AU RYTHME DE LA VILLE Les escaliers métropolitains.
METROPOLE CARNETS CURIEUX BRAVO Manon - ENSA Marseille 2015 Séminaire S9 - LAB 43 - Sous la direction de Rémy Marciano et François Jaubert
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PRÉFACE
Déambulant dans les rues de Marseille, je me laisse guider
par les dynamiques des lieux. Je découvre des endroits inconnus et redécouvre ceux que je connaissais déjà. Je m’immisce dans les rues commerçantes et monte jusqu’au quartier de la Plaine, submergée par les couleurs, les senteurs et les sons. Je replonge dans la ville, éblouie par le soleil. Je longe ensuite le port, puis reprend de la hauteur dans le quartier du Panier. Je fais face à Notre Dame de la Garde, perchée sur sa colline. Quelques mètres plus loin, je surplombe la mer et son immensité. Continuant vers le nord, je rejoins le secteur de la Joliette qui tente de rattraper le niveau de la mer, survolé par l’autoroute et dominé par les tours.
Guidée par les rails, je longe la côte bleue, surplombant
les villages et me faufilant entre les vallons. Parfois la roche, plonge toute droite dans la mer. Les villages se sont construits sur les collines. Généralement, les clochers culminent. A la gare de Vitrolles, je domine l’Etang de Berre, ses industries et ses habitations. Je plonge alors en direction de l’eau. Du côté de Fos‑sur-Mer, je ressens la proximité de la Camargues, je fais face à de grandes plaines qui se heurtent à quelques buttes. Enfin, par l’autoroute, je rejoinds le Barage de Bimont qui m’offre une vue panoramique sur l’horizon. D’ici, je me sens toute petite en haut de cette infrastructure impressionnante qui me met à distance de cette eau magnifique ; et toute seule loin de ces quelques cheminées qui surgissent entre les monts. Je m’en vais alors à la conquête de la Sainte Victoire...
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PRÉFACE
De par ces promenades, je suis alors frappée par la
topographie ondulante de la Métropole. Elle en fait son charme, profitant de situations en surplomb, offrant des points de vue privilégiés, et créant l’hétérogénéité de lieux pourtant proches. Elle est à la fois caractéristique du paysage proche et du paysage métropolitain et fabrique les limites de ce territoire.
Une
topographie
importante
peut
induire
des
difficultés d’accès et des potentielles fractures. Cependant, mes promenades métropolitaines restent fluides. J’emprunte ici un petit escalier en galet ; là un plus grand en pierre calcaire où reposent quelques graffitis ; ceux-là, en bois, qui craquent sous les pas ; ou encore à la gare, ces escaliers monumentaux où une quantité de gens se mêlent. Chaque escalier que je pratique me révèle une facette de la Métropole. Du plus urbain au plus sauvage. Du plus ancien au plus récent. Du plus fréquenté au plus désertique.
Je franchis chaque marche à mon rythme. Je suis libre
de choisir ma cadence, de m’arrêter, de m’asseoir un instant ou de faire demi-tour. L’ascension amène un certain mystère. Même si je connais le lieu, je ne peux pas anticiper ce que je vais découvrir au bout. J’assiste à une mise en scène. A l’inverse, lorsque je descends, je plonge visuellement, de manière plus ou moins large, dans l’espace qui m’entoure oubliant le chemin que je parcours.
Le paradoxe avec les escaliers est qu’ils sont à la fois
une limite franche et le lien « brutal » entre deux espaces plus ou moins distincts. Ainsi ils séparent et relient en même temps. Ce lien s’instaure entre les lieux, entre les hommes, et entre l’homme et l’espace.
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E S C A L I E R : n. m. « Construction architecturale constituée d’une suite régulière de marches, les degrés, permettant de passer d’un niveau à un autre. »
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60 < 2H + G < 64 cm
... Une règle, des singularitÊs.
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INTRODUCTION
UNE RÈGLE, DES SINGULARITÉS
Par définition, l’escalier est un objet fonctionnel,
nécessaire pour parcourir le territoire ; et un lieu de passage et de mouvement. Il est normé et répond à une règle universelle : 2H + G doit être compris entre 60 et 64 cm, soit la longueur moyenne d’un pas. Depuis toujours, la conception de l’escalier est donc imposée par la mesure et le corps de l’Homme ; de manière générale, le rapport au corps est primordial dans la conception architecturale. Son parcours demande un effort plus ou moins conséquent et évolue constamment entre équilibre et déséquilibre.
Pourtant chaque escalier est singulier. Sa matérialité, sa
forme, ses dimensions, son rythme, ses couleurs, sa lumière et sa situation diffèrent et en font un objet unique. Ils ponctuent l’ensemble du territoire, sous diverses apparences.
Dans la sphère privée, l’escalier est réinterprété, il
tend à devenir un élément majeur de certaines maisons. Il est pensé, dessiné de façon à apporter un plus à l’espace et à la vie quotidienne. Il devient usage.
La première marche est plus large pour permettre de
s’asseoir ou de supporter une plante ; les marches dissimulent des tiroirs pour gagner de l’espace ; les sanitaires ou des placards s’insèrent en dessous ; une bibliothèque accompagne le parcours ; ou encore des cadres sont exposés sur les murs. Et dans la sphère publique ?
INTRODUCTION : UNE RÈGLE, DES SINGULARITÉS
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Depuis l’Antiquité, l’usage de l’escalier dépasse le simple
fait de monter ou descendre d’un niveau à un autre. Plus qu’un lieu de déplacement, il est un lieu de conquête, qui appelle un effort ; un lieu symbolique et spirituel qui renvoie à des quantités d’images ; et un lieu de rencontre qui finalement laisse place à un moment de pause.
L’escalier est parcouru, habité, support d’expression,
lieu d’échange, lieu de repos et de contemplation. Les marches en pierres massives des temples grecs servaient de promontoires pour les offrandes ; les romains ont exploité les escaliers pour créer des édifices entiers tels que les amphithéâtres ; à la Renaissance, ils étaient entre autre lieu de représentation et de mise en valeur ; un bon nombre de maisons utilise des emmarchements pour créer un espace de transition entre le public et le privé ; en Inde, les escaliers plongent dans le Gange participant à un rituel, un lien spirituel et physique entre la terre et la rivière sacrée, ils deviennent lieu de méditation, de purification et de libération ; aujourd’hui, les gens s’assoient sur les marches, pour observer la vue, patienter un instant, manger un sandwich entre collègues, etc.
Ainsi l’escalier peut générer des usages communs et
diverses situations de sociabilité qui fabriquent la ville. Lorsque l’on nous parle d’escaliers, une poignée d’images entre dans notre esprit : ceux que nous parcourons régulièrement, celui qui nous a fait souffrir avec ses nombreuses marches, celui où nous avons trébuché, celui dans ce film vu récemment, celui de notre maison d’enfance, ou encore celui qui nous a ému, etc.
Comment l’escalier public transgresse-t’il son simple
rôle de lien pour devenir un lieu que nous remarquons, un lieu d’usage, voir un espace public en soi ?
L’intérêt de l’escalier dans le territoire métropolitain est
sa quantité de visages. A la quantité peut se mêler la qualité, sous différentes formes. Nous parlerons là seulement des escaliers
INTRODUCTION : UNE RÈGLE, DES SINGULARITÉS publics ou tout du moins accessibles au public et se justifiant par une topographie naturelle, une fracture à soigner ou à mettre en avant.
Il est important de redécouvrir ceux que nous
connaissons déjà, et de se forcer à en déceler des nouveaux, que nous avons peut-être souvent rencontrés, mais encore jamais remarqués. L’escalier a la capacité de s’effacer ou de se révéler, encore faut-il y être attentif.
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E S P A C E P U B L I C : n. m. « Dans les sociétés humaines, en particulier urbaines, ensemble des espaces de passage et de rassemblement à l’usage de tous, soit qui n’appartient à personne, soit qui relève du domaine public ou, exceptionnellement, du domaine privé.»
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I. DES PETITS RIENS QUI FABRIQUENT LA VILLE
« La vie urbaine, dans sa quotidienneté, est faite de mille
et un petits riens qui, pris séparément, ne sont guère significatifs, mais ensemble constituent l’épaisseur même de la vie, avec sa routine, ses habitudes, ses répétitions, ses parcours, ses gestes, ses formules. On pourrait y voir la marque de l’ennui, la source d’une contrainte, le signe d’une pauvreté existentielle, que saisje encore ? Tout comme y repérer la maîtrise de son univers, le contrôle de la proximité, le plaisir de l’attendu, le réconfort du même. Et puis, à bien les observer, ces petits riens urbains se décalent, se transforment, changent de place, d’heure, de posture, et métamorphosent l’ordinaire, l’enracinent dans l’infraordinaire tant apprécié par Georges Pérec. »
Les petits riens urbains, Thierry Paquot, revue Urbanisme, n°370, janvier-février 2010.
