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LE MARATHON UNE ENTREPRISE EN SOI
from Paperjam Juin 2022
L’ING Night Marathon effectue son retour le 28 mai, après deux annulations successives. Une situation qui a fragilisé Step by Step, la société organisatrice, et son CEO, Erich François. Mais n’a, en aucun cas, anéanti les ambitions de ce dernier.
Quand on gère une entreprise dont l’activité d’une année se joue pour ainsi dire sur un seul événement, et que celui-ci se trouve être annulé durant deux années consécutives, comment survit-on ? Je ne vous cache pas que cela a été compliqué. Et rien n’aurait été possible sans le secours de notre sponsor principal, ING, et de l’État. En 2020, le premier nous a soutenus financièrement à un niveau supérieur à ce qu’il était tenu de faire contractuellement. L’année suivante, j’ai réussi à contracter une assurance qui a été d’une aide précieuse. Mais lorsque je repense à 2021, je ne peux que saluer aussi le travail effectué par le ministère des Classes moyennes. Nous avons été épaulés financièrement, avec le chômage partiel mis en place par le gouvernement notamment, qui a servi pour mes employés (cinq à plein temps, deux à temps partiel, ndlr). Mais l’aide du ministre des Classes moyennes, Lex Delles, a été audelà de cela. Il est venu nous voir, il a posé des questions, il a entendu nos réponses et, ensuite, il a agi, trouvé des solutions. J’avoue que cela m’a un peu surpris, parce qu’on n’a pas toujours l’habitude qu’il en soit ainsi…
ERICH FRANÇOIS CEO Step by Step Financièrement, quelle était votre situation au moment de terminer 2021 ? Nous étions en déficit. Tout comme lors de l’exercice précédent. Et en ce qui concerne cette année 2022, j’espère peut-être terminer à l’équilibre. Mais je vous avoue que je suis plutôt pessimiste à ce niveau-là, compte tenu notamment du nombre d’inscriptions enregistrées pour le marathon.
Heureusement, à côté de Step by Step, mon entreprise événementielle, j’ai d’autres activités. Je suis photographe pour l’industrie, et puis je possède aussi Zephyr, une société active dans le domaine éolien. Cette dernière m’a apporté une vraie bouffée d’air, sans toutefois réussir à compenser le reste. Mais, malgré tout cela, je n’ai jamais songé à mettre la clé sous la porte. J’ai toujours eu la certitude que la situation allait évoluer et redevenir favorable.
À quoi ont ressemblé ces deux dernières années en pratique ? Nous avons travaillé comme si le marathon allait avoir lieu, les annulations n’arrivant, à chaque fois, que tardivement. J’ai aussi travaillé sur un nouveau parcours pour l’édition 2021, avant d’en dessiner un autre pour 2022. Ce dernier m’a pris un an et demi. Il a fallu tenir compte d’un tas de détails, des avancées du tram, etc. Et tout cela sans rentrées financières. Heureusement, un grand nombre de coureurs nous ont supportés, en acceptant de transférer leur dossard d’une édition à l’autre, ne réclamant donc pas de remboursement. Je leur en suis vraiment reconnaissant.
2022 est censée être l’année de la relance. Or, la situation est à nouveau compliquée… Effectivement. Nous en sommes à 12.000 coureurs inscrits, en deçà des 16.000 de 2018 et 2019. Mais cela n’est pas propre à Luxembourg. C’est le cas pour tous les marathons : Paris, Hambourg, etc. Habituellement, nous affichons complet dès février…
Comment expliquez-vous ce phénomène ? Pour moi, cette diminution est majoritairement due au fait que les différents groupes d’entraînement présents en entreprise n’ont pas fonctionné normalement ces derniers mois. Le running a beau être un sport individuel, on s’entraîne collectivement… On n’a jamais vendu autant de paires de baskets que durant la crise sanitaire. Tout le monde a commencé à courir. Mais tous ces nouveaux amateurs de course à pied ne se sentent pas encore prêts pour une épreuve comme la nôtre. D’ailleurs, si l’on compare aux dernières éditions, ce sont majoritairement des semi-marathoniens qui manquent à l’appel… Néanmoins, je suis persuadé que toutes ces nouvelles paires de chaussures, on les verra un jour chez nous. À mon sens, en 2023, nous serons de retour à notre niveau d’avant la crise sanitaire.
Romain Gamba Photo
Step by Step Source
N’y a-t-il pas aussi un changement d’idéologie chez certains coureurs, ces derniers cherchant des événements moins urbains, plus en lien avec la nature ? Je ne pense pas. On a effectivement vu un tel phénomène se développer durant la pandémie. Mais, selon moi, le public va continuer à vouloir participer aux grands événements. Le monde va à nouveau attirer le monde. Et plus un événement va (re)prendre de l’ampleur, plus il aura de nouveaux participants.
Avez-vous perdu des partenaires durant la crise sanitaire ? Non, j’en ai même trouvé deux nouveaux : les assurances Foyer et les supermarchés Match, qui remplacent Delhaize, dont le contrat s’était achevé en 2019. Ils nous ont rejoints en pleine crise sanitaire. Un beau geste. Tout comme celui d’ING, qui a paraphé une prolongation de cinq ans.
