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PIERRE-ALEXANDRE ROCOUR

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La liste

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Pierre-Alexandre Rocour souhaite que ses clients aient accès à un point de vente à 15 minutes de trajet de chez eux.

« Aldi veut être le discounter du futur »

Nouveaux points de vente, nouveaux produits, nouveau slogan dans la langue de Dicks : Aldi Luxembourg veut renforcer son ancrage local. Son managing director Pierre-Alexandre Rocour nous détaille les ambitions du hard discounter.

Interview CATHERINE KURZAWA Photo GUY WOLFF

Pourquoi Aldi a-t-il adopté fin 2021 un nouveau slogan au Luxembourg – « Aldi, ëmmer clever » – qui a la particularité d’être en langue luxembourgeoise ? Le choix se fait pour avoir une simplification par rapport à nos clients : Ëmmer clever, « toujours intelligent » ou « le choix malin », en version française. L’objectif est de montrer aux clients qu’ils peuvent faire leurs courses de manière simple en ayant une garantie de qualité avec un prix le plus attractif possible. Nous souhaitons depuis quelques années mettre en avant les produits frais – fruits et légumes, pain, viande… – toujours avec l’orientation supplémentaire en langue luxembourgeoise, parce que notre volonté est d’avoir l’ancrage le plus important au niveau local.

Le marché local de la grande distribution reste dominé par le leader historique et national Cactus. Comptez-vous marcher sur ses plates-bandes ? Non, nous ne marchons pas sur ses platesbandes. Il est clair que le leader historique pour les Luxembourgeois reste Cactus. Nous voulons nous appuyer sur nos forces, à savoir nos valeurs de simplicité, de responsabilité et de fiabilité. Mais il ne fait aucun doute que, sur le marché luxembourgeois, notre démarche est celle de nous positionner comme une société internationale, avec cependant une orientation locale. Cela se traduit dans nos slogans, dans notre accueil, dans nos produits. Nous avons 1.700 articles dans notre assortiment, dont plus de 230 spécifiques au marché luxembourgeois. Le but est d’augmenter les intervenants et les marques nationales. Notre volonté n’est donc pas de copier Cactus, mais d’avoir une image Aldi qui corresponde au territoire et à ce que les clients désirent. Le but n’est pas d’avoir la moitié de notre assortiment spécifiquement luxembourgeois. Nous n’avons pas de nombre arrêté, mais il se pourrait que de nouveaux articles arrivent ou que d’autres soient légèrement modifiés. Je dirai qu’une fourchette comprise entre 200 et 300 références semble un objectif correct dans l’évaluation actuelle des choses. Notre objectif, de manière générale, n’est pas une augmentation significative du nombre d’articles dans notre gamme. Aldi veut toujours proposer une solution simple pour faire ses courses avec un nombre d’articles relativement limité.

Cette « luxembourgisation » de votre assortiment, est-ce une nécessité ou simplement un nice to have ? Ce n’est clairement pas du nice to have mais du to have : on se doit d’avoir au Luxembourg ces marques locales parce que le client désire les trouver en magasin. Si nous n’avons pas ces marques, le client devra aller dans un point de vente supplémentaire pour faire ses courses. Nous voulons qu’il trouve tous les articles qu’il souhaite sous le même toit.

BIO EXPRESS

Naissance à Liège (Belgique) le 30 janvier 1987. Études Pierre-Alexandre Rocour est diplômé d’un master en sciences de gestion à l’HEC de Liège.

Carrière Son aventure Aldi démarre en 2010 en qualité de district manager pour Aldi Belgium. En mars 2015, il devient sales manager, toujours chez Aldi Belgium. Il est, depuis mai 2019, managing director d’Aldi Luxembourg. Aldi est aussi actif sur le segment du bio. Ces derniers mois, les ventes de références bios accusent une baisse en Europe. Ressentez-vous le phénomène et essayez-vous de le contrer ? Nous avons observé une tendance à la baisse en janvier et février puis une légère croissance en mars et avril, mais nous ne pouvons pas parler de plongeon à proprement parler. Nous ne sommes pas une enseigne qui ambitionne de développer le bio à outrance. Notre démarche est plutôt de proposer aux clients les références qu’ils souhaitent.

