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Le metaverse, aux confins des frontières juridiques

Carole Rhein, counsel, et Guillaume Dally, senior associate chez DLA Piper Luxembourg, anticipent les défis juridiques posés par les actifs numériques acquis dans le metaverse. Un espace virtuel que ces avocats ont exploré sous ses perspectives légales encore très floues.

Auteur BENOÎT THEUNISSEN

Les enjeux du metaverse ont piqué l’intérêt de nombreux amateurs de technologies au cours des derniers mois. Les avocats n’ont pas fait exception à la règle. Fin octobre 2022, Carole Rhein, counsel, et Guillaume Dally, senior associate chez DLA Piper Luxembourg, cosignaient une tribune intitulée Virtual land in metaverse et publiée sur le site web de DLA Piper. « Depuis que Facebook a changé son nom en Meta fin 2021, concentrant clairement sa stratégie commerciale sur le metaverse, il y a eu une augmentation sans précédent de la vente de biens immobiliers dans le metaverse », écrivaient-ils alors. C’est sans compter que « le metaverse soulève des questions juridiques importantes, notamment en ce qui concerne le droit applicable à l’immobilier numérique », explique Carole Rhein à Paperjam

Pour sa part, son collègue, Guillaume Dally, y voit un intérêt au niveau de la convergence de la technologie et du droit : « Le metaverse se situe à la croisée de plusieurs autres technologies, telles que les

NFT, la blockchain et les cryptomonnaies. Avec l’émergence de ces technologies, le metaverse est en train de devenir une nouvelle frontière juridique à investiguer. » Le senior associate y perçoit également un écosystème en train de se professionnaliser et de devenir un marché économique où il est possible d’investir et d’obtenir des retours sur investissement.

« Cela va devenir un domaine important, tout comme l’a été internet à ses débuts dans les années 90 et 2000. » Ce à quoi sa collègue Carole Rhein ajoute : « Le metaverse reste un domaine à surveiller, car il sera impacté par plusieurs facteurs, tels que le type de financement, les investisseurs, l’adhésion des utilisateurs, la démocratisation des équipements pour y accéder et, bien sûr, les réglementations. »

De nouvelles sources de revenus Si les demandes de conseils juridiques relatifs à des investissements dans le metaverse n’affluent pas encore au Luxembourg, les avocats de DLA Piper indiquent recevoir des questions de la part de clients, au sein du réseau mondial de DLA Piper, sur certains outils utilisés dans le metaverse. Les NFT et la blockchain restent les sujets les plus débattus. «  Même si l’existence économique du metaverse est encore limitée, il y a tout de même quelques gros investisseurs et grandes marques qui se positionnent dans ce monde et qui sollicitent notre réseau pour être conseillés », précise Carole Rhein. La demande proviendrait donc essentiellement de marques désireuses de défricher de nouveaux canaux de développement.

L’intérêt de certaines marques pour le metaverse pose de nombreux défis juridiques, notamment en termes de régulation et de droit international privé. À cet égard, Carole Rhein évoque, entre autres, la complexité de déterminer la juridiction compétente et la loi applicable en raison du caractère décentralisé et transnational du metaverse, ainsi que des technologies de la blockchain et des NFT sur lesquels il s’appuie.

Des questions de propriété

De son côté, Guillaume Dally s’attend à une évolution naturelle des normes et rappelle l’époque de l’émergence d’internet, où de nouveaux cas d’usage ont nécessité l’élaboration de nouvelles réglementations, comme le RGPD. Il se montre convaincu que les législateurs européens agiront pour réglementer les questions spécifiques liées au metaverse, à l’instar du Digital Services Act, qui établit un cadre juridique pour les plateformes en ligne.

Rien que sur les aspects de propriété, les règles ne sont pas encore claires. La qualification juridique des NFT et la détermination de la loi applicable restent encore des questions complexes. « Les règles actuelles ne sont pas encore adaptées aux biens immatériels comme les NFT, ce qui rend difficile la détermination de la loi applicable à ces actifs numériques », commente Carole Rhein. Plusieurs critères, comme le pays d’établissement de l’émetteur ou du détenteur du NFT, pourraient être envisagés, mais ces règles ne sont pas encore régulées comme le sont celles des cryptomonnaies ou des actifs matériels. Autant d’incertitudes qui doivent être compensées dans les contrats. « Pour les investissements dans le monde réel, il est possible d’appliquer un contrat avec une loi applicable déterminée ou de déterminer le lieu de localisation du dommage en matière de responsabilité civile ou le lieu de situation d’un bien immobilier en droit des biens. Cependant, ces situations sont plus difficiles à établir dans le metaverse en raison de son caractère global. » Les juristes prônent par conséquent une approche au cas par cas.

500 Milliards

Selon des chiffres publiés par DLA Piper Italy, les revenus mondiaux du metaverse pourraient atteindre 800 milliards de dollars en 2024, contre environ 500 milliards de dollars en 2020. Le marché principal sera celui des jeux en ligne et des fabricants de matériel de jeu, qui pourrait dépasser les 400 milliards de dollars en 2024.

Et si un fournisseur disparaissait ?

La gestion de la propriété virtuelle dans le metaverse met les utilisateurs en situation de dépendance contractuelle vis-à-vis des fournisseurs de services, notent Carole Rhein et Guillaume Dally, dans leur article sur les investissements immobiliers dans le metaverse. Cette réalité, qui se distingue de la propriété immobilière traditionnelle, soulève des défis juridiques complexes. Dans ce contexte, les fournisseurs de services du metaverse, souvent des entités privées, établissent des conditions d’utilisation similaires à celles des réseaux sociaux. Il est donc essentiel pour les utilisateurs d’examiner ces conditions afin de se protéger. L’expérience des contrats informatiques peut offrir des pistes intéressantes. Pour garantir les droits des utilisateurs, les deux avocats de DLA Piper Luxembourg suggèrent qu’ils devraient s’assurer que les conditions d’utilisation abordent des points-clés. Parmi ces points figurent la disponibilité assurée du metaverse, avec, par exemple, des créneaux horaires de disponibilité garantis, les procédures de suspension pour maintenance ou pour violation des conditions générales, cette dernière procédure devant être transparente et pouvoir faire l’objet de recours, ainsi que les engagements concernant la performance du metaverse Cependant, une interrogation majeure demeure : la pérennité des terrains virtuels dans le cas où le fournisseur de services cesse son activité, fait faillite ou disparaît pour toute autre raison. Actuellement, les droits acquis par les utilisateurs sont considérés comme des droits personnels, c’est-à-dire des recours contre le fournisseur de services qui ne sont pas opposables en dehors du cadre contractuel du metaverse, interpellent Carole Rhein et Guillaume Dally. Une solution envisagée serait une collaboration entre fournisseurs de services du metaverse pour permettre le transfert des droits d’un utilisateur en cas de défaillance. Néanmoins, cette solution soulève des questions pratiques, étant donné la nature intrinsèquement liée des terrains virtuels à l’univers spécifique de chaque metaverse. Comme le souligne Guillaume Dally, « dans le domaine des logiciels, il est possible de mettre le code source chez une personne de confiance afin de le garder en toute confidentialité et de pouvoir le reprendre en cas de besoin, en cas de défaillance du fournisseur ».

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