Vers une rue extravertie. La rue, un espace public au-delà du déplacement.

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VERS UNE RUE EXTRAVERTIE La rue, un espace public au-delà du déplacement

Réalisé par Maria Laura SANCHEZ CADENAS Sous la direction de Anne SISTEL



VERS UNE RUE EXTRAVERTIE La rue, un espace public au-delà du déplacement Le cas des quartiers résidentiels de Montpellier

Réalisé par Maria Laura SANCHEZ CADENAS Sous la direction de Anne SISTEL Janvier 2018 Mémoire de Master II en Architecture. Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Montpellier


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VERS UNE RUE EXTRAVERTIE : La rue, un espace public au-delà du déplacement Le cas des quartiers résidentiels de Montpellier

Réalisé par Maria Laura SANCHEZ CADENAS Sous la direction de Anne SISTEL Composition du jury : Anne Sistel, Architecte, Urbaniste, docteur en géographie urbaine, Enseignante à l’ENSAM, Directrice de mémoire Khedidja Mamou, Architecte, docteur en sociologie, Maître assistante à l’ENSAM, Examinatrice Nicolas Pauli, Ingénieur, docteur en génie civil et professeur à l’ENSA Montpellier Examinateur Catherine Bernié-Boissard, Géographe, docteur HDR, Professeur des universités, Examinatrice et personnalité extérieure Mémoire de Master II en Architecture. Janvier 2018 Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Montpellier

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Extraversion, nf. Trait de personnalité caractérisé par une fréquence élevée de conduites visant à 1

établir des contacts sociaux et à rechercher des stimulations nouvelles . « Les rues sont l’appartement du collectif. » 2

Walter Benjamin.

Résumé : Ce mémoire est une recherche sur la qualité de vie dans les espaces publics de la ville, et une remise en question de ses fonctions, plus particulièrement des rues, et l’importance de leur appropriation par les habitants et les usagers pour leur pratique quotidienne. Différents facteurs sont étudiés pour comprendre les systèmes d’appropriation des rues commerçantes des quartiers résidentiels. Une attention particulière est portée à la conception architecturale et urbaine autour des besoins humains, tant en question des dimensions physiques pour le bon déroulement de nos sens, comme les dynamiques sociales qui forgent la personne dans un collectif. Problématique : Pourquoi introduire les dimensions humaines comme facteur central dans la conception des rues appropriables dans les quartiers résidentiels à Montpellier ? Nota bene: Toutes les images utilisées dans ce mémoire sont propres, sauf indication contraire.

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Dictionnaire Larousse.

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Benjamin W., Paris, Capitale du XIX siècle. p. 875.

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Benjamin W., Paris, Capitale du XIX siècle. p. 875. 3

Calvino I., Les villes invisibles, « Les villes et les échanges », p. 66

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Sommaire INTRODUCTION .............................................................................. 9 Problématique : la dimension humaine, manquante dans la conception des rues .................................................................... 12 Cas d’études : les rues commerçantes des quartiers résidentiels ................................................................................................... 15 La méthode : se rapprocher des habitants ................................. 17 PARTIE I : LIEU A LA VIE DANS L’ESPACE CONSTRUIT ..................... 22 1. L’ESPACE MIS A NU : SES CARACTERISTIQUES PHYSIQUES ........................... 23 a) Relation de la rue à son contexte ........................................... 23 b) Dimensions : des mesures en relation au corps et aux sens ... 33 2. L’ESPACE HABILLE : LA FORME ACCUEILLANT LA PERSONNE ........................ 42 a) Influence de la forme et du type de bâti dans la perception (vécu) de l’espace ....................................................................... 42 b) Notion du collectif: nécessaire pour une relation de voisinage dans l’espace public .................................................................... 47 PARTIE II : LES RELATIONS SOCIALES DONNENT SENS A L’ESPACE MATERIEL ..................................................................................... 58 1. L’INDIVIDUALITE DANS LE COLLECTIF : PARTAGER LA VILLE ......................... 59 a) Les espaces créateurs de vie : le besoin de se rassembler ...... 59 2. INTERACTIONS : ECHANGES NECESSAIRES .............................................. 67 a) Degrés d’implication dans la vie à l’extérieur ......................... 67 b) Commerces : l’importance de l’échelle dans la relation avec les habitants .................................................................................... 76

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PARTIE III : LA RUE DEVINT UN ESPACE SOCIAL ............................. 84 1. LES ESSENTIELS POUR L’APPROPRIATION DE L’ESPACE PUBLIC ..................... 85 a) Le quotidien et le familier : de l’habitude à la familiarité ....... 85 b) Liens sociaux entre les habitants : création et besoin de la confiance du voisinage ............................................................... 92 2. DEVENIR DE L’ESPACE PUBLIC EN FAIT SOCIAL ......................................... 97 a) Responsabilité sociale : élément perdu dans le fonctionnement actuel de l’espace ....................................................................... 97 CONCLUSIONS ............................................................................. 105 GLOSSAIRE .................................................................................. 112 BIBLIOGRAPHIE ........................................................................... 113 ANNEXES ..................................................................................... 117

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“ À Chloé, une grande ville, les gens qui passent dans les rues ne se connaissent pas. En se voyant, ils imaginent mille choses les uns sur les autres, les rencontres qui pourraient se faire entre eux, les conversations, les surprises, les caresses, les coups de dent. Mais personne ne salue personne, les regards se croisent un instant et aussitôt se fuient, cherchent d’autres regards, ne s’arrêtent pas...” Italo Calvino

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Calvino I., Les villes invisibles, « Les villes et les échanges », p. 66

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Introduction La rue, un espace public de mouvement et d’établissement4

« L’évidence de la ville c’est d’abord la rue, cette structure simple et continue qui permet de circuler, de rentrer chez soi, d’avoir une adresse. » 5

David Mangin.

L’espace public est avant tout la rue. C’est l’espace qui crée le tissu de la ville. Il est parcouru inévitablement pour se déplacer dans la ville, mais également pour y faire vie. Il rempli des fonctions de lien entre le bâti et l’extérieur – un lien directe entre le privé, le chez soi, et le collectif. Ainsi que d’une circulation dans l’ensemble de l’espace de la ville. Dans ce complexe système urbain, le groupe et l’individu, la rencontre et l’isolation, pour en citer quelques uns, sont des binômes très fluctuants. Ils se promènent telles des notions opposées, dans des espaces avec des caractéristiques distinctes : le public et le privé. Un distinctif important de la complexité de la ville est justement l’imbrication de ces deux sphères ; la capacité de passer de l’une à l’autre au désir, le choix d’aller à la rencontre ou de rester chez soi. La rue se présente ainsi comme le tapis le plus étendu 4

C’est Jean-Loup Gourdon qui précise dans son article Rue/Voie spécialisée :

formes urbaines en opposition (1999), que ce qui différencie la rue de la voie spécialisée c’est la manière dont la première s’approprie de ces deux fonctions, les articule, et crée un espace multifonctionnel : les passages, ainsi que les déambulations et les permanences définissent la dynamique de la rue. 5

Mangin D. et Panerai P., Projet urbain, « Les rues ordinaires ». p. 57

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d’interstices entre l’un et l’autre. Elle nous amène autant chez nous comme chez le collectif. Au moment où elle nous appartient individuellement, elle appartient à tous les autres. Chacun est autant propriétaire que l’autre, et dans ce sens, on en tous responsables. La représentation qui lui est faite dans l’imaginaire collectif soulève également des différences historiques et culturelles qui relèvent la manière de concevoir l’espace public. Elles peuvent être considérées un espace simplement de transition, un espace public mais non approprié, anonyme, ou au contraire très personnel, un espace public de lien et rencontre, ou bien de mise à l’écart. Dans l’imaginaire actuel6, le mot « rue » inspire tout sauf grâce, ou accueil. Pourtant c’est un espace que l’on transite, que l’on habite, temporaire mais largement. Il semble inévitable aujourd’hui de lier « rue » à « voiture ». L’espace vital de connexion de la ville a été laissé majoritairement – en autorité, design spatial, nuisances, et fonctions -, au transport motorisé. Un schéma très structuré et répétitif s’impose dans la plupart des rues : un trottoir d’un ou des deux côtés (à largeur minimale), et des voies véhiculées (autant que désirées, ou « nécessaires » pour le transit des véhicules tentant 6

Appuyé sur les précisions de Michel Giraud, président du Conseil Régional d’Ile-

de-France et de l’Association des maires de France, « Dans l’imaginaire collectif, la ville est encore trop souvent associée à un univers fait de béton et de bruit, où la population, curieusement plus pressée qu’ailleurs par on ne sait pas quelle urgence, court au milieu d’un trafic incessant et d’un anonymat oppressant. », dans le préface pour DE SABLET, p. 9

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d’éviter des embouteillages et des diminutions de la vitesse), prévoyant largement la taille de la machine. A cet égard, le piéton, individu riche en modes de déplacement propre, en activités à faire pendant son temps de promenade, à capacité de s’amuser, découvrir, regarder, parler, s’arrêter au fur et au mesure qu’il dévoile son chemin, est réduit à un espace de vie pauvre, ave très peu de générosité spatiale (généralement 1 mètre de large par trottoir, sachant que la largeur moyenne des épaules est de 50 centimètres). D’autres lectures de l’espace public : expérience de Caracas

Mes origines vénézuéliennes, et spécifiquement ma pratique de la ville de Caracas, me font avoir une conception de l’espace public particulière, d’avantage liée aux traditions et à l’imaginaire vénézuélien qu’à l’européen. A Caracas, les rues sont en effervescence constante : des personnes discutent en sortant d’un magasin ; des conducteurs de transports publics se saluent dans les embouteillages, des voisins se retrouvent au kiosque du coin en faisant semblant d’acheter le journal pour discuter des nouvelles du quartier ; le cadre légal semble ne pas influencer sur la spontanéité de l’ensemble des habitants, participants, acteurs de la rue. L’atmosphère de Caracas est celle d’une ville éveillée, active et énergique, prête à offrir aux habitants l’espace dont ils ont besoin pour se rencontrer, pour s’étaler ailleurs de leur domaine privé. Cette expérience d’un tel espace public conçu et pratiqué très différemment à celui de Montpellier, me fait m’interroger sur la manière dont on vit (dans) l’espace public en France. Ce sont des

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interrogations encore plus précises sur la place de l’architecte et ses interventions dans la manière des habitants de s’approprier et pratiquer les rues. Les observations qui suivent porteront un intérêt particulier aux variables qui permettent et facilitent l’appropriation, qui créent des espaces d’échanges, de rencontre, partie essentielle de la ville. Problématique : la dimension humaine, manquante dans la conception des rues Se retrouver en tant que piéton à marcher sur un trottoir étroit ; se voir coincé par des voitures mal garées, des poubelles déplacées; devoir longer des longs murs qui rendent anonymes les fronts des rues, est actuellement un portrait courant de l’expérience de la rue de quartier résidentiel. Ce sont des situations qui se répètent dans des nombreuses rues de quartiers résidentiels de Montpellier. Par exemple, la rue Durand, dans le quartier Gare, est structurée de trottoirs très étroits ; l’avenue de Fès, au quartier Malbosc, est caractérisée par des façades fermées et non investies par les habitants. Similaire était le cas de la rue Marioge, une rue étroite au quartier Arceaux, où, auparavant des aménagements en Zone de Rencontre, des problèmes même de sécurité prenaient place: le croisement d’usages des écoles et des habitations, et le grand transit de voitures, mettait en danger les usagers. Ces constats montrent un manque de prise en compte de la notion de « vécu » des habitants et des pratiquants de la rue, au moment de leur conception. Ce qui rend difficile leur appropriation comme espaces publics habités.

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Les espaces de la ville sont pour être pratiqués par des personnes - particulièrement les rues des quartiers, qui sont si proches en pratique et en situation géographique des riverains. Le caractère humain devrait être un outil de travail transversal aux stratégies de conception habituelles. Ce serait une manière de respecter et de valoriser l’usager en tant que pratiquant premier des villes. Cet état de pratique et d’aménagement des rues fait penser à des questions qui semblent centrales à la réflexion et création de nos villes: Pourquoi introduire les dimensions humaines comme facteur central dans la conception des rues appropriables dans les quartiers résidentiels à Montpellier ? Aiderait-il à l’appropriation par les habitants de travailler des aménagements des rues plus consciemment dessinés pour les dynamiques sociales de l’espace? Hypothèses sur la rue dans l’imaginaire actuel : un espace de flux “The conventional representation of the street as a link has tended to reinforce the linear representation of the street, defined only through its movement function, and ignoring or subverting the other functions. While this definition is a useful simplification for the purposes of understanding the movement of traffic in a network, it omits other significant aspects of the street as a public space. Streets determine intra-city connections, while inter-road networks determine connectivity 7

between cities.” ONU-Habitat

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ONU-HABITAT, Streets as Public Spaces and Drivers of Urban Prosperity, p. 17

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Comme précisé dans le rapport des Nations Unies, la rue est aujourd’hui surtout représentée comme un espace bidirectionnel, de flux : des voitures vont dans deux sens contraires, et les piétons le long de cet axe, bordant chaque côté de la rue. La rue longe pourtant toute une bordure d’activités, d’entrées de résidences, de frontages multiples. Elle mérite d’être repensée dans sa transversalité 8 , la possibilité de la franchir et ainsi rapprocher les deux fronts de rue. Une transversalité physique, concrète, aujourd’hui limitée aux symboles du passage piéton et des feux rouges ; mais aussi une transversalité abstraite, humaine, flottante dans l’air et tissée par les relations établies d’un côté et de l’autre, nourrissant la dynamique de l’espace longitudinal.

Figure 1 : Schémas de pratique de la rue comme espace de flux (gauche), et d’interactions (droite).

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Voir définition dans le Glossaire.

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Rétablir le débat de la conception des rues du point de vue de l'habitant - l'habitant piéton, l'habitant enfant, l'habitant qui a une voiture, comme il a un vélo, des mascottes, des amis -, ferait justice au principal usager de l’espace dessiné et décidé par des tiers. Il est en fin de comptes une personne, comme nous tous le sommes, qui a besoin d'échanges, d'une vitesse adaptée à sa marche et à ses sens, d’espaces pour le déroulement de ses activités quotidiennes, de mouvement ainsi que d’établissement. Et la rue, ainsi que le chez soi, doit être un espace au service de cette dynamique, et non pas au service d'un élément technique de l'époque, du transport uniquement. Cas d’études : les rues commerçantes des quartiers résidentiels Les rues se déclinent en catégories et manières de les pratiquer bien distinctes selon leur hiérarchie dans le tissu urbain : des ruelles aux rues courantes, des rues commerçantes aux résidentielles, des avenues aux boulevards. Chaque rue a des comportements et des fonctions différentes. Elles restent, toutefois, des espaces publics catalogués eux aussi selon la hiérarchie de la rue. Cette étude se concentrera sur des rues commerçantes des quartiers résidentiels de Montpellier. Prenant à la fois des exemples de rues des quartiers historiques, les faubourgs Arceaux et Gare, et un autre exemple d’un quartier nouveau, la Zone d’aménagement concertée (ZAC) Malbosc. Une comparaison des types d’aménagements faits, des transformations vécues et du niveau et manière d’appropriation des riverains en relation à leur rue sera faite. Ce permettra d’évaluer la

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mesure dans laquelle la manière de concevoir d’avant est hypothétiquement plus favorable à l’appropriation que celle d’aujourd’hui, et les façons dont la dimension humaine rentre dans le jeu de la conception architecturale.

Figure 2 : Plan de situation des quartiers des rues étudiées. Montpellier. Source image © Google Earth.

La rue commerçante a un caractère fédérateur dans l’espace public des quartiers résidentiels. La centralité vient organiser l’ensemble, fédérer la dynamique. Elle se manifeste dans l’ensemble d’activités qui s’établissent dans la rue et les croisements qu’elles produisent avec les habitants et passants. Ceci sera observé et constaté dans trois rues : la rue Marioge aux Arceaux, la rue Durand dans le quartier Gare, et l’avenue de Fès, à la ZAC Malbosc. Ces rues ont été choisies comme exemples pour la recherche pour vérifier les hypothèses de départ suivantes :

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-

La rue Marioge, qui a vécu, grâce aux demandes et à l’investissement

des

habitants,

un

processus

de

transformation en « zone de rencontre »9, inauguré en tant que tel en décembre 2013, est un bon exemple de rue appropriée et pratiquée par ses riverains, comme espace public plus riche qu’un axe de passage et déplacement ; -

La rue Durand, qui ayant vécu la même transformation que la rue Marioge, seulement pas par les mêmes motivations ni processus, présente un niveau d’appropriation moindre par les riverains ;

-

L’avenue de Fès, rue principale de ce quartier nouveau, inauguré en 2003, qui bénéficie des aménagements nouveaux, adaptés aux cadres légaux et valorisant remarquablement le paysage, ne sait pas s’adapter à sa population ni rendre ses espaces appropriables. La méthode : se rapprocher des habitants

La recherche est faite à travers des observations de la dynamique des rues et l’analyse formelle de leur forme et aménagements. Ceci est organisé dans une grille10 avec des facteurs d’observation définis par 9

Elles sont définies dans le CERTU – Zones de circulation apaisée, comme suit : « La

zone de rencontre se définit sur le plan réglementaire comme une zone à priorité piétonne. Ouverte à tous les modes de circulation, les piétons peuvent s’y déplacer sur toute la largeur de la voierie en bénéficiant de la priorité sur l’ensemble des véhicules. (…) Elle correspond à des espaces publics où l’on souhaite favoriser les activités urbaines et la mixité des usages sans pour autant s’affranchir du trafic motorisé. » 10

Voir Tableau d’observations en annexes.

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des hypothèses de départ et en appui des études similaires consultées. Notamment celles de William H. Whyte (1917 – 1999) à New York sur le comportement des piétons et les dynamiques urbaines dans des espaces publics de la ville, et le travail très étendu de l’architecte danois, Jan Gehl (1936 - ), sur l’influence de l’environnement construit dans la qualité de vie des habitants. Pour compléter les observations, des entretiens qualitatifs avec des habitants acteurs de leur rue ont été faits pour avoir des regards internes aux rues : pour trouver des informations et entendre l’expérience de ceux qui les pratiquent au quotidien. Pour la rue Marioge, l’interlocuteur a été M. Bonnefont, habitant, ex-président de l’association de quartier et actuel secrétaire, qui a de plus impulsé et suivi de très près le projet de réaménagement de la rue en « espace de rencontre ». Concernant la rue Durand, ce sont Mme. Herpin, et M. et Mme. Forté qui ont été à l’écoute et réactifs du partage des informations pour ce mémoire. Ils ont été tous les trois des membres actifs et centraux de l’association Riverains de la rue Durand. Association qui a été créée principalement pour organiser la lutte des riverains contre les abus des transports publics de la ville de Montpellier dans leur rue. En peu plus loin du centre-ville, c’était M. Morel, membre de l’association de quartier Malbosc bouge, qui a partagé ses expériences du vécu dans le quartier et sa rue, l’avenue de Fès, lors d’un entretien et ultérieurement au moment d’une visite de quartier proposée et guidée par lui. D’avoir eu un temps d’échange avec ces interlocuteurs a été essentiel pour ce mémoire. La pratique des rues étant au cœur du sujet, les observations

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devaient être complétées par une couche d’expérience directe, de regard interne, d’histoire. La lecture de ce mémoire s’organisera en trois temps. Premièrement, une partie d’analyse des facteurs physiques, des caractéristiques et aménagements des rues, et leur influence sur l’appropriation de celles-ci. Pour continuer, une deuxième partie sur l’environnement social et le poids qu’il a sur la pratique quotidienne de la rue. En dernier, une étude sur la relation que les aspects sociaux entretiennent avec les aménagements physiques, et le résultat obtenu de l’imbrication des deux.