Aldi envisage-t-il d’entrer sur le segment de l’e-commerce au Luxembourg ? C’est clairement en cours de réflexion au niveau du groupe et du pays, mais je ne peux pas vous dire si cela sera développé demain ou plus tard. La tendance est au drive et au « click & collect ». Aldi veut vivre avec son temps mais dans notre ADN de gestion intelligente, nous voulons faire les choses posément et de manière réfléchie. Ce n’est pas impossible que cela soit mis en place dans le futur mais, clairement, cela ne se fera pas dans un futur proche, comme en cette année 2022 par exemple.

Qui est votre plus gros concurrent au Luxembourg ? Comme dans de nombreux pays, c’est le cousin allemand Lidl. Parce que, comme nous, ils ont cette envie de s’inscrire dans le discount. Mais je ne vais pas entrer dans cette guerre de concurrence. Je pense qu’il y a de la place pour tout le monde et le but est de faire correctement notre travail, pas forcément en regardant la concurrence, mais plutôt en analysant la réponse des clients vis-à-vis de nos indicateurs de performance. Si je prends notre orientation au niveau des produits frais, nous avons une croissance à deux chiffres et il est

clair que cela prouve que notre orientation, choix et qualité-prix correspondent à ce que les clients souhaitent.

L’enseigne Lidl – historiquement présente sur le segment du discount – a opté pour un positionnement non plus de « hard » mais de « smart » discounter. Qu’en est-il pour Aldi ? Sur le segment du discount, nous étions le pionnier en Europe et clairement au niveau du Luxembourg. Aldi veut être le discounter du futur. C’est la raison pour laquelle nous croyons en nos valeurs, notre historique et notre ADN. L’important, aujourd’hui, c’est le client. Quelle est la différence pour lui entre un soft, un smart et un hard discounter ? Ce qui l’intéresse, c’est de trouver des articles à prix abordables, de faire ses courses simplement, de trouver des articles frais et de qualité. Peu importe le nom de l’enseigne. Notre volonté est de rester le leader du discount et, via nos actions, d’être le discounter du futur.

Quelle est votre définition du discounter du futur ? Le discounter du futur doit avoir une proposition qui, à l’instant T, correspond le mieux à ce que le client souhaite. Il ne faut pas voir cela comme de la digitalisation à outrance. C’est être à la pointe dans la présentation commerciale de nos articles, dans la communication et que les clients se sentent le mieux possible dans le magasin où ils ont l’habitude de faire leurs courses. Nous nous devons d’évoluer avec le marché, nos magasins ne sont pas les mêmes que voici 5 ou 10 ans.

Lidl a mené une stratégie d’embellissement de ses magasins et revu sa communication afin de rendre sa marque « désirable » avec des produits dérivés. Aldi va-t-il enclencher la même dynamique ? Une rénovation profonde du parc de magasins est en cours et, pour la période allant de 2015 à 2025, plus de la moitié du parc de 17 magasins aura été rénovée à la fois à l’intérieur et à l’extérieur. Nous ne sommes pas une société de « buzz », nous voulons inspirer de la confiance aux clients. Ce qui est important, c’est la simplicité. Nous ne menons pas le combat de celui qui va avoir le plus de followers ou de clics.

L’an dernier, Aldi est devenu le 4e plus gros annonceur publicitaire au Luxembourg (derrière Post, Cactus et le gouvernement). Comment expliquez-vous cette performance ? Ce n’est pas l’objectif d’être top annonceur qui nous motive, mais il est clair que, par rapport à notre objectif et notre démarche marketing, notre cellule luxembourgeoise veut faire en sorte qu’Aldi brille sur le territoire. Cela passe par une communication dans tous les médias et au sein même de nos magasins. Notre but est de faire en sorte que, dans nos indicateurs de performance interne, la réponse des clients soit tout à fait positive.

Qui dit discount dit écrasement des frais. Pourtant cela ne semble pas le cas d’Aldi. Pourquoi ? Le rapport entre la gestion des coûts et les prix que nous pratiquons fait partie de notre manière de fonctionner : la gestion optimalisée des coûts garantit le bon fonctionnement de la société et l’obtention de prix très intéressants. Si vous voyez le marketing comme un coût ou comme un investissement, c’est très différent, et nous sommes clairement sur ce 2e aspect où le marketing est vu comme une plus-value. Pour quelle raison l’assortiment d’Aldi s’est-il ouvert ces dernières années aux produits de marque ? Les clients souhaitent avoir des articles de qualité à un prix abordable et, pour certaines références, disposer d’articles de marque parce qu’ils ont l’habitude de les consommer. Cela fait quelques années que nous avons décidé – au niveau du groupe et d’Aldi Luxembourg – d’avoir une orientation marque à hauteur de 10 % de notre assortiment. Cela permet que les clients trouvent l’entièreté de leur liste de courses dans un seul magasin.

