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BERYL KOLTZ

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La liste

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Beryl Koltz veut utiliser son bagage de réalisatrice pour susciter de l’émotion et porter les messages de promotion du Grand-Duché.

« Notre mission est de placer le pays sur la carte »

Un an après son entrée en fonction, Beryl Koltz, responsable stratégique de la promotion de l’image de marque du pays, partage ses ambitions d’ici 2025 pour faire connaître le Luxembourg en profondeur à l’international. Un objectif qui passe par le triptyque créativité, diversité et durabilité.

Interview IOANNA SCHIMIZZI Photo ANTHONY DEHEZ

Faut-il encore parler de nation branding pour évoquer la stratégie de promotion du pays ? On essaie plutôt de parler d’image de marque, qui équivaut au nation brand. Le mot « branding » suggère, quelque part, que l’on peut créer de toutes pièces des outils de marketing, que l’on pourrait créer une image comme on crée l’univers d’une marque commerciale. Je ne pense pas que cela fonctionne pour un pays, qui est un sujet éminemment plus complexe qu’une marque. L’inventeur du terme « nation brand », Simon Anholt, s’est lui-même un peu détaché de l’expression « nation branding » parce qu’il ne s’agit pas de positionner le pays de manière artificielle, mais plutôt de s’appuyer sur les atouts et aspirations qui existent.

Quelle est la vision qui prévaut aujourd’hui pour mettre en place la promotion du pays ? Avec les parties prenantes impliquées (voir encadré), nous avons défini la vision suivante, entérinée par le conseil de gouvernement début juin : celle d’asseoir le positionnement du Luxembourg comme un acteur engagé sur la scène internationale, un allié fort dans le cadre d’une croissance durable et un facilitateur d’idées innovantes pouvant contribuer à un monde meilleur.

Dans la continuité de ce feu vert gouvernemental, vous avez présenté un plan d’action 2021-2025 le 30 juin dernier. Quels en sont les objectifs ? Notre objectif est de « faire connaître et apprécier les valeurs et visages du Luxembourg ». En découlent quatre sous-objectifs : développer un positionnement authentique, cohérent et durable du Luxembourg ; coordonner les différentes parties prenantes actives dans la promotion du pays ; viser l’international à travers des actions de promotion ciblées, et développer une expertise en matière de perception du Luxembourg et d’évaluation de nos actions.

Les priorités définies dans notre plan d’action s’inscrivent dans le programme gouvernemental. Il est vrai que, parfois, la frontière peut être fine entre promotion, communication et sensibilisation, mais notre travail, c’est avant tout la promotion. Le but principal est

BIO EXPRESS

Naissance Beryl Koltz, 46 ans, possède la double nationalité francoluxembourgeoise. Du côté paternel, elle est la petite-fille de la poétesse luxembourgeoise Anise Koltz et, du côté maternel, la petite-fille de la poétesse et écrivaine française d’origine syro-libanaise Andrée Chedid.

Réalisatrice récompensée Après avoir effectué sa scolarité au Luxembourg, elle étudie à l’université de la Sorbonne et devient réalisatrice de films, puis réalisatrice multimédia et consultante en communication. Son parcours a été récompensé d’une quinzaine de prix internationaux et d’une programmation au MoMA de New York. Elle devient responsable de la communication de l’Œuvre en 2018 et est nommée en septembre 2020 responsable stratégique de la promotion de l’image de marque au sein du ministère des Affaires étrangères et européennes. de mettre en avant ce qui incarne aujourd’hui les valeurs du Luxembourg en termes de projets, d’initiatives, d’idées.

Comment y parvenir ? Nous allons continuer à organiser nos workshops de développement du plan d’action d’ici la fin de l’année, sur la base des grandes lignes de la nouvelle stratégie. Ce plan d’action s’articule autour de quatre grands axes stratégiques. Le premier est de développer un positionnement cohérent et authentique du Luxembourg, tant au niveau du message qu’au niveau visuel. Concernant le message, nous allons davantage développer le storytelling. Nous développons actuellement un axe narratif qui sera modulable, afin de pouvoir être intégré par les différentes parties prenantes dans leur travail de promotion.