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Figure 3 : Via dei Savorgnan, un quartier rĂŠsidentiel au sud de Rome.

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Partie I LIEU A LA VIE DANS L’ESPACE CONSTRUIT

« First life, then space, then buildings - The other way around never works. » Jan Gehl.

Le cadre physique constituant l’espace de la rue est sans doute un élément déterminant de la vie qui va s’y développer. Des aménagements fructueux, invitant à intervenir, participer, prendre part sont nécessaires pour aider à construire un réseau social qui l’anime. Dans cette partie vont être étudiés et interrogés les éléments physiques encadrant l’espace, ainsi que les caractéristiques mêmes de la morphologie de la rue et son entourage bâti. Plus particulièrement la manière dont cela influence la perception et le comportement des riverains et usagers dans l’espace de la rue.

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1. L’espace mis à nu : ses caractéristiques physiques a) Relation de la rue à son contexte La greffe à un existant : importance des dimensions morphologiques et sociales

La ville est un système constitué de différents éléments, jouant des rôles particuliers et nécessaires au fonctionnement de l’ensemble. Les quartiers sont une des pièces de ce système. Ils ont des caractéristiques et modes de fonctionnement particuliers à chacun : les usages, la constitution du tissu social, la proximité à des équipements de plus large échelle notamment. Cependant, l’interaction entre eux est nécessaire pour le fonctionnement et la lecture d’ensemble de la ville. La création d’une identité collective à l’échelle de la ville passe par l’imbrication de plusieurs identités, des mémoires collectives à l’échelle du quartier. Le fil peut être étendu à toute dimension : le pays, la ville, un ensemble de quartiers, une rue, un groupement de maisons, une maison, la famille, l’individu. Une mémoire collective est toujours le résultat des mémoires individuelles. Dans cette perspective, les faubourgs profitent d’une place favorisée dans la ville par rapport aux Zones d’aménagement concerté (ZAC), en périphérie pour deux raisons principales. Premièrement, ils ont eu plus de temps d’être assimilés dans l’imaginaire collectif des habitants que les quartiers construits plus récemment ; le temps traduit surtout des expériences vécues, souvenirs crées et ancrés

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dans la mémoire partagé des habitants et pratiquants. Dans un deuxième temps, étant proche du centre-ville, la proximité à des services centraux est indéniablement avantageuse pour que cette dynamique découle vers eux plus facilement que vers des quartiers plus lointains. Les quartiers ont besoin d’interactions entre eux pour s’ouvrir aux « non-habitants », non seulement pour des questions économiques : rentabilité des commerces, plus variété de public, population active diversifié. Mais aussi par souci du ressenti de l’espace public, l’espace collectif et l’espace intime. Une caractéristique primordiale de l’espace public est celle de l’anonymat. Etant tellement libre en accès et déplacements, il offre la possibilité d’être soi-même sans se limiter par le regard des autres, puisqu’il s’agit d’inconnus. Cette dimension se perdrait dans des rues ou quartiers visités uniquement par ses riverains et habitants. Ce qui pourrait donner un côté familier des espaces publics dans des rues et des quartiers où l’on a l’habitude de croiser certaines personnes entre les inconnus, deviendrait bien plus évident et dérangeant s’il n’y avait pas des passants extérieurs au quartier11. Les rues étudiées permettent d’illustrer la différence entre la greffe à l’existant et le développement hors contexte repérable. La situation des rues des faubourgs Marioge et Durand, est clairement le résultat 11

Le sujet des espaces publics « anonymes » et « familiers » sera plus amplement

développé dans la partie III de ce mémoire.

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physique d’un processus de mutations et d’extensions de la ville depuis son centre. Ceci se reflète dans le système des dynamiques interdépendantes établies entre les habitants de ces zones et ceux du centre-ville. Contrairement au cas de la ZAC de Malbosc et sa rue principale, l’avenue de Fès, qui a une dynamique interne au quartier uniquement. Cette zone d’aménagement concertée, qui a aujourd’hui environ quinze ans de vécu, a été conçue et construite éloignée des quartiers historiquement constitués. Cela n’a donc pas été simple pour qu’elle se rattache à des imaginaires collectifs solides. Ce qui explique son fonctionnement introverti (par et pour les habitants du quartier uniquement).

Figure 4 : Plan Avenue de Fès. Des voies parallèles peu liées transversalement au contexte. Source image © Google Maps.

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Le quartier renfermé sur lui même, risque pour l’espace public

Un quartier accessible et attirant pour les habitants qui l’entourent est un élément clé pour retrouver une dynamique positive de fonctionnement des espaces publics. Concrètement, un quartier ouvert et relié aux autres profitera à une plus ample diversité d’usagers : habitants et pratiquants extérieurs. Ces derniers rajoutent un élément important à la rue : de l’inattendu. Autrement, les rues deviendraient un espace public « contrôlé », où les habitants, pratiquants quotidiens de cet espace, étant les seuls à le pratiquer, se retrouveraient dans une situation de surveillance involontaire sur les autres. Ainsi, la rue perdrait son caractère, au moins dans la pratique, de « publique ». En fait, les passants sont la limite entre la rue comme espace collectif et la rue comme espace public. Ils apportent de la spontanéité, de l’anonymat ; la dimension nécessaire de perturbations au quotidien habituel et répétitif. Cette vision de la rue de quartier comme espace public et non collectif est partagée par Eric Charmes.12 Le sociologue s’est appuyé sur les travaux de Jean Rémy

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pour affirmer

notamment : « loin d’opposer des espaces « communautaires » et des espaces publics où règne l’anonymat, le sociologue estime que l’on peut considérer qu’un espace est public quand ils est, à la fois, dominé par une ambiance et des pratiques spécifiques et ouvert sur 12

Charmes E., Rue, village ou décors. « La rue de quartier comme espace public »,

p. 107 13

Ibid.

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l’extérieur, c’est-à-dire fréquenté par des personnes n’appartenant pas au groupe dominant. » Il est ainsi important que les rues non seulement soient comprises comme des espaces publics au sens propre mais qu’elles le restent, pour que les riverains continuent à sentir la liberté de sortir de chez soi et ne pas être reconnu directement par les autres pratiquants de la rue. Proximité au centre ville: avantages et inconvénients

Si la relation directe avec des quartiers environnants et de plus profond ancrage dans l’imaginaire collectif est importante pour la dynamique des rues, la proximité au centre-ville peut avoir un impact tant positif que négatif sur le caractère des rues du quartier. Dans le cas de Montpellier, le centre-ville est une zone de véritable rayonnement à l’échelle de la ville. La manière dont la greffe entre les quartiers se fait va structurer le débordement de cette échelle de fonctionnement aux quartiers environnants. Une adaptation de l’échelle doit être faite quand on parle de débordement d’activités aux faubourgs, puisque malgré leur proximité au centre-ville, ils ne disposent pas de la même morphologie ni dynamique d’usages et fonctions que celui-ci. Habituellement, c’est dans des cas de brusque transition d’échelles que l’on constate des conflits. Tel est le cas de la rue Durand. Cette rue résidentielle et commerçante du quartier de la gare se voit mêlée à des fonctions de déserte d’équipements publics à l’échelle de la ville : prochainement les nouvelles Halles Laissac, et actuellement la Gare Saint Roch (point de départ des taxis en bas de la rue). Mais elle est aussi traversée par des moyens de transport de la ville (affluence des diverses lignes de bus au départ ; seule une

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aujourd’hui en raison des revendications citoyennes), qui ne conviennent pas à sa morphologie et qui limitent son fonctionnement social. Cette situation impose à la rue un fonctionnement plus étendu que celui qui correspond au quartier et à ses dimensions propres. De devoir répondre à des besoins plus larges que celles de son entourage « proche ». C’est-à-dire, l’échelle du quartier demande à la rue de monter un échelon dans la pyramide des hiérarchies de la ville. Elle devient une rue inter-quartier, ou bien un boulevard. En ce sens, elle mérite une réadaptation dans sa structure physique pour pouvoir accueillir ces nouveaux usages sans dénigrer la qualité de vie qu’elle propose.

Figure 5 : Plan rue Durand, des équipements publics environnants. Source image © Google Maps.

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Contrairement à cette situation, la rue Marioge, qui est tout aussi proche du centre-ville, profite d’une relation plus « aimable » avec son entourage. Elle a pour limite un monument historique de la ville, l’aqueduc Saint Clément, dans sa partie visible ; contrairement à la Rue Durand qui est entourée par des équipements publics. Ceci caractérise la relation de la rue aux quartiers environnants comme un espace de contemplation et de promenade intra-quartier, au lieu d’un axe majeur de circulation.

Figure 6 : Schéma Rue Marioge. Equipements publics de proximité. Source image © Google Maps.

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Dans ce cas, il s’agit plutôt d’une relation bénéfique puisqu’elle attire les regards perdus des visiteurs et passants qui s’y dirigeront seulement par curiosité et non par obligatoire. A ce sujet, l’architecte danois Jan Gehl a théorisé la relation entre le contexte physique et les activités réalisées qui soutient cette notion: les activités obligatoires n’ont pas besoin d’un contexte spatial très « agréable », elles doivent être accomplies peu importe l’espace où cela se passe. La relation avec l’espace physique et son aménagement est faible, elles n’invitent pas à s’investir sur ces espaces non plus. Les activités optionnelles et les résultantes 14 portent un regard plus soigné sur l’entourage où elles prennent place et invitent à établir des liens avec l’espace. Tel est le cas de l’attraction de la rue Marioge envers les passants : l’atmosphère qui s’y crée est plus liée à une attention portée sur l’espace en lui-même. Relation aux transports publics de la ville

Le degré de besoin d’une rue par rapport aux autres à l’échelle de la ville est mesurable au travers des modes de circulation, notamment des transports publics y prenant place. De la même manière que la relation aux équipements environnants définit son échelle de fonctionnement, les transports publics qui passent par une certaine rue agrandissent son rayon d’influence. Une rue constamment « percée » par des passages si étrangers à son cœur d’influence, son

14

Méthodologie de Jan Gehl pour classer les activités (obligatoires, optionnelles,

résultantes), et l’impacte de l’entourage physique où elles ont lieu. Voir GEHL, La humanizacion del espacio publico, p 19.

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quartier, devient moins familière aux riverains. Surtout si elle n’est pas adaptée à un tel passage dans ses conditionnements physiques. La rue Marioge était la scène d’une telle situation avant d’être réaménagée en zone de rencontre et ainsi redéfinie dans son rôle face à la circulation publique. Aux dimensions très étroites (environ 4 mètres de large pour une voie de circulation et des trottoirs de chaque côté), elle n’était pas physiquement adaptée à accueillir un tel mouvement de véhicules de particuliers et de transports publics par jour comme elle le faisait. Cette rue était signalée comme une porte d’entrée au centre-ville depuis les quartiers environnants de Gambetta et Figuerolles. Les riverains l’ont signalé aux autorités publiques et après une longue démarche, ils ont réussi à voir leur rue changer de statut.15 Aujourd’hui, la plupart des usagers enquêtés par l’association de quartier se montrent ravis16 du changement de la situation avec les aménagements qu’ils ont proposé pour changer le statut juridique de la rue à « zone de rencontre ». Les habitants ont retrouvé un espace qui fonctionne à leur échelle, qui leur est propre. Le cas de la rue Durand était similaire. Dans cette situation, le dysfonctionnement de la rue est apparu lors du début des travaux de la ligne 4 du tramway, qui ont amené à utiliser la rue comme déviation des diverses lignes de bus de la ville. C’est un conflit 15

Processus détaillé en Annexes dans l’entretien avec M. Bonnefont.

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Enquêtes faites par l’association Arceaux Vie Active sur la situation de la rue

Marioge 10 ans après son réaménagement. Voir annexes pour synthèse.

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d’usages occasionné par les incohérences des échelles qui a provoqué la réactivité des riverains. Concrètement, les problèmes se manifestaient par des nuisances sonores, des blocages systématiques par la ville des places de stationnement au bord de la rue pour un passage plus simple des bus, de pollution. Selon une autre lecture, cette situation avait un impact direct sur le cadre de vie des habitants : difficulté et complications pour la circulation piétonne, relations transversales d’un front de rue à l’autre empêchées par la régularité des passages des bus, sensation de percements de la vie « intime » de la rue par des éléments qui n’y étaient pas liés (bus déviés, ne s’agissant pas de leur route habituelle, les passagers n’étaient pas non plus des pratiquants habituels de cette rue).

Figure 7 : Manifestations des habitants contre les bus, 2011. Source : M. Forté.

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b) Dimensions : des mesures en relation au corps et aux sens La rue, à taille humaine : largeur et longueur

Le dimensionnement de la rue doit être en cohérence avec les utilisateurs qui la pratiquent et les activités qui s’y déroulent. La rue est l’expérience première de l’espace public une fois sorti du privé de chez soi. Elle offre aux citoyens un espace de pratique de la vie à l’extérieur. Des déplacements y ont lieu, tout comme des interactions spontanées ou prévues des personnes ; les rythmes de déplacements sont distincts car chaque individu a des objectifs différents selon son temps dans la rue. Une synergie imprévue se crée entre tous ces acteurs dans un même espace, réalisant des activités variées et sans accord les uns des autres. La rue crée un volume abstrait qui abrite des activités transversales (dynamique entre les fronts de rue) et qui est défini seulement si les dimensions, tant longitudinales que transversales, respectent un paramètre central : la contrainte humaine. Les pratiquants de la rue et de la ville sont principalement des Hommes. Ils se déplacent à des moments différents de leurs vies, i.e. avec des âges différents, avec des niveaux différents de perception selon ses sens. Un espace public doit répondre en même temps aux généralités et aux particularités intrinsèques à l’humain. En ce sens, le dimensionnement des largeurs et longueurs des rues doivent répondre aux capacités du regard, de la pratique spatiale par

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la marche, des ambiances sonores perceptibles par le corps. Une largeur de plus de dix mètres par exemple, est plus avantageuse pour une circulation plus importante et dans des meilleures conditions des voitures, mais contraint la relation entre un front de rue et l’autre du point de vue des personnes ; les individus, attachés aux capacités de ses corps, ne différencient pas les visages et ne peuvent pas établir une conversation simple à une telle distance. La largeur peut donc être une distance atténuant la possibilité d’interagir, d’établir des relations entre les passagers. Les rues des faubourgs étudiées ont une largeur inférieure à dix mètres. Elles ont toutefois un aménagement différent qui influence directement la constitution de ce volume unifiant l’espace de la rue : la rue Marioge avec ses 5 mètres partagés et indifférenciés entre voie et trottoirs crée plus de proximité entre les différents usagers, quelle que soit leur manière de se déplacer. Tandis qu’à la rue Durand, qui se différencie de celle-ci par seulement deux mètres de plus de largeur, c’est l’aménagement séquencé (trottoir, stationnement, voie, stationnement, trottoir), qui crée des écrans divisant l’espace. La possibilité de communiquer d’un front de rue à l’autre se voit empêché par les « obstacles » physiques qui cadrent l’espace (voitures garées, barrières entre le trottoir et la voie).

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Figure 8 : Schéma en coupe et en plan de la rue Durand (détail).

La largeur de l’avenue de Fès, de 17 mètres environ, obéit quand à elle à une présence plus importante de bâtiments qui dépassent souvent la hauteur moyenne de quatre étages qui est la référence des rues des faubourgs. Cette largeur traduit aussi une volonté de quartier « aéré »17, comme l’expriment les architectes et aménageurs de la ZAC. Néanmoins, en laissant « respirer » le quartier, cette largeur établie une situation d’espace ouvert. Ceci va à l’encontre du caractère d’espace public de quartier résidentiel appropriable par les habitants et usagers. 17

Ilex – Paysage et urbanisme, sur l’aménagement de la ZAC Malbosc, « Le système

d’aménagement, imaginé selon un plan orthogonal, ouvre grandes les perspectives en direction du parc et des espaces verts environnants. (…). », Source http : ilexpaysages.com.

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Figure 9 : Plan schématique de l’Avenue de Fès (détail).

Taille de la rue

« Small public squares are busier than large public squares. » 18

Anne Mikoleit et Moritz Pürckhauer.

Une « petite » rue est plus facilement qualifiée de dynamique qu’une plus grande, puisque moins de personnes et moins d’activités sont nécessaires pour la faire voir « remplie ». C’est ainsi que Anne Mikoleit et Moritz Pürckhauer font le constat dans leur « Urban 18

MIKOLEIT et PÜRCKHAUER, Urban Code. 100 Lessons for understanding the city,

p. 62

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code », que les petites places sont plus pratiquées ou fréquentées que les grandes. Un petit espace donne plus vite l’impression d’être rempli qu’un grand. Etant petites, les rues ne bénéficient pas seulement de cette impression de dynamisme mais aussi d’un espace, une plateforme plus adaptée aux échanges humains : la reconnaissance visuelle, le lien sonore, la possibilité de se rendre près de l’autre. Utilisé pour caractériser la distance à laquelle se localise un espace ou un objet de notre corps, l’adverbe « proche » devient aussi substantif lorsqu’il désigne une personne faisant partie du cercle des relations familières ou amicales, plus ou moins intimes, de quelqu’un. Partant de cette relation entre adverbe qui définit la proximité et substantif cataloguant les relations de confiance, il serait possible de retrouver, dans les espaces urbains plus compacts, une facilité à se sentir accueilli. Côté sud de l’aqueduc, la rue Marioge est étroite, et transmet une image de « petite rue » en raison des bâtiments à hauteur basse (entre deux et trois niveaux) qui la longent ; en largeur, elle fait environ 5 mètres.

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Figure 10 : Schéma en coupe et en plan de la rue Marioge (détail). Un espace partagé.

Elle est aménagée pour laisser circuler des voitures dans un seul sens et en une seule voie, respectant ainsi la priorité piétonne et cycliste qui la définit comme « Zone de rencontre ». Dans cette optique, la chaussée et les trottoirs ne sont pas distingués par de différences de hauteurs comme dans d’autres rues hors ce statut. Lors des travaux, le niveau a volontairement été laissé à l’identique pour homogénéiser les espaces uniquement piétons – de part et d’autre de la rue -, avec celui partagé du milieu. Cette unité spatiale dans toute la largeur de la rue en fait un objet individuel, rapprochant les habitants d’un côté vers l’autre. Une continuité est mise en place et favorise également l’établissement de relations de voisinage. L’espace n’étant plus infranchissable 38


transversalement, ni fractionné en trois (trottoir, chaussée, trottoir), il devient fluide, perméable. Ce qui permet sa pratique et son appropriation plus directe. Espace pour l’interaction : reconnaissance visuelle

“Para resumir, el Homo sapiens es un mamífero lineal, frontal, erecto, que se orienta horizontalmente en el espacio. Sendas, calles y bulevares son todos espacios para el movimiento lineal, el cual está codificado en las bases del sistema humano 19

de locomoción.” Jan Gehl.

