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« Les militaires ont des années de retard ! »

Vice-président du Center for a New American Security, Paul Scharre a conseillé le président Barack Obama dans l’élaboration de la doctrine américaine sur les armes autonomes. En amont de sa venue à Luxembourg, l’ancien ranger pose un regard affûté sur la guerre du futur.

Après vos années au Département de la défense, vous avez écrit deux ouvrages très remarqués sur la guerre du futur, moins « intensive en capital humain » ou menée en partie par des armes autonomes. Où en est-on aujourd’hui ?

Une des choses que nous voyons est le rôle grandissant que joue l’intelligence artificielle (IA) dans les systèmes d’armement. Ce qui est particulièrement remarquable, c’est que cette évolution est due au secteur commercial. Les militaires ont des années de retard.

Pourquoi ?

Simplement parce que la bureaucratie ralentit beaucoup trop de choses. Du coup, les technologies ont été inventées en dehors du secteur de la défense. De l’IA aux robots, il y a de nombreux exemples, y compris dans des technologies sous-jacentes. Pour beaucoup de pays, cela a créé des retards supplémentaires dans l’adoption de ces technologies, parce que cela venait du secteur privé et que, là encore, la bureaucratie a retardé la signature de contrats avec des acteurs privés.

Dans votre nouveau livre Four Battlegrounds, vous suivez quatre axes interconnectés : les données, la puissance de calcul, la guerre des talents et le rôle des institutions. Comment la situation pourrait-elle changer et favoriser, ou non, l’intégration de ces technologies ? Par exemple, est-ce que la compétition que vous décrivez entre les États-Unis et la Chine est de nature à soudainement accélérer l’adoption de ces technologies ?

Nous voyons que ces deux puissances ne sont pas très loin de ces nouvelles technologies, mais il reste une grande incertitude économique. Comment faire le meilleur usage, par exemple, de l’IA ? Comment avoir le meilleur retour sur investissement ? L’IA est une gamme de technologies beaucoup plus large qu’on l’imagine habituellement. Avec beaucoup plus d’applications qu’on le pense. Il y a des applications potentielles qui permettent de tirer le meilleur parti des données. Qui vont permettre d’avoir des capteurs plus intelligents. De passer à des réseaux de communication qui vont s’adapter en permanence aux besoins. Et, bien sûr, pour des armes intelligentes ! Autant de points qui créent à peu près autant d’espoirs que de craintes, à en juger par ces entrepreneurs et experts qui appellent à une pause dans les développements de l’IA, le temps d’essayer d’encadrer certaines dynamiques… Ces modèles linguistiques, comme ChatGPT, présentent une série de problèmes. Ils ne sont pas non plus très sûrs. S’ils ne fonctionnent pas bien et qu’ils ne sont pas très sûrs, il sera difficile de les considérer pour réali ser certaines tâches. Les autorités seraient bien avisées de mettre en place des mesures de protection. Ce qui ne semble pas si simple. Les acteurs doivent se conformer à des règles et veiller à ce que leurs technologies se déploient de manière sûre. Beaucoup des big techs n’ont aucune responsabilité dans la manière dont leurs technologies sont déployées… Je ne suis pas certain que leur modèle d’IA soit vraiment prêt à être livré au grand public.

Parmi ces technologies, certaines semblent au départ très loin de la guerre que l’on a en tête… Tout à fait. Le problème n’est pas seulement la façon dont est développée une technologie, mais la manière dont elle est utilisée. C’est vrai pour l’intelligence artificielle, mais aussi pour les technologies de surveillance. La Chine dispose d’un demi-milliard de caméras de surveillance. Avec lesquelles elle a imaginé un nouveau modèle de surveillance territoriale de ses citoyens, y compris dans le traçage de leurs comportements à coups de reconnaissance faciale, de reconnaissance vocale, de système de crédit social afin d’influencer leurs comportements. Et maintenant, nous voyons qu’elle exporte son modèle un peu partout, qu’elle anime des ateliers sur la manière d’utiliser ces technologies de surveillance ou de prendre le contrôle du cyberespace, ou du monde de l’information. Les États démocratiques ont toute une série d’approches et une volonté de réguler certaines de ces technologies.

DE PAUL SCHARRE

2001-2005

Leader « reconnaissance » du 75e régiment de rangers, le sniper participe à des opérations en Irak et en Afghanistan.

2008-2013

Au bureau du secrétaire de la Défense, il joue un rôle de premier plan dans les politiques sur les systèmes sans pilote et autonomes et les technologies d’armement émergentes (la directive DoD 3000.09).

2014 à aujourd’hui

Il est devenu le vice-président et directeur des études du Center for a New American Security, think tank spécialisé dans la sécurité nationale des États-Unis, notamment sur le terrorisme, la guerre irrégulière ou l’avenir de l’armée.

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