Le deuxième axe correspond au verbe « coordonner » : l’un des facteurs-clés de la réussite de l’initiative. Coordonner au mieux les différentes parties prenantes dans le but d’harmoniser les messages qui sont véhiculés vers le monde. Cet axe met en avant notre rôle de facilitateur, et c’est dans ce contexte que nous allons aussi mettre en ligne un nouveau site internet d’ici la fin de l’année, pour regrouper les différents services que notre équipe met à la disposition des acteurs. Notre but ultime de coordination est de développer une vraie communauté de personnes actives dans la promotion du Luxembourg.

Le troisième axe est de promouvoir : ici, l’idée est vraiment de viser l’international pour augmenter la notoriété et renforcer l’image du pays.

Pour le quatrième axe, il s’agit d’évaluer : mesurer la perception externe – en effectuant un monitoring – et évaluer l’impact des actions de coordination et de promotion. L’idée est

d’avoir une expertise sur la perception du Luxembourg: où est-il connu ? Dans quels pays l’est-il moins ?

Quels sont, justement, les atouts du Luxembourg pour se « vendre » à l’international ? À travers la consultation publique réalisée en 2015, trois grandes valeurs de référence ont été identifiées pour qualifier le Luxembourg : dynamique, ouvert et fiable. Que représentent ces trois valeurs ? La première signifie que, par sa taille et son agilité, le Grand-Duché a toujours su se réinventer à travers les âges et dans tous les secteurs – agricole, industriel, puis dans celui des services et aujourd’hui dans le secteur de la recherche ou du spatial. Et ce dynamisme se manifeste aussi dans le secteur culturel avec les industries créatives, et aussi les initiatives sociales, l’économie solidaire et circulaire. Le terme « ouvert » est utilisé dans le sens où le pays est ouvert vers l’extérieur. C’est vraiment l’élément-clé de l’identité luxembourgeoise. Et, bien entendu, le Luxembourg est un carrefour cosmopolite, un melting-pot de personnalités et de nationalités. La troisième valeur est la fiabilité, car c’est un pays économiquement et politiquement stable.

Comment transformer cette prise de connaissance en action ? Cette initiative de promotion de l’image de marque est encore très jeune : elle s’est construite en 2013 sur l’idée que, pour pouvoir parler de nous, il faut déjà savoir qui nous sommes et ce que nous pouvons apporter. C’est pour cela que ces trois valeurs ont été dégagées. L’étape suivante a été, par le biais de la nouvelle stratégie qui vient de paraître, de définir les thèmes prioritaires. Après le « qui sommes-nous ? », il a fallu formuler le « que voulons-nous ? ». Ces trois priorités sont la créativité, la diversité et la durabilité. Elles s’appuient sur les trois valeurs de référence, et je dirais qu’elles les spécifient encore un peu plus dans l’idée de leur apporter une dimension plus éthique. Depuis 2013, le monde a continué d’évoluer. La crise climatique gronde de plus en plus fortement, la pandémie de Covid-19 a éclaté, #MeToo est

SAVOIR-FAIRE ET FAIRE SAVOIR

Une vision « L’objectif de la promotion de l’image de marque est de ‘faire connaître et apprécier les visages et les valeurs du Luxembourg’, c’estàdire de faire connaître le pays plus en profondeur », explique Beryl Koltz.

arrivé. Le monde a changé. Nous avons senti le besoin d’intégrer cela dans notre démarche.

Quelles sont les parties prenantes actives dans la promotion du Luxembourg ? Il arrive souvent que l’on confonde parties prenantes et groupes cibles. De manière générale, les parties prenantes sont les groupes de personnes ou d’organisations impliqués d’une façon ou d’une autre dans une initiative donnée ou qui ont un intérêt relatif à cette question. Elles sont reliées par le but de l’initiative. Pour la promotion de l’image de marque du Luxembourg, les parties prenantes jouent un rôle crucial dans le déploiement des messages. Chaque partie prenante contribue, à sa façon, à la mission de promotion du Luxembourg à l’international. Les parties prenantes se distinguent en une cellule de promotion de l’image de marque et cinq réseaux majeurs. Il y a le comité, qui représente une vingtaine de personnes, et qui est le noyau dur de la promotion de l’image de marque. Il définit aussi les grandes orientations stratégiques. Il est composé de représentants des ministères et administrations, des agences de promotion sectorielles, des chambres professionnelles et de divers autres partenaires. Nous avons également un réseau de membres consultatifs. Pour donner un exemple, on peut citer le ministère de la Mobilité et des Travaux publics qui, sans être directement impliqué dans la promotion du Luxembourg à l’international, a notamment fait le buzz à l’étranger avec la gratuité des transports publics, et a contribué à véhiculer une image positive du Luxembourg. Les autres réseaux sont celui des représentants officiels, constitué de nos

« La promotion de l’image de marque est un exercice qui s’inscrit dans la durée. »

missions diplomatiques et consulaires, ainsi que les réseaux commerciaux et économiques dans le monde, le réseau des membres du comité et le grand public national.