Selon la distance à laquelle une personne se trouve par rapport aux autres, il est possible de les reconnaître, d’apercevoir leurs expressions, de partager des gestes du visage ou du corps. La distance établie un rang de performance du sens de la vision. Dans la rue, deux directions sont primordiales et distinctes au moment de mesurer les distances qu’elles peuvent représenter : le sens longitudinal et le sens transversal de la rue. Le plus conventionnel est de se déplacer le long de la rue. Cependant, le sens transversal rajoute des possibilités d’échanges et d’interactions qui ne s’établissent pas dans la configuration longitudinale de la rue. D’autres variables rentrent en jeu quand on parle de la « transversalité »20 de la rue : la voie pour le déplacement motorisé se trouvant au milieu conditionne la possibilité de traverser. 19

GEHL, Ciudades para la gente, p. 33.

20

Voir définition dans le Glossaire.

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Le regard peut lui par contre traverser l’espace sans besoin de déplacement. Ainsi, une rue dont les dimensions ont une largeur adéquate pour que la vision de l’Homme reconnaisse d’autres visages – moins de 7 mètres selon Jan Gehl21 - est une rue qui rend possible l’échange minimal entre des personnes dans son sens transversal. La rue Marioge est un bon exemple de possibilité d’échange dans cette direction puisqu’elle occupe seulement 5 mètres de large, ce qui rend sa pratique dans le sens transversal plus approprié pour des contacts courts entre les personnes. De plus, grâce à son statut de « zone de rencontre », le piéton est invité à pratiquer l’espace dans toute sa largeur, sans limitation des trottoirs de chaque côté, ce qui fait disparaître l’écart entre les bords. L’avenue de Fès, au contraire, compte environ 17 mètres de large, dont 5 pour une voie de véhicules à deux sens, et 2 de stationnement de chaque côté de la voie. Cela implique, en plus de la distance de 7 mètres entre les trottoirs, une présence d’éléments mobiles et fixes (véhicules) entre les deux qui complexifient la concentration de l’espace de cette rue. Des contacts visuels entre des personnes dans des trottoirs opposés sont rares puisque la visibilité pour distinguer des visages et des expressions est réduite à cause de la distance et des obstacles. 21

Il précise en détail les dimensions nécessaires selon l’intensité des contacts

émotionnelles « Los contactos emocionales intensos se producen a una distancia bastante corta, de 0 a ½ metro, a la que todos los sentidos pueden funcionar conjuntamente y a la que todos los matices y detalles se pueden percibir con claridad, mientras que los contactos menos intensos se producen a distancias mayores, entre ½ y 7 metros. » GEHL, Ciudades para la gente, p. 77.

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L’espace est moins contenu par les bords : il se disperse dans l’écartement et l’occupation de la voie par les véhicules stationnés.

Figure 11 : Coupe schématique Av. de Fès. Eléments séparateurs entre les trottoirs.

La possibilité d’établir une conversation courte avec quelqu’un se trouvant au côté opposé du trottoir est aussi une manière de mesurer l’existence d’un espace commun pour les deux bords de la voie. Le passage récurrent, le croisement des regards (rapports de trafic 22 selon Charmes) créant aussi une familiarité spontanée, accentue cet « espace commun ». Et en effet, cela n’est que possible que si l’on peut reconnaître facilement les autres dans l’espace de la rue.

22

CHARMES, La rue, village ou décor ? « Sur les effets sociaux de la rue », p. 147.

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2. L’espace habillé : la forme accueillant la personne a) Influence de la forme et du type de bâti dans la perception (vécu) de l’espace De l’habitation collective à l’individuelle : degrés d’appropriation de la forme

La forme de la rue est surtout définie (et ressentie) par la forme des bâtis qui la délimitent latéralement. Ces constructions ne sont pas de simples blocs de pierre ou de béton : ce sont des formes habitées, organisées de manières particulières pour ce faire. Les deux typologies d’habitation retrouvées sur les cas d’étude sont l’habitat collectif et l’habitat individuel. Les formes d’habitat ont un impact sur l’atmosphère de la rue puisqu’elles définissent elles-mêmes le degré de personnalisation par ses habitants. Une maison individuelle est un front de rue, des fenêtres, une porte donnant directement sur un « chez quelqu’un » défini, repérable, qui vit sa propriété dans le tissu du public qu’est la rue. Alors que les immeubles d’habitation collective impliquent une relation impersonnelle au bâtiment. En regroupant divers « chez soi », aucune appropriation particulière n’est faite et cela se reflète dans la construction architecturale, l’entretien, l’usage quotidien des habitants à l’immeuble.

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La différence la plus notable entre les trois rues étudiées est probablement la typologie des habitations. Parmi elles, la rue Marioge est la seule à accueillir principalement des maisons individuelles ; la rue Durand est constituée uniquement d’immeubles collectifs et l’avenue de Fès a une structure plus mixte, avec des séries de maisons individuelles entre des bâtiments d’habitat collectif. Hauteur des bâtiments : mise à distance de l’espace public

L’atmosphère de la rue est très signée par la hauteur des bâtiments environnants. Cela dessine le paysage et induit des manières de percevoir l’espace. La relation des habitants des derniers étages à la rue n’est comparable à celle de ceux qui vivent dans les premiers étages. Une distance physique, et verticale, est indéniable et agit sur la perception de l’espace ainsi que de la capacité à interagir avec des personnes tenant compte de l’écart spatial. L’Homme est naturellement configuré pour un fonctionnement corporel frontal, horizontal. Qu’il s’agisse de la vision ou du déplacement, la tendance est de rester dans une orientation frontale au corps : marcher vers l’avant, regarder à hauteur d’œil et en face, c’est-à-dire, voir, reconnaître ce qui se passe dans notre environnement sous l’angle de vue le plus naturel pour le corps. Regarder vers le haut, ou à l’inverse, vers le bas, implique des positions qui ne sont pas adoptées par reflexe. Le développement des constructions en vertical comporte des dispositifs particuliers permettant de rejoindre les espaces :

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ascenseur, escalier intérieur ou extérieur, escalier mécanique. De la distance est établie également par les artefacts dont il faut se servir pour se déplacer et rejoindre les espaces. La transition entre l’espace de la rue et celui de l’habitation étant plus complexe et indirecte, une distance sociale entre en jeu et éloigne les habitants de ce qui se passe en bas de leur immeuble ; la responsabilité et l’investissement sont cédés à d’autres par manque de relation directe avec l’espace et les activités. Les profils des rues Durand, Marioge et l’avenue de Fès permettent d’éclairer ce propos. La rue Durand se distingue car l’uniformisation des hauteurs y est la plus forte (entre les trois et cinq étages sur une largeur inférieure à dix mètres). Ce qui n’est pas le cas de l’avenue de Fès, à largeur double, et où se trouvent des bâtiments à quatre étages alternés avec des maisons individuelles d’un étage, et qui ne sont pas toujours mitoyennes. La rue Marioge, quant à elle est une seule rue d’un point de vue morphologique mais distinguée par deux noms, donc deux « parties », assez différenciables en question des hauteurs des bâtiments aussi : la rue « Marioge » est principalement structurée par des maisons individuelles à deux étages maximum, tandis que la deuxième moitié, la rue « Draparnaud » se caractérise par des immeubles d’environ quatre étages en moyenne. L’impact de ces caractéristiques physiques se reflète dans l’atmosphère de la rue : la zone des maisons individuelles et des bâtiments bas est visiblement plus appropriée en raison du traitement des frontages, et exprime 44


plus de dynamique entre les passants, habitants et commerçants, que la deuxième zone, majoritairement conçue de bâtiments plus hauts. Pour lesquels aucun signe d’appropriation des fronts rue est à voir, et où il y a de plus une moindre quantité de commerçants. Finitions vs. « âge » des constructions : caractère appropriable

Les rues sont une partie de la ville, tant en termes de tissu de communication qu’en image : elles sont constituées de façades extérieures, visibles par tous, et qui créent le front de « chez quelqu’un ». Des intentions de métrise à l’échelle de la ville, ou du domaine public des caractères et finitions de façade les éloignent des habitants (qu’ils soient locataires comme propriétaires) ; de ceux qui non seulement la voient mais l’habitent, la sentent proche et propre. En fait, les façades laissent place à l’intervention des habitants par l’appropriation des murs, ainsi que plus loin le front de la rue, le bout du trottoir. De cette manière, elles sont plus facilement incluses dans l’imaginaire des personnes que celles où aucune manipulation de la matière ni de la forme n’a pu être faite. C’est une situation visible à la rue Marioge, où probablement « l’âge » des bâtis invite à réinvestir la façade et ce sont les habitants qui prennent la parole et les personnalisent. Le fait d’être intervenu sur le bâti, physiquement, mais surtout de manière abstraite, ayant laissé une trace des esprits, tisse un lien profond avec l’espace environnant.

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Le caractère « fini » des constructions neuves introduit des difficultés à l’appropriation qui sont moins présentes dans les constructions « âgées ». Le sens d’inachèvement, de fissures du temps laissent plus de place à l’appropriation que la finition parfaite. Cela invite à venir poser la dernière pierre (à être en constant renouvellement). Dans les cas de la rue Durand et l’avenue de Fès, la participation – et l’appropriation – par les habitants est moins visible. Pour la première, c’est le caractère architectural fort des bâtiments qui éloigne toute intervention spontanée, non métrisée. La présence même des détails éventuels d’ornementation mobilise des imaginaires d’une architecture correspondante à une autre échelle de quartier, et rentre en conflit avec l’imaginaire de l’habitant, pour qui le bâtiment n’est pas un décor mais son espace d’habitation, de demeure. Il en est de même pour le passant, participant du quotidien de la rue, pour qui l’échelle de la rue ne se correspond pas à ce type d’exubérance. Pour l’avenue de Fès, c’est au contraire la précision de la nouveauté, le caractère entièrement fini et détaillé des façades qui ne laisse pas de place à l’intervention. En conclusion, avec les autres facteurs précédemment mentionnés, les fronts de l’espace de la rue, et en conséquence l’ensemble de la rue, devient moins appropriable.

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Figure 12 : Rue Marioge (haut), Façade d’un immeuble à l’Avenue de Fès (bas).

b) Notion du collectif: nécessaire pour une relation de voisinage dans l’espace public Le collectif crée une grande partie de l’atmosphère de la rue, puisque les habitants se connaissent et reconnaissance d’autant plus quand à travers leurs dispositifs collectifs (internes aux immeubles, groupement des maisons), ils interagissent déjà. La notion de collectif n’est pourtant exclusive aux fonctionnements internes des habitations. Elle s’exprime aussi très fortement en lien avec le devant : les frontages.

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Les frontages

La perméabilité des bâtiments avec la rue se définit dans le traitement du frontage : les dispositifs mis en place pour faire la transition entre le domaine public (i.e. la rue) et l’espace collectif ou privé (i.e. les habitations). Les fronts de rue la définissent autant que ses dimensions et caractéristiques propres, et désignent surtout la relation d’activités ou dynamique qui va s’établir entre le « dedans » et le « dehors ». Nicolas Soulier souligne une différence centrale entre les « fronts de rue » et les « frontages » - terme qu’il explicite comme emprunté des québécois et des américains qui l’utilisent plus couramment que les français -, et c’est celle de l’interaction entre une multiplicité d’éléments : l’espace privé des riverains, le domaine public et la voie, et non la simple mitoyenneté des espaces. Les frontages impliquent des activités, des espaces de vie et des interactions quand ils sont actifs. « Front? Les documents d’urbanismes utilisent les expressions ‘front de rue’, ‘front bâti’, ‘front urbain’, pour désigner ce qui donne son « caractère de rue » à une voie, à savoir le fait qu’elle soit bordée de maisons riveraines qui lui font front. Mais ces termes renvoient plus à l’idée d’une succession de façades, comme dans une voie haussmannienne, qu’à celle d’une série d’espaces d’entrée devant les façades. Cependant un dérivé de front marquerait bien qu’il s’agit là de ce qui est spécifique à une rue: la relation frontale entre chaque riverain et la voie publique » Nicolas 23

Soulier.

23

SOULIER, Reconquérir la rue, « Des processus fertiles : la vie de la rue », p. 125.

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Des frontages inactifs, n’invitant à aucune interaction ni activité d’échange, et pourtant « stériles », comme les nomme Soulier 24 , retirent tout potentiel de rencontre, de vécu des rues et des espaces de transition qu’ils encadrent : des façades alignées ou avec des entrées mais aveugles, ou plus fermées vers la rue, une barrière végétale, sont autant d’exemples de frontages stériles, présents régulièrement à l’avenue de Fès. La rue Durand matérialise également un type de frontage inactif entre la rue et le bord des bâtiments qui est souvent lu comme un élément séparateur et sécurisant pour les piétons : une bande de voitures stationnées de chaque côté de la rue. Elles font effectivement écran entre les piétons et les voitures qui circulent, mais elles limitent aussi l’espace pour l’interaction visuelle et physique profitable par les piétons. De la même manière, en séparant de manière si visible les deux, un cycle s’active : les voitures se sentent plus libres de rouler sans faire attention à l’activité de la rue ou des passants ; et les piétons s’abstiennent de pratiquer cet espace central, ainsi que d’établir des relations avec le trottoir parallèle vue l’écran séparateur. La composition des fronts de rue de l’avenue de Fès, qui varie des alignements des rues des faubourgs dans l’irrégularité des entrées d’immeubles ou maisons, pourrait enrichir le rapport entre les immeubles et la rue, créant des espaces à l’écart de l’axe de 24

Ibid. p. 134

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déplacement (piéton et motorisé). Toutefois, ils n’offrent pas des aménagements accueillants pour des interactions (des bancs, ou tout autre dispositif pour s’asseoir, s’installer temporairement). Le sujet des dispositifs particuliers déclencheurs de « vie » et le rôle de leur emplacement pour intervenir dans la dynamique de la rue, vont être étudiés plus précisément à la fin de cette partie. Le long de la rue Marioge, les entrées des maisons et bâtiments sont toutes alignées vers le front de la rue. En rentrant et sortant de chez soi, on est de suite dans la rue ; autrement dit, il n’y a pas d’espace tampon entre l’un et l’autre. Un véritable débordement de l’espace privé vers l’espace public (i.e. la rue) a donc lieu dans ce type d’aménagement de rue et de frontage. Les habitants ont décidé d’installer par leurs propres moyens des jardiniers devant chez eux, et ils se sont engagés à les entretenir pour donner de la couleur à la rue. Cet acte est un symbole fort de l’appartenance de ces espaces extérieurs à leurs imaginaires d’espace privé. Du moment où l’on entretient, ou l’on prend soin d’un espace ou d’un objet, une relation de propriété se crée avec celui-ci25. Ainsi, le rapport avec l’espace devient plus proche, plus intime. Il appartient alors à l’univers personnel de chacun, tout en étant en même temps, de l’ordre du commun, du public. A l’occasion des discussions avec Mme. Cambon, une habitante de la rue des Jardins d’Alkinoos, à Malbosc (très verte grâce aux jardins 25

BESSE, Habiter. Un monde à mon image, p. 13-38.

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que chaque habitant entretient devant chez eux), l’idée du besoin d’avoir des éléments « créateurs de vie » a été soulevée et implique que, pour créer des échanges et des interactions, il faut des « excuses » ou des petites incitations pour avoir des éléments sur lesquels échanger. L’habitante prenait comme exemple les halls d’entrée typiques des immeubles collectifs : sombres, petits, avec la cage d’escaliers d’un côté et l’ascenseur de l’autre, et un miroir central pour créer un effet d’agrandissement de l’espace, qui n’ont aucun élément porteur de vie, d’activité. Selon elle, le simple fait d’y rajouter des plantes ou un aquarium serait sûrement un sujet de discussions lors des croisements éventuels des habitants. De même, toujours selon elle, avec les jardins des fronts des maisons de sa rue : le fait d’arroser des plantes devant un voisin peut alors être motifs d’échange entre les habitants.

Figure 13 : Détail frontages rue Durand. Coupure de l’espace par des barrières.

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Figure 14 : Détail frontages rue Marioge. Fleurissements des bords de la rue par les habitants et commerçants.

La configuration des espaces collectifs : une relation active à la rue

L’espace public, un espace extérieur visible et praticable par l’ensemble des habitants et usagers de la ville, dépend beaucoup dans son fonctionnement de la manière dont s’organisent les espaces collectifs et privés qui le contournent. Les immeubles collectifs doivent mettre en place et rendre accessible des dispositifs communs nécessaires à tous les habitants du bâtiment : des boîtes aux lettres, des services d’assainissement propres au collectif, des systèmes de circulation, une entrée principale. Le choix de disposition de ces dispositifs dans l’espace en relation à l’espace public est un facteur clé pour la transition spatiale mais aussi situationnelle d’un domaine à l’autre. Les sens de propriété et de responsabilité pourraient s’étaler jusqu’au public (i.e. la rue), si quelques uns de ces dispositifs étaient mis en relation avec le corps physique de cette dernière. Si l’arrivée (au) chez-soi se faisait depuis l’extérieur du bâtiment – une partie de la rue -, un véritable lien serait établi avec le domaine public. Cela pourrait prendre la forme d’un seuil d’entrée débordant

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sur l’extérieur et offrant des espaces « habitables » de manière éphémère, comme des marches qui permettent de se poser en attendant quelqu’un ; ou encore des boîtes aux lettres donnant sur la rue – dans la plupart des bâtiments de la rue Durand et l’avenue de Fès elles se trouvent à l’intérieur de l’immeuble. Des installations appartenant au domaine public, mais avec 2 buts, pour les passants et les résidents, comme des bancs, permettraient également de faire un phasage entre le « chez soi » et le public – actuellement « hors chez soi » à part entière - qui les fassent déborder l’un sur l’autre. Dans la rue Marioge, vu la typologie principale d’habitation qui sont des maisons individuelles, les espaces collectifs sont plus proches du public : l’assainissement est commun à tous et se trouve dans la rue, les boîtes aux lettres sont propres à chaque maison, et se trouvent, par la plupart, au niveau de la façade sur rue. Des nuances entre le collectif et le public se créent plutôt en ce qui concerne les lieux de croisements ou de rencontre, qui ne sont pas des halls d’entrée - ou les ascenseurs comme pour les immeubles - mais des lieux comme des cafés, des boulangeries et des épiceries de la rue. Les cas de la rue Durand et l’avenue de Fès sont plus explicites en termes notamment de dispositifs collectifs dû à la présence plus forte d’immeubles. Dans les deux cas, le système le plus répandu est celui d’un hall d’entrée privatif, fermé, parfois vitré, avec la circulation et les boîtes aux lettres incluses. Ce qui empêche la situation de tout moment additionnel d’échange entre les habitants d’immeubles différents. En ce qui concerne les éléments du domaine public mais

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pouvant servir à des fonctions collectives, comme des bancs ou dispositifs permettant l’établissement des individus, la rue Durand est dépourvue de ce genre d’éléments, limitant la possibilité de s’arrêter et de prendre leur temps dans le domaine public. Le seul choix restant sont deux terrasses privées qui animent la rue : une sandwicherie et un restaurant. A ce propos, l’avenue de Fès a seulement une zone avec des bancs et c’est celle qui fait front à un parc à jeux. Le long de la rue, quelques entrées d’immeubles peuvent être prises spontanément pour des espaces d’attente ou de rencontres furtives et courtes, tout particulièrement lorsqu’il s’agit d’entrées avec des marches. Dans cette optique, les trois rues étudiées restent pauvres en aménagements publics autres que ceux dédiés au passage, au mouvement. L’établissement des usagers, leur permanence temporaire dans l’espace public, n’est pas dans aucun des cas motivé par le design et dispositifs institutionnellement proposés actuellement.

