le développement de ce type de logements. Succédant au président du directoire de la société immobilière française Quadral, Jean-François Prévot, et au directeur de la Société wallonne de crédit social, Joël Stevens, qui ont exposé
les particularités des modèles français et wallon, Jean-Paul Scheuren, président de la Chambre immobilière du Grand-Duché de Luxembourg, a lui aussi souligné l’importance du rôle joué par les pouvoirs publics dans la gestion des logements abordables au Luxembourg. Et la méfiance que suscitent les initiatives privées en la matière. «C’est à croire que dès que l’on parle de faire de l’argent avec du logement social, cela dérange.»
Pourtant, à en croire les acteurs réunis à LuxExpo The Box, il est tout à fait possible pour un acteur privé de générer des revenus en proposant du logement abordable. «Dans les conditions actuelles, avec des taux d’intérêt très bas, les promoteurs n’ont pas besoin d’un rendement énorme pour dégager des profits. Nous avions calculé que, même sans subsides publics, on pouvait développer des projets de logements loués à des prix 25% moins élevés que le marché, tout en gagnant quelque chose», explique Jean-Paul Scheuren. C’est précisément cette voie qu’a choisie Charles-Antoine de Theux, CEO d’Heliosmart, société développant des projets de construction efficients énergétiquement et à bas prix. «Nous avons développé un premier projet en 2018, avec des prix situés 25% en-dessous de ceux du marché. Une agence immobilière sociale a tout de suite marqué son intérêt, et c’est normal: elle dépensera beaucoup moins en charges avec un bâtiment comme le nôtre. Ce n’est pas évident de trouver l’équilibre, qui passe notamment par un achat de foncier à prix raisonnable, via des emphytéoses notamment. Mais c’est possible.»
D’importantes ressources privées
Plein d’idées innovantes, le secteur privé est donc dans les starting-blocks pour se lancer sur ce marché. «Il faut tout de même rappeler que l’investissement dans ce type de logement
n’est pas, selon moi, un investissement comme un autre, indique Jean-François Prévot. En France, on vend 11000 logements de ce type par an. C’est donc un tout petit marché et il faut en être conscient avant de se lancer. Pour obtenir un ROI satisfaisant, il faut souvent se projeter sur 10 ou 15 ans.» Jean-Nicolas Montrieux, Partner et Managing Director d’INOWAI, pense pourtant le contraire. «Des ressources financières conséquentes sont aujourd’hui à disposition des investisseurs qui, depuis la crise, placent moins volontiers leur capital dans les centres commerciaux ou les bureaux. Le résidentiel, par contre, continue à fournir des rendements sûrs, même s’ils ne sont pas très élevés.»
Le développement de fonds ISR (Investissement socialement responsable) pourrait d’ailleurs renforcer l’attrait du privé ou des institutionnels pour l’immobilier social. «Tous les acteurs ont aujourd’hui besoin d’investir de façon responsable. Et les fonds immobiliers ont désormais accès à ces fonds ISR, ce qui offre des perspectives neuves au secteur», estime ainsi le président de Quadral.
Lever les freins
Ce coup de pouce ne suffira toutefois pas à lever les nombreux freins qui empêchent encore trop souvent les acteurs privés de développer des projets de logements abordables: prix du foncier, attitude du secteur public qui considère le secteur privé comme un concurrent, difficultés causées par des décisions politiques électoralistes… ou par des fonctionnaires trop zélés. «En Wallonie, le fonctionnaire délégué de l’urbanisme a ainsi un pouvoir très important. À lui seul, il peut empêcher la concrétisation d’un projet, détaille Joël Stevens. Pour ma part, je plaide aussi pour la mise en place de partenariats public-privé, mais cela n’a pas toujours été simple… Cela dit, depuis l’électrochoc causé par les inondations de juillet, les freins tombent les uns après les autres et on semble de nouveau prêt à construire massivement. C’est bien, mais c’est dommage d’avoir attendu ça…»
Dans un contexte où l’endettement public n’est plus en odeur de sainteté, le secteur privé devra, dans tous les cas, finir par prendre le relais.
De gauche à droite : Jean-François Trapp, LuxReal President Partner Baker McKenzie, Jean-Nicolas Montrieux, Partner & Managing Director INOWAI, Joel Stevens, Directeur, Société Wallonne du Crédit Social, Jean-François Prévot, Président du directoire Quadral, Charles-Antoine de Theux, CEO Heliosmart, Jean-Paul Scheuren, Président Chambre immobilière.
Car la situation est urgente. «Le risque de fracture sociale n’a jamais été aussi élevé et le désespoir peut avoir des conséquences sociales terribles, croit Charles-Antoine de Theux. Face à cette situation, la question du choix entre location et propriété a moins d’intérêt.» De fait, il s’agit aujourd’hui plutôt de garantir un accès à un logement décent, tout court. «Être propriétaire reste un investissement intéressant… pour peu qu’on ait les moyens. Et c’est de moins en moins le cas, estime Jean-Paul Scheuren. Pour garantir l’accès à un logement décent – loué ou acheté – pour les prochaines décennies, il faut faire de la construction de logements abordables un sujet prioritaire. L’objectif est de 400000 logements. Aujourd’hui, on en a 3000 et on en construit 200 de plus chaque année… Loger une population qui continue à croître ne sera tout simplement plus possible bientôt, si on ne laisse pas le privé investir dans ce secteur.»
Sans une réaction forte, c’est aussi toute l’économie luxembourgeoise qui en pâtirait: pourquoi un travailleur rejoindrait le Luxembourg pour mieux gagner sa vie s’il dépense la majeure partie de son salaire dans son loyer? Voilà qui devrait donner matière à réflexion à l’ensemble des personnalités politiques luxembourgeoises, à moins de deux ans des prochaines législatives.