Considérez-vous que le Luxembourg est un pays à part ? Oui, le Luxembourg a des atouts remarquables, des capacités d’adaptation au contexte, à l’environnement, qui sont liés également à la taille du pays. Nous avons toujours dû et su trouver des alliances solides avec l’extérieur pour survivre en quelque sorte.

L’image du pays reste-t-elle pourtant négative à l’international ? C’est plutôt une question de vision partielle, voire partiale du Luxembourg. Pourtant, lorsque l’on regarde de manière objective le pays, que l’on voit tout ce que le Luxembourg initie et réalise en termes de projets, d’initiatives et de synergies, ses aspirations, ses efforts et ses atouts sont évidents, d’un point de vue moral également. Et je dirais que les trois priorités que nous avons identifiées visent à mettre en lumière cet aspect-là. Il y a le savoir-faire et le « faire savoir », et notre mission est de faire savoir et donc de placer le pays sur la carte.

L’idée est aussi d’avoir des images en tête quand on pense au Luxembourg ? Oui, et qu’il y ait une narration cohérente qui relie le tout, que l’on n’ait pas qu’une seule image en tête, qu’il y en ait plusieurs, mais que tout le monde n’en cite pas dix différentes. Il faut que l’on sache quelle est la vision pour le Luxembourg. Il est donc très important que l’image soit authentique, parce que les gens doivent s’y reconnaître, sinon les messages ne vont pas fédérer et ne seront donc pas diffusés. Il faut un discours qui soit en équilibre entre passé, présent et avenir. Ce serait dommage d’occulter le passé du pays, car le Luxembourg est riche à la fois de son patrimoine historique, mais aussi de son dynamisme, et il est tourné vers l’avenir.

Vous avez des exemples de « visages » qui représentent le Luxembourg ? Il y en a une multitude. Par rapport à l’actualité des derniers mois, on peut, par exemple, citer l’actrice Vicky Krieps ou l’athlète Charles Grethen, comme on peut penser à des personnes engagées qui gagnent à être connues par-delà nos frontières car elles incarnent justement des valeurs bien présentes au Luxembourg. Nous entrons maintenant dans le vif du sujet avec le plan d’action qui va être de mettre en avant ces trajectoires, notamment à travers les réseaux sociaux ou des petits formats vidéo ou photo, pour les faire connaître.

Il y a les réseaux sociaux, les événements, le travail avec la presse, et le fait que chaque personne est, en elle-même, un vecteur potentiel d’une image positive du Luxembourg.

Certains pays ou villes vous inspirent-ils dans leur démarche de promotion ? Au niveau du message et au niveau visuel, la Suisse a une image qui est très forte et qui renvoie à une nature préservée, des montagnes, des spécialités culinaires, mais aussi des nouvelles technologies et la finance, comme au Luxembourg.

Les travailleurs frontaliers y jouent un rôle important, tout comme chez nous. La Suisse a adopté une approche systématique pour sa communication internationale, qui donne des messages cohérents et qui repose aussi sur des analyses d’images concrètes. Des pays scandinaves comme la Suède ou la Finlande nous inspirent aussi en tant que pays qui s’engagent fortement en matière de développement durable.

Au vu de votre parcours et après une première année de recul, quel regard portez-vous sur votre fonction ? Cette fonction est avant tout celle d’une facilitatrice d’échanges, de réseaux, de partenariats, de concepts et d’outils pour la promotion du pays. L’intérêt de ce poste est de pouvoir cultiver le regard que j’ai sur notre pays, à la fois de l’intérieur et de l’extérieur, de par mes origines (voir biographie) et grâce à mon parcours, avec pour question centrale « comment exprimer une idée, communiquer un concept, transformer ce concept en une émotion qui, au final, va toucher son destinataire ? ». En tant que réalisatrice de films de fiction et documentaires, mes objectifs ont toujours été de « raconter » une personne, de valoriser une ville, de transmettre un message, donc cela se rejoint. Sauf qu’ici, le per-

« De plus en plus d’acteurs comprennent l’intérêt de notre démarche. »

UNE ÉQUIPE DÉDIÉE

Coordonner Service intégré au sein du secrétariat général du ministère des Affaires étrangères et européennes, la cellule de promotion de l’image de marque est composée de six personnes. Elle a pour mission « d’inspirer, de coordonner les parties prenantes et de promouvoir l’image de marque du Luxembourg à l’étranger ». Beryl Koltz en est notamment la responsable stratégique, et Jeff Raach est responsable du marketing et du développement de la cellule depuis 2016.

sonnage principal, c’est le Luxembourg. Je me sers donc de mon métier initial pour mener à bien ma mission d’aujourd’hui.