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Figure 15 : Manque d’aménagements pour s’arrêter (rue Durand).

Figure 16 : Les commerces prennent la fonction de lieu

d’établissement (rue Marioge).

Figure 17 : Forme des entrées d’immeubles non accueillantes (av. de Fès).

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Figure 18 : MultifonctionnalitĂŠs des trottoirs, Via di Torpignattara, Rome.

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Partie II : LES RELATIONS SOCIALES DONNENT SENS A L’ESPACE MATERIEL « That the sight of people attracts still other people is something that city planners and city architectural designers seem to find incomprehensible. (…) They operate on the premise that city people seek the sight of emptiness, obvious order and quiet. » 26

Jane Jacobs.

De la même manière que les actes d’aménager et de bâtir modèlent le vide, les activités qui s’établissent dans l’espace résultant lui donnent sens. La richesse de la dynamique sociale retrouvée est à la fois le reflet de la conception adéquate de l’espace, et la preuve de la qualité du tissu social mis en place, et surtout construit au fil du temps. Cette partie permettra de porter une attention particulière aux nuances de la dynamique urbaine, qui participe à l’installation des activités portant du poids dans le vécu social des rues. Pour quelle raison les riverains souhaitent se rassembler ? En quoi est-ce nécessaire pour une expérience plus conviviale de la rue habitée et visitée ? Quels éléments participent à la pratique de la rue comme un espace public souhaitable ?

26

JACOBS, The Death and Life of Great American Cities, p. 37

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1. L’individualité dans le collectif : partager la ville a) Les espaces créateurs de vie : le besoin de se rassembler S’arrêter dans l’espace public : l’inutilité d’une « grande architecture » « S’il y avait au moins un banc dans la rue peut-être que je sentirais que cet espace 27

fait partie du chez moi » M. Morel (habitant Avenue de Fès).

Un espace public assaini, libéré de toute activité résultante ne peut être vu comme un espace « public ». Il devient simplement un espace ouvert, accessible par tous. Mais il n’est pas public au sens « citoyen », ce n’est ni un espace de rassemblement ni un espace de discussion. Un espace public qui n’offre la possibilité de s’arrêter, de se regrouper momentanément, est comme un salon sans siège, une chambre sans couchage. Au contraire, développer des « espaces-relais » tout le long du parcours, qui séquencent l’arrivée au « chez soi », rendrait possible l'appropriation de ces espaces publics à l’univers personnel. Ce séquençage du parcours permet de se sentir quelque part, à partir du moment où il est possible de s’arrêter, de discuter avec quelqu'un que l’on a croisé. A l'inverse, être sur son pas de porte en se sentant un peu dans l'espace public, tout en étant proche de l'intime fonctionne aussi, s'il y a les aménagements adéquats.

27

Entretien avec Michel Morel par Maria Laura Sanchez, voir synthèse en Annexes.

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Ainsi, M. Morel, un habitant de l'avenue de Fès et membre de l'association de quartier, a dit, en expliquant sa perception de la rue en tant qu’espace faisant partie de son lieu d’habitation: « La rue, non, elle ne fait pas partie de mon chez moi… ». Puis après un moment de réflexion personnelle, il a ajouté : « Mais peut-être que s’il y avait au moins un banc dans la rue, je sentirais que cet espace fait partie du chez moi ». Créer le collectif : espaces pour des rencontres

“Il est difficile de penser à la fois le mobile et le stable, l’espace urbain et le mouvement. (…) Le système de la rue se situe au croisement de ces deux nécessités : 28

le construit est circulé. Le circulé est construit.” Jean-Loup Gourdon.

Le plus grand paradoxe et enjeu de la rue, est son double rôle d’espace de mobilité et d’espace d’établissement. Pour être, à la fois, lieu de déplacement et de rencontre, les espaces à ces buts doivent être réfléchis pour qu’ils soient bien répartis entre les espaces collectifs de chaque groupement d’habitations, la rue, et les espaces publics du quartier, comme les parcs, et les squares. Il faut également que les espaces de mouvement ne priment pas sur les autres usages mais qu’ils fonctionnent en collaboration positive. L’espace de la rue a l’avantage, comme tout espace public, de permettre aux gens de se rencontrer dans la sphère du public, mais en même temps dans un cadre physique plus intime et de 28

GOURDON, Circulation urbaine : guerre ou paix ? p. 178

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croisements plus précis – chaque rue a des particularités qui régulent, attirent les passages. En parlant de ce que les trottoirs apportent en question de sécurité à la rue et au quartier, Jane Jacobs, dit : « (…) The point is that they bring together people who do not know each other in an intimate, private social fashion and in most cases do not care to know each other in that fashion. » Parfois, on préfère rester quelques 29

minutes à discuter avec la personne que l’on vient de croiser dans la rue, dans cet même espace de rencontre, ou de se déplacer dans un endroit plus confortable tout en restant dans l'espace public, plutôt que de passer à des sphères plus intimes – des cafés, restaurants ou le « chez soi ». On peut donc dire que, dans la rue, les espaces « collectifs » se font et défont constamment. Selon l’activité, des aménagements physiques sont nécessaires ou pas, mais encore faut-il que le choix soit possible et non imposé par un manque d'installations adéquates. Dans les rues étudiées il est constatable que le manque d’installations pour s’asseoir, s’établir, avoir une permanence temporaire ou prolongée dans l’espace public (mobilier urbain), fait devenir les commerces et les autres lieux d’activités qui se déroulent dans la rue en lieux fédérateurs d’échanges et de rencontres dans la sphère publique/domestique de la rue. Ce rôle pourrait «également être rempli par des éléments appartenant aux immeubles (les entrées, les locaux de services, ou les circulations), s’ils étaient conçus comprenant ces fonctions. 29

JACOBS, The Death and Life of Great American Cities, p. 55

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Les lieux où se sont déroulées les entretiens avec des habitants des rues étudiées, illustrent la qualité des aménagements et les dynamiques établies pour s'arrêter, pour se rencontrer dans les rues correspondantes. L'entretien avec M. Bonnefont dans la rue Marioge, a eu lieu à la seule table en "terrasse" dans le café de la rue. La terrasse de ce café est en fait située directement dans la rue qui à la particularité à cet endroit d'être sur un seul niveau à la fois pour les piétons, les cyclistes et les véhicules motorisés. Le fait d’ « être là » a crée des nouvelles situations de rencontre puisque le temps de l’entretien, M. Bonnefont a salué et échangé avec plusieurs connaissances et amis qui passaient dans la rue. L’ensemble de ces rencontres faites autour de cette table. Au contraire, dans la rue Durand, le premier entretien avec Mme. Herpin, une habitante s’est déroulé en se promenant le long de la rue. Les terrasses à disposition étaient moins accueillantes que celle de la rue Marioge, et également plus formelles : un restaurant, et une sandwicherie à moitié ouverts. Cette discussion a été importante car elle a permis d'apprendre que la relation avec les commerçants de cette rue n’était pas très bien établie, mais également que le restaurant venait de changer de propriétaire. Mme Herpin et le nouveau propriétaire n'avaient pas encore fait connaissance, au moment de l'entretien. Cela explique le manque de motivation de l’habitante à s’installer dans ces espaces de la rue où elle habite. 62


Un deuxième entretien avec des habitants de la rue Durand a eu lieu chez eux, ce qui renforce l’idée que pour les riverains, il n’y a pas dans leur rue d’espace qui encourage l’établissement. La rencontre et l'entretien avec M. Morel, un habitant de l'avenue de Fès a également eu lieu chez lui. Il expliquait s’y sentir plus à l’aise pour s’installer et discuter. Cependant, à la deuxième rencontre lors d’une promenade commentée du quartier, M. Morel a, lui-même, proposé de s'installer dans les tables à l’extérieur de la boulangerie de la rue pour clôturer la rencontre. Ce qui montre que c’est aussi selon les nuances fines de la nature de la rencontre que des aménagements et espaces dans la rue serviront comme lieu de rencontre ou pas. Mobilité: quelle relation et depuis quel point de vue s’établit-on envers l’autre ?

“Une voie urbaine ne l’est qu’en tant qu’espace d’interaction. Elle accomplit ses performances aussi bien, et davantage dans le frottement que dans la fluidité, autant et mieux dans l’interruption et le croisement que dans la spécialisation des trafics et des flux.” Jean-Loup Gourdon.

30

Les rues accueillent dans leurs fonctions la possibilité de se déplacer à travers les villes, en se déclinant à plusieurs échelles selon les caractéristiques spatiales de l’entité urbaine à laquelle elles appartiennent. Ces échelles peuvent même mener à ne plus parler de « rue » mais de voies très spécialisées, caractérisées par leur mono 30

GOURDON, Circulation urbaine : guerre ou paix ? p. 179.

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fonctionnalité et le manque de croisement de fonctions, comme est le cas des autoroutes, qui elles permettent seulement le transit d’automobiles à vitesse élevée. La rue en ville, et surtout dans les quartiers résidentiels, est, et devrait être, comme le dit Gourdon, un espace de frottement31, carrefour et lieu d’expression de la diversité intrinsèque des habitants ; incompatible avec la mobilité si celle ci correspond à une échelle où ce qui intéresse est le déplacement en soi. Tout comme le conflit d’échelles des morphologies et des usages, le type de mobilité pratiquée dans une rue peut affecter l’atmosphère de la rue et la qualité de vie qu’elle propose. L’architecte Jan Gehl explique dans son livre Ciudades para la gente32, que le rapport des vitesses de déplacement entre elles risque de diminuer la possibilité d'interagir, de faire se croiser les mondes individuels. A titre d’exemple, on pourra citer les groupes de piétons, de cyclistes, ou encore les usagers motorisés. Cependant, présenter la mobilité des individus comme inclue dans telle ou telle catégorie précise, expose au risque de négliger les nuances propres aux cas particuliers : le piéton pressé, le promeneur, le cycliste cherchant une adresse, attentif aux numéros des bâtiments...Au final, on peut considérer qu'il y a autant de particularités à utiliser l'espace de la rue que d'individus qui s'y déplacent. 31

GOURDON, Circulation urbaine : guerre ou paix ? p. 179.

32

GEHL, Ciudades para la gente, p. 42.

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“A une époque où les relations de type systémique et le principe de mixité occupent une place croissante dans les réflexions sur la ville, il serait paradoxal que l’espace 33

de circulation se constitue en rupture.” Jean-Loup Gourdon.

Comme le fait remarquer Jean-Loup Gourdon, il n’est plus d’actualité de penser la ville, ou les espaces de circulation d’une manière fonctionnelle. Lorsque l'on veut mettre en valeur la multiplicité de mobilités, et la diversité des usagers, on se rend compte que l'organisation fonctionnaliste de l'espace est inadaptée. La rue prend alors des dimensions impressionnantes : tout d'abord les quelques mètres de trottoir pour les piétons, puis la voirie plus large réservée aux véhicules (voitures, camions, motos), sur certaines rues, il y a également un espace délimité à la circulation cycliste. A ce dimensionnement en faveur des voiries réservées aux véhicules motorisés, il faut ajouter la gestion du temps et des croisements des différents modes de circulation par des feux de circulation et autres principes techniques, qui sont autant d'éléments qui séparent le piéton du reste de la circulation, et qui lui laisse peu de place. Par le dimensionnement des voiries, leur division entre les différentes mobilités et la technicisation des croisements, les vertus de la ville, comme la proximité, le partage et la synergie de la diversité, se perdent. Les voies pour les véhicules deviennent des corridors isolés de leurs contextes ; les piétons se trouvent attrapés 33

GOURDON, Circulation urbaine : guerre ou paix ? p. 181.

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dans un espace coupé en deux, qui devient donc infranchissable, infertile à l'émergence de vie, d'échanges ou d'activités adaptées. Figure 19 : Schéma d’aménagement et pratique segmentée de la rue.

Choix des vitesses « The reduction in the proportion of land allocated to streets in suburban areas is the result of a combination of factors, including the adoption of hierarchical systems of street planning, with the predominance of cul-de-sacs rather than the grid system, which is a common feature of city centers. Streets in suburban areas are narrower, have shorter networks and are of low intersection density. » ONU 34

Habitat, Streets as Public Spaces and Drivers of Urban Prosperity

La rue n’est normalement traversable qu’à chaque croisement de la grille structurant la ville. Pourtant cette logique est incompatible avec la superposition des déplacements à pied et en voiture dans un même système de déplacement. L’automobile est conçue pour dépasser la vitesse moyenne d’un piéton (5 km/h en moyenne) et, ainsi, permettre aux usagers de parcourir des distances plus importantes en un temps significativement plus court. Cette hiérarchie dans l’allure s’oppose au caractère statique de la ville 34

ONU-HABITAT, Streets as Public Spaces and Drivers of Urban Prosperity, p. 8.

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initialement conçue pour le rythme de la marche à pied. L’incompatibilité lors de la rencontre des vitesses impose des arrêts fréquents, empêchant la spontanéité et la possibilité de réagir en fonction du contexte et de l’environnement immédiat. Lorsqu'on se déplace à la vitesse de la marche, il est possible d’appréhender par le regard la ville : fixer des détails, reconnaître des gens; vivre l'expérience de la ville par le regard ainsi que par les autres sens. Ce qui devient difficile quand le déplacement se fait à une vitesse plus importante. En voiture, par exemple, on peut aussi voir des choses mais d'une manière plus éloignée. De plus, avec la vitesse, il est difficile voire impossible d'interagir avec cet environnement : une fois dans le flux du transport véhiculaire, un arrêt inattendu est complexe car il s’agit d’un mouvement continu. La capacité à interagir ainsi avec l’environnement proche dans lequel on se déplace est liée à la manière dont on se déplace.

2. Interactions : échanges nécessaires a) Degrés d’implication dans la vie à l’extérieur Activités attrayantes de la rue et des alentours

La forme de la rue n'est pas seulement une fonction, elle est aussi composée d'usages et d'usagers. La rue est définie par chacune des activités qu’elle accueille, que ce soit dans les façades qui l'encadrent ou ses espaces de circulations. Elle est également qualifiée par son rôle à l’échelle du quartier auquel elle est rattachée.

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Figure 20 : Dynamique des rues liÊe aux usages. (Du haut vers le bas : rue Marioge, rue Durand et Av. de Fès).

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« Réseau absolu, espace maillé où tout communique avec tout, le système de la rue met en communication, non seulement toutes les échelles territoriales, toutes les parties de l'espace, mais également tous ses usages, tous les modes d'exister, de vivre, d'habiter, de produire - ainsi fait circuler la pluralité, pluralité sociale, 35

économique, culturelle, etc. » Jean-Loup Gourdon.

La dynamique d’une rue se voit nourrie par les usages et les activités ayant lieu autour : Le cas de la rue Marioge met en évidence l’influence positive qu’un événement à proximité peut avoir sur la rue. Le marché hebdomadaire, qui s'installe sous les arceaux de l'aqueduc, dans l'axe perpendiculaire de la rue Marioge, est un point d’attractivité à l’échelle de la ville. Sa présence historique dans les lieux, la spécificité des produits offerts, mais également le paysage urbain dans lequel il s'insère, attirent à la fois les locaux, mais également les touristes ou les habitants d'autres quartiers. Cette activité a un impact positif sur la dynamique de la rue car une partie des personne venues pour le marché des Arceaux, s'intéressent aussi aux alentours du quartier, et notamment de la rue Marioge, qui est l'une des principales rues commerçantes du quartier. De plus, les commerces de la Rue Marioge viennent compléter l'activité du marché avec sa boucherie, sa cave à vin, son épicerie de légumes, les bistrots et restaurants ou encore sa boulangerie. Contrairement à ce qui se passe avec la rue Marioge, la rue Durand est influencée par la dynamique de la Gare Saint Roch. Les nombreux 35

GOURDON, Rue/Voie spécialisée, p. 55.

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taxis de passage ne participent pas forcément à la vie de la rue. Ils participent par contre à l'atmosphère de celle-ci par la vitesse et la fréquence des déplacements ainsi que les nuisances sonores qu'ils génèrent. C’est un usage externe à la rue mais qui fait partie de son contexte et a un impact sur elle : les habitants se plaignent de la fréquence des passages des taxis et, notamment la vitesse à laquelle ils se déplacent36, qui n’est pas adaptée à la normative de la rue Durand. En effet, il est plus difficile de faire respecter les normes qui participent à la qualité de la vie d’un espace, aux usagers extérieurs à celui-ci car ils n’ont aucun lien de propriété, ni poids émotionnel dans leur agir par rapport à cette rue. Pour les conducteurs des taxis de la Gare, la rue Durand restera une rue anonyme, comme toutes les autres, tant qu’ils ne soient pas intégrés à la dynamique sociale des habitants et usagers plus proches. D’un autre côté, l'avenue de Fès, introvertie et repliée sur elle-même, n’a pas une influence importante des activités extérieures. Ceci est dû principalement aux caractéristiques du quartier : pour M. Morel, habitant de l’avenue de Fès, Malbosc est un quartier dortoir. Il est dépendant des activités environnantes, mais au sens inverse, il n’offre pas d’usages à une échelle plus étendue. Et l’avenue de Fès, malgré le fait d’être une des seules rues commerçantes, n’échappe pas à la dynamique du quartier. 36

Entretiens avec les habitants de la rue Durand. Détails en annexes.