Le modèle de l’hypermarché a été malmené avec la crise sanitaire. Réussissez-vous à en tirer profit ? C’est un grand mot parce qu’on entend dire que les enseignes ont gagné beaucoup d’argent, mais ce n’est pas vrai car nous avons dû faire face à des dépenses inopinées dues à une situation de crise collective. Nous avons réalisé un chiffre d’affaires plus important pendant la crise sanitaire, mais avec un niveau de coût clairement supérieur à ce que nous avons pu connaître les années précédentes. Donc, l’effet est pratiquement atténué car ce qu’on a fait en plus en magasin a été compensé par ce qu’on a dû dépenser en plus.

Le bilan 2020 d’Aldi Luxembourg montre que le chiffre d’affaires a augmenté de 8 % et le résultat publié de 2 %. Le Covid a engendré des dépenses de 380.000 euros, cela reste marginal sur 103 millions d’euros de chiffre d’affaires ? Marginal, je ne dirais pas, parce qu’une partie ne fait pas partie des frais généraux : les frais de personnel, car nous avons dû remplacer les personnes malades ou engager davantage de personnes pour la désinfection des infrastructures. D’ailleurs, le résultat n’augmente

ALDI : DE L’ALLEMAGNE AU RESTE DU MONDE

La fratrie Albrecht avait le commerce dans le sang et a développé non pas une mais deux enseignes aujourd’hui présentes dans le monde entier.

1913

Un petit commerce de proximité Le père des deux fondateurs d’Aldi, Karl et Theo Albrecht, ouvre une boulangerie à EssenSchonnebeck, au nord de Cologne. Leur mère Anna inaugure un magasin d’alimentation un an plus tard. Une nouvelle ère Les deux frères reprennent le commerce de leur mère et le développent en succursales avec un concept axé sur un assortiment limité, des produits de haute qualité et des prix bas. Scission enclenchée Albrecht Diskont devient Aldi et les deux frères se partagent le territoire allemand : Theo reprend Aldi Nord et son frère Karl Aldi Süd, tout en conservant leurs principes de discounter. Arrivée au Luxembourg Aldi Nord ouvre son premier point de vente luxembourgeois à Dudelange, le 19 décembre. La fin de l’ère Albrecht Karl Albrecht décède quatre ans après son frère Theo. Le premier était l’homme le plus riche d’Allemagne, selon Forbes ; le second le talonnait avec une estimation de 23 milliards de dollars en 2008.

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Shutterstock, Aldi et Maison Moderne Photos

pas dans l’ampleur du chiffre d’affaires. Conclure qu’Aldi a tiré profit de la crise, ce n’est pas la réalité.

Qu’en est-il des résultats 2021 ? Les chiffres de 2021 sont en croissance par rapport à 2020 dans l’orientation de nos investissements. En termes de chiffre d’affaires pur, nous sommes en diminution par rapport à la situation de la crise sanitaire en 2020. C’était prévisible, et nos objectifs ont de toute manière été atteints. Par exemple, en 2021, il était anormal d’envisager le même chiffre d’affaires qu’en 2020 puisque des commerces et activités ont rouvert, entraînant des dépenses non réalisées en 2020 pour les ménages.

Quelles sont vos perspectives pour 2022 ? 2022 a très bien démarré et dans les attentes que l’on souhaite, avec une proposition qui est en adéquation avec ce que le client désire. Notre offre fraîcheur pour laquelle nous avons des augmentations porte ses fruits et le client répond positivement à cette proposition améliorée.

Le bilan 2020 d’Aldi Luxembourg mentionne que le montant du caddie moyen a augmenté de 20 à 25 % suite au Covid. Aujourd’hui, est-il revenu à son niveau d’avant-crise ? Il y a encore quelques subtilités liées à la stratégie que nous avons opérée fin 2019 : nous sommes au-dessus du niveau d’avant-crise compte tenu de la diversification de notre gamme avec de nouveaux assortiments comme la viande fraîche, les fruits et légumes en vrac, etc.

J’imagine que le montant du caddie moyen est un peu plus élevé au Luxembourg que dans les autres pays. Mais dans quelle proportion ? La situation du pays et du pouvoir d’achat permet aux clients luxembourgeois d’avoir des dépenses légèrement supérieures aux pays voisins, mais ce ne sont clairement pas des écarts de pourcentages à deux chiffres.

