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INTERVIEW DE CLAUDE TURMES

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LE JOUR OÙ

LE JOUR OÙ

« 2022 et 2023, les années du déploiement massif de bornes SuperChargy »

L’ensemble du réseau public Chargy est alimenté par de l’électricité 100 % verte.

Le Luxembourg possède le deuxième réseau de bornes de recharge le plus dense d’Europe. Claude Turmes, ministre de l’Énergie et ministre de l’Aménagement du territoire, dresse un état des lieux encourageant et nous livre ses objectifs ambitieux pour le futur énergétique du pays.

Matic Zorman Photo

BIO EXPRESS

Claude Turmes est né le 26 novembre 1960 à Diekirch.

Après des études secondaires classiques, Claude Turmes est diplômé en éducation physique et sportive à l’Université de Louvainla-Neuve en 1983. En parallèle du métier de professeur d’éducation physique, qu’il exercera dans divers lycées du pays jusqu’en 1999, il poursuit des études en technologies de l’environnement à la Fondation universitaire luxembourgeoise, à Arlon.

Activiste, puis dirigeant bénévole d’associations de protection de l’environnement, Claude Turmes devient député au Parlement européen en juin 1999. Il occupe le poste de vice-président du groupe des Verts au Parlement européen et est membre de la commission de l’environnement, de la santé et de la protection des consommateurs, et membre de la commission industrie, énergie, télécom et recherche.

En juin 2018, il est nommé secrétaire d’État au Développement durable et aux Infrastructures suite au décès de Camille Gira, le 16 mai 2018. Consécutivement aux élections législatives du 14 octobre 2018, Claude Turmes est nommé ministre de l’Énergie et ministre de l’Aménagement du territoire en date du 5 décembre 2018 dans le gouvernement de coalition entre le DP, le LSAP et déi Gréng. Le Luxembourg ambitionne de posséder « le réseau de bornes de recharge le plus dense d’Europe ». Quel est l’enjeu derrière cet objectif ambitieux ? Aujourd’hui, 60 % de notre empreinte carbone o cielle est liée au secteur des transports. Le ux massif de camions qui traversent chaque jour le pays en est en partie responsable, mais aussi notre parc automobile existant conséquent, composé de nombreuses grosses cylindrées. Il est important qu’au-delà de l’e ort réalisé sur l’o re en transports publics pour la rendre plus pratique, plus dense et plus performante, et des di érents aménagements du territoire visant à favoriser la mobilité douce, on prenne des mesures pour diminuer le plus rapidement possible le nombre de véhicules fonctionnant avec une énergie fossile au Luxembourg.

Dans cette optique, le gouvernement a multiplié les initiatives, ces dernières années, pour inciter les Luxembourgeois à se tourner vers l’électromobilité… L’o re en véhicules électriques est aujourd’hui très bien fournie, puisqu’on compte près de 200 modèles fonctionnant grâce à cette énergie. Pour inciter la population à opter pour ce genre de modèle, il a fallu développer des primes. Ainsi, à l’achat d’un véhicule électrique e cient, on peut toujours béné cier d’une prime pouvant aller jusqu’à 8.000 euros. En parallèle, François Bausch, le ministre de la Mobilité et des Travaux publics, a obtenu un accord pour que les véhicules de leasing (qui représentent 40% des nouvelles immatriculations au Luxembourg, ndlr) passent au tout-électrique dans les années à venir. Pour recharger ces véhicules, il est capital de proposer un réseau de bornes important. C’est pourquoi nous o rons aussi une prime pour les personnes qui veulent installer une borne à leur domicile.

Proposer un réseau de recharge public est également impératif pour inciter les particuliers, mais aussi les entreprises, à rouler en électrique. Quel état des lieux peut-on dresser à ce propos, au Luxembourg ? Avec son système Chargy, le Luxembourg possède le deuxième réseau de bornes de recharge le plus dense d’Europe, derrière les Pays-Bas, et l’objectif est de rester dans le trio de tête. Aujourd’hui, ce sont 700 bornes Chargy qui sont opérationnelles au Grand-Duché, soit 1.400 points de recharge.

Nous avons constaté un énorme succès, ces derniers mois, sur le réseau public. Alors qu’en 2020, 150.000 kWh avaient été consommés, nous avons comptabilisé une consommation de plus de 500.000 kWh lors de l’année écoulée ! Cela équivaut au remplacement par du zéro carbone de 3 millions de kilomètres parcourus avec une énergie fossile. Par ailleurs, 101 des 102 communes du pays sont équipées d’au moins une borne Chargy. Rappelons également que l’ensemble du réseau public est alimenté par de l’électricité 100 % verte, issue soit de l’énergie hydroélectrique, soit d’éoliennes.