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Ces trois exemples permettent de constater que les dynamiques des espaces publics (i.e. les rues), sont influencées différemment par des usages et des activités extérieurs selon les natures de ces derniers, ainsi que le lien qu’ils aient avec la rue. Equipements fédérateurs de vie sociale: les écoles

Les rues commerçantes établissent leur rôle fédérateur dans les quartiers non seulement par le regroupement des commerces, mais également par la présence d’équipements essentiels au quotidien du quartier. Ainsi, des centralités hétérogènes se créent suivant les besoins des habitants, et diversifient les espaces d’échanges, d’interactions entre les personnes. Par le biais d’activités obligatoires ou optionnelles, de nombreuses possibilités d'échanges et de rencontres émergents, ce qui mène ainsi à des activités résultantes: l’inattendu positif. Ainsi, aller à l’épicerie ou au supermarché du coin, peut devenir une rencontre entre des voisins qui ne s'étaient pas vus depuis longtemps ; ou alors amener les enfants à l’école le matin, se transforme en moment d’échange avec les autres parents. Finalement, le lieu, l'heure et les activités réunissent les usagers sans qu'ils l'aient prévus au préalable. Selon les habitants de chaque quartier résidentiel, certaines activités seront des besoins premières et d’autres secondaires. Une population des familles jeunes aura, de préférence, au centre de son quotidien plutôt les écoles et les équipements liés à celles-ci. Tandis

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qu’une population plus âgée profitera d’avantage des médecins, des pharmacies, ou encore des centres de bien-être et des espaces sociaux. En observant le quotidien de la rue Marioge, on remarque que la présence d’une école primaire et une crèche rassemble les populations de l’ensemble du quartier et fédère ainsi des rencontres sur place mais aussi aux alentours. Les riverains de la rue ne sont pas forcément les premiers utilisateurs de ces équipements mais la dynamique initiée par le groupement scolaire les intègre. Le partage physique de l'espace facilite les interactions entre usagers. L'emplacement des équipements scolaires dans la rue participe au rayonnement de la dynamique sur l'ensemble de la rue mais aussi sur ses perpendiculaire : l'école est située au croisement de la rue Marioge et du boulevard des Arceaux, et la crèche est placée au milieu de la rue. La présence de ces établissements a d’ailleurs été l’une des raisons majeures de la mobilisation des habitants pour la transformation de statut de la rue. Les propositions de part les habitants pour faire de leur rue une rue partagée37 datent de 2007. A l’époque, c’était un concept très répandu au nord de l’Europe mais qui n’existait pas encore dans les lois françaises (rentrée en vigueur par décret en 2008). Cependant, ce n’est qu’en 2009 que les élus ont 37

Le « Shared Space » est un concept développé par l’ingénieur Hans Monderman

en Hollande dans les années 80, comme une méthode pour adoucir le trafic et améliorer la sécurité dans les rues, mettant en valeur la responsabilité sociale. Voir Project for public spaces (pps.org).

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donné un avis favorable à cette transformation, pour démarrer ensuite les travaux en 2011. Avant cette transformation, la morphologie de l’espace public ne se correspondait pas aux usages quotidiens. La sécurité des enfants qui entraient et sortaient de l'école, et des familles avec des poussettes et des enfants en bas âge, n'était pas assurée car les trottoirs faisaient moins d'un mètre de large et il y avait une importante circulation de voitures38. La situation de l’avenue de Fès au quartier de Malbosc est similaire est similaire à la rue Marioge au niveau des usages mais diffère quant à l'emplacement des équipements. Ceux-ci se concentrent sur une partie de la rue qui fait une longueur totale d'environ un kilomètre, à côté des commerces. Tandis que l'autre côté de la rue est uniquement constitué de constructions résidentielles. La structure sectorise inévitablement la dynamique de l’ensemble de la rue et du quartier. Un habitant interviewé témoigne, toutefois, que les écoles du quartier, vu leur caractère d’activités obligatoires, servent d’espace de croisement malgré leur localisation excentrée. La rue Durand, au contraire des deux autres, ne possède pas d'équipement de premiers besoins. Par contre, on trouve des écoles privées d’esthétique et de soins, un atelier de cuisine, un studio de danse. Ce sont des activités très particulières qui ne font pas partie 38

Voir Figure 25. Historique de la rue Marioge faite par l’association de quartier.

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du quotidien des riverains, et qui produisent ainsi des croisements plutôt éventuels. Types d’activités et besoin d’un espace physique « embelli » : activités obligatoires, optionnelles, résultantes

L’architecte Jan Gehl a travaillé sur la relation des activités faites par les habitants et les usagers, et la qualité de l’espace physique où elles prennent place. Les conclusions indiquent que l’impact de l’aménagement de l’espace est directement proportionnel au degré de liberté dans la réalisation des activités. Ainsi, la qualité de l’espace physique joue un rôle moins important sur les activités obligatoires que sur celles pour lesquelles on a plus de choix. Cette étude montre donc l'intérêt qu'il peut y avoir à prendre en considération la situation actuelle de la qualité de l’aménagement des rues, leur état d’entretien, pour élaborer des guides d'action permettant la reprise à la fois des qualités spatiales de la rue, comme des usages qui la caractérisent. Le classement des activités proposé par l’architecte danois est constitué de trois niveaux : les activités obligatoires, les optionnelles et les résultantes. Ces dernières sont définies par leur caractère spontané. Il s’agit des activités sociales qui résultent des deux autres (obligatoires et optionnelles), comme le fait de croiser quelqu’un à la boulangerie, ou encore de discuter avec des personnes à la sortie du cinéma. Ce sont des activités qui résultent des activités optionnelles. Leur spécificité est leur lieu d’émergence, elles ont lieux là où l’espace environnant est aménagé pour la rencontre. Les personnes

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doivent se sentir invitées à établir des contacts, et à prolonger ce qui pourrait être un simple échange rapide si le cadre spatial avait été moins accueillant

Figure 21: Relation entre la qualité de l’espace physique et les types d’activités. Source : Gehl J., Pour des villes à échelle humaine.

Dans cette optique, la qualité de l’aménagement des rues étudiées peut être mise en relation avec les usages et les types d’activités qu’elles proposent, et inversement. Dans la rue Durand, les activités résultantes sont limitées car ni des activités optionnelles, ni des obligatoires ne sont très présentes. Les optionnelles sont également très spécifiques : un magasin de vêtements vintage, un studio de tatouages, une salle d’escape game, ou encore un centre de bienêtre. Les activités obligatoires sont quant à elle, très éparses : il y a peu de commerce de proximité et d'usages du quotidien. Cette disposition diminue les possibilités des croisements qui donneraient lieu à des rencontres spontanées.

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Dans la rue Marioge et l’avenue de Fès, la possibilité de croisements est plus importante car le nombre d’activités obligatoires et optionnelles est plus important. L’établissement d’activités sociales spontanées est, à la fois, une cause et une conséquence de la qualité de l’espace : les passants et riverains ont tendance à plus rester pour discuter devant les magasins, ou eau pied des immeubles et des maisons de la rue Marioge que de la rue Durand. b) Commerces : l’importance de l’échelle dans la relation avec les habitants Lien avec les commerçants

Pour les riverains, la rue fait partie de leur domicile. Il est leur point de départ et de retour des itinérances journalières. Tandis que pour les commerçants, la rue est leur lieu de vie et de pratique de leur métier. Leur présence est quotidienne, ils y restent tandis que d’autres sont seulement de passage. Les commerçants sont des membres aussi important que les riverains et les passants dans la dynamique de la rue. Au fur et à mesure du temps, un commerçant peut arriver à connaître et reconnaître les habitants qui rentrent dans son magasin. Tandis que les habitants, entre eux, ne se connaissent pas nécessairement. Chaque groupe d'individus (commerçants, habitants, et passants) vivent dans l'espace de la rue, mais simplement à des rythmes distincts. Cependant, les commerçants, de part leur connaissance et interactions avec uns et des autres et leur présence journalière, jouent un rôle d'arbitres tacites de l'espace.

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La relation qui s’établit entre les commerçants et les habitants est essentielle pour la vie de la rue et son appropriation par ses pratiquants. Elle crée un lien de familiarité et de quotidienneté active pour les riverains et les commerçants. La pratique de la responsabilité sociale est renforcée par le fait de se connaître les uns, les autres : par exemple, un commerçant peut s’inquiéter pour un riverain qui vient régulièrement à son magasin et qui ne se présente plus un jour. Des connaissances se tissent et renforcent la force sociale de la rue : les habitants vont aussi défendre et apprécier la présence des commerçants avec lesquels ils ont échangé. Dans les cas de la rue Marioge et l’avenue de Fès, les liens entre les commerçants et les habitants sont bien mis en place. Pour M. Morel, l’habitant de l’avenue de Fès, « la vie du quartier se retrouve à la boulangerie, au Simply, chez le médecin… ». Ces espaces sont, pour lui, un refuge de connaissances et une manière de gérer l’anonymat de l’espace public. Les relations entre les commerçants et les habitants de la rue Marioge sont établies de longue date. On le remarque par les gestes de sympathise et de confiance quotidiens, par exemple les clés du domicile sont déposés chez l'un des habitants ou encore l'adresse de l'association de quartier est celle du bar du coin. De plus, les fêtes de quartier font parties de ces moments qui renforcent les liens du quartier car chacun s'investie et participe aux activités. Les commerçants sont devenus des traditions de la rue. Au contraire, dans la rue Durand, les commerçants sont souvent renouvelés, ce qui ne leur permet pas de consolider des liens avec les 77


habitants. En raison de leur manque d’attachement à la rue et sa vie quotidienne, au moment des manifestations pour des nouveaux aménagements, les commerçants n'ont veillé qu'à leur intérêt 39 . Cette relation impacte sur la dynamique de la rue et son atmosphère de familiarité. Si les deux groupes qui la pratiquent quotidiennement n’interagissent pas, une atmosphère d’anonymat s’installe et cela ne facilite pas l’appropriation de l’espace public. Des arbitres40 de l’espace public « Nobody can keep open house in a great city. Nobody wants to. And yet, if interesting, useful and significant contacts among the people of cities are confined to acquaintanceships suitable for private life, the city becomes stultified. Cities are full of people with whom, from your viewpoint, or mine, or any other individual’s, a 41

certain degree of contact is useful or enjoyable. » Jane Jacobs.

La présence continue de certains individus, dans les cas de rues étudiées, notamment des commerçants, fait profiter à la rue, aux habitants et passants d’un élément rassurant : la connaissance et pratique quotidienne que ces commerçants, ont de la rue. Ils ont 39

Selon l’entretien avec les Forté, les commerçants préféraient un passage de

voitures plus important dans la rue pour faire plus de profits, que d’améliorer le cadre de vie. 40

Le sociologue William H. Whyte parle de cette figure comme le « maire » des

espaces publics. Il participe à la dynamique de l’espace en étant un point de repère et de lien: « electronics can’t beat a human being, and it is characteristic of wellused places to have a « mayor ». He may be a building guard, a newstand operator, or a food vendor. Watch him, and you’ll notice people checking in during the day – a cop, bus dispatcher (…) ». WHYTE, p. 64. 41

JACOBS, The Death and Life of Great American Cities, p. 56

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l’habitude de la dynamique et des personnes qui passent régulièrement. Grâce aux échanges et multiples reprises, ils savent qui y habite, depuis combien de temps… Des informations de base qu’on partage dans des dialogues courts quand on sait que cette personne a une présence stable dans notre quotidien. Ces personnages pourraient être appelés des « arbitres » de l’espace public (i.e. la rue) : ce sont des personnes sur qui l’on compte tacitement, et pour qui l’on n’est pas des étrangers. Le degré minimum de confiance nécessaire pour agir en cas de besoin est établi. C’est de cette confiance dont parle Jane Jacobs dans son livre Déclin et survie des grandes villes américaines, quand elle explique l’importance des contacts et des connaissances entre les habitants et les pratiquants d’une rue. Ce sentiment de confiance fait que la rue se pratique dans une atmosphère plus familière, où l’anonymat des espaces publics n’est plus la sensation première. William H. Whyte fait également référence à ce phénomène dans son étude sur les espaces publics de New York42. Le sociologue Whyte explique que dans la capitale new yorkaise, un rôle similaire est souvent interprété par des gardiens (« mayors »)43 qui surveillent les places et les immeubles privés. Il constate que plus, 42

WHYTE, The social life of small urban spaces, p. 64.

43

Ibid.

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il y a d’interaction entre le(s) gardien(s) et les visiteurs moins il y aura besoin d’eux pour surveiller l’espace. Ce personnage est une figure repérable des espaces qu’il garde, il participe à leur dynamique. Il devient un point de repère vers lequel on peut se diriger en cas de besoin. A Montpellier, la situation est différente de celle de New York concernant les gardiens privés, car les places et les rues sont des espaces publics no privatisés. La figure de l’arbitre de l’espace public revient, comme dit précédemment, aux commerçants. Ils sont des observateurs de l’espace public, de part leur présence quotidienne. Ils connaissent, ainsi, la routine de la rue et du voisinage, qu'ils aperçoivent depuis leur magasin tout au long de la journée Cette situation est effective dans la rue Marioge et l'avenue de Fès, où des relations entre habitants et commerçants existent. Une autre façon d'observer cet investissement à vivre la rue est le fleurissement des façades par les habitants et les commerçants. Contrairement à la rue Marioge et à l'avenue de Fès, la rue Durand est très peu fleurie et donc investie. Dans celle-ci, une atmosphère d’anonymat est ressentie : les gestes d'appropriation ne se développent donc pas, tout comme la demande d'aménagement pour l'"établissement". Dans une rue non appropriée, seul le déplacement prime.

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Quels commerces pour quel quartier? « Any primary use whatever, by itself is relatively ineffectual as a creator of city diversity. If it is combined with another primary use that brings people in and out and puts them on the street at the same time, nothing has been accomplished. In practical terms, we cannot even call these differing primary uses. However, when a primary used combined, effectively, with another that puts people on the street at different times, then the effect can be economically stimulating: a fertile 44

environment for secondary diversity. » Jane Jacobs.

Les commerces ont leur importance dans les quartiers résidentiels non seulement pour les liens et la dynamique qui se développe avec les habitants mais aussi pour l’économie du quartier. La journaliste et urbaniste américaine Jane Jacobs, y fait référence en précisant que dans ces types de quartier, le plus important n’est pas la mixité d’usages en soi - concept qu’elle défend également - mais surtout la présence de sources de travail pour qu’il y ait une présence constante de personnes dans la rue. « In city districts that are predominately or heavily residential, the more complexity and variety of primary uses that can be cultivated, the better, just as in downtowns. But the chief chessman that is needed in these districts is the primary use of work. » 45

Jane Jacobs

Les commerces rythment en partie la dynamique de la rue, car ils suivent des horaires réguliers. Ils assurent une présence constante dans la rue et devenant les « arbitres de la rue ». 44

JACOBS, The Death and Life of Great American Cities. p. 163.

45

Ibid, p. 174.

81


Le lien entre les commerçants et les habitants se créera grâce à l’un de deux facteurs principaux : le type de commerce (et donc le besoin qu’il représente pour l’habitant), et la tradition de l’établissement ou le commerçant dans la rue. Dans la rue Durand, où un manque de lien avec les commerçants a été soulevé par les habitants interviewés, aucune de ces deux notions n’est présente. L’usage que représentent ces commerces, est secondaire ou accessoire (des magasins de massages, de tatouages, un atelier de danse, une école privé d’esthétique). Seuls, l’épicerie ‘bio’ et un petit magasin d’alimentation générale remplissent les besoins principaux. En même temps, les commerçants changent régulièrement, ce qui ne permet pas aux riverains d’établir des liens avec eux. Par manque de choix dans leur rue, les habitants préfèrent généralement aller faire leurs courses ailleurs. Les usages secondaires, comme le bien-être et l’épanouissement, attirent notamment des usagers extérieurs. Ces usagers ont la possibilité de se déplacer hors de leur quartier pour faire une activité particulière. Les riverains de la rue Durand, de manière similaire, ont tendance à chercher d’autres cadres spatiaux que leur propre rue quand il s’agit d’activités optionnelles, à cause à la fois du manque de liens avec les commerçants, mais aussi d'offres de produits et de services mais surtout à cause d'un environnement peu dynamique.

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Figure 22 : Croisement des rues Durand et d’Alger, Montpellier.

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Partie III

LA RUE DEVINT UN ESPACE SOCIAL « L’espace public est celui qui, sous l’apparente indépendance absolue des faits humains, donne en même temps le maximum de chances à leur articulation, à la réversibilité de leurs effets entre eux, à leur réciprocité, qu’il s’agisse du plaisir à 46

prendre, ou de quelque autre avantage aussi concret. » Jean-Loup Gourdon.

La forme doit accueillir la vie. En arrivant à une synergie de fonctionnement entre l’architecture et la dynamique sociale, les espaces des rues sont à la hauteur de leur responsabilité d’offrir une surface agréable à la vie dans la ville. Pour conclure, cette troisième partie propose de parcourir les fonctionnements de l’appropriation de l’espace public. Des essaies pour décortiquer la transition de l’espace public « anonyme » à l’espace public « familial », que l’on appellera espace social viendront s’appuyer des observations du quotidien des rues étudiées. L’espace social définit donc la dimension intermédiaire entre l’espace public à échelle de l’anonymat, et à l’échelle du familier.

46

GOURDON, La rue. Essaie sur l’économie de la forme urbaine, p. 69.

84


1. Les essentiels pour l’appropriation de l’espace public a) Le quotidien et le familier : de l’habitude à la familiarité « La répétition de parcours permet de se familiariser avec un espace et d’en faire 47

progressivement une extension du chez-soi. » Eric Charmes.

Relation de quotidienneté établie avec la rue

La ville est l’espace de tous les citoyens, lieu d’expression et convergence continu. Un grand espace anonyme décliné en individualités, et individualités collectives, qui singularisent leur « coin » dans ce grand tapis qui est la ville. Entre les divers facteurs qui rendent un espace singulier, la pratique quotidienne est une clé centrale pour l’appropriation de la rue. Quand le régulier cesse d’être simple habitude et devient routine familière, proche du sensible du pratiquant, se construit un cadre de lecture singulier de l’espace qui était en principe anonyme. Une routine qui peut être représentée par des répétitions d’activités, des personnes, des lieux. La reconnaissance d’aspects familiaux dans les rues positionne l’individu dans une zone de confort – un espace connu -, au centre de l’espace public qui lui est propre. En même temps qu’il est propre à tous les autres habitants et passants. Le chercheur Eric Charmes souligne l’apport de la familiarité dans des espaces publics sur le vécu de l’usager de la manière suivante : 47

CHARMES, La rue, village ou décor? p. 86.

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« Une forte familiarité avec l’espace proche n’est pas antinomique avec des pratiques de l’espace urbain très éclatées. Bien au contraire, un espace proche familier peut constituer une base pour l’intégration à des espaces plus larges et moins maîtrisés. (…) Les routines qui permettent de fluidifier les interactions et de fonctionner, pour ainsi dire, en pilotage automatique sont constamment mises à 48

l’épreuve. » Eric Charmes.