Vous sentez-vous en phase avec la méthodologie appliquée depuis plusieurs années pour la promotion et avec les figures qui l’ont portée ? Depuis le départ, la méthodologie appliquée a été une approche participative, et cela va rester ainsi parce que plus le projet est participatif, plus il a des chances de fédérer. Cette initiative a été implantée et déployée dès 2014 par un trio de femmes qui sont, pour moi, une source d’inspiration : Francine Closener, qui était secrétaire d’État à l’Économie, Sasha Baillie, aujourd’hui CEO de Luxinnovation et qui présidait à l’époque le comité Nation Branding, et Tania Berchem, qui était la coordinatrice générale pour la promotion de l’image de marque au ministère des Affaires étrangères et européennes. J’espère réussir à m’inscrire dans la continuité de cet esprit que j’admire beaucoup. Elles ont réussi en très peu de temps à mettre en place une équipe et à déployer une initiative qui s’est très vite développée dans le pays.

Les choses sont-elles en train de s’accélérer ? Oui, il y a de plus en plus d’acteurs qui comprennent l’intérêt de notre démarche et de l’initiative, qui nous contactent car ils se reconnaissent dans les priorités de la stratégie de promotion de l’image de marque du pays, ces dénominateurs communs que nous nous efforçons de déployer. C’est un effort de longue haleine, mais qui portera ses fruits.

Qu’est-ce qui peut empêcher le bon déploiement d’une stratégie de promotion de marque ? L’exercice de promotion de l’image de marque est surtout un effort collectif, l’effort ne peut être efficace que si les partenaires actifs portent tous les mêmes messages à l’extérieur du pays. C’est pour cette raison que l’adhésion des différents partenaires est une condition sine qua non de la réussite du déploiement. Dans cette même logique, la coordination des différents partenaires est aussi une condition à assurer pour un déploiement optimal et durable. La promotion de l’image de marque est également un exercice qui s’inscrit dans la durée : il n’y a pas de résultats du jour au lendemain. C’est donc un exercice de persévérance et d’humilité.

Comment décririez-vous le passé, le présent et le futur du pays ? Nous avons justement cherché à dégager un fil rouge, aux niveaux social, culturel et économique, en partant de l’histoire des gens pour raconter le Luxembourg. C’était une demande des parties prenantes, qu’il y ait un axe narratif pour présenter de manière cohérente le pays, et qui représenterait aussi bien l’histoire des gens que leurs aspirations actuelles, les valeurs et les priorités. Cet axe narratif est celui du « Luxembourg, terre de culture et des cultures ». En effet, le pays est à la base une terre agricole qui a su se renouveler, se réinventer, mais qui demeure une terre fertile au sens figuré, une terre où les meilleures conditions sont réunies pour que chaque projet, chaque idée, puisse s’y développer durablement. Il y a aussi l’idée d’une terre d’accueil des cultures. Il nous reste à présent à incarner cet axe narratif avec des images, des mots, des visages. Notre approche est centrée sur l’humain : les émotions humaines sont ce qu’il y a de plus fort pour partager des idées.

Il y a un parallèle avec votre expérience de réalisatrice ? Totalement. Je suis dans la continuité de ce que je faisais auparavant. Faire un film, c’est aussi de la communication, c’est véhiculer un ou des messages. Si, au bout de la chaîne, il n’y a pas une émotion, le message ne va pas arriver à toucher les gens, comme pour un film de fiction ou un documentaire. Mais dans ce travail, je me mets au service d’une idée qui me dépasse, d’une stratégie qui s’appuie sur une multitude de témoignages que nous avons récoltés, et que nous nous employons à déployer au quotidien, après, avec mon équipe qui est très engagée et qui s’investit sans compter. J’ai beaucoup de chance de pouvoir exercer cette activité qui est vraiment passionnante.

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