HÉTÉROGÉNÉITÉS ET IDENTITÉS Une nouvelle façon d’appréhender la Métropole : le secteur du Panier
HÉTÉROGÉNÉITÉS ET IDENTITÉS Une nouvelle façon d’appréhender la Métropole : le secteur du Panier
DES PETITS RIENS QUI FABRIQUENT LA VILLE
Cet objet, si commun, si ordinaire, fait partie des
urbanités que l’on ne remarque pas forcément au premier coup d’œil et qui se révèle riche. Thierry Paquot nomme ces urbanités « les petits riens urbains ».
Nous sommes tous confrontés à divers escaliers au
quotidien, jusqu’à la sphère privée : notre immeuble ou notre maison. Ils parsèment le territoire et la vie de ses habitants. Ils se fondent dans la banalité de par leur statut d’objet. Lorsque je me promène, il peut arriver que je monte et descende plusieurs escaliers, sans vraiment m’en rendre compte, car je suis pressée, ou lancée dans une conversation. Je n’exploite là que leur fonction de franchissement.
Pourtant, quand j’arrive vers un bâtiment public par
exemple, l’escalier qui le précède prend un tout autre rôle : c’est ici que je vais attendre mes amis, en regardant mes mails sur le téléphone, c’est de là que je peux admirer ce bâtiment, mis en scène comme sur un piédestal, c’est ici qu’une vieille dame va venir me demander son chemin et un couple de jeunes, du feu.
De manière générale, les escaliers urbains sont supports
d’une histoire, d’une image, d’une pratique qui les rendent singuliers et riches, par le rapport de l’homme à l’espace. Et c’est dans ces pratiques, ces détails et cette singularité que ces « petits riens urbains » deviennent significatifs.
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DES PETITS RIENS QUI FABRIQUENT LA VILLE
Pourquoi tant de différences entre les multiples escaliers,
entre les quartiers et entre les époques ?
Comme l’exprime Etienne Ballan, sociologue et
anthropologue, enseignant à l’Ecole Nationale Supérieure de Paysage, Marseille est une « ville monde », c’est-à-dire une ville de transit aux diverses origines. La majorité de ses habitants ont une appartenance locale et une appartenance lointaine engendrant une identité multiple. Elle s’est construite au rythme des époques et des migrations.
En 1850, les transports se développent et les habitants
commencent à partir. Marseille se distingue par son étalement urbain plus établi en « villages » qu’en quartiers. Les gens se regroupent, à la recherche d’un côté plus « rural », où profiter du mode de vie méditerranéen ; on fabrique des espaces de convivialité, on dessine une place centrale et on érige des écoles, des églises, des cimetières dans ces « villages » en majorité créés. Le territoire se construit et se reconstruit au fil des années.
La crise économique et démographique des années 1980
a « ethnicisé » les difficultés sociales et a instauré des frontières étanches. Marseille est alors fragmenté par diverses ambiances et identités qui font le charme de cette ville hétérogène. Tous les quartiers communiquent et imposent leur différence à la fois.
Le caractère identitaire des escaliers et leur quantité
dans la métropole marseillaise, nous amène alors à les considérer comme image de la métropole et de sa société. Ils appartiennent à la ville et à l’Homme. Celui-ci les emprunte régulièrement et en grand nombre dans l’aire métropolitaine. Il en fait un élément de son quotidien et de son environnement.
Par l’engouement du vivre dehors ancré dans cette aire
méditerranéenne, les habitants consomment la ville, la pratique et la considère comme une partie de chez eux. Et un lieu banal peut devenir support d’usages inattendus.
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DES PETITS RIENS QUI FABRIQUENT LA VILLE
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ESCALIERS MÉTROPOLITAINS L’identité du territoire métropolitain.
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II. PLUS QU’UN SIMPLE OBJET MFONCTIONNEL
« Mieux vaut le reconnaître tout de suite, parler de
l’escalier de manière générale est une gageure. Autant sa définition théorique est simple : organe architectural composé d’éléments superposés et destiné à assurer la circulation des personnes d’un niveau à un autre ; autant sa matérialisation et ses formes sont impossibles à réduire à un type et entraînent celui qui cherche à se représenter mentalement l’escalier dans un festival d’images multiples, contradictoires, séduisantes ou angoissantes, austères ou tourbillonnantes. […] Chaque escalier possède une configuration, un caractère, des qualités et des défauts qui lui sont propres et qui lui confèrent une personnalité singulière. »
L’escalier, métamorphoses architecturales, Evelyne Péré-Christin, 2001, p5.
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+ L’ E S C A L I E R C O M M E O B J E T, MAIS...
De par sa définition, l’escalier a un statut d’objet. En
effet, il fait le lien, sert de franchissement entre deux espaces en rupture physique. Il a un rôle fonctionnel bien défini qui reste son essence même.
Or l’escalier n’est pas toujours une nécessité. Dans
des villes comme Porto ou Lisbonne, Portugal, où le relief est comparable à celui de Marseille, les escaliers se font plus rares, laissant place à de grandes pentes. Il peut donc apporter une plus-value.
Ses lignes horizontales, son rythme et sa prise de lumière
se révèlent esthétisants et mettent en valeur. Sa conception est pensée, elle induit un symbole et des images. De plus, l’escalier est matériel et donc support : d’expression, d’usage, d’échange, de mobilité ou d’immobilité, d’appropriation et d’identité.
Rem Koolhaas, pour la Casa da Música à Porto assume
le côté objet de l’escalier extérieur en le décrochant de la façade, comme si le bâtiment et l’escalier avait cherché un point d’équilibre.
Léger, il est comme une échelle appuyée sur la façade
et sous laquelle on peut circuler. De cette manière, il amène également une touche aérienne et met en scène l’entrée principale. Pourtant, l’entrée dans le bâtiment peut se faire directement par le rez-de-chaussée.
L’ESCALIER COMME OBJET, MAIS...
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L’escalier comme objet.
ESCALIER CASA DA MUSICA OMA, Porto, Portugal, 2005.
L’escalier, support d’usages.
L’escalier n’est plus qu’un objet fonctionnel mais une
part d’architecture et ainsi de ville. De nuit, les marches éclairées créent un appel et invitent à l’usage.
C’est son rapport immédiat à la mesure du corps qui en
fait un élément d’architecture appréhendable et appropriable par l’Homme qui le pratique. L’objet dépasse sa qualité d’objet grâce à la relation qui s’instaure entre l’Homme et lui. L’escalier est parcouru, expérimenté, ressenti et vécu. La liberté des pratiques le rend riche et surprenant.
A l’image d’Olafur Eliasson, Heike Mutter et Ulrich
Genth, un duo d’artistes allemands créent Tiger and Turtle :
L’ESCALIER COMME OBJET, MAIS... Magic Mountain au sommet d’une colline surplombant la ville de Duisburg, près de Cologne. Ils fabriquent un lieu infini, où l’escalier devient prétexte à la contemplation et l’expérience.
TIGER AND TURTLE : MAGIC MOUNTAIN Heike Mutter et Ulrich Genth, Duisburg, Allemagne, 2011.
A Genève, Peter Greenaway, réalisateur et artiste
britannique, installe une centaine d’escaliers dans la ville, de deux à huit marches et de formes différentes mais aboutissant systématiquement sur un viseur. Le projet offre alors cent points de vue sur des parties de la ville. L’intention est de permettre au passant de monter son propre film au travers des séquences qu’il serait capable de capter grâce à ces installations. L’artiste force l’arrêt dans un lieu où, par définition, on ne s’arrête pas, dans ce lieu de passage.
STAIRS Peter Greenaway, Genève, Suisse, 1994.
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L’ESCALIER COMME OBJET, MAIS...
Aussi, Didier Faustino, artiste français et architecte
de formation, développe au sein de son agence la notion de « mésarchitecture ». Pour répondre au rejet des programmes de grands ensembles de logements à Castelo Branco, il réinterprète l’idée d’une cage d’escalier en un espace public, à usage individuel. Il offre 25m² de cheminement et de cadrage et aboutit son installation par une cage. Prisonnier, l’usager domine seul le territoire.
STAIRWAY TO HEAVEN Didier Faustino, Castelo Branco, Portugal, 2001.