Le réseau devrait également s’éto er, avec le déploiement prochain des chargeurs ultra-rapides… 2022 et 2023 seront en e et les années du déploiement massif de bornes SuperChargy. 88 bornes de recharge ultra-rapides seront installées à travers le pays cette année. Nous avons déjà commencé à déployer ce système au Kirchberg et au P+R de Junglinster, et d’autres sites suivront. Très prochainement, ce sont deux aires de service autoroutières qui seront équipées de l’o re SuperChargy, à savoir celle de Berchem – en direction de la France –, et celle de Capellen – en direction de Luxembourg. Ces deux sites compteront chacun six bornes SuperChargy. Au total, 18 stations à travers le pays seront équipées de ce tout nouveau système de recharge ultra-rapide (150 kW-300 kW) et ultra-performant qui permet de charger son véhicule extrêmement rapidement. C’est une réponse aux nouveaux besoins des véhicules électriques, qui disposent aujourd’hui de batteries de plus en plus conséquentes. Et comme sur le réseau Chargy, l’énergie fournie sera verte à 100 %.

Le Luxembourg semble être passé à la vitesse supérieure. Vous avez notamment décidé de libérer une enveloppe de 40 millions d’euros en faveur des entreprises investissant dans des infrastructures de charge pour véhicules électriques. Pourquoi était-ce important ? Le réseau Chargy/SuperChargy est une infrastructure de base. Nous avons dû développer un service sur lequel le marché privé n’avait pas forcément décidé d’investir. Politiquement, il était capital d’aller de l’avant et de faire le premier pas. En plus de cette infrastructure de base, qui est déjà l’une des meilleures en Europe, il était important de disposer d’un cadre économique intéressant pour permettre aux acteurs qui sont au plus près des consommateurs, comme les stations-service ou les supermarchés, d’aller eux aussi de l’avant. Avec le ministre de l’Économie Franz Fayot, nous avons donc décidé de libérer une enveloppe de 40 millions d’euros pour permettre aux entreprises qui veulent investir dans des infrastructures de charge pour véhicules électriques de béné cier d’une aide nancière non négligeable. Nous attendons actuellement l’avis du Conseil d’État et espérons pouvoir instaurer un vote à la Chambre des députés d’ici la première moitié de l’année a n de lancer le programme le plus rapidement possible.

Quels types d’entreprises sont concernés par cette aide ? Les supermarchés, les stations-service et les grandes entreprises ne seront évidemment pas les seules structures qui pourront bénéficier de cette compensation nancière. Une partie de cette enveloppe sera en e et consacrée aux petites entreprises, comme les coi eurs, les architectes ou les menuisiers, qui pourront facilement avoir accès à cette aide, sans avoir à se lancer dans des démarches complexes. Un autre axe de ce programme est réservé aux grands projets. Je pense par exemple à une chaîne de supermarchés qui souhaiterait équiper ses parkings d’une ou de plusieurs bornes.

Pour mener à bien ce projet, nous avons travaillé en étroite collaboration avec de nombreux acteurs luxembourgeois. Je pense notamment à l’Automobile Club Luxembourg, au Groupement pétrolier luxembourgeois, à la Chambre de commerce, ou encore à la Chambre des métiers. Ce fut aussi un très beau travail de collaboration avec les équipes de Franz Fayot. Je sens que nous sommes vraiment arrivés à un tournant. Tout le monde a compris que le futur de la mobilité était une mobilité zéro carbone, sachant que nous avons la technologie disponible pour y parvenir, à savoir la batterie électrique.

Pour faire face aux enjeux majeurs liés au changement climatique, il est également important que tous les acteurs concernés aillent dans la même direction… C’est capital. C’est justement dans cette optique qu’est née l’initiative Stroum Beweegt. Plus de 50 acteurs luxembourgeois ont déjà signé cette charte visant à soutenir et à faire progresser l’électromobilité au Grand-Duché – et d’autres suivront certainement. Parmi les signataires, on compte de nombreuses marques automobiles, des compagnies de transport, mais aussi Creos, Enovos, le List, ou encore l’ACL. Ce n’est qu’avec l’engagement de tous ces acteurs que l’électromobilité deviendra le standard de demain.

La balle est donc désormais dans le camp du consommateur luxembourgeois ? Je pense qu’avec les primes de Carole Dieschbourg, le leasing de François Bausch et le développement des bornes sur lequel je travaille, nous avons tout mis en place pour que le consommateur puisse très facilement changer sa voiture à énergie fossile contre une voiture zéro carbone. Mais aussi pour faire du Luxembourg un marché premium pour l’électromobilité en Europe.

