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« Il faut redéfinir ce qu’est le ‘bien-vivre’ au Luxembourg »

Si tous les partis soutiennent l’idée d’un développement durable, l’action politique ne suit pas, constate la présidente du Mouvement écologique, Blanche Weber. Il faut repenser le modèle de croissance du Luxembourg et envisager la transition climatique et écologique de manière cohérente.

Lors de la présentation de votre feuille de route pour les législatives à la mi-mars (voir encadré), vous dressiez un constat : « Tous les partis soutiennent l’idée du développement durable. » Pour autant, l’action ne suit pas l’intention. Pourquoi ?

Comment expliquer que nous constatons tous que les fondements de notre planète se détériorent gravement, sans pour autant agir de façon résolue ? La question est complexe. Le fait de penser en « périodes électorales » et non à moyen et long terme reporte continuellement les discussions et décisions de fond à un avenir lointain. Les acteurs politiques semblent incapables de thématiser les défis réels, craignant de choquer les électeurs. J’estime pourtant qu’une politique honnête, sereine et courageuse s’emparant des défis-clés serait soutenue par plus de personnes que ne le croient certains.

Le Luxembourg a malgré tout réussi à atteindre ses objectifs de réduction d’émissions de CO2 pour l’année 2021 (voir graphique). Un constat positif ?

C’est bien évidemment positif d’atteindre les objectifs fixés. Mais il faut regarder dans le détail, car tous les secteurs n’ont pas réussi à réduire leurs émissions. Ceux du transport et de l’agriculture ont ainsi respecté les objectifs. Ce n’est néanmoins pas le cas des secteurs du bâtiment, du traitement des déchets et de l’industrie –ce dernier aurait même dépassé les allocations de plus de 30 %.

En outre, 2021 a été une année encore marquée par le Covid, ce qui explique peut-être partiellement les réductions au niveau des transports. On peut aussi supposer que cela résulte surtout d’une réduction du tourisme à la pompe. Dans tous les cas, soyons réalistes : tout un chacun peut constater qu’il n’y a pas eu de changement fondamental au niveau de la mobilité dans notre pays, malgré les investissements massifs qui ont été mis en œuvre.

Ce succès est donc en demi-teinte… Nous sommes loin de l’inversion nécessaire des tendances, avec une baisse substantielle des « courbes » des différents secteurs en vue d’atteindre une réduction globale des émissions de CO2 de 55 % jusqu’à 2030. En fin de compte, en dehors des améliorations au niveau technologique, une discussion sur notre modèle social et économique actuel s’impose.

Faut-il remettre en cause notre modèle de croissance ?

Nous contestons avant tout notre dépendance vis-à-vis de la croissance continue du PIB en matière de financement de la sécurité sociale. Une analyse récente, publiée par l’Inspection générale de la sécurité sociale, décrit qu’une croissance continue annuelle de 1,8 % et de 1,2 % de la productivité est nécessaire pour assurer qu’en 2070, une personne active assume la pension d’une personne à la retraite. Il faudrait ainsi une population active passant de 460.000 en 2050 à 630.000 en 2070 et un PIB deux fois plus important. Peut-on imaginer une telle situation ? Est-elle souhaitable ?

Nous n’allons pas seulement transmettre aux générations futures une catastrophe climatique et une perte jamais connue de la biodiversité, mais aussi un système social nécessitant une croissance toujours plus accrue.

Que proposez-vous comme alternative ?

D’une part, il s’agit de rendre notre système social moins dépendant de la croissance économique. Nous réclamons depuis des années au gouvernement une analyse sur des pistes potentielles d’action à ce niveau. D’autre part, nous demandons la mise en œuvre d’une réforme fiscale durable – le Luxembourg est parmi les derniers au niveau européen en ce qui concerne la taxation écologique – et, enfin, en troisième lieu, nous voulons une discussion pour définir ce que doit être le « bien-vivre au Luxembourg ». Car c’est un fait : la croissance crée des problèmes que l’on essaie de résoudre avec plus de croissance.