Le budget est-il au même niveau que lors des dernières éditions ? Non. Au vu de ce qui se passait ailleurs, nous savions que nous aurions moins de coureurs qu’en 2019. Mais sans vraiment pouvoir déterminer le niveau de cette diminution. Du coup, notre budget a été fixé à la baisse, de plus ou moins 200.000 euros, passant de 1,6 à environ 1,4 million d’euros. Une différence qui ne se verra pas le jour du marathon. Tout simplement parce que les secteurs dans lesquels nous avons coupé, assez naturellement, se situent en amont du jour J. Ainsi, le montant réservé à la publicité a été moins important, parce que certains autres marathons, où nous étions présents habituellement afin de nous présenter, n’ont pas eu lieu à l’automne. Autre exemple : nous avons décidé de nous passer cette année des coureurs africains professionnels. Principalement parce que tout n’était pas clair pour eux au niveau sanitaire, en termes de vaccination ou de documents administratifs. Ce n’était donc pas à la base une décision économique, même si cela représente un gain de 50.000 euros.
Et malgré ce budget revu à la baisse, vous n’êtes pas certain d’atteindre l’équilibre ? On ne devient pas millionnaire avec ce marathon. J’ai diminué notre budget, mais je ne l’ai pas baissé suffisamment pour pouvoir réaliser un bénéfice en ayant 12.000 coureurs au départ. Par le passé, nous avons parfois pu réussir un beau bénéfice, je ne le nie pas. Mais tous ceux qui pensent que le marathon rapporte énormément se trompent. Si je prends en compte les dernières éditions, nous avons peut-être commencé à faire du bénéfice à partir de 15.000 inscrits. Vous savez, chez PwC, qui s’occupe de notre comptabilité, on a l’habitude de me demander pourquoi je travaille autant pour un bénéfice aussi peu élevé…
RÉPARTITION DU BUDGET ING Ville de Luxembourg Frais d’inscription des coureurs Merchandising Autres sponsors
18,7 % 18,7 % 21,4 %
3,7 %
BUDGET 2019 1,6 million d'euros 1,4 % 21,4 %
BUDGET 2022 1,4 million d'euros
40 % 18,7 % 34,3 % 21,4 %
Si ce ne sont pas les gains qui vous motivent, c’est la passion ? Pour le marathon, oui. Et à côté, j’ai mes autres activités professionnelles… Si l’on organisait une épreuve avec par exemple une simple arche de départ en plastique, une arrivée en extérieur – elle a lieu aujourd’hui dans Luxexpo –, sans musique dans la ville, on réaliserait de gros bénéfices. Mais avec cette course, je veux organiser un événement de haut niveau. Du coup, quand mes rentrées augmentent, j’ai tendance à les réinjecter dans l’organisation. Parce que la qualité de celle-ci est un élément primordial si vous voulez attirer les athlètes. Avec une épreuve comme la nôtre, il y a sans doute moyen d’avoir une rentabilité intéressante à partir de 20.000 coureurs.
Vous envisagez un marathon d’un niveau encore supérieur ? C’est ce que je voudrais, oui. Il ne faut pas oublier d’où nous venons. En 2006, pour la première édition, on dénombrait 7.000 personnes. Avant la pandémie, nous en affichions 16.000. Et sans celle-ci, il était prévu d’en accueillir 1.000 de plus en 2020. Je veux grandir pas à pas, comme l’annonce le nom de ma société.
Où fixez-vous la limite ? À l’heure actuelle : 20.000 coureurs. Mais lorsque nous aurons atteint ce seuil, je vous dirais sans doute 25.000. Avant peut-être un échelon encore supérieur… Le parcours, je l’ai redessiné afin de pouvoir attirer davantage de monde. Un marathon de plus grande ampleur est viable, selon moi, à Luxembourg. Plus on grandit, plus on devient intéressant pour des partenaires importants, à l’image d’équipementiers comme Adidas, Puma, etc.
Cependant, globalement, nous sommes toujours victimes du déficit d’image que le Luxembourg connaît hors de ses frontières. Les étrangers qui ont couru chez nous en sont toujours repartis enchantés. Mais les attirer n’est pas simple. Nous n’avons pas la réputation d’être très « fun ». On continue aussi souvent à nous demander si on peut régler son inscription « au noir ». Cela se fait sur le ton de la boutade, mais en dit quand même beaucoup… Des choses sont mises en place pour tenter de faire évoluer cela : le nation branding, son slogan Let’s make it happen, etc. Mais le chemin sera long.
Vous avez déjà évoqué des retombées économiques de 4 millions d’euros pour la ville de Luxembourg. Mais cela ne semble pas convaincre tout le monde… La bourgmestre, Mme Lydie Polfer (DP, ndlr), a laissé entendre dans une interview qu’elle avait un peu de mal à y croire, en effet. Alors, je lui ai envoyé, ainsi qu’à son administration, les études sur lesquelles je m’appuie pour avancer ces chiffres. Il y en a une effectuée pour moi par une étudiante de l’université de Trèves. Elle démontre notamment qu’en moyenne, un coureur participant au marathon passe 2,1 nuits ici et est accompagné par 1,6 personne. Ce qui signifie des nuits d’hôtel, des repas et des achats sur place. À côté, un professeur de l’université de Hambourg a, lui, effectué des recherches sur le marathon de Berlin. Et il en ressort que l’événement berlinois, avec ses 40.000 participants, engendre des retombées économiques de l’ordre de 65 millions. Donc, en évaluant à 4 millions l’impact économique positif de notre course, nous sommes sans doute encore en dessous de la vérité. Sans parler de la plus-value en termes d’image.