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La vie à Beaufonds au temps de l'engagisme

Travailleurs se rendant à l'ouvrage par Constant Azéma

Remerciements à l’Iconothèque Historique de l’Océan Indien

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Texte : corinetellier.re Beaufonds a longtemps été un lieu débordant d'activité. A l'intérieur de la fabrique du sucre de SaintBenoît, mais aussi à sa périphérie immédiate, qui a été le théâtre d'une première rencontre et réunion des peuples dans l'île au XIXème siècle.

Groupe de cafres (fête), par Constant Azéma

Elle a cessé de fonctionner il n'y a pas si longtemps, une petite vingtaine d'années, en 1996. L'usine de Beaufonds, située à proximité du centre-ville de SaintBenoît, a été un important centre de traitement de la canne à sucre dans l'Est jusqu’à sa fermeture en 1996. L'usine a été construite entre 1827 et 1834 par la famille Hubert Delisle et a connu plusieurs aménagements architecturaux et technologiques pour la mettre au diapason des innovations dans le domaine de la production du sucre ; si bien que Beaufonds deviendra un site économique d'envergure dans l'Est, toutes productions confondues. Une histoire riche, qui a failli frôler les portes du millénaire. Intéressons-nous à une période faste de Beaufonds, celle qui recouvre la seconde moitié du XIXème siècle et dont un des vestiges a traversé le temps. Sa cheminée, la cheminée Beaufonds, est inscrite en totalité à l'inventaire supplémentaire des Monuments historiques depuis le 27 juin 2002, une inscription qui vaut également pour son terrain d’assiette. C'est une époque marquée par le temps de l'engagisme, cette vaste opération de recrutement de main d'œuvre en provenance de la zone de l'océan Indien et pour une part considérable du sud de l'Inde.

L’usine comme repère

Cette vague d'immigration, dictée par la nécessité économique, pose déjà les jalons de la diversité ethnique et culturelle de l'île, même si l'on est encore loin de la mixité. Comme le souligne Michèle Marimoutou dans son étude

historique sur « Les Engagés du sucre », « chaque groupe ethnique a son camp : les Indiens se regroupent entre eux, de même les Africains ou les affranchis. Mais la majeure partie du temps des engagés est vécue hors du camp, sur les multiples lieux de travail ». Parmi ces derniers, les champs bien évidemment mais également les bâtiments de la sucrerie.

C'est d'ailleurs dans la cour de l'usine, dans les magasins la jouxtant, que les travailleurs sont enregistrés par le planteur ou le régisseur et que se fait la distribution des tâches ainsi que celle des vivres. « L'habitation apparaît donc comme un espace structuré par le rapport du/des dominant(s) aux dominés, lié aux fonctions de commandement et d'exécution ; aux deux pôles se trouvent les lieux interdits : la maison du planteur, qui est l'espace du pouvoir, et le camp des engagés, qui est l'espace de la sujétion. Entre ces deux pôles, l'espace de travail où ont lieu les échanges ! », écrit encore la chercheuse. Les engagés ont été encouragés à conserver leurs pratiques religieuses, comme le montrent le temple tamoul monté à quelques pas de l'usine. On sait qu'en général les maîtres de domaines agricoles (de toute l'île) ne s'opposaient pas à ces constructions ; ils participaient même en offrant le terrain ou des animaux pour les sacrifices. Par ailleurs, les festivités, tant qu'elles n'empiètent pas sur le temps consacré au travail au champ et à l'usine, sont tolérées. Les immigrants indiens célèbrent ainsi une coutume ramenée de leur pays, le pongal qui coïncide avec la fin du solstice d'hiver avec la période des moissons et de la première récolte de riz ; à défaut de riz, la canne à sucre remplit ici pleinement son rôle fort de symbole. Les employés cafres (parfois d'anciens esclaves) eux aussi bénéficient d'un temps de célébration rythmé par la musique: sur les photographies de l'époque, on peut apercevoir les instruments qui vont perdurer jusqu'à aujourd'hui dans le patrimoine du maloya, comme le « kayamb ». Les échos de Beaufonds ne sont finalement pas si lointains.

Sucrerie de Beaufonds, carte postale avec timbre-poste français (collection V.B.C.)

Camps de travailleurs, par Constant Azéma Groupe d’Indiens et d’Indiennes, par Constant Azéma

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