L’espace des rues est rempli de signes et symboles tant à travers des éléments fixes, des façades ou des bancs, que d’éléments ambulants, flottants tels des personnes et ses expressions corporelles, des paroles, des regards, des croisements inattendus. Ces marques qui rythment l’espace se fixent dans l’imaginaire de l’individu et participent à la définition de la position de soi par rapport à l’espace extérieur : s’agit-il d’un espace où je me sens confortable, en sécurité, à l’aise ? Ou bien m’inspire-t-il plutôt de la méfiance, du désagrément ? Ces signes d’appropriation, de se sentir à l’aise, fleurissent plus favorablement dans un environnement particulier : un qui rassemble des facteurs comme des dimensionnements des rues propices au relationnel, ainsi que l’établissement des commerces et la relation entre les habitants et les commerçants, ou encore la configuration des habitations et ses espaces collectifs. Aujourd’hui, ces gestes prennent forme dans la rue Marioge à travers des échanges cordiaux ou d’amitié entre les riverains, comme avec les commerçants. Ils se manifestent également dans la simplicité de composition des entrées 48

CHARMES, La rue, village ou décor? p. 92.

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aux habitations : un seul écran (le mur de façade qui protège l’intérieur), encadre l’espace, et cela rapproche physique et symboliquement l’intime de l’extérieure. Dans la rue Marioge, le réseau des riverains constitué sous la forme d’une association de quartier, Arceaux vie active49, est positif aux échanges entre les habitants, et au maintien d’une atmosphère de familiarité dans l’espace public. Elle existe depuis plus de vingt ans et agit pour l’amélioration du cadre de vie quotidien. Cette association a créé un cadre pour le développement de liens plus forts entre les membres. En contraste, la rue Durand, si l’on regarde rapidement, semblerait offrir un bon environnement spatial pour les rencontres et échanges : proche des zones commerçantes, des transports, et avec un plus grand nombre de tables en terrasse que dans la rue Marioge. Cependant elle manque des signes de la quotidienneté qui font espace public dans les quartiers résidentiels. Les relations entre les habitants ne sont pas fortement établies 50 , et les types de commerces présents ne participent pas autant à la quotidienneté des

49

« Créée en novembre 1993, l'association Arceaux Vie Active regroupe des

professionnels et des habitants du quartier qui se sont donnés pour objectif de développer et d'animer la vie économique, sociale et culturelle aux Arceaux et, par là même, de renforcer les liens entre tous ceux qui vivent et travaillent dans ce quartier. » Source : http://ava-arceaux.blogspot.fr 50

Selon entretiens avec les habitants de la Rue Durand. Voir synthèse en annexes.

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riverains. Ils servent plutôt aux usagers extérieurs vu leurs spécificités. Il faut rappeler que le processus de création de l’association qui rassemble les riverains de la rue Durand a été très différent de celui de la rue Marioge et de Malbosc. La motivation de départ était la revendication d’un problème ponctuel et général de la vie du quartier, et non pas l’amélioration ou maintien du cadre de vie de la rue. La quotidienneté donne de l’épaisseur au relationnel des habitants d’une rue. Ils se reconnaissent comme individus particuliers de la rue. Ils l’habitent, à différence de ceux qui viennent pour d’autres raisons, de ceux qui passent, les riverains ont une permanence indéniable qui les relie entre eux. Ainsi le précise Charmes51 quand il caractérise les passants de transparence sociale, de poids dans la vie du quartier, à l’opposée des habitants qui seraient dotés d’une épaisseur sociale les rattachant à ce contexte. D’un autre côté, un phénomène inverse a lieu à l’avenue de Fès, Malbosc, où ceux qui pratiquent la rue sont principalement les riverains et les habitants du quartier même. Le manque d’attractivité ou ouverture du quartier dans son ensemble, maintient les usagers extérieurs absents.

51

CHARMES, La rue, village ou décor? p. 92.

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Passants et riverains : importance des usagers extérieurs

La rue est un espace public dans la mesure où les personnes qui s’y retrouvent, par hasard ou coïncidence, ceux qui y habitent, ceux qui déambulent, ceux qui viennent pour un but précis, forment un groupe hétérogène dans la provenance, le lieu d’habitation. Il est impératif qu’un mélange puisse se créer entre les habitants de la rue et les usagers extérieurs. Les premiers ont une pratique quotidienne de la rue, presqu’un rituel, pendant que les autres la découvrent à chaque passage. Elle n’est donc pas vécue de la même manière au quotidien que sporadiquement. « La rue de quartier et les expériences qui y sont faites peuvent probablement constituer l’une de ces bases (de la vie quotidienne). (…) Même un simple signe de tête, un bonjour susurré, suffissent. (…) Ils donnent par ailleurs le sentiment d’être un habitant doté d’une épaisseur sociale et non un simple passant dont la principale 52

vertu est la transparence. » Eric Charmes

Les passants, habillés en « transparence » sociale pour ce contexte, comme le signale Charmes, apportent l’anonymat à la rue de quartier, l’imprévu, le spontané. Ceci se souligne d’autant plus quand il y a d’autres passants qui se connaissent, ou qui même sans être si proches se croisent suffisamment souvent pour échanger des bonjours. Il s’agit des riverains dotés d’un poids social dans la rue et le quartier qu’ils habitent, établie par et dans le temps, les expériences vécues, le relationnel avec les autres acteurs de la rue – commerçants, voisins, riverains des rues proches. 52

CHARMES, La rue, village ou décor? p. 92.

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L’équilibre entre ces deux forces donne un sens familier à l’espace public, lui très souvent anonyme. Ce cadre est ce qui est présenté dans ce mémoire comme un espace social : une déclination de l’espace public en espace pratiqué et praticable tant par des habitants que des passants, un espace public domestiqué, appropriable dans l’atmosphère sociale mais aussi dans l’aménagement de l’espace. Eric Charmes explique aussi les caractéristiques de l’espace de la rue quand il devient familier, et les nuances qui existent entre cet espace familier et celui du chez soi. Pour cet aparté, il est important de rajouter que l’espace public, quand familier, malgré les pénétrations de l’altérité, devient plus appropriable, puisqu’il n’est plus simplement anonyme : « (…) L’espace familier de la rue doit être distingué de l’espace familier du chez soi. Alors que le second est plutôt fermé à l’expérience de l’altérité, le premier est ouvert sur l’inconnu et l’étrangeté. La familiarité qui s’établit avec l’espace de la rue n’a rien à voir avec la chaleur rassurante du foyer. L’accès à ce dernier est en effet réservé aux proches et l’étranger en est banni. A l’inverse, même familière, la rue reste entièrement pénétrée par les autres. »

53

Des trois cas d’étude, l’avenue de Fès à Malbosc est probablement celle qui ressemble le moins à un espace public ouvert et pratiqué par des usagers des provenances diverses. Elle est de plus vécue par ses habitants comme un espace éloigné du chez eux dans le sens de l’appropriation émotionnelle et physique. Dû à la pauvre pratique d’usagers extérieurs au quartier, et à l’aménagement manquant 53

CHARMES, La rue, village ou décor? p. 88.

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d’incitations spatiales pour l’échange, il n’y a pas de tissu social du quotidien si établie que dans les autres exemples – la rue Marioge et la rue Durand. Elle est clairement structurée en deux zones selon les usages, celle à l’ouest où des commerces se concentrent, et une autre moitié à l’est, principalement résidentielle. Les interactions et les échanges se passent surtout dans la moitié regroupant des activités. Le côté est reste alors peu percé par l’extérieur, créant une atmosphère fermée, un isolement qui peut être gênant pour les riverains puisqu’ils se retrouvent toujours face à face avec les autres habitants, sans intervention aucune des usagers extérieurs. Le quotidien devient tellement prévisible et répétitif qu’une sensation de surveillance non intentionnellement s’instaure même. La présence des usagers extérieurs permet aussi aux habitants de mettre en pratique un rôle qui leur appartient mais qui n’est pas tout le temps mis en pratique : celui des connaisseurs de la rue. Jane Jacobs raconte dans son livre Mort et survie de Grandes Villes américaines, une anecdote qui lui est arrivée dans une zone de New York où elle n’avait pas l’habitude d’aller, et qui lui a fait comprendre que même si ils ne sont pas manifestement visibles, la rue a des yeux qui la regardent, qui la connaissent; une sorte de surveillance saine, nécessaire pour la santé sociale de la rue. Les habitants sont experts de leurs rues, et les passants font vibrer leur quotidienneté, soulignent cet avantage de connaissance et pratique: "Last year I was on a such street in the Lower East Side of Manhattan, waiting for a bus. I had not been there longer than a minute, barely long enough to begin taking in the street’s activity of errand goers, children playing (…) when my attention was attracted by a

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women who opened a window on the third floor of a tenement across the street and vigorously yoo-hooed at me. (…) She shouted down, « The bus doesn’t run here on Saturdays ! » (…) This women was one of thousands upon thousands of people in

54

New York who casually take care of the streets ».

b) Liens sociaux entre les habitants : création et besoin de la confiance du voisinage Croisements quotidiens créateurs de la confiance

« The trust of a city street is formed over time from many, many little public 55

sidewalk contacts. » Jane Jacobs

La rue est à un certain niveau, une demeure en soi aussi. La maison, quelle que soit la forme qu’elle prenne, est la demeure la plus intime. Elle est intégrée dans un ensemble (l’immeuble ou directement la rue), qui fait partie d’un quartier, qui appartient à un réseau de quartiers qui constitue la ville. A chaque niveau de ce maillage, le degré d’intimité se nuance de plus en plus du public. La rue suit presque directement l’échelon de l’intime, ce qui crée la situation pour qu’une collectivité propre et proche se développe. Ceci ne peut néanmoins pas se faire si un ensemble de conditions ne sont mises en pratique (de manière spontanée par les habitants et utilisateurs de la rue). 54

JACOBS, The Death and Life of Great American Cities, p. 38.

55

Ibid, p. 56.

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C’est à cet égard que la quotidienneté joue un rôle fondamental dans la création du tissu social, collectif de la rue. A cette échelle d’espace public proche du chez soi, de tenir un réseau de connaissances est sécurisant, d’habiter non seulement le chez soi mais la sphère publique de la rue par les échanges courts. Ces connaissances se font et s’approfondissent dans la pratique quotidienne de chacun, à travers les croisements. « Par-delà cette diversité (de rapport à l’environnement), un trait commun est que la pratique quotidienne d’une rue produit un sentiment de familiarité. Cette 56

familiarité est elle-même favorable à un sentiment de sécurité. » Eric Charmes

Dans la rue Durand les habitants ont fait connaissance les uns des autres par le biais d’un processus de rassemblements et de manifestations pour des objectifs communs par rapport à leur rue que. Ainsi que par une dynamique de petits croisements qui s’est développée à la suite de ces événements. « Il y a un avant et un après les manifestations. (…) Un réseau dormant de vigilance s’est créé. » Ce sont des

mots utilisées par Mme. Forté, habitante et membre fondatrice de l’association de quartier Riverains de la rue Durand, pour décrire la différence du tissu social après les manifestations lors d’un entretien pour ce mémoire.

56

CHARMES, La rue, village ou décor? p. 85.

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“(…) (The trust) It grows out of people stopping by at the bar for a beer, getting advice from the grocer and giving advice to the newstand man, comparing opinions with other costumers at the bakery and nodding hello to the two boys drinking (…) most of it is ostensibly utterly trivial but the sum is not trivial at all. The sum of such casual, public contact at a local level – most of it fortuitous, most of it associated with errands, all of it metered by the person concerned and not thrust upon him by anyone – is a feeling for the public identity of people, a web of public respect and trust, and a ressource in time of personal or neighborhood need. » Jane 57

Jacobs

La confiance de voisinage construite par l’ensemble de petits croisements et échanges dans la rue, crée chez les riverains, comme le dit Jane Jacobs, une identité et un réseau public de respect et confiance. C’est un réseau qui devient ressource commune au moment de besoin personnel ou de voisinage. Ces sentiments sont clés pour l’appréhension de la rue en tant qu’espace propre. Cette confiance joue un rôle dans la pratique et le ressenti de l’espace : savoir inconsciemment que même n’étant pas des amis proches, il y a des personnes dans la rue qui aideront en cas de besoin. C’est le cas de M. Bonnefont à la rue Marioge, qui assis dans la terrasse du café de la rue a dit bonjour à une dizaine des personnes en une heure. Il s’agissait des riverains et des habitants du quartier qui passaient par cette rue, et semblaient le connaître plus ou moins bien. 57

JACOBS, The Death and Life of Great American Cities, p. 56.

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L’aménagement propre des habitants et leur appropriation de la rue, surtout du front de leurs chez eux, dépend aussi de la situation de confiance existante. D’investir le devant du chez soi, les fenêtres, l’entrée, implique faire confiance aux autres - passants et habitants – en le respect qu’ils porteront sur ces efforts. Les habitants peuvent se voir facilement découragés d’investir leur front de rue ou façade si des événements précédents ou une atmosphère globale lui font se méfier des autres. A la rue Marioge, au contraire de la rue Durand ou l’avenue de Fès, la confiance et l’accord commun sont visibles dans le fleurissement des devants des maisons ; il y a un esprit d’ensemble dans la rue et il est exprimé physiquement. Pour ces deux dernières rues, ni l’organisation sociale des habitants ni l’aménagement des rues et bâtis encouragent ce fonctionnement d’ensemble. Il n’y a pas une atmosphère de confiance solide. Historique des voisins : une question centrale pour le sens d’appartenance et l’appropriation

Entre occuper un espace et le sentir propre, un écart important est établi et défini le degré d’appartenance de l’habitant à son chez soi et extensivement à son entourage. L’investissement sur les espaces collectifs, voir publics qui l’entourent est dans un sens dépendant de la force du lien émotionnel avec l’espace personnel. Le sens de propriété se fortifie avec le temps, l’expérience, les relations: un locataire habitant la même rue, le même appartement ou maison depuis des années, aura crée un rapport plus stable avec un autre qui déménage régulièrement. De se savoir habiter pendant

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une durée longue ou indéterminée dans un même endroit, facilite l’établissement, l’investissement mental et émotionnel des lieux. Par exemple dans la rue Marioge, selon l’habitant membre de l’association du quartier interviewé, la relation avec l’école est difficile en ce qui concerne l’investissement humain et entretien du fleurissement devant leur bâtiment puisqu’ils ne s’engagent pas comme les habitants devant leurs maisons. Dans le cas de l’école, personne n’est entièrement responsable, les locaux n’appartiennent pas à une personne en particulier. En effet, le bâtiment appartient à la Mairie de Montpellier, et son administration et entretien sont une responsabilité publique. Cependant, les situations de l’ordre du quotidien ont un impact plus direct sur les usagers que sur l’instance gouvernementale qui gère l’ensemble. Donc c’est aux usagers de s’approprier ces espaces et les entretenir en fonction de ses possibilités pour les questions du quotidien et du voisinage. Pour ainsi garder une relation seine et d’écoute avec le contexte spatial et social proche dans lequel s’implante et fait vie l’équipement.

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2. Devenir de l’espace public en fait social a) Responsabilité sociale : élément perdu dans le fonctionnement actuel de l’espace Vivre en ville, être en société : la rue, la dernière mesure du public « Dans l’imaginaire collectif, la ville est encore trop souvent associée à un univers fait de béton et de bruit. (…) De plus en plus, les citadins cherchent à retrouver, au 58

sein de la ville, le village et son ambiance calme et sereine. » Michel Giraud

L’ambiance « calme et sereine » des villages dont parle Michel Giraud dans son préface pour le livre … est définie non seulement par le rythme de la vie, ou la dynamique sociale, mais par la manière des habitants d’interagir, de se voir et entendre comme co-pratiquants d’un même espace. Dans les villages, c’est un phénomène qui est encore fréquent, mais dans les villes cela est plus difficile à retrouver. Possiblement dû à l’anonymat qui les caractérise, les villes - des regroupements plus denses et élargis d’habitations et lieux d’activités - n’ont pas encore su développer un bon relationnel entre ses habitants. Cependant, à l’échelle des quartiers résidentiels il est possible de travailler ou même de retrouver ce lien entre les habitants. C’est la notion de responsabilité sociale qui a chacun par rapport aux autres ; l’acceptation de cette vie collective, l’appartenance à un ensemble plus ou moins défini, dans un espace particulier. 58

DE SABLET, Des espaces urbains agréables à vivre, p. 9.

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La rue est la plus petite mesure du public dans la ville avant de rentrer dans le collectif. La proximité de cette forme urbaine en usages et spatialité à la sphère du privé y rend la bienveillance collective d’autant plus importante, qu’il s’agit du seuil du familier, du personnel. Pour cette raison, les relations du quotidien établies dans ces rues sont essentielles pour entretenir le sens de responsabilité des uns avec les autres ; on se sent plus concerné des connaissances et des proches que des inconnus, ainsi que par des espaces où l’on a des souvenirs ou des expériences vécues que ceux qui n’ont pas le poids de la pratique et l’expérience dans notre imaginaire. De conjuguer ensemble les facteurs qui favorisent la confiance, l’appropriation de l’espace public et la responsabilité sociale dans les rues étudiées, prépare le chemin vers une lecture et un vécu de l’espace public des rues en tant qu’espace faisant parti du chez soi ; un espace à soi et aux autres ; un espace de rencontre et spontanéité ; un espace social. Espaces de pratique de la responsabilité sociale « Essentially, what it means is a transfer of power and responsibility from the state 59

to the individual and the community. » Hans Monderman

59

Project

for

public

spaces,

Hans

https://www.pps.org/article/hans-monderman.

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Monderman,

Source :


De part la morphologie des rues faisant partie de cette étude, celle qui représente le plus clairement une forme de bienveillance collective est la rue Marioge. Cette rue, qui était auparavant aménagée en trottoirs étroits et une voie centrale pour des véhicules motorisés, a été réaménagée en zone de rencontre. Ce processus a eu lieu grâce à des demandes des habitants. L’espace de la rue étant partagé par les piétons, les personnes en véhicules et les cyclistes, il est un bon exemple de responsabilité sociale des habitants : des conventions doivent être trouvées au moment et personnellement entre chaque partie pour décider qui traverse la rue et qui laisse passer, pour établir les vitesses et définir les espaces pour l’établissement. L’ingénieur hollandais qui a introduit l’idée des espaces partagés, Hans Monderman, mettait en valeur le fait que les appareils gérant les flux, feux rouges, signalétique, limites des vitesses contrôlées par radars ou par loi, éloignaient les personnes qui pratiquaient la rue de différentes manières. La communication ou reconnaissance visuelle n’était pas nécessaire entre elles puisqu’elles devaient simplement faire attention aux symboles de la voie. Ce fonctionnement selon lui annule la présence de l’autre et ainsi tout ressenti de vie en communauté, de collectif : « Monderman’s designs emphasized human interaction over mechanical traffic devices. By taking away conventional regulatory traffic controls, he proved that human interaction and caution would naturally yield a safer, more pleasant environment for motorists, pedestrians and cyclists.»

La

60

60

Project

for

public

spaces,

Hans

https://www.pps.org/article/hans-monderman.