De manière plus symbolique, dans le cadre de
l’exposition « Sculpture de la mer », l’artiste néo-zélandais David McCracken anime grandeur nature les escaliers imaginés et dessinés par MC Escher. L’escalier-sculpture, finissant en pointe vers les cieux, crée une perspective déstabilisante qui semble guider vers l’infini, au delà des nuages.
Il s’inscrit comme une oeuvre qui l’on regarde et
L’ESCALIER COMME OBJET, MAIS... interroge et non comme un objet ou un lieu qui se pratique. Il relève du symbole et l’artiste fait émaner tout un nuage de références dans l’esprit de chacun.
DIMINISH AND ASCEND David McCracken, Bondi, Australie, 2013.
L’escalier est donc plus qu’un simple objet fonctionnel.
Il est symbole, connexion, rupture, mise en scène, parcours, rythme, vue, et induit des pratiques. Il peut être assimilé à un espace public urbain, tel que la rue, la place, le seuil ou l’entredeux.
Concentrons-nous à présent sur les escaliers qui font
l’aire métropolitaine Marseille-Aix.
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+ LES RUES
Bon nombre d’escaliers prennent l’apparence d’une rue.
Ils donnent accès à des logements ; s’étendent sur une centaine de mètres ; développent un rythme plus lent, en pas d’âne ; ou affiche en évidence leur nom.
Toutefois, ces « rues » ne sont-elles que d’apparence
ou sont-elles pratiquées à l’image d’une rue ordinaire, à l’image d’un espace public où les gens se rassemblent, s’attardent, se rencontrent et échangent ?
LES RUES
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H = 16,5 cm l = 3,60 m G = 28 à 450 cm L= 75 m GSEducationalVersion
RUE BEAUREGARD Au coeur d’un quartier historique de Marseille.
97 marches 10 volées
LES RUES
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RUE BEAUREGARD
Les habitants de la rue Beauregard ont pris possession
de cet escalier sinueux à l’apparence de ruelle. Ce quartier historique de Marseille ; marqué par les vagues d’immigration et la sédentarisation de ses habitants, et connu aujourd’hui comme le plus ancien quartier de la ville ; s’installe en surplomb de la butte Saint-Laurent, la butte des Moulins et la butte des Carmes.
Les rues étroites ondulent entre les trois fenêtres
typiquement marseillais et se transforment fréquemment en escaliers pour suivre la topographie. A l’écart du mouvement de la montée des Accoules, la rue Beauregard est calme et chaleureuse.
Déployant de larges marches en pierres le long
d’habitations, le rythme est lent et irrégulier, cadencé par le mouvement du corps mais allégé par la fluidité de la promenade. Des plantes envahissent les marches, des draps pendent aux fenêtres, des paillassons annoncent l’entrée des logements et informent même parfois sur l’identité des occupants.
Le lieu est vivant alors que la rue semble déserte. A
l’occasion, une femme sort de la maison de son amie, rigolant et échangeant des mots amicaux ; un homme fume devant sa porte par respect pour ses enfants ; au plus proche de la rue commerçante, des travailleurs vont et viennent dans l’immeuble ; des habitants du quartier passent par là pour rejoindre la rue Caisserie, saluant leurs voisins ; les enfants sautillent de marche en marche. Les touristes osent peu s’immiscer dans ce lieu intime. Ils se contentent de photographier la vue depuis en haut et d’admirer les façades. Le soleil inonde cet interstice, mettant en valeur ses couleurs, et Notre Dame de la Garde veille d’en face. L’espace est partagé, approprié et exploité à l’image d’une ruelle, dans l’intimité d’une vie de quartier.
LES RUES
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RUE BEAUREGARD Un escalier en pas d’âne sinuant entre les habitations.
LES RUES
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RUE BEAUREGARD Dans l’intimité de ses habitants.
GSEducationalVersion
LES RUES
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GSEducationalVersion
H = 18 cm G = 2,5 à 6 m
l=3m L= 120 m
MONTÉE NOTRE DAME Une rue dans les hauteurs de la ville.
24 marches 1 volée
LES RUES
MONTEE NOTRE DAME
Domptant la nature et la topographie, le quartier de
Notre Dame, autre quartier historique marseillais, s’installe dans les hauteurs plus sauvages de la ville : la colline de la Garde., depuis toujours considérée comme poste d’observation. Même si le besoin défensif n’est plus d’actualité, elle offre aujourd’hui encore un point de vue imprenable sur l’ensemble de la ville et sur l’horizon.
Presque invisible au premier abord, cet escalier en
pas d’âne participe au parcours, en particulier des touristes, du centre-ville à la cathédrale Notre Dame de la Garde. S’étendant sur plus de 120 mètres, il prend l’apparence d’une rue. Les nez de marches en pierre calcaire contrastent avec la noirceur du bitume. Un deuxième emmarchement en béton se distingue tout le long à l’image d’un trottoir se distinguant de la chaussée. Des voitures sont stationnées à ses entrées marquant une fois de plus son statut semblable à une rue.
Mais dès la première marche, le piéton est roi. Des
habitations bordent un côté de l’escalier. De l’autre côté, la falaise offre une vue panoramique sur Marseille et son port, et le contact visuel avec la cathédrale est omniprésent. La végétation renvoie à l’idée de nature. La frénésie du boulevard laisse place à un cadre plus villageois et végétal où les passants marchent tranquillement et n’hésitent pas à prendre une pause au frais.
Dès la fin de matinée, la « rue » est ombragée. L’ambiance
est paisible. Les cris des enfants scolarisés en contre bas animent le lieu et les mouettes nous rappellent où nous sommes.
Les pas d’âne marquent un déséquilibre. Les pieds
glissent sur le sol puis chutent à chaque marche. L’irrégularité de ces marches crée un rythme mélodique et changeant.
Des privilégiés se sont appropriés les lieux, mais plus en
hauteur. Les rez-de-chaussée sont fermés, surement à cause du passage des nombreux touristes, et un mur leur fait face. Alors que les étages sont pourvus de grandes baies et de balcons où du linge sèche. Ils surplombent la ville. Des voix s’échappent des fenêtres et des balcons dans une ambiance familiale. De la musique se laisse entendre.
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LES RUES
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MONTテ右 NOTRE DAME Une rue frテゥquentテゥe par les touristes.
LES RUES
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MONTÉE NOTRE DAME S’ouvrir en hauteur, profitant d’une vue plongeante sur la ville.
GSEducationalVersion
LES RUES
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GSEducationalVersion
H = 14 cm G = 35 cm
l=5m L= 40 m
BOULEVARD ANDRE AUNE Entre Notre-Dame de la Garde et le Cours Puget.
80 marches 5 volĂŠes
LES RUES
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BOULEVARD ANDRE AUNE
Non loin de là, en montant vers la cathédrale symbole
de Marseille par le boulevard André Aune, un autre escalier donne accès à des habitations. Pourtant, l’ambiance n’y est en aucun cas semblable.
Entre Notre Dame de la Garde et le Cours Puget, le
boulevard de plus de 400 mètres de long plonge dans la ville, offrant une perspective remarquable. L’escalier permet alors de connecter la ville dense au paysage plus naturel du secteur de la Bonne Mère.
Créé au début du XIXème siècle, il est bien plus récent
que les deux précédents, et instaure un rythme plus frénétique et rapide avec des marches régulières et normées. Le parcours est traité en courbes, proposant une certaine promenade dans un espace aéré de 20 mètres de large.
Cependant la séquence de ces marches, sombres et
froides, impose le passage et n’invite pas à la flânerie. L’ascension est motivée par l’envie de découvrir la cathédrale et la descente est animée par la plongée dans la ville et son panorama. Les portes sont fermées et les fenêtres barricadées. Mis à part quelques rideaux, il n’y a aucun signe de vie ou d’appropriation des lieux. Jetés dans la végétation, des bouteilles vides et des mégots laissent deviner un regroupement nocturne, à distance des regards.
Dans le même esprit que précédemment, de la
végétation fait face aux habitations. Mais la typologie du boulevard, dense et habité de chaque côté renvoie plus à la notion d’enfermement qu’à celle de respiration. L’escalier est encadré d’immeubles et habité d’une végétation dense, créant de l’ombre et des espaces dissimulés. Les proportions du boulevard et le rythme accéléré font davantage appel à l’échelle de la ville et non plus du quartier ou du « village ». Les notions d’identité, d’intimité et de convivialité n’apparaissent pas.
LES RUES
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BOULEVARD ANDRE AUNE Un boulevard dense qui manque d’intimité.
LES RUES
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BOULEVARD ANDRE AUNE Un vaste lieu de passage, envahi par la végétation.
