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Le bois lélé, l'agitateur créole

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Le pois d'angole

Le pois d'angole

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Texte : Corinne Daunar

Aux Antilles, aucune fête de famille, pas un anniversaire, un baptême et moins encore un chanté nwel ne sauraient se célébrer sans ses mille victuailles, du ti punch, boudin ou pain au beurre chocolat servi au pipiri chantant. Et pour accompagner le labeur, il est un ustensile de cuisine qui touille et fait mousser comme nul autre : l’incontournable bwa lélé, petite étoile de bois à la tige fine et aux destins gourmands.

Mais comme souvent, tout commence bien avant la fête. Pour arriver dans les mains de marmitons avertis ou amateurs, le très recherché bwa lélé , un petit arbre, cousin du fromager (de la famille des bonbacacées) dont le nom latin « quararibea turbitana» trouve ses racines dans nos régions. Mais pour le dénicher encore faut-il savoir où le chercher…

Ce matin-là Modéran emprunte un sentier discret et poursuit amba bwa, armé de son coutelas d’un citron vert dans la poche (principe de précaution). Mais ce n’est pas après le Fer de lance qu’il court cette fois, mais un arbuste dans lequel il compte bien se tailler quelques « lélés » (entendez, en créole, l’action de touiller ou mélanger. ) Lui seul sait où le repérer et comment l’identifier et il compte bien garder l’endroit secret. Il le reconnait du premier coup d’œil lorsqu’un brin de soleil éclaire une écorce rouge piquetée de minuscules points blancs doté de r en étages. Il se saisit d’une de ses feuilles larges et épaisses comme de la toile cirée… C’est bien l’arbre recherché. Il s’attelle à la tâche, la lune lui est propice. D’une main il attrape le tronc nu, observe chaque intersection d’où partent 5 branches à l’horizontale, en rayon semblable à une hélice. Une fois les ramifications coupées il lui suffira de les effeuiller et écorcer pour obtenir des « bwa lélé » de différentes tailles, du plus gros au plus petit qu’il pourra proposer sur le marché`.

L’étoile des mets

Le plus imposant servira à sonner l’hallali du cochon, lorsque dans son grand faitout Man Nicole se mettra à touiller, dans le sens de la montre, le sang mêlé à la mie du pain avant de la transformer en chapelets épicés. À l’étage supérieur c’est l’heure du délicieux migan, du chaudeau ou chodo, sorte de lait de poule guadeloupéen ou du chocolat première communion entre bien d’autres… Le bois s’affine, mais la force du bras se substitue au batteur. Et c’est encore en roulant sa tige entre les paumes des mains que Man Nicole prépare son fameux punch coco qu’elle offrira pour son chanté Nwel cette année. Arrive enfin le plus fin des lélés, que les amis anglais renomment pour l’occasion « swizzle stick tree » ou cuillère à cocktail. Côté mensurations, ce lélé de compétition s’érige sur une quinzaine de centimètres, en bois et s’engage dans la concoction des meilleurs cocktails ou de l’incontournable ti punch... L’hérésie moderne le voit parfois perdre en matière, et se contenter… de plastique. C’est que, à l’heure du punch, du décollage (ce premier rhum du matin) au « vatenchoucher », le temps a passé, et le lélé perd parfois la course face aux cuillères en inox ou batteur à cocktail très spécialisé. Mais alors, le bwa lélé, serait-il à reléguer aux échoppes à souvenirs ? Une chose est certaine, quand la tradition s’invite dans les plats, la fête, c’est certain, est très belle !

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