99

Monderman,

Source :


spécialisation dans l’aménagement des rues mène à négliger les aspects subjectifs et de l’expérience qui les remplissent de sens et de vie collective pour que les habitants aient des attaches émotionnelles auxquelles se tenir. Une autre représentation de l’importance de la confiance et la responsabilité réciproque dans les rues résidentielles est l’acte d’investir les fronts des maisons ou les espaces collectifs des immeubles. Ce sont des actions qui auront un impact non seulement sur l’espace privé mais aussi l’espace public, la rue en elle même. Elles apporteront une atmosphère appropriée à la rue. Non seulement les habitants, aussi d’autres personnes en profiteront. Donc c’est dans la confiance et le plaisir de faire pour le collectif que les habitants se mobilisent pour ce genre d’appropriation. Ce phénomène est très tangible à la rue Marioge à travers le fleurissement des devants des maisons fait et entretenu par les habitants. Des actions similaires ont été essayées à la rue Durand avec moins de succès. La typologie des habitations et l’organisation distincte des riverains par rapport à la rue Marioge sont uns des facteurs qui impactent directement la capacité et la manière de s’approprier de cet espace.

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La rue extravertie : un espace de vie et d’expression « Great cities differ from towns and suburbs in basic ways, and one of this is that 61

cities are, by definition, full of strangers. » Jane Jacobs

Caracas – Quelqu’un sort tous les jours tôt de chez soi, une maison dans un quartier résidentiel moyen. Dans le trajet, avant d’arriver à l’avenue principale, il dit bonjour aux employés du garage des camions qui prennent le café en attendant le démarrage de la journée. Au coin de la rue, il regarde à l’intérieur du restaurant voir si le chef, qui était auparavant un conducteur de taxi connu par tous, est déjà arrivé pour le saluer de loin. En traversant vers l’avenue il s’aperçoit que les personnes du kiosque ambulant de petit-déjeuner ne sont pas venus ce matin – il ne les connaît pas, il mange toujours chez lui, et ils habitent deux rues plus loin, mais ces vendeurs s’y sont installés depuis quelques moins maintenant donc il a pris l’habitude de les voir. Au retour le soir c’est un peu le même parcours, à différence des voisins qui sont des fois chez des commerçants dans la rue, ou qui discutent entre eux en rentrant de la boulangerie qui est en bas de la rue, et qui lui demandent comment s’est passée la journée. Rome – Deux touristes s’hébergent pour des questions de prix dans un quartier au sud de Rome, à une demie heure du centre en transports publics. Elles commencent à avoir un trajet familier des matins et des soirs pendant les jours qu’elles y sont pour visiter la 61

JACOBS, The Death and Life of Great American Cities, p. 30.

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ville. Le premier jour elles découvrent une boulangerie/restaurant dans le chemin pour le métro. Elles y voient rentrer des personnes qui saluent chaleureusement les employés, ils semblent se connaître depuis longtemps ; elles font de même et au bout du deuxième jour elles sont accueillies comme si elles habitaient dans ce quartier depuis toujours. Un jour, après le passage par la boulangerie, elles continuent le chemin pour rejoindre le métro, elles doivent prendre un bus pour s’y rendre. En attendant devant l’arrêt, un monsieur qui passait tranquillement avec ses amis s’arrête curieux : « Vous attendez le bus ? Il ne passe pas par ici aujourd’hui. C’est en tournant dans le coin. » Ils

continuent leur chemin; elles changent d’arrêt de bus. Montpellier – Deux personnes discutent assises sur une table d’un café d’une petite rue d’un quartier résidentiel en périphérie de l’hyper-centre de la ville. L’un connaît le vendeur du café, il lui demande comment va sa famille. Encore assis, des gestes de tête et des bonjours de loin viennent et vont entre cette personne et des passants ; ils semblent tous le connaître. Le caviste d’en face sort un moment de son magasin. Lui aussi il vient dire bonjour à la table. Depuis son siège, la personne reconnaît au début de la rue, sa femme rentrer chez lui. Elle les a vu aussi. Elle pose ses affaires et se rapproche leur dire bonjour.

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L’espace public social : des perspectives à l’habiter en ville « Malbosc n’existe pas, sinon un ensemble de constructions », disait M. Morel

par rapport à l’esprit de son quartier. A son avis, aujourd’hui tout est pensé et aménagé pour l’individualisme : il n’y a pas une nécessité de rencontrer l’autre. Pas comme avant avec les relations économiques.

Effectivement, le fonctionnement de la société varie avec les époques, les systèmes économiques, les technologies. Cela est indéniable et continuera à fonctionner ainsi. Par contre, le fait que nous vivons toujours en société et que la qualité de vie est importante, reste intouchable. Sachant que la qualité de vie passe aussi par le bien-être commun, la santé de la collectivité (même à la petite échelle de la rue), l’espace public doit être conçu et entretenu pour remplir sa fonction : un espace pour exercer l’ « être » en société. Si l’appropriation des rues des quartiers résidentiels participe à l’amélioration des conditions d’habitation, et à la création d’un espace social, il est notre responsabilité comme architectes de continuer à faire des recherches sur le sujet et appliquer les résultats.

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Conclusions Si bien il est commun d’avoir et d’exprimer individuellement un sens d’appartenance au chez soi, quelque soit sa forme ; et de s’identifier d’une manière ou d’une autre à la ville d’habitation, les observations et études menés dans ce mémoire font preuves que la rue, malgré les initiatives des collectifs d’habitants, de forme générale n’a pas encore aujourd’hui une place consolidée dans l’imaginaire de l’habitant et du passant en tant que forme et espace d’habitation. Ceci mérite des efforts à dérouler en continu dans le temps et sous plusieurs fronts d’action, comme présenté dans les pages précédentes : du front de l’aménagement architectural et urbain, mais aussi associé à son pilier fondamental des components sociaux, culturels et du vécu qui lui donne sens. Pouvant être une forme urbaine faisant lien entre le chez soi et l’abstraction dans l’imaginaire collectif et individuel de la ville, la rue reste aujourd’hui un espace peu dessiné dans le plan mental des citadins comme espace habité et habitable. L’une des raisons conclues dans ce travail pour expliquer ce phénomène est lié à la capacité de la ville pour nous ressembler (et rassembler) : elle demande d’être conçue, dessinée et adaptée dans le temps à nos mesures, à nos besoins, tant abstraites que physiques. Nos capacités de voir, sentir, entendre, parler, se déplacer doivent trouver des réponses adéquates dans les aménagements proposés pour les rues - espaces qui nous entourent si abondamment et proche de notre

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cœur (du chez soi). De plus, en question de présence dans l’imaginaire, d’appartenance, l’intervention (et la possibilité d’intervenir) dans les designs des bords des rues, le bâti, les habitations, par les propres riverains, fortifie la création d’une histoire avec la construction. Elle se développe plus naturellement avec le temps et les interventions spontanées, mais cette possibilité de participer semble nécessaire quand il s’agit des constructions nouvelles. Tel est l’exemple de l’avenue de Fès à Malbosc, quartier défini par ses aménageurs comme « une composition qui génère une identité paysagère puissante »62, mais ne génère actuellement pas une identité humaine au lieu et entre les habitants. Un élément qui pourrait participer à l’amélioration de la relation de l’habitant à sa rue, est la bonne définition des échelles d’espaces publics de la ville - allant du public urbain, au public de quartier, et aux espaces collectifs, qui mènent à l’espace domestique. La représentation pertinente de chacun de ces espaces dans la rue permettrait d’assurer des temps d’interactions, de croisements des mondes individuels au profit du collectif. Comme exemple, les dispositifs collectifs pour la circulation verticale, le service de boîte aux lettres et assainissement trouveraient une meilleure place à l’extérieur des bâtiments ou dans une situation plus reliée à la rue – l’espace public de quartier -, pour multiplier les opportunités des

62

Ilex

Paysage

et

Urbanisme.

paysages.com/realisation/zac-malbosc-montpellier/

106

Source :

http://www.ilex-


croisements que à l’intérieur, dans des locaux fermés comme c’est le cas dans les rues étudiées. En ce qui concerne les particularités sociales qui participent au processus d’appropriation de la rue, cette étude à permis de remarquer que quand les transformations des rues sont impulsées par des associations d’habitants, il est important que les objectifs ne se limitent pas aux changements spatiaux, à des revendications du moment. Il faut qu’ils se préoccupent également de l’investissement de l’espace, du relationnel entre les participants, pour que la transformation ait une continuité dans la pratique et encourage le changement ou l’amélioration souhaitée dans le cadre de vie dans son ensemble. C’était le cas de la rue Durand, pour laquelle l’association des riverains créée pour une raison ponctuelle des nuisances dans la rue, a servi à résoudre le problème qui leur était présenté, mais a diminué en dynamique une fois que la « solution » (au problème le plus urgent) est arrivée. N’ayant pas de fondement autre que de résoudre pragmatiquement un problème précis, l’association n’a pas su continuer à exister en tant que tapis de lien et support d’actions des habitants. Dans et pour la vie de la rue, les commerçants et participants qui la pratiquent quotidiennement ont un rôle fondamental à l’établissement d’une atmosphère de confiance sans tomber dans le communautariste. La présence des « arbitres » dans la rue, des personnes qui y sont régulièrement accomplissant une même fonction, mêlée au passage spontané des personnes « extérieures » 107


et riverains, neutralise d’un côté l’anonymat qui peut s’instaurer dans un espace public inapproprié, et d’un autre, la familiarité exclusive d’un espace fermé à l’extérieur. A Caracas, ces arbitres prennent des formes plus hétérogènes que dans les rues étudiées à Montpellier, où ce sont principalement les commerçants qui ont ce rôle. Dans les pays latino-américains, le cadre culturel induit la présence régulière des personnages du quotidien de la rue, devant chez eux ou bien dans des commerces. Quelques unes de ces figures sont des personnes âgées à la retraite, des adultes avec une profession sans horaire fixe, des grands parents habitant avec la famille. Surtout dans des zones populaires, il y a encore une culture de l’ « être » dehors, l’expérience de l’extérieur fait partie du quotidien individuel. Des personnes se trouvent devant les maisons, autour d’un banc, dans le bar ou le restaurant de la rue, ou discutant avec le chargé de l’épicerie du coin… Cela maintien de la vie en permanence dans la rue, et la caractérise : les rues s’identifient par des visages, par des anecdotes plus que par un nom et des numéros des bâtiments. Finalement - et probablement une des découvertes les plus importantes de cette recherche -, les transformations particulières ayant eu lieu dans les rues étudiées, et leur quotidienneté actuelle, font preuve que le lien social entre les habitants est plus fort pour s’approprier l’espace public de la rue que les aménagements en eux mêmes. Une rue agréable pour l’échelle du piéton mais dans un quartier où les habitants ne se connaissent pas, ou que par des raisons culturelles ne vivent pas le dehors, ne vivra pas la même activité qu’une autre rue également agréable (ou moins) mais qui est 108


habitée par des personnes partageant des liens, immergées dans un réseau : des liens construits par le quotidien, de savoir se reconnaître en tant que voisins, riverains de la même rue, passants, travailleurs dans le quartier. Pour conclure, il faudrait encore une fois accentuer l’importance du mariage des problématiques sociales du groupe concerné, des dimensionnements à faveur de la bonne performance des sens humains, et de la réflexion « architecturale » du traitement physique de l’espace. Les architectes et urbanistes devraient incorporer dans son processus de conception les composants physiques et anthropologiques de l’habiter, Leur démarche est encore souvent dissociée de l’élément social caractérisant les Hommes, du « à qui s’adresser », « comment est l’usager », « qu’est-ce qui le définie ». C’est-à-dire, nous devons mettre en valeur et en exercice l’architecture comme une pratique holistique au service des Hommes vivant en société et en ville.

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Glossaire •

Rue (extravertie) : Fine et sinueuse, la rue est l’espace public principal de la ville qui délimite et rejoint les sphères du privé et du public. Elle est un espace de mouvement et d’établissement qui encourage l’interaction entre les deux bords : les activités et les échanges entre les riverains et passants, ainsi que les relations de voisinage. Il y est possible d’entendre et de voir la ville palpiter.

Espace social (espace public social) : C’est l’espace public appropriable par les habitants et usagers à travers la mise en place d’aménagements conscients des besoins et des caractéristiques de l’individu. Il demande également la planification des usages et des fonctions en cohérence avec la dynamique de l’espace et ses pratiquants.

Transversalité : Capacité de la rue à être traversée littérale et figurativement. Dans le sens littéral du terme, il s’agit de la mobilité transversale permettant de rejoindre une rive depuis l’autre à des hauteurs diverses de la rue – et non uniquement aux croisements piétons établis aujourd’hui. Dans le sens figuré, c’est l’encouragement à établir des réseaux transversaux qui enrichissent la dynamique des rues : prenant en compte tous les usagers, rapprochant les activités et les habitants d’un côté et de l’autre de la rue. Il s’agit de voir la rue comme un maillage au lieu d’un axe.

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Bibliographie Ouvrages

APPEL-MULLER Mireille (dir.), ASCHER François (dir.), La rue est à nous…tous ! Paris, Au diable vauvert, 2007. 308 p.

BEAUCIRE Francis, et DESJARDINS Xavier. Notions de l’urbanisme par l’usage, Paris, Publications de la Sorbonne, 2015. 117 p.

BENJAMIN Walter, Paris, Capitale du XIXe siècle. Le livre des passages, trad. de l’allemand par Jean Lacoste, Paris, Cerf, coll. « Passsages », 1989, 970 p.

BESSE Jean-Marc, Habiter. Un monde à mon image, Paris, Flammarion, 2013, 251 p.

CALVINO Italo, Les villes invisibles, Barcelone, Gallimard, 2013.

CHARMES Eric, La rue, village ou décor ? Paris, Creaphis, 2006. 157 p.

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Annexes 1. Tableau d’observations

Figure 23 : Tableau d’analyse. Partie I.

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Figure 24 : Tableau d’analyse. Partie II.

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2. Synthèse des entretiens avec les habitants Interlocuteurs habitants

Philippe BONNEFONT, habitant quartier Arceaux, Rue Marioge. Florence CAMBON, habitante quartier Malbosc, rue Jardin d’Alkinoos. Michèle HERPIN, habitante quartier Gare, rue Durand. M. et Mme. FORTE, habitants quartier Gare, rue Durand. Michel MOREL, habitant quartier Malbosc, Avenue de Fès. Rencontre avec Philippe Bonnefont,

Habitant Rue Marioge et membre association de quartier AVA Arceaux Vie Active 5 juillet 2017, café Chez Loulou, Rue Marioge Je m’adresse à Philippe par mail pour fixer un rendez-vous et discuter sur la Rue Marioge. Je lui demande que ce soit dans la rue et de préférence dans des heures d’activité pour qu’on soit témoins de la dynamique de l’espace. Il répond rapidement proposant un endroit. Rendez-vous au café de la rue, Chez Loulou, 17h. Une seule table en terrasse – elle est directement sur la rue -, avec place pour deux personnes. L’atmosphère générale est de proximité, physique et sociale. Les gens passent juste à côté de notre table, de même pour les vélos et les voitures. Philippe connaît et salue la plupart des passants. Ils s’arrêtent quelques seconds pour dire Bonjour. Il me font extensive la salutation; du moment où je suis dans

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la rue, leur rue, de plus avec un habitant, je ne suis plus une étrangère, un inconnu. Certains profitent même de l’occasion pour discuter brièvement avec lui des choses du quotidien. C’est plutôt comme croiser quelqu’un devant chez lui que de le croiser dans un café ou une autre structure plus établie. Il me semble que la disposition de cette table, seule dans la terrasse, jeu un rôle fondamentale dans cette perception puisqu’elle ne crée un espace si délimité ou privatif au café. La question des frontières du privé et du public se fond dans le fait que cet espace public est installé dans leur espace privé, ou il en est une extension. Le rendant ainsi appropriable. Historique de la rue Marioge

On commence à discuter sur le comment s’est fait le changement de statut de cette rue en Espace de rencontre. Dès que Philippe a commencé à proposer au sein de l’association AVA, un tel changement pour la rue, les autres membres et habitants en général lui disaient « tu te rends pas compte, on est dans le Sud, ça ne marchera jamais ». Pourtant il y avait des besoins et des demandes : les parents de l’école du coin, demandaient à ce qu’elle soit plus sécurisée pour les enfants de la traverser. Ainsi qu’à l’entrée et sortie de l’école. Les trottoirs étant étroits, les enfants se retrouvaient rapidement dans la voie des voitures. La largeur des trottoirs était problématique aussi pour le passage des poussettes, activité fréquente et nécessaire puisqu’une crèche se trouvait un peu plus bas dans la rue. En même

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temps les commerçants demandaient des aires de livraisons qu’ils ne respectaient pas. Conception

Philippe a commencé à faire des recherches et il a trouvé la notion de rue partagée. A l’époque, 2007, cela n’existait pas en France. C’est finalement en 2008 que la loi décrète les « espaces de rencontre ». Des réunions de concertation se succèdent en 2011 avec les élus, qui étaient assez intéressés dans le projet, et les habitants. Faisant référence au projet dans sa phase de conception – et donc échange avec les services de la ville et autres -, il dit : « il y a beaucoup de gens qui se sont impliquées. Beaucoup ont compris l’intérêt des changements ». A cela il rajoute qu’il se sentait « le chef du chantier ». Malgré l’implication des gens, il fallait être disponible et présent pour les échanges avec les ingénieures et les services techniques, et ce poids et donc tombé sur ses épaules. Appréciation

Il remarque trois échelles d’appréciation de la rue aujourd’hui tel qu’elle existe comme espace de rencontre : - Les visiteurs sont très contents de l’espace, ils le trouvent impressionnant et particulier dans la ville. - Les habitants du quartier ont une impression positive de la rue également. - Les habitants de la rue même voient par contre aussi les nuisances. Il y a des perceptions négatives aussi : quelques habitants veulent pouvoir se garer devant leur porte, d’autres, propriétaires d’une

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maison devant Chez Loulou, s’opposent fermement aux activités qui ont quelques fois lieu dans la rue comme partie de la vie du quartier. A cela, Philippe répond « après, il faut savoir si on veut vivre dans une rue vivante ». Ils ont fait passer une enquête auprès des habitants 3 ans après l’installation de l’espace de rencontre, pour savoir ce qu’ils pensaient de l’aménagement en ce moment. Seulement un avis était négatif. Avis des habitants

Du côté des habitants et leur investissement dans le maintien de l’esthétique de la rue, Philippe explique que les habitants tournent beaucoup : des locations à l’année pour des étudiants, ou des locataires qui ne restent pas longtemps, et que cela est un problème pour l’investissement. Ils ne se sentent pas si concernés par l’entretien de leur devant chez eux (le frontage, qui est dans cette rue, souvent fleuri). L’arrosage est problématique, souvent c’est lui qui arrose les plantes autour de chez lui et non seulement devant. L’école participe de ce problème. Les usagers journaliers de cet espace ne se sentent responsables de l’entretien de leur front de rue. A qui appartient cela ? Il affirme tout de même que « pour le moment, il y a encore une bonne vie de quartier ». Commerces

« La boulangerie, le caviste et le boucher font vivre la rue : on peut faire toutes ses courses dans une même rue ! » Il explique que les commerçants ont une tradition dans la rue, ils y sont depuis très longtemps. Ce qui permet que les habitants tissent des liens avec eux.