LES RUES
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H = 17 cm G = 29,5 cm
l=7m L= 25 m
GSEducationalVersion
RUE INTÉRIEURE - AVENUE DE TOULON Une confrontation entre le plein et le vide.
40 marches 2 volées
LES RUES
RUE INTÉRIEURE - AVENUE DE TOULON
Entre l’avenue de Toulon et l’avenue Jules Cantini, des
barres de logements s’implantent au milieu du XXème siècle essayant de jouer avec la différence de niveau. Des commerces animent les rez-de-chaussée sur l’avenue Jules Cantini et la Tour Méditerranée, longtemps la plus haute tour de la ville, complète cet ilot ouvert et accueille des bureaux et quelques commerces.
Des porosités en rez-de-chaussée permettent de
traverser l’îlot. Les coeurs d’îlot sont aménagés en jardin d’un côté et en terrasses urbaines de l’autre. L’espace est aéré, l’escalier se détache des façades et appartient plutôt à l’espace semi-public aménagé au centre de l’ilot ; de la végétation occupe les abords ; et un grand palier marque une pause dans le parcours et donnent accès aux différentes terrasses. Droit, il permet relier de manière directe les niveaux de chaque avenue.
Toutefois, encerclé et dominé par ces barres de
logements imposantes, il acquiert un caractère semi-privé et est ressenti comme une rue intérieure. D’autres escaliers plus dérobés l’entourent, servant de raccourcis. Les pas s’enchainent rapidement, frénétiquement. La régularité du parcours amène un comportement quasi passif de l’usager.
Les marches en béton lisse se distinguent des paliers
en béton désactivé. Une large main courante scinde la rue en deux. On pourrait imaginer s’asseoir, s’allonger ou slider en skate sur cet épais muret mais la présence d’une structure métallique interdit tout usage autre.
Majoritairement ombragé du fait de son orientation,
l’escalier vit grâce aux habitants. Lorsque l’escalier est vide, il émane une froideur repoussante, qui disparait dès qu’un enfant dévale les escaliers en courant suivi par son père qui porte un petit vélo dans ses bras ; ou lorsqu’une vieille dame vous salue en souriant en rentrant des courses ; ou que des jeunes interpellent leur amis depuis une terrasse ; etc.
Par sa rigidité, l’escalier induit la traversée et le
mouvement. Ce sont les terrasses et les places qui servent d’espace public. L’usage existe mais de manière ponctuelle et ne laisse aucune trace de son passage.
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LES RUES
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RUE INTÉRIEURE - AVENUE DE TOULON Un passage dérobé au coeur d’espaces publics.
LES RUES
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RUE INTÉRIEURE - AVENUE DE TOULON Un passage dominé par les barres de logements.
LES RUES
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GSEducationalVersion
H = 16,7 cm G = 1,10 m
MONTテ右 DU SAINT-ESPRIT Entre le privテゥ et le public.
l = 6,20 m L= 95 m
70 marches 6 volテゥes
LES RUES
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MONTEE DU ST ESPRIT
L’escalier remarquable de la montée du Saint Esprit, qui
contourne l’Hôtel Dieu renvoie à la typologie des escaliers de la rue Beauregard et de la montée de Notre Dame. : un parcours irrégulier, en pas d’âne, sinuant le long des immeubles de logements. Les nez de marche en pierre marquent la cadence alternant enjambée, coulée et pause sur plus de 80 mètres.
Seulement ici, il ne s’agit pas seulement de logements.
Un bâtiment au soubassement de pierre et à la façade en briques rouges, annexe de la Chapelle des Pénitents Blancs du Saint Esprit et appartenant à une société privée jouxte des habitations typiques ainsi qu’un bâtiment remarquable en pierres, inscrit aux Monuments Historiques : l’Hôtel Dieu, ancien hôpital du XVIIIème siècle, récemment rénové en hôtel cinq étoiles. Ainsi l’appropriation des lieux semble difficile.
Cette rue se retrouve au croisement de trois ambiances
différentes comme une colonne vertébrale qui sert de lien entre trois éléments distincts. Elle accueille donc divers usagers, compliquant un peu l’idée d’identité et, pour les habitants, d’appartenance. Très empruntée, les passants se croisent, se sourient ou s’ignorent, se contournent et continuent leur route sans vraiment échanger. Les groupes les plus bavards s’attardent sur les paliers, au calme.
LES RUES
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MONTテ右 DU SAINT-ESPRIT A la croiテゥe de trois identitテゥs.
LES RUES
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MONTÉE DU SAINT-ESPRIT Un espace qui n’appartient à personne.
LES RUES
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GSEducationalVersion
H = 16 cm G = 80 cm
l=2m L= 8 m
RUE CHATEAU JOLY Une ruelle à l’écart des passants.
11 marches 1 volée
LES RUES
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RUE CHATEAU JOLY
Enfin, la rue Château Joly s’affiche clairement comme
une rue, comme l’indique le panneau scellé au mur. Elle découpe l’ilot pour s’immiscer au cœur des habitations. A la lisière entre le quartier historique et un secteur symbole de la Reconstruction, cet escalier forme une faille dans le bâti.
Les onze marches en pierres s’enchainent en pas
d’âne créant un rythme lent et régulier. Cependant, l’espace est restreint, plongé dans l’obscurité et divisé en deux par la main courante. Les murs qui l’encadrent sont aveugles et deviennent support de graffitis. L’accès aux logements se fait plus loin. L’odeur nauséabonde d’urine envahit ce que l’on pourrait plutôt qualifier de couloir. Il y a là les souvenirs d’usages passés, pourtant le lieu parait abandonné.
Proche des commerces et des bars, la confrontation des
sons animés de la vie de quartier et de la vision de cette rue est déstabilisante L’absence de passant la rend irréelle, comme une affiche ou un trompe l’œil devant lequel les gens passent sans jamais s’arrêter.
LES RUES
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RUE CHATEAU JOLY Une circulation sombre et étroite.
LES RUES
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RUE CHATEAU JOLY Une faille dans le b창ti.
GSEducationalVersion
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LES RUES
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Ces rues, aux caractéristiques différentes, donnent vie
à des pratiques diverses, plus ou moins assumées. Cette notion de rue prend davantage sens à l’échelle du quartier, du « village » plutôt qu’à l’échelle de la ville. Les sentiments d’intimité et d’identité doivent être forts pour réveiller des usages quotidiens et conviviaux.
Ainsi, la rue en pas d’âne qui s’étend sur la longueur
semble efficace. Symbole de l’antiquité, elle renvoie à un rythme lent, de flânerie loin de la frénésie moderne et son rythme saccadé et régulier. Il faut qu’elle ne soit ni trop étroite pour recevoir un peu de lumière et de chaleur, ni trop large pour choyer une atmosphère intime à laquelle les habitants et les passants peuvent s’attacher et s’identifier.
Son contexte a également beaucoup d’importance. Elle
se doit de desservir des habitations tout au long de son parcours et ne doit pas se révéler être une rue aveugle ou une impasse. Elle s’intègre d’autant plus dans un contexte villageois où la convivialité est déjà débordante.
La matérialité semble ici n’avoir que peu d’influence.
Elle intervient seulement dans l’esthétique et le charme de cet objet extraordinaire.
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+ LES PLACES
D’autres s’apparentent à des places, qu’il s’agisse d’une place
subdivisée en différents niveaux ou d’une composition duale. Ces escaliers possèdent alors quasi automatiquement le statut d’espace public. La grande dimension, le vide au milieu du plein, l’effet concentrique de l’espace libre en font un lieu public, un repère où les gens se regroupent et partagent.
Mais l’escalier ne s’efface-t’il pas dans cet ensemble ? Se révèle-t’il
nécessaire ou utile en soi ?
LES PLACES
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GSEducationalVersion
H = 15 cm G = 35 cm
PLACE DU MAZEAU Un espace aéré central.
l = 40 m L= 120 m
48 marches 10 volées
LES PLACES
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PLACE DU MAZEAU
Le premier Hôtel de Ville de Marseille a été érigé, dans
des dimensions modestes, en 1653. Ce n’est qu’un siècle plus tard qu’il est reconstruit intégrant une place royale en l’honneur de Louis XV. Le complexe échappe de justesse aux démolitions de la Révolution et survis à la destruction du quartier par les Allemands en 1943.
Un projet d’extension voit le jour en 1996, comprenant
l’aménagement des abords de l’édifice. Ainsi, en 2006, apparait une esplanade en pierre de plus de 20 000m² entre le Vieux Port et l’Hôtel Dieu, entièrement aménagée, s’imposant comme la plus vaste esplanade de la ville.
