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Dillon, terre de cultures
Texte : Corinne Daunar ; Photos : CD et La Favorite
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A l’orée du Sud de Foyal, à l’abri des contreforts de Valmenière de Montgérald et de la rivière Monsieur, les anciennes plaines de canne à sucre de Fort-de-France ont laissé leur place à un bâti touffu, que de paisibles barres et petits lotissements zèbrent depuis plus d’un demi-siècle. Le quartier Dillon, ses grands ensembles et son quadrillage dessinent une histoire collective d’une richesse bouillonnante.
Une histoire toute coloniale
Pour retrouver la genèse du patronyme de ce quartier aux nombreux habitants, une remontée dans l’histoire s’impose. C’est finalement tôt dans l’histoire de la Colonie, à la fin XVIIIe, que se croisent les destins de Laure de Girardin de Montgérald, jeune veuve créole cousine de l’impératrice Joséphine de Beauharnais et d’un colonel irlandais pétri de bravoure, Arthur Dillon. Rapidement reconnu pour ses hauts faits au cœur de la guerre d’Indépendance des Etats-Unis, déjà engagé au combat contre les anglais depuis une paire d’années, le jeune comte de Dillon s’éprend de Laure, chez qui il séjourne une première fois au cours de ses batailles avant de renouer, en 1784, et de l’épouser. A cette occasion, l’habitation Girardin, devient alors la plantation et très vite la « distillerie » Dillon. Une plantation ? L’affaire est d’importance pour la suite de l’aventure. Mais avant d’y revenir, retrouvons-nous à l’aube de la grande Révolution Française : en 1789, le comte de Dillon rejoint la métropole pour représenter, aux Etats Généraux, la noblesse coloniale, dont il assure la défense des intérêts. Accusé de complot sous la Révolution, il est condamné le 13 avril 1794 à être guillotiné sans sommation, laissant cependant de ce comte défait la survivance d’un nom aux accents de tafia !
Les vicissitudes d’une terre
La suite, et l’histoire moderne du quartier, elle s’écrit en creux de l’épopée économique et agricole de la Martinique. Passées en de successives mains, morcelées, découpées puis réunies, les différentes parcelles qui composent l’immense domaine de la plantation de Dillon se renouvèlent jusqu’à
l’aube de la grande crise sucrière qu’entrevoit l’île au dernier tiers du XIXe siècle. Si des noms familiers, les Domergue, Duchamp, Laguarigue… se succèdent au chevet de l’exploitation, les soubresauts de l’histoire lézardent les efforts et contraignent, après plus d’un siècle d’une grande épopée économique, le dernier exploitant des plaines, Louis de Laguarigue, à céder près de 350 ha de terres à… la commune de Fort-de-France ! Il faut dire qu’aux marges d’une ville qui se sent à l’étroit, la plaine a de quoi séduire : à partir de 1967, la Société Immobilière des Antilles Guyane consacre sur ce vaste espace un immense projet urbain, appelé à résorber l’habitat spontané qui engorge les mornes et bordures de l’en-ville et dont les conditions de vie désastreuses ne peuvent plus être ignorées. Les premiers ensembles se divisent donc entre du collectif, dans des logements conçus suivant le très moderne procédé du coffrage tunnel, et des habitats individuels de plein pied. En 15 ans, ce seront presque 10 000 habitants qui feront ville sur les anciennes terres de canne, portant-là multitude de petits commerces et d’ambitions collectives.
Dillon, l’urbanité populaire et résiliente
Dillon c’est aussi et surtout toute une histoire du peuplement et de l’urbanisme moderne de l’île. Ici aussi, comme dans de nombreux grands ensembles de France où la situation dégradée du bâti et l’horizon bouché interroge sur le devenir de ses habitants, le quartier a développé ses propres modes d’être et de sursauts ! aujourd’hui, le secteur porte aussi d’emblématiques infrastructures, de son immense arène sportive, le stade d’Honneur Pierre Aliker aux portiques portuaires solitaires de la pointe des Grives. L’art y tambourine aussi, que des patrons aussi discrets que flamboyants, tel Ti Emile, auront eu à cœur de porter au centre de la communauté. En réponse et en héritage, le quartier est aussi celui de la jeune scène underground de l’île. Dans son expression plastique et monumentale, la création infuse passionnément : les portes de Dillon, ouvragées par Laurent Valère, consacrent la poésie toute en résistance de Neruda et de Césaire. Les iconiques barres de la cité se parent à nouveau de fresques immenses, que des jeunes talents trublions viennent de raviver.
La distillerie Dillon qui a, de son côté, poursuivit son périple, continue d’entremêler savoir-faire et héritage. Et si sa canne vient désormais de plus loin, son rhum, lui, conserve toute la saveur de la plaine.