L’action politique pour réaliser la transition écologique et climatique vous paraît donc incohérente ?

Feuilles De Route Pour Les Lections

Des propositions pour les communales et les législatives Le Mouvement écologique a présenté en février sa feuille de route pour les élections communales, puis en mars celle pour les législatives. « Difficile de les résumer en quelques phrases », prévient Blanche Weber, puisqu’elles font respectivement 156 et 152 pages.

Du concret L’objectif de ces feuilles de route est de présenter « des propositions très concrètes pour protéger le climat et la biodiversité, assurer une réorientation de notre modèle économique, rendre nos villes et villages plus verts et attractifs, favoriser une mobilité douce, et ceci en amenant des changements structurels dans les différentes politiques sectorielles en assurant la cohérence de celles­ci ».

Évolution des émissions de gaz à effet de serre au Luxembourg et objectifs par année d’ici 2030

En millions de tonnes équivalent CO2, entre 2005 et 2030 Émissions de CO2 entre 2005 et 2021 Objectif du PNEC d’ici 2030

Oui. Malgré les déclarations, l’interaction entre les ministères est encore trop limitée. Prenons l’agriculture, décisive pour la protection de la biodiversité et de la qualité de l’eau : le ministère de l’Environnement n’a pas les moyens d’agir directement en la matière. Une concertation entre les différents ministères en charge est souvent bloquée par un « esprit de clocher ». Autre exemple : le ministère de l’Aménagement du territoire est toujours un « tigre sans dents », incapable de vraiment assumer son rôle de coordination par rapport à des ministères sectoriels.

On doit aussi reconnaître que le Luxembourg investit indirectement des centaines de millions dans la destruction du climat et de la biodiversité via divers postes budgétaires, notamment en matière d’agriculture, ou grâce à la non-taxation de pratiques nocives pour l’environnement. Telle est d’ailleurs la situation dans bien d’autres pays européens. De multiples études ont montré qu’il faut instaurer un « budget vert », ainsi qu’une visualisation des budgets propices et défavorables à une politique durable. Une concertation étroite entre tous les ministères et le ministère des Finances aurait dû être assurée pour remettre en question une série de subventions.

Quelle est la direction dans laquelle il faut aller ?

Le fondement de tout choix doit être le respect des limites écosystémiques. La nature et les ressources naturelles déterminent les limites écosystémiques, et nous ne pouvons pas changer ce fait. Mais ce message plus « négatif » est lié à un message positif : nous avons le devoir et la chance de pouvoir repenser le modèle et travailler ensemble à un meilleur avenir et à une amélioration de la qualité de vie actuelle. Favoriser les échanges, la solidarité, les « commons », une économie circulaire incluant l’idée du « reuse-repair-share », des villes plus vertes, une citoyenneté plus démocratique au lieu d’un système pris au piège de la croissance, de la consommation et de la domination des voitures… Tout cela afin de redonner une valeur à la phrase : laisser un monde meilleur à nos enfants.

Avant les élections législatives auront lieu les communales. Les villes ont-elles un rôle important à jouer ? Leur rôle est capital. Les communes sont proches des gens et peuvent concrétiser des projets tangibles pour tout un chacun. Réaménager les rues et places publiques en donnant plus de place aux gens, les verdir pour les étés devenant toujours plus chauds, utiliser des produits régionaux et bio dans les cantines communales ou pour des festivités. Et, surtout, assurer une réelle participation citoyenne. Celle-ci est beaucoup plus facile à organiser au niveau communal, les questions étant plus perceptibles pour les gens. La transition sociale et écologique nécessite un débat incluant les acteurs de la société, la dimension interculturelle, les différents groupes d’âge, couches sociales et nationalités… C’est surtout cet échange qui enrichit notre vie quotidienne et la qualité des décisions politiques.

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