Ce lieu est pensé comme une place, comme un espace
public majeur. La présence de marches est imposée par la topographie et la nécessité de connecter le port au quartier du Panier. Ainsi, l’emmarchement devient prétexte et fabrique l’espace public. Il structure l’espace, ouvre des points de vues, met en scène l’Hôtel Dieu et offre comme différents plateaux de liberté. L’élément essentiel de cet escalier n’est plus l’obstacle à franchir, c’est-à-dire la marche, mais l’espace des possibles : le palier.
Le mouvement se mêle à l’immobile. Le parcours est
libre. Certaines personnes ne font que passer, d’autres flânent, déambulent d’un point à l’autre, des enfants courent et des jeunes s’activent sur leur skateboard, des collègues se regroupent pour manger un sandwich sur les bancs, une jeune femme se détend en lisant un livre, des touristes capturent la Bonne Mère et un vieux monsieur est venu admirer le temps qui passe.
La place est à la fois paisible et dynamique, ensoleillée
et aérée. Les gens discutent, rient, écoutent de la musique, méditent. Les séries de marches sont comme des portes entre différentes pièces de la ville où l’usage est libre et parfois surprenant. Elles permettent de marquer des temps. Mais il reste un lien visuel, une confusion visuelle qui crée l’hétérogénéité et la diversité des possibles de ce lieu.
LES PLACES
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PLACE DU MAZEAU Comme un terrain de jeux.
PLACE DU MAZEAU Un espace aménagé invitant aux usages.
LES PLACES
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PLACE DU MAZEAU Un espace aéré offrant une vue dégagée.
PLACE DU MAZEAU Un lieu vivant et dynamique.
LES PLACES
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GSEducationalVersion
H = 15 cm G = 40 cm
l = 25 m L= 10 m
18 marches 1 volée
PLACE DU REFUGE Un escalier en gradin sur un espace ouvert, pour plus de liberté.
LES PLACES
PLACE DU REFUGE
Implantée au cœur du quartier du Panier, la Place du
Refuge tient son nom de l’ancienne institution hospitalière qui habitait ce lieu au XVIIème siècle. Véritable « couvent-hôpitalprison », le Refuge accueillait la fondation de Saint Joseph destinée à venir en aide aux prostituées. Elles entraient par la Rue du Déshonneur et, après un séjour de pénitence et de réintégration, ressortaient par la Rue des Repenties.
En pierres taillées et en béton, cet escalier mêle espace
de déambulation et zones de gradins. De par cette mise en œuvre et combiné à une grande esplanade, son usage est directement induit. Il devient lieu de pause et lieu de contemplation de l’espace libre qui lui fait face. Ainsi son usage s’anime par la fonction que prend l’esplanade. Il sert de banc de touche pour le match de foot ; de promontoire pour ces mères qui surveillent leurs enfants ; de cocon pour ce jeune garçon qui téléphone ; de montagnes, de tours et de châteaux pour ces petits chevaliers ; de tables pour le goûter entre amis ; et de gradins face à la scène. Il y a là encore une dualité entre la notion de pause et celle de mouvement. Les rythmes s’entrechoquent harmonieusement.
Entourée d’habitations, la place est support de divers
évènements à l’échelle du quartier ou de la ville. Elle se caractérise comme lieu de rassemblement et de partage. Le soir, une toile est tendue, les amis se réunissent et s’assoient sur les gradins pour la projection d’un film ou l’animation d’une conférence ; quelques décorations, des enceintes suspendues et de la musique, et les marseillais se regroupent pour danser ; au mois de juin, les familles viennent applaudir et soutenir les spectacles de danse ou de musique.
Des graffitis animent les abords de la place. De
grande dimension, l’escalier appelle à l’usage, à l’expérience et à l’appropriation. Des associations ou autres institutions s’investissent pour appuyer le dynamisme du lieu. Bon nombre de concertations ont lieu avec les habitants à propos du devenir et de l’aménagement de la place. Et des interventions temporaires interpellent et impliquent les habitants. Il y a une réelle volonté de pousser l’appropriation, voire de la gérer.
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LES PLACES
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PLACE DU REFUGE Un jeu de rythmes.
PLACE DU REFUGE Un espace d’identité et d’appropriation.
LES PLACES
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PLACE DU REFUGE Un repère dans le quartier.
PLACE DU REFUGE Le support d’évènement et le lieu de sociabilité.
LES PLACES
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H = 17 cm G = 30 cm
l = 15 m L= 120 m
PLACE DES CARDEURS Sur les traces d’un ilot insalubre.
21 marches 7 volées
LES PLACES
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PLACE DES CARDEURS
A Aix-en-Provence, la Place des Cardeurs voit le jour suite
à la démolition d’un îlot insalubre en 1963. D’abord utilisé comme parking, l’espace libéré est exploité par les bars et restaurants qui ont envahis les rez-de-chaussée des immeubles alentours, le parking étant devenu souterrain dans les années 1980. Ainsi, la Place des Cardeurs devient un lieu vivant et attractif : le lieu de rendez-vous de nombreux métropolitains.
L’idée d’escalier comme place publique apparait en
2006 lorsque la mairie entreprend la réhabilitation de la place. Naturellement en pente, huit plateaux structurent désormais l’espace, articulés entre eux grâce à trois marches en pierres naturelles. Les immeubles typiques et colorés amènent un caractère pittoresque.
Encerclée d’immeubles, cette place renvoie davantage à
la notion d’enfermement et d’intimité. L’escalier n’est pas assorti à la volonté de prendre de la hauteur pour bénéficier d’une vue, comme précédemment. Il se justifie seulement par l’intention de rattraper la pente.
L’homogénéité du contexte et des fonctions, et la
régularité d’organisation de l’espace marquent l’unité de la place. L’usage est affirmé, avec l’installation des terrasses et la fréquentation : les habitants et les touristes viennent ici pour boire un café, décompresser en fin de journée ou se faire un bon restaurant. Ce sont ces institutions qui se sont appropriées leurs espaces extérieurs. Cet îlot vide s’est transformé en lieu de partage, d’échange et d’animation où les gens viennent le temps d’une pause.
L’escalier est alors support d’assises, obstacle pour les
skateboards et les vélos, etc. Les usages débordent des plateaux aux emmarchements. Et au final, l’escalier disparait au profit des usages, de l’aménagement et de l’animation.
LES PLACES
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PLACE DES CARDEURS Un espace structuré.
PLACE DES CARDEURS Les plateaux disparaissent.
LES PLACES
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PLACE DES CARDEURS Des usages assumés.
PLACE DES CARDEURS La disparition de l’escalier.
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LES PLACES
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L’escalier dessinant une place est moteur de sociabilité.
Il crée un vide dans la ville. Un lieu capable d’accueillir une quantité importante de personnes et de les faire se rencontrer. Il se positionne tel un repère, à usage public, rassemblant des populations diverses au cœur d’un quartier ou à la croisée de plusieurs secteurs.
Ses grandes dimensions et son dégagement renvoient
à l’idée de respiration et de lieu de pause. Une pause qui peut être active, permettant à l’usager de pratiquer cet espace défini durant plusieurs heures parfois.
En tant que places urbaines, ces escaliers sont
généralement aménagés, de sorte à suggérer de l’usage tout en conservant la notion de liberté et d’appropriation individuelle.
Les emmarchements prennent place au cœur d’un
ensemble révélant davantage les paliers, qui deviennent des esplanades, des aires de jeux, etc. L’escalier a alors tendance à s’effacer dans la perception du lieu. Plus qu’un grand escalier monumental qui nous demande du courage lorsque nous nous apprêtons à le franchir. Par son dessin, sa forme et son rythme, il s’intègre dans un ensemble, se fond dans l’urbain et coexiste avec la ville.
Son rôle est de franchir mais surtout de structurer et
d’organiser l’espace. Il participe à l’aménagement de la place. Il prend d’autant plus sens lorsqu’il donne à voir. Qu’il s’agisse d’une percée, d’un point de vue remarquable ou d’un édifice à mettre en valeur. L’escalier permet depuis toujours de prendre de la hauteur et de mettre en scène.
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+ LES SEUILS ET ENTRE-DEUX
Enfin, certains servent de seuils et d’entre-deux. Ils
sont l’entrée dans la ville, le piédestal d’un édifice, le raccourci entre deux niveaux ou la fracture entre deux espaces distincts. Généralement plus massifs que les précédents, ils peuvent prendre des apparences variées. Le rythme qu’ils imposent, leurs dimensions, leur ressenti, leur contexte et leur finalité diffèrent.