À ses débuts, il y a 30 ans, Aldi Luxembourg était une copie de la Belgique. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Quelles sont les principales différences ? Les principales différences sont au niveau de la langue utilisée, du choix des articles proposés et de la proposition commerciale vis-à-vis des clients. Mais ces différences s’intègrent dans l’ADN international d’Aldi de simplicité et de fiabilité. Un client qui fait ses courses dans un Aldi Luxembourg va retrouver des similarités avec la filiale belge, tout en étant dans un autre pays avec une autre proposition. Nous ne sommes clairement plus dans le copier-coller historique.

« Notre volonté est d’avoir l’ancrage le plus important au niveau luxembourgeois. »

Ces derniers mois, l’assortiment de viande fraîche emballée s’est étendu chez Aldi Luxembourg. Comment se passe la relation avec Renmans, votre partenaire boucherie de longue date ? Extrêmement bien : c’est quelque chose de partagé et de communiqué pour lequel certains articles ont la même origine et proviennent du même atelier de production. Cela ne s’est pas fait de manière cachée, mais dans la relation de collaboration que nous avons avec Renmans, une société différente de la nôtre. Cette collaboration a avancé de manière naturelle en intégrant aussi la réflexion de Renmans dans la proposition. D’ailleurs, quel plus bel exemple que de voir de nouveaux magasins qui ouvrent avec une boucherie Renmans ? Ce n’est pas automatique, mais si la disposition d’Aldi et la volonté de Renmans se retrouvent, ça sera certainement encore le cas. Clairement, la collaboration n’a pas été affectée avec cette nouveauté mais renforcée.

Ce partenariat est-il appelé à évoluer à l’avenir ? Oui, mais cela a toujours été le cas. Quand nous décidons d’ouvrir un nouveau magasin, si nous voulons avoir une boucherie attenante, le premier partenaire à qui on le propose, c’est Renmans. Cela varie en effet en fonction de l’espace disponible et de la configuration du

ALDI AUJOURD’HUI

Aldi emploie plus de 180 salariés au Luxembourg à travers 17 points de vente, le 18e est attendu en juillet à Beggen.

Dans le monde, Aldi Nord compte 80.000 salariés répartis entre l’Allemagne, la Belgique, le Danemark, la France, les Pays-Bas, la Pologne, le Portugal et l’Espagne. Aldi Süd est, pour sa part, présent en Australie, en Autriche, en Chine, au RoyaumeUni, en Hongrie, en Irlande, en Italie, en Slovénie, en Suisse et aux ÉtatsUnis. Cette enseigne regroupe près de 50.000 salariés dans 1.980 filiales à travers le monde. magasin. Certains magasins n’ont pas de boucherie Renmans, par exemple Echternach, Belval et Schmiede.

Aldi est à la recherche d’une implantation en centre-ville de la capitale. Où en êtes-vous dans ce dossier ? Les discussions sont présentes mais latentes : ce n’est pas notre objectif numéro un, mais cela reste à l’étude. Luxembourg-ville apporterait une couverture géographique supplémentaire à notre situation actuelle. C’est pour cela aussi que nous ouvrons à Beggen à la mi-juillet. Clairement, dans les années à venir, nous pourrons avoir un magasin de centre-ville mais, dans notre manière de fonctionner, nous voulons faire les choses de manière raisonnée. Ouvrir des magasins pour les ouvrir, ce n’est clairement pas notre souhait. Luxembourg-ville reste une possibilité parmi d’autres, mais une possibilité réelle.

Actuellement, Aldi Luxembourg compte 17 magasins. Jusqu’où comptezvous étendre votre maillage ? Notre objectif est d’avoir un magasin à 15 minutes de déplacement depuis tout le territoire luxembourgeois. Je ne vous cache pas que nous sommes sur d’autres projets pour accroître notre présence sur le marché luxembourgeois. Mais nous ne visons pas 50 points de vente : nous ne serons jamais un Delhaize. Nous avons encore de la place pour ouvrir quelques filiales selon les possibilités.

Quelles sont les ambitions d’Aldi au Luxembourg ? Notre ambition, c’est de poursuivre les objectifs stratégiques et commerciaux vis-à-vis de nos clients. Cela signifie avoir l’ancrage luxembourgeois le plus développé possible, garder notre position concurrentielle vis-à-vis de la clientèle, en conservant cette image d’acteur luxembourgeois.

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