3 minute read
La singulière distillerie la Favorite
Texte et photos : Corinne Daunar LA SINGULIÈRE DISTILLERIE LA FAVORITE
Elle est l’une des rares à être restée dans un giron familial. Si ses bouteilles sont d’exception, son activité elle se veut confidentielle. Son écrin, un château antillais aux tours singulières, donne déjà à goûter un savoir-faire unique. La Favorite, c’est l’orfèvrerie du rhum, où toutes les étapes, sur des volumes volontairement restreints, sont menées tambour battant, avec attention et passion.
Advertisement
Un témoignage vivant de la Martinique industrieuse du XIXe siècle.
Elle habite l’épopée de la Martinique du terroir et de l’acier, celle qui se zèbre, dès la deuxième moitié du 19e, d’un réseau infini de rails, d’usines centrales, de bacs qui cousent sur un cuir tacheté de champs de canne, le patchwork de l’île au sucre. La Favorite elle entame son odyssée en 1842, alors rattachée à l'exploitation de la Jambette, dont les terres cultivées courent à l’époque jusqu’à la mer. A la fin du XIXe siècle, où l’aventure du sucre industriel s’achève, la raffinerie fait faillite. C’est Henry Dormoy, agriculteur à Saint-Pierre, qui la rachète aux enchères en 1905. Rapidement, l’établissement est modernisé et reconfiguré pour produire du rhum agricole, notamment distribué aux soldats de la Grande Guerre. C’est là le début d’une épopée familiale, celle des Dormoy, qui se transmettent précieusement l’exploitation aux vieilles machines vapeurs Marriol, capricieuses mais ô combien résistantes. En 1920, l’imposante bâtisse de maître, devenue iconique de la distillerie, sort de terre, à juste titre surnommée le château par les quartiers des environs. En un clin d’œil, les pierres de taille utilisées pour les fondations de la maison sont les mêmes que celles qui constituent l'ossature de l’habitation Depaz, érigée au même moment. Singulièrement découpée par ses tourelles d’angle, ses charpentes en bois et ses lucarnes de ventilation, l’habitation s'invite à mesure dans l’identité visuelle de La Favorite, et dresse l’ambition d’un rhum novateur.
Un monde de fracas
Du côté de l’usine, c’est un monde de fracas fascinant, l’intérieur
CLAVERIN CLAVERIN
fumant et clinquant de la bête broyeuse. Le spectacle est fulgurant, et le mouvement gigantesque des anneaux dentelés, que la force de l’eau surchauffée anime sans effort, est magistral. Les traverses, les cheminées, les fumerolles imposent un ballet incessant, que l’odeur entêtante de canne broyée et de jus éthéré enveloppe d’une brume pressée. Les bruits de l’industrie, le claquement du métal, les sursauts de la dalle de l’usine accompagnent le cycle du rhum, qui y est tout entier respecté. Pourtant, et malgré les efforts de modernisation de la fabrique (1924), qui se complète d’une voie ferrée, de nouveaux moulins et de générateurs derniers cris, la distillerie ne résiste que difficilement à la concurrence, qui stoppe ses rouleaux en 1939. Mais l’histoire n’est pas achevée ! Deux décennies plus loin, c’est l’un des fils Dormoy, André, qui entreprend d’en relancer les activités : il rachète les parts de son frère et rénove l’ensemble du site, exception faite de l’iconique château : la production reprend de plus belle, et tient encore les 600 000 litres à l’an. L’habitation étendard elle, passe sous pavillon militaire en 1967, pour abriter le tout premier Régiment du Service Militaire Adapté d’Outre-Mer, le RSMA de la Martinique, dédié à l’insertion professionnelle des jeunes. L’armée, qui réhabilite le château, en fait le quartier général du Régiment et s’engage, dans un lien naturellement avec la Favorite, à exalter le patrimoine d’île, tout aussi bâti qu’immatériel. Quant à l’usine, elle est encore aujourd’hui parfaitement autonome, où la puissance de la vapeur, fournie par une bagasse abondante, entraine la chaine grinçante et alimente la distillation. L’eau, fluide incontournable, est extraite de la rivière Jambette. Aujourd’hui, une production hors temps pour des rendements volontairement discrets et des rhums mus par l’exceptionnel achèvent de fonder l’inimitable marque de cette petite exploitation de famille, où le haut de gamme fait foi. Et dans une époque de l’écologie de moyens et de la conception raisonnée, le caprice de la vapeur devient le génie du distillateur passionné.