Trois catégories peuvent être identifiées : ceux qui
mettent en scène ; ceux qui créent une connexion ; et ceux qui marquent une rupture. L’usage est-il influencé par le statut de l’escalier ? Peut-il existé dans cet espace, qui de prime abord apparait comme un simple lieu de passage célébrant un départ ou une arrivée ?
LES SEUILS ET ENTRE-DEUX
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GSEducationalVersion
H = 16 cm G = 38 cm
l = 25 m L= 50 m
GARE SAINT-CHARLES Un escalier monumental comme porte de la ville.
104 marches 8 volĂŠes
LES SEUILS ET ENTRE-DEUX
LA MISE EN SCENE
SAINT CHARLES
La Gare Saint Charles est érigée dans les années 1850.
A l’époque, les bâtiments du Petit Séminaire la sépare du boulevard d’Athènes et l’isole. L’escalier monumental en pierre, « coupé de repos et bordé de belles lignes architecturales » est inauguré dans son état final en 1927. Ainsi la gare communique directement avec le centre-ville et l’escalier, par ses décors et sa monumentalité, habille la perspective du boulevard d’Athènes et incarne une porte de la ville. Douze sculptures remarquables l’ornent, l’annoncent, l’encadrent et l’accompagnent.
L’objet monumental plonge dans la ville, offre une vue
panoramique sur sa diversité et met en scène la gare. Il est lieu de passage, pour les habitants, les travailleurs, les touristes ou les passagers, mais aussi lieu de pause.
Aujourd’hui, la gare est devenue un pôle multimodal qui
voit passer plus de dix millions de voyageurs par an. Elle accueille également des commerces, une gare routière importante et se rattache au réseau de transports en communs. Son attractivité se lit à plusieurs échelles : du quartier à l’international.
Le secteur est très dynamique et fréquenté. Les voitures
se pressent sur le boulevard, les voyageurs s’activent sur le parvis, les retardataires montent les marches quatre à quatre et les enfants se courent après au rythme des degrés. L’escalier supporte un mouvement constant.
Vaste, aéré et inondé de chaleur, il accueille également
des moments de pause, comme une bulle flottant sur la ville. Le rythme est rapide et très régulier mais entrecoupé de paliers tels des ralentissements. Un homme contemple la vue ; trois collègues font une halte pour discuter plus sérieusement ; un jeune homme s’arrête dans son élan pour ressaisir sa valise et souffler un peu ; des jeunes filles s’assoient, penchées sur leur téléphone et rigolant en cœur ; et une mère et sa fille dégustent un sandwich dans un coin. Les gens montent ou descendent par vagues laissant place de nouveau à un instant de calme.
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LES SEUILS ET ENTRE-DEUX
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GARE SAINT-CHARLES La monumentalité comme piédestal..
LES SEUILS ET ENTRE-DEUX
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GARE SAINT-CHARLES Un lieu de pause au milieu du mouvement et de la vitesse.
LES SEUILS ET ENTRE-DEUX
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GSEducationalVersion
H = 16,5 cm G = 40 cm
l=6m L=60 m
MONTÉE DE LA BONNE MÈRE S’imposer au coeur de la nature.
84 marches 12 volées
LES SEUILS ET ENTRE-DEUX
MONTÉE DE LA BONNE MÈRE
La Basilique Notre Dame de la Garde, consacrée en
1864, est perchée à près de 150 mètres d’altitude. Symbole de la ville et gardienne des marins et des pêcheurs, elle attire croyants, touristes et marseillais, finissant perpétuellement submergée par la foule. Pour y accéder, il est nécessaire d’emprunter des escaliers qui gravissent la colline, dans un retour à la nature, dominant le paysage urbain.
L’escalier principal, en béton, franchit la roche sans état
d’âme, par étapes, magnifiant l’ascension. Le contexte de nature crée une sorte de dépaysement. Nous nous trouvons alors dans un lieu de transition, de changement et d’adaptation entre la ville dense et « les cieux ». Le caractère religieux engendre des symboles de spiritualité, d’élévation et de calme. Une dualité des usages s’observe entre la montée et la descente.
Les visiteurs marchent d’un pas conquérant en
montant, ils sont pressés de saluer la Bonne Mère et d’admirer la vue. Les marches s’enchaînent rapidement, mais les séries sont courtes, rythmées par de nombreux paliers. La cadence paisible et régulière permet de lever les yeux de nos pieds, pour se concentrer sur ce qui nous entoure.
En descendant, le caractère dégagé et dominant du
lieu nous fait replonger dans la ville. Les paliers, une fois encore, servent de pause. Pour se reposer, admirer la vue, prendre une photo, ou se faire prendre en photo pour le souvenir. Assimilable à un muret et à l’échelle du corps, le large garde-corps est appropriable. D’ici, la vue est tout simplement magnifique.
Peu importe leur rythme, les démarches sont calmes et
détendues. Les passants se promènent, visitent ou viennent pour se recueillir. Seules les langues variées et les rires résonnent. Des jeunes se sont installés sur l’herbe, à côté. Ils jouent de la guitare. Le vent souffle légèrement et le soleil empli le lieu de chaleur et de lumière.
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LES SEUILS ET ENTRE-DEUX
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MONTÉE DE LA BONNE MÈRE Des rythmes paisibles qui s’entremêlent.
LES SEUILS ET ENTRE-DEUX
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MONTÉE DE LA BONNE MÈRE Une dualité d’usages entre l’ascension et la contemplation. GSEducationalVersion
LES SEUILS ET ENTRE-DEUX
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GSEducationalVersion GSEducationalVersion
H = 18 cm G = 30 cm
l = 3,5 m L= 20 m
RUE DE LA PAIX MARCEL PAUL Un raccourci entre la place et la rue.
48 marches 3 volées
LES SEUILS ET ENTRE-DEUX
LA CONNEXION
RUE DE LA PAIX MARCEL PAUL
Sur les traces de l’ancien canal de la Douane comblé
en 1929, le Cours Estienne d’Orves est aujourd’hui une place majeure de Marseille, à deux pas du Vieux Port. Proche du niveau zéro, elle entre en rupture avec la rue Sainte et la rue Fort Notre Dame qui l’encadrent et la dominent. Lieu de rendez-vous, de rassemblement, d’échange et de partage, les bars, cafés et restaurants s’étendent sur sa longueur, des manifestations culturelles s’éveillent, il s’inscrit comme espace public important dans la ville.
La rue Sainte est également une rue attractive et
dynamique qui regroupe quantité de bars, restaurants, galeries d’art et commerces. Elle s’anime du matin au soir.
De ce fait, l’escalier de la rue de la Paix Marcel Paul relie
deux espaces fréquentés et mouvementés. Droit et régulier, il offre un parcours efficace, dans un rythme frénétique. Il semble filer vers l’infini à une vitesse folle. Il s’inscrit en quelque sorte comme un raccourci permettant de connecter deux niveaux comparables. Ainsi, son usage principal, voire unique, est de l’ordre du passage.
En retrait par rapport à la place, et disparaissant du haut
de la rue, il devient une échappatoire à cette animation, un lieu de respiration brève. Il prend ses distances par rapport aux bâtis alentours, offrant un espace dégagé et ouvrant une percée sur le Vieux Port.
Dans la rue, les gens passent, attendent adossés au
muret ou regardent la vue l’air pensif. En contrebas, deux restaurants profitent de la chaleur du midi. Mais tout le monde ignore cet escalier. Personne n’ose s’y asseoir, s’y attarder. Il faut dire que le soir lorsque les restaurants ferment, ce dégagement a pour habitude de se transformer en toilettes urbains.
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LES SEUILS ET ENTRE-DEUX
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RUE DE LA PAIX MARCEL PAUL Une échappée infinie comme un chemin de traverse.
LES SEUILS ET ENTRE-DEUX
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RUE DE LA PAIX MARCEL PAUL Un lieu de passage entre deux espaces publics forts.
GSEducationalVersion
LES SEUILS ET ENTRE-DEUX
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GSEducationalVersion
H = 14,5 cm G = 32 cm
l = 6,5 m L= 10 m
AVENUE SAINT JEAN Au coeur d’un quartier reconstruit.
18 marches 2 volées
LES SEUILS ET ENTRE-DEUX
AVENUE SAINT JEAN
Dès le XVIIIème siècle, le quartier du Panier, caractérisé
par ses rues étroites et sinueuses, est considéré comme insalubre. Des travaux ont lieu durant la seconde guerre mondiale, et les Allemands exigent la démolition de la partie sud du quartier, entre la rue Caisserie et le Vieux Port. Apparait donc un extrait de ville, issu de la Reconstruction. Les barres de logement remplacent les habitations. Elles jouent avec les niveaux, s’alignent, se dandinent et s’ouvrent sur la vue.