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Rencontre avec Florence Cambon,

Habitante Rue des Jardins d’Alkinoos 8 août 2017, croisement des rues Jardins d’Alkinoos et Avenue Adolphe Alphand Je me balade dans les rues de Malbosc. Je cherche les rues Paul Choulot et l’Avenue Adolphe Alphand. Je les avais repérés sur le plan après ma première visite au quartier, et elles me paraissaient appropriées pour mes recherches selon les typologies des bâtiments et types d’aménagements qui les constituaient. Je demande à quelques habitants comment m’y rendre, mais ils ont tous du mal à savoir où elles se trouvent, même s’ils en ont déjà entendu parler. Ils connaissent que leur rue. La dérive et la curiosité m’amènent à la rue des Jardins d’Alkinoos. Il y a quelque chose en elle qui m’attire donc je décide de continuer à la marcher, même s’il ne s’agit pas d’aucune de celles que cherchais. Je suis en fait contente de finalement sentir qu’il y a de la vie dans les rues de Malbosc - appart la rue principale (Avenue du Fes – et encore !). Cette rue est plus étroite que les autres que je viens de traverser, mais surtout, il n’y pas de différenciation des hauteurs pour le trottoir et la chaussé. Il y a aussi des plantes. Beaucoup dans les jardins privés mais elles débordent sur la rue mais il y aussi quelques exceptions qui décorent l’entrée des maisons. Ce sont ces gestes timides d’appropriation de l’espace public-privé et de voir quelques

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habitants devant leur porte discuter avec des amis, réparer leurs voitures, qui à mes yeux donnent de la vie à cette voie. En arrivant à la fin de la rue – et là voilà l’avenue Adolphe Alphand -, je me décide de demander à une dame qui vient d’apparaître au coin, comment me rendre à la rue Paul Choulot. Je m’aperçois qu’elle habite justement la rue des Jardins d’Alkinoos et on commence à discuter. Statut de la rue

Mme. Cambon m’explique que cette rue est « si étroite » parce qu’elle a au fait un statut de rue privée de la ZAC. Le promoteur a voulu profiter au maximum de l’espace foncier pour la construction, et la rue est juste suffisamment large pour permettre la circulation d’une voiture. Cela est aussi l‘explication à ce qu’il n’y ait pas de différenciation des hauteurs des trottoirs. De cette manière deux voitures peuvent circuler en même temps, ou au moins se mettre de côté pour que l’autre passe plus facilement. Elle est gérée par une ASL (association syndicale libre), et non pas une copropriété ni par la Maire, comme d’autres voies des ZAC qui sont rétrocédées. Historique

Depuis sept ans les habitants demandent que la rue soit rétrocédée à la Mairie. Cela leur éviterait des taxes fonciers et des surcoûts quand il faut faire réparer le moindre détail. Il y a quelques mois un habitant de la rue a mis un faux panneau de sens interdit dans un des bouts de la rue pour faire baisser la circulation. Sur cette rue il y a des enfants qui jouent, les habitants

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s’organisent de temps en temps pour des repas. Mme. Cambon accepte qu’elle soit de même dangereuse pour les enfants, malgré le panneau sens interdit. Des voitures peuvent rouler à tout moment. Elle affirme, toutefois, que c’est une ambiance de proximité qui règne. Elle me signale que l’architecte a astucieusement conçu un alignement d’arbres pour cette rue mais sur le domaine privé, dans les jardins de certaines maisons. Ce qui donne un aspect visuel et sensoriel agréable mais pose des problèmes aux habitants parce qu’ils sont obligés de remettre des arbres dès que ceux-ci sont enlevés. Rencontre avec Michel Morel,

Ancien membre du Comité de quartier « Malbosc bouge », habitant de l’avenue de Fès depuis son inauguration en 2003. 25 août 2017, rendez-vous devant l’entrée de la Maison pour tous Rosa Lee Parks, entretien à son domicile. Je m’adresse au comité de quartier de Malbosc pour trouver un interlocuteur, des habitants avec qui discuter sur le quartier et sa vie sociale. Sa présidente, Yvette Seghieri, répond à ma demande en me proposant de contacter quelqu’un qui « connaît bien le quartier » le temps qu’elle rentre des vacances. C’est ainsi que j’ai reçu les coordonnées de Michel Morel, habitant du quartier et ancien membre du comité. Après lui avoir laissé un message vocal sur son téléphone et un email, lui expliquant sommairement de quoi s’agit ma recherche

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et pourquoi je m’adresse à lui, j’ai reçu une réponse positive de sa part pour nous rencontrer dans la semaine dans le quartier. Très aimable et confiant, à notre rencontre le vendredi 25 août, sous une légère pluie, il propose d’aller chez lui, et ainsi profiter du premier rendez-vous pour discuter du sujet, et dans un deuxième rendez-vous visiter le quartier ensemble. Racines dans le quartier

Originaire de l’est de la France, de Vosges, il est venu à Montpellier comme qui est en exil de son chez lui, en cherchant à se créer des nouveaux liens, une vie dan un nouveau territoire. Ayant acheté sur plan, il a déménagement à Malbosc directement après sa construction. Les études ont démarré en 1999, les travaux ont commencé deux ans après, et le quartier a été inauguré en 2003. En expliquant cette chronologie, il souligne qu’ils ont fêté les 10 ans en 2013 (avec le comité de quartier). Lien social avec / entre les habitants

Dans un quartier nouveau, tous les habitants ont été au moment initial, des étrangers. Etrangers à un espace qui n’avait pas d’histoire en tant que communauté. Les liens sociaux devaient ainsi se tisser de zéro pour chacun. Dans son cas, ce sont les manifestations du comité de quartier qui lui ont permis de rencontrer des personnes, de faire peu à peu des connaissances. Ce qui met en évidence le manque de quotidien partagé entre les habitants. Je lui demande si après 15 ans d’habiter le même rue, il connaît ses voisins d’immeuble et de la rue. Il reste en silence quelques instants.

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« Il y a beaucoup de locations…et d’autres ont changé de quartier, ou même de ville. » Il explique que l’immeuble où il habite fait partie d’une copropriété de plusieurs immeubles, qui ont malheureusement différents accès. Ce fait diminue la probabilité de croiser des habitants. En plus de cela, il n’y a aucune activité ou espace dans la rue (Avenue de Fès), qui promue la rencontre, l’échange. Les espaces de rencontre

Les espaces du quotidien où M. Morel croise d’autres habitants sont l’ascenseur, le local poubelles, le hall d’entrée avec les boîtes aux lettres et les escaliers. Ces rencontres sont une résultante imprévue dans les conceptions architecturales des bâtiments. Les espaces en eux-mêmes en font preuve : l’ascenseur est souvent très étroit, renfermé et sans visibilité vers l’extérieur. C’est à dire, il s’agit d’un espace qui si bien permet la rencontre, il la rend obligatoire – et possiblement inconfortable. Pour le local poubelles appliquent les mêmes descriptions, sauf que l’utilité change et devient encore moins accueillante pour le partage social. Au fait, il s’agit d’espaces dédiés principalement à des activités obligatoires (circulation, assainissement, rentrer chez soi), et non pas des espaces pour des activités moins obligatoires, impliquant plus de calme et d’intentions de partager avec l’autre. « Je crois qu’il n’y a pas de vie de quartier…elle se retrouve à la boulangerie, le Simply, le médecin. » En ce qui concerne le quartier, le nombre d’espaces qui se prêtent à la rencontre est faible : la boulangerie, le supermarché du coin, le tabac, le cabinet médical, ou alors les écoles. M. Morel dit ressentir la différence de

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comportement d’une nouvelle génération qui « n’a plus l’habitude d’aller dans des cafés ». De ses souvenirs, avant aller dans un café c’était un acte social, on y rencontrait des gens, on discutait, on créait des opinions communes ou on discernait des autres, on s’organisait. Un « espace social » se développait. Actuellement, et depuis sa création, le comité de quartier n’a pas de local, ni dans le quartier ni ailleurs. Ils ont droit à quelques séances par an à la Maison pour tous Rosa Lee Parks, mais ils n’ont pas un espace leur permettant d’être repérable chez les habitants. Selon lui, « il n’y a pas de lieu qui pourrait être un noyau de vie du quartier. » On discute de ses anciens lieux de vie, à la campagne à l’est de la France. Il a été maire d’un village de 250 habitants aux Vosges. Il dit qu’à ce moment, il veillait au bien commun, et qu’aujourd’hui il a l’impression qu’on ne veille plus pour le bien commun des habitants dans les villes. Il fait la comparaison entre des villages moins peuplés et souvent plus équipés que son quartier, qui compte bien plus d’habitants et qui devrait avoir des équipements en conséquence à cette population. Malbosc accueille à lui seule entre 6000 et 7000 habitants, et pourtant il n’y a pas de vie la nuit, ou les weekends à part la boulangerie et le supermarché. Il n’y a pas d’espaces pour des activités d’épanouissement et partage. La vie sociale et culturelle est très réduite à quelques activités à l’année, organisées par le comité de quartier ou la Maison pour tous. « Espace social »

Selon M. Morel, les élus et maires ont peur que les gens s’organisent. Ils ont peur de leur donner des espaces où se réunir. « Il n’y pas

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d’espace social, tout est pensé pour l’individualisme ». Un quartier construit sur des principes d’individualité, sans conscience de l’importance de sa dimension sociale, civique, ne peut pas devenir un espace communautaire, un véritable ‘ quartier ’. « Je crois qu’il n’y a pas de vie de quartier…elle se retrouve à la boulangerie, le Simply, le médecin…il n’y a pas de lieu qui pourrait faire noyau de vie de quartier. » Ce qui délimite un quartier pour l’habitant

« Pour moi, mon quartier c’est aussi Saint Paul, La Paillade… » Les équipements des quartiers adjacents viennent compléter ceux de Malbosc. M. Morel explique qu’il se déplace souvent à Saint Paul pour faire des courses de produits frais, et qu’il fréquente la Bibliothèque Jean-Jacques Rousseau à La Paillade, puisqu’il n’y en a pas à Malbosc même. De cette même manière, pour lui les équipements culturelles et de loisirs se trouvent au centre-ville. Une fois par mois son quartier s’étale jusqu’à Juvignac ou Saint Clément de la Rivière pour faire des courses dans des grandes surfaces. Rencontre avec Michèle Herpin

Habitante Rue Durand et ancienne présidente de l’association Riverains de la rue Durand. 5 octobre 2017, Rue Durand. C’est lors d’un travail en Séminaire du S7 pendant le master 1, que je suis rentrée en contacte avec Mme. Herpin. Pendant un semestre l’on a fait un travail des propositions de projets pour un dossier que

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certains comités de quartier du centre ville et alentours avaient démarré. Mme. Herpin est venue comme représentante de l’association Riverains de la rue Durand. A ce moment là, elle nous a fait part de l’expérience de la rue Durand et sa transformation en espace de rencontre. Ce qui m’a permis de constater l’implication qu’elle avait avec sa rue et la qualité de vie du quartier. Raison pour laquelle je suis revenue vers elle au moment des recherches sur la Rue Durand. Les transports

Mme. Herpin explique que normalement il n’y avait aucun bus qui passait par la rue Durand, et que c’est lors des travaux pour la ligne 4 du tramway que 9 bus ont commencé à être déviés par cette rue. C’est cette situation qui a fait réagir les habitants puisque des nuisances en conséquence des déplacements des bus sont survenues : nuisances sonores, problèmes de stationnement, sentiment de percement de la rue et l’atmosphère intime. Le processus de transformation de la rue en espace de rencontre, n’a pas été simple puisque, comme elle le dit, « les gens veulent avoir une vie de zone 20 et se faire livrer chez eux », ce qui serait contradictoire au fonctionnement de l’espace de rencontre. Commerces

« Les commerces ne tiennent pas, il n’y a rien qui attire les piétons ». Selon elle, la relation entre les habitants et les commerçants n’est pas si établie. D’un côté, les types de commerces qu’il y a ne sont pas ceux de premier besoin pour les habitants, et en même temps, ils

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changent beaucoup. Ce qui empêche des liens de se tisser. Les habitants, eux, ils vont ailleurs. « Les commerces ici ne sont pas adaptés aux habitants ». Elle explique qu’avant il y avait un bar à vin et c’était le point de rencontre. Aujourd’hui ce ne l’est plus, ils ont changé de propriétaire et c’est un magasin des jeux ‘Mission exit’. « Faire comprendre aux gens qu’on ne peut pas tout avoir »

Le changement en espace de rencontre impliquait se détacher de certaines facilités qu’il y avait avant avec l’accès, et notamment le stationnement, plus facile pour les voitures dans la rue. Mme. Herpin explique qu’elle essayait de faire comprendre aux gens qu’ils ne pouvaient pas tout avoir en même temps : s’ils voulaient une atmosphère plus calme, des vitesses régulées et plus d’espace pour les piétons, cela impliquait aussi moins de places de stationnement. Le fait que les habitants n’allaient plus pouvoir se garer devant chez eux, embêtait certains. Les commerçants se montraient également retissant aux difficultés de se faire livrer et de ne pas avoir autant de passage de personnes en voitures qu’avant. « Ils veulent faire des chiffres d’affaire et c’est tout. Ils ne travaillent pas avec les habitants » disait Mme. Herpin par rapport aux commerçants. Rencontre avec M. et Mme. Forté,

Habitants Rue Durand et anciens présidents de l’association Riverains de la rue Durand. 13 novembre 2017, chez les Forté, 16 Rue Durand. J’ai rencontré les Forté en parcourant la rue Durand avec Mme. Herpin lors d’un entretien en octobre. Elle les a interpelé quand nous

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nous sommes croisés dans le trottoir pour demander leur avis sur la transformation de cette rue en « espace de rencontre ». Etant pris par le temps, ils ont proposé de se voir plus calmement un autre jour pour en discuter avec moi. C’est ainsi que l’on s’est donné rendez-vous le 13 novembre, un lundi matin, à leur domicile. J’arrive, ils avaient sorti le dossier avec toute la documentation concernant le processus et la transformation en soi de la rue en « espace de rencontre ». « Il faut savoir que cette zone de rencontre est issue d’une lutte », ainsi demarre la conversation avec Gérard et Muriel Forté. Je leur demande de me raconter la genèse de cette rue en tant qu’espace de rencotre, comment elle était avant et comment ils sont arrivés à l’aménagement qu’elle a actuellement. C’est en avril 2011 que pendant les travaux de la ligne 4 du tramway, quatre lignes de bus ont été déviées à la rue Durand, alors qu’avant il n’y en avait aucune qui prenait ce chemin. Cette situation a vite fait réunir les habitants qui se plaignaient des nuisances occasionnés par le passage des bus toute la journée. La rue n’étant de plus pas aménagée pour accueillir un tel passage (et de si grands bus), se voyait collapsée. A ce moment là, toute la rue accueillait des places de stationnement bilatérales, les trottoirs étaient très étroits et la voie centrale dédiée au passage, serrée par les voitures stationnées des deux côtés. Les riverains ont organisé une série de manifestations fin avril début mai, pour défendre la rue du passage des bus : allant de la mise de 132


banderoles au blocage de la rue avec des plots de béton que les services de la ville avaient installés aux places de stationnement pour faciliter le passage des bus. La médiatisation des actions a fait remonter les mécontentements aux instances politiques et des réunions entre les politiciens et les habitants – maintenant organisés sous forme d’association -, ont eu lieu. Les membres de l’association s’étaient organisés pour trouver et proposer des solutions à la situation de la rue. Ils sont arrivés aux « zones de partage », « espaces de rencontre », statuts de rue très présents à l’étranger (Suisse, Allemagne, Pays-Bas), peu connus en France. De manière autonome, ils ont dessiné des plans d’aménagements pour la rue Durand comme espace de rencontre, qu’ils ont proposé aux élus et acteurs politiques lors des réunions. Un compromis a ainsi été trouvé : une seule ligne de bus et l’espace de rencontre. Cette décision a été acceptée par la plupart des membres de l’association, tandis que certains n’étaient pas d’accord avec le compromis. Tenant plus à des intérêts personnels que collectifs, ils voulaient zéro lignes de bus, et des places de stationnement privilégiées aux riverains. Les Forté insistent sur le caractère d’exercice démocratique que ce mouvement a impliqué pour tous en tant qu’habitants rassemblés à l’occasion d’une lutte contre une situation particulière, et le fait que des intentions individualistes ait cassé l’esprit de collectif. Dans les 133


mots de Gérard, « c’était une belle expérience de démocratie mais fragile ». Quand ils avaient réussi ses objectifs de réaménagement de la rue et de diminution des passages des bus, ils se sont rendus compte qu’ils étaient une association qui savait « s’opposer », lutter contre au lieu de proposer. Le groupe s’était aussi beaucoup fracturé par des différences qu’il y a eu entre des membres concernant le compromis accepté avec les institutions publiques. Dans ce contexte, il était difficile d’imaginer des nouvelles actions pour essayer de mettre en place une « vie de quartier » ou des riverains. Ce qui est sans doute constaté par Muriel et Gérard est que ce moment de révolte a créé du lien social inexistant auparavant entre les habitants de la rue. Le fait d’avoir été investis sur une durée de plusieurs mois dans les mêmes actions, manifestations et avec un objectif commun, a mis en relation des personnes de toutes âges et catégories sociales, professionnels actifs ou à la retraite. Ces liens ont continué à pousser en dehors de l’association pour certains, et se sont arrêtés aux moments de revendication collective pour d’autres. Ils assurent pourtant que malgré ne pas avoir gardé contacte avec tous les membres de l’association, il y a un avant et un après les moins de manifestation. Aujourd’hui ils reconnaissent beaucoup plus les habitants de la rue quand ils se croissent, et se disent Bonjour plus facilement qu’avant. Si un jour une autre situation menait à avoir besoin de se rassembler, il faudrait juste réactiver le réseau.

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3. Documents sur la rue Marioge et sa transformation en Zone de rencontre

Figure 25 : Historique de la rue Marioge. Source : Philippe Bonnefont, AVA.

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Figure 26 : Résultats de l’enquête menée par AVA lors des 3 ans de la Zone de rencontre. Source : Philippe Bonnefont, AVA.

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Figure 27 : Flyer informatif sur la transformation de la rue. Source : Philippe Bonnefont, AVA.

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4. Document sur la rue Durand et le temps des manifestations contre les bus

Figure 28 : Article de journal Direct Matin Montpellier, N° 1043, 17 mai 2011. Source : Mme. Et M. FortÊ.

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Agradezco profundamente a todas las personas que a lo largo de estos cinco años en Europa han llegado a mi camino a llenarlo de luz, y en especial, A mis padres, María y Marcos, y a mis hermanas, Amanda y María, por su apoyo y consejos, ambos incondicionales, A mi Gabriel, que vivió conmigo este proceso de investigación, A mes amis, Juliana, Julien et Loreline, qui avec de la patience et attention ont relu et corrigé mes pages, A ma directrice de mémoire, Anne Sistel, pour l’accompagnement et l’écoute, Aux habitants des rues étudiées pour ce mémoire, pour leur temps et confiance.

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