Carole Dieschbourg, ministre de l’Environnement, du Climat et du Développement durable, table sur une part de 49 % de véhicules électriques à l’horizon 2030 au Luxembourg. Toutefois, certains observateurs estiment que ces prévisions sont totalement irréalisables. Quel regard portez-vous sur ces doutes ? Nous sommes dans une situation d’urgence climatique extrême. La bataille contre le changement climatique, nous la gagnerons dans cette décennie, ou nous la perdrons dé nitivement. Pour moi, dans ce contexte, la question ne se pose même pas. Si l’on estime que c’est réalisable, alors il faut foncer !

Si le Luxembourg fait figure de bon élève, le réseau de bornes de recharge à l’échelle européenne est toutefois encore loin d’être su isamment dense pour pouvoir accueillir les 30 millions de véhicules électriques escomptés en 2035 au sein de l’UE. Selon vous, qu’est-ce qui coince ? Des pays comme les Pays-Bas, le Luxembourg, l’Autriche, la Suisse, ou encore le Danemark, ont fait d’énormes e orts pour développer leur réseau, depuis quelques années. Par contre, là où l’on remarque un énorme dé cit en la matière, c’est notamment en France et en Italie. Ces deux pays seront toutefois forcés par le nouveau règlement européen sur le déploiement d’une infrastructure pour carburants alternatifs (AFIR), mis sur la table l’année passée par la Commission européenne, de prendre des mesures fortes pour densi er rapidement et e cacement leur réseau de recharge électrique. Et c’est une bonne chose.

Lorsque vous étiez député au Parlement européen, vous avez également été fortement impliqué dans la problématique de la production et du recyclage des batteries… Lorsque nous avons commencé à soutenir l’électromobilité, nous avons été confrontés au fait que l’Europe ne produisait que très peu de batteries. Heureusement, on remarque aujourd’hui que la tendance est en train d’évoluer et que de plus en plus d’entreprises se lancent dans la production de batteries performantes et de qualité.

« Nous sommes en train de tout mettre en place pour faire du Luxembourg un marché premium pour l’électromobilité en Europe. »

CLAUDE TURMES Ministre de l’Énergie, ministre de l’Aménagement du territoire

Il existe aujourd’hui deux nouvelles directives au sujet des batteries plus vertes. Tout d’abord, elles doivent pouvoir être fabriquées avec une vision circulaire, c’est-à-dire que ces matériaux doivent pouvoir être recyclés et revalorisés à 100 %. Ensuite, les constructeurs qui mettent une batterie dans leur voiture doivent désormais être totalement transparents sur la provenance des minerais qui sont utilisés pour fabriquer ces batteries. Cette directive européenne est une réponse concrète au trading illégal auquel s’adonnent certaines sociétés. Je pense notamment à l’extraction de cobalt en Afrique, réalisée souvent par des enfants et dans des conditions inhumaines.

Grâce à cette initiative européenne pour une batterie verte et plus responsable, on remarque que notre continent est en train de rattraper son retard par rapport aux compagnies asiatiques. Je pense notamment à des investissements conséquents du côté de la Suède, de l’Allemagne, de l’Espagne ou de la France, où des usines de production de batteries vont voir le jour.

Le développement de l’électromobilité pose également la question de la production d’énergie renouvelable… L’objectif du Luxembourg, pour 2020, était d’atteindre 11 % d’énergie produite par des énergies renouvelables par rapport à la consommation totale. Nous avons nalement atteint 11,7 %. Plus spéci quement, dans le secteur de l’électricité, le Luxembourg a atteint 13,89 % d’électricité verte produite à partir d’énergie renouvelable par rapport à la consommation totale d’électricité. S’ils sont encourageants, ces chi res ne sont pas su sants, et nous comptons augmenter encore cette part d’énergie verte à 30-35 % dans le futur.

Notons aussi qu’en 2021, nous avons atteint les 50  MW/an d’électricité produite grâce à l’énergie solaire. C’est 10 fois plus qu’il y a encore quelques années. Nous voulons également aller plus loin sur l’éolien, sur l’éolien de mer, en collaboration avec nos voisins européens. C’est pourquoi nous avons récemment décidé de collaborer avec le Danemark pour créer les premières îles énergétiques au monde. Ces îles arti cielles, au large de la côte danoise, seront reliées à des centaines d’éoliennes o shore et fourniront de l’électricité verte pour couvrir les besoins en électricité de millions de ménages européens.

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