Pour répondre à la topographie importante, des
escaliers sont construits. Ils sont signatures de l’époque moderne qui rime avec vitesse, efficacité et rigueur.
S’immisçant entre deux barres, mais prenant ses
distances par rapport aux façades, l’escalier de l’avenue Saint Jean est droit, rigoureux et massif. Il y a une certaine notion de mise en scène. Mais de quoi ?
La Place de Lenche s’anime au milieu des immeubles.
La végétation cohabite avec les terrasses des bars et restaurants. La population se rassemble pour profiter du soleil et de la percée sur la Bonne Mère. En haut de l’escalier, l’espace est dégagé et le soleil rayonne. Les habitués jettent un simple coup d’œil au tableau, les moins expérimentés s’y attardent plus longtemps. Au calme, certains en profitent pour téléphoner ou se donnent rendez-vous.
Toutefois, au niveau inférieur, les voitures s’entassent,
envahissant même les trottoirs. Les passants se pressent, cherchent leur place au milieu des machines et dominés par les barres.
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LES SEUILS ET ENTRE-DEUX
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AVENUE SAINT JEAN Un espace dégagé cadrant le paysage.
LES SEUILS ET ENTRE-DEUX
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AVENUE SAINT JEAN A la recherche de la place du piéton.
LES SEUILS ET ENTRE-DEUX
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GSEducationalVersion
H = 17,5 cm G = 28 cm
l=6m L= 15 m
RUE CAISSERIE Une connexion dans l’intimité des habitations.
27 marches 3 volées
LES SEUILS ET ENTRE-DEUX
RUE CAISSERIE
A quelques mètres de là, l’escalier de la rue Caisserie
répond au même contexte historique. Dans leur forme, leur matérialité, leur rythme et leur apparence, ces deux escaliers sont similaires. Comme beaucoup d’autres dans le secteur reconstruit. Il appelle au passage, rapide et frénétique voir mélodique.
Celui-ci perce la barre en son centre et la traverse à
distance des ailes. Il est au cœur du système. Sa partie supérieure est alors couverte. Des moulures habillent la voûte qui cadre parfaitement sur la colline d’en face. Un tableau choyé par les passants qui s’arrêtent systématiquement prendre une photo. Mais ils ne s’approchent pas vraiment, ne s’aventurent même pas sur la première marche.
Malgré le soleil, le lieu est obscur et étouffant. Deux
bancs latéraux en pierre ornent l’escalier. Mais des déchets les recouvrent, marques d’usages passés. Des bouteilles d’alcools, des emballages de nourritures et des amas de publicité jonchent le sol. Cet espace enfermé émane une certaine intimité mais qui ne s’identifie à personne. Il apparait délaissé, comme un lieu nocturne, de la déviance et de l’insécurité.
Son manque de dynamisme exprime l’idée de facilité et
d’efficacité. Il s’agit d’un raccourci, comme dissimulé dans la ville. En descendant, les passants ne parlent plus, ils fixent Notre Dame et dévalent les escaliers, se pressant de rejoindre le Vieux Port.
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LES SEUILS ET ENTRE-DEUX
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RUE CAISSERIE Un cadrage sur le paysage lointain.
LES SEUILS ET ENTRE-DEUX
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RUE CAISSERIE Un lieu obscur témoignant d’usages passés.
GSEducationalVersion
LES SEUILS ET ENTRE-DEUX
98 GSEducationalVersion
H = 17,5 cm G = 28 cm
l = 2,20 m L= 10 m
PASSAGE DE LORETTE Une percée dans la continuité de la trame viaire.
30 marches 3 volées
LES SEUILS ET ENTRE-DEUX
PASSAGE DE LORETTE
A la lisière entre le Panier et la rue de la République, se
cache le Passage de Lorette. Un long couloir extérieur, en rezde-chaussée traverse un ensemble Haussmannien révélant son cœur. Peu éclairé, ce passage pittoresque renvoie à une autre époque. Il nous fait voyager dans le temps.
Il fait la transition entre le boulevard passant,
entièrement rénové et un « village perché ».
A l’accoutumé, le cœur d’îlot affiche voire caricature les
modes de vie méditerranéenne. Le linge pend d’un appartement à l’autre, l’odeur des plats cuisinés envahit la cour et un fond sonore témoigne de la vie. Une ambiance napolitaine aujourd’hui disparue.
L’accroche au projet Euroméditerranée insuffle des
travaux de rénovation sur l’ensemble de la rue de la République. Au niveau du Passage de Lorette, les gravas ont pris place. Du changement est prévu. De nouveaux commerces vont voir le jour, formant comme un « village de créateurs » au cœur de l’ensemble ; et les appartements ont été pour la plupart vidés et restructurés pour accueillir une nouvelle population.
La cadence du sombre escalier est rapide. Sur les
paliers, les portes se tiennent droites. Les marches sont inclinées et nous donnent l’impression de glisser ou d’être en constant déséquilibre. Mais il y a là un certain charme d’antan. Lorsque nous avons pris le pas, nous pouvons nous permettre de lever les yeux et de croiser quelques graffitis ou affiches. Les gens se croisent amicalement, certains se connaissent, ils se saluent brièvement. Mais tous marchent d’un pas décidé.
Cet escalier s’inscrit entre connexion, dans la continuité
des rues et l’appartenance à son contexte ; et rupture, les deux quartiers se différenciant de plus en plus. La disparition des pratiques typiques et villageoises réduit l’escalier à un simple raccourci, s’imposant de plus en plus rapide.
Ce passage « secret » est choyé par les marseillais et
envié par les touristes. Le contexte a une influence majeure sur l’usage de l’escalier. Espérons que le charme soit conservé.
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LES SEUILS ET ENTRE-DEUX
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PASSAGE DE LORETTE La tradition d’un monde à part en coeur d’îlot.
LES SEUILS ET ENTRE-DEUX
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PASSAGE DE LORETTE Un passage « secret » en transformation.
LES SEUILS ET ENTRE-DEUX
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H = 16 cm G = 1,40 m
l = 2,5 m L= 130 m
on lVersi cationa GSEdu
MONTÉE DE LA BONNE MÈRE Une promenade au milieu de la nature.
96 marches 1 volée
LES SEUILS ET ENTRE-DEUX
LA RUPTURE
MONTÉE DE LA BONNE MÈRE
De nouveau dans le quartier de Notre Dame de la Garde,
dans les hauteurs de la ville et sur la route du symbole marseillais, cet escalier en pas d’âne ondule sur plus de 130 mètres au milieu de la végétation. A ses pieds, la ville dense s’isole un peu sur la colline. Les habitations s’entassent face au paysage. A son sommet, la Basilique Notre Dame de la Garde nous ouvre les bras, il ne reste plus qu’à traverser le parking et emprunter les quelques dernières marches. Légèrement inclinée, chaque marche demande un effort, imposant un rythme lent et quasi essoufflé.
Ce parcours relie deux espaces distincts. De plus, cet
escalier incarne le dépaysement. Il marque une rupture entre ce que nous pourrions nommer le « point A » et le « point B ». Mis à part le cheminement, la quête de la cathédrale dans un sens et de la ville dans l’autre, il n’y a aucun lien entre tous ces lieux.
En pleine nature au cœur de l’urbain, il s’agit d’un lieu
privilégié. La végétation abondante nous enferme, ouvrant sur le ciel, et nous coupe un instant de la grande ville. Cependant, le bruit des voitures et de la ville se mêle à celui du vent et des mouettes. Nos sens se contredisent et ne savent qu’en penser.
Le lieu est plutôt désert. Les gens traversent au compte-
goutte. Certains s’aventurent par-dessous la barrière, pour aller s’asseoir dans l’herbe. Fumer à l’écart des regards, s’isoler pour un peu d’intimité, disparaître pour observer le paysage. Ce n’est peut-être pas ce que les visiteurs viennent chercher ici, attirés par la cathédrale et le poste d’observation. Pourtant agréable, ce lieu sert seulement de transition et de guide dans un parcours général.
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LES SEUILS ET ENTRE-DEUX
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MONTÉE DE LA BONNE MÈRE A la quête du ciel, isolé de la ville.
LES SEUILS ET ENTRE-DEUX
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MONTÉE DE LA BONNE MÈRE Un rapport brutal à la ville.
GSEducationalVersion
LES SEUILS ET ENTRE-DEUX
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GSEducationalVersion
H = 16 cm G = 30 cm
l=4m L= 30 m
COURS JULIEN Un parcours ondulant en rupture avec le trafic.
46 marches 4 volĂŠes
LES SEUILS ET ENTRE-DEUX
COURS JULIEN
Le Cours Julien grimpe sur l’un des plus hautes collines
du territoire dégageant une grande place, très attractive. Cette place majoritairement piétonne se positionne comme le cœur du quartier. Originellement, le Cours Julien, associé à la Plaine, était l’un des lieux majeurs d’échanges commerciaux de fruits et légumes de Marseille, avant que l’activité soit concentrée dans le quartier des Arnavaux à partir des années 1960. Il est considéré comme le quartier des artistes, submergé de cafés, restaurants, brocantes, friperies, galeries d’art, librairies, etc.
Il possède une atmosphère propre. Les murs colorés
s’emplissent de graffitis et de messages révolutionnaires. Des aires de jeux pour enfants s’installent sur la place, à proximité des bassins d’eau, de la végétation, des bars et des stands de marché. Le lieu est vivant, dynamique, illuminé et joyeux.
L’escalier central, qui quitte la place en direction de
la mer, crée une percée sur les toits de la ville. A l’inverse de ceux, non loin, biscornus, froids, et obscurs, dissimulés dans le bâti et moins fréquentés, celui-ci plonge directement dans la ville. Le rythme est régulier et figé, mais ondule d’un palier à l’autre, accompagné par la végétation. Illuminé par le soleil et les couleurs vives qui le recouvre, il éveille l’imaginaire, et l’ensemble de nos sens. Il incarne l’identité du quartier et devient lui-même support d’art, d’expression et d’appropriation.
Une majorité de personnes occupent les marches
supérieures, à l’écart du mouvement de la place mais bénéficiant de cette vue privilégiée ; des jeunes se posent dans un recoin un peu plus sombre ; d’autres taguent ; un enfant s’amuse à ne marcher que sur le bleu et à glisser sur la rampe en rentrant de l’école ; des amis se rencontrent, se saluent en s’esclaffant et s’éloignent ; une diversité de population monte et descend, sans cesse.
En contrebas, un carrefour dénué de vie nous propose
diverses directions. Nous enjambons le Cours Lieutaud, où le trafic résonne, et poursuivons notre chemin. Le changement d’ambiance est radical, comme si nous avions été dans un autre monde le temps d’un instant.
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LES SEUILS ET ENTRE-DEUX
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COURS JULIEN L’identité d’un quartier.
LES SEUILS ET ENTRE-DEUX
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COURS JULIEN Un espace support d’art et d’expression.
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LES SEUILS ET ENTRE-DEUX
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H = 17,5 cm G = 27,5 cm
l=3m L= 10 m
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RUE DES FABRES D’une rue commercante à un centre commercial.
29 marches 2 volées
LES SEUILS ET ENTRE-DEUX
RUE DES FABRES
En plein centre-ville de Marseille, dans la prolongation
de la rue Saint Ferréol, cet escalier permet d’accéder au Centre Bourse, l’un des principaux centres commerciaux du centre-ville. Il transperce une barre de logement pour rejoindre une passerelle qui franchit la rue de Bir Hakeim. Il est droit, efficace et large. Cet axe est très fréquenté par le public. Il connecte la rue des Fabres, gare des bus de ville, à l’une des entrées du Centre Bourse.
Tout est en mouvement. Un bus arrive, ses passagers en
descendent en masse, il patiente, attend l’heure de son prochain départ, accueillant de nouveaux voyageurs. Un autre arrive, le premier s’en va, et ainsi de suite. La foule circule en continu, dans un rythme frénétique. Certaines personnes s’arrêtent dans les commerces qui côtoient l’escalier ou s’attardent à la terrasse des snacks. Le brouhaha des discussions se mélange au bruit des moteurs.
L’escalier est longé par deux escalators, l’un montant,
l’autre descendant. L’escalier disparait alors au profit de la machine. Il se retrouve vidé de ses usagers qui se précipitent vers les escalators. Le mouvement est régulier et perpétuel, mais les corps sont figés. Il y a une rupture dans la cadence des corps, le mouvement devient passif, au rythme de la machine et non plus de l’Homme. L’usager n’est plus invité à s’arrêter ou à se poser, il est obligé de suivre sa route, de ne faire que passer. Les plus pressés cumulent le mouvement de la machine au mouvement du corps en franchissant ces marches mécaniques pourtant bien trop hautes à notre échelle.
Les seules personnes à encore emprunter les escaliers
sont ceux qui les franchissent quatre à quatre ou les plus motivés lorsque les escalators sont surchargés.
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RUE DES FABRES Une ascension passive et immobile.
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RUE DES FABRES La rupture entre le ryhtme du corps et celui des machines.
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Les seuils et entre-deux font apparaitre l’importance
du contexte. De plus, la cadence est généralement rapide. D’où l’importance des paliers. Ils sont le ralentissement, la respiration, qui permet d’expérimenter, de juger le lieu autrement que par son franchissement.
Les espaces dégagés semblent favoriser l’usage, la
pause. Non pas dans l’idée de corps statique, mais de lieu attractif qui nous invite à passer là un petit bout de temps avant de poursuivre notre chemin. Chaque escalier peut être considéré en connexion et en rupture à la fois. Il incarne un espace public quand il s’inscrit dans la continuité d’un autre, comme appartenant à un ensemble. A partir du moment où il entre en confrontation avec celui-ci, il semble ne pas réussir à s’imposer comme un espace public en soi.
De plus, la mise en place d’escalators se généralise,
devenant de plus en plus commun, non plus seulement dans les centres commerciaux, aéroports ou autres lieux publics, mais dans l’espace urbain, comme à Barcelone sur la Baixada de la Glòria ou à Hondarribia, dans le Pays Basque, où un enchainement de machines permet de relier le niveau bas et le niveau haut de la ville. C’est renier le potentiel de l’espace de l’escalier, anéantir l’échange, le partage et le regroupement dans un lieu pourtant public où des centaines de personnes se croisent tous les jours.
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+ L’ E S C A L I E R C O M M E RESPIRATION
De manière générale, l’escalier s’inscrit comme un
élément urbain à la mesure du corps humain. Il est un lieu privilégié, où seul le piéton accède. Il fonctionne au rythme du corps, de son ressenti et anime tous ses sens. Le rythme des machines s’oublie. L’escalier est hors temps et hors espace. Le symbole de la rupture physique permet de rompre avec la frénésie de la ville.
De plus, il permet de prendre de la hauteur ; il s’aligne
dans la continuité d’une percée et l’air circule agréablement ; il s’inonde de chaleur et de lumière ; et il offre des points de vues uniques sur le paysage métropolitain riche, varié et étonnant.
Enfin, de par son caractère d’objet, l’escalier est support
de liberté. Il propose un parcours par sa forme, une cadence par ses emmarchements, mais le passant est libre de l’appréhender à sa façon.
Venise pourrait être considérée comme la « ville
escalier » par excellence. Ville horizontale, elle est pourtant habitée de centaines d’escaliers. En effet, entièrement piétonnes, les rues sont ponctuées de ponts enjambant les multiples canaux. L’absence de voiture a offert la possibilité de penser la ville dans son rapport au corps et de mettre en place des emmarchements qui épousent la voûte des ponts. Ainsi, la déambulation est fluide. Les passants peuvent prendre régulièrement de la hauteur pour éprouver des émotions, admirer les lieux et respirer.
L’ESCALIER COMME RESPIRATION
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L’escalier comme continuité de la rue.
Evelyne Péré-Christin dit « La promenade dans Venise
se trouve agréablement rythmée par ces passages en dos d’âne : monter quelques marches, surplomber un moment le cours du canal et son animation, profiter de cette percée lumineuse dans le tissu compact des constructions, puis redescendre et replonger dans le labyrinthe sombre des ruelles. Ces ponts-escaliers sont les espaces de respiration, brèves parenthèses, de cette ville parfois étouffante. »
L’escalier comme respiration dans la ville.
L’ESCALIER COMME RESPIRATION
Paradoxalement,
dans
l’aire
métropolitaine
où
l’automobile est à l’inverse omniprésente, nous pouvons dire que les escaliers servent également de respirations dans ces villes modernes envahies par la vitesse en général et le trafic.
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III. EXACERBER LES USAGES
Comme beaucoup d’espaces publics, l’escalier est
également support de sport urbain. Les skateurs et les rideurs l’exploitent comme obstacle ou y inventent des rampes de glisse. Les joggeurs viennent s’y étirer ou s’échauffer. Et les athlètes de rues y voient une richesse d’épreuves. Depuis 2008, le sport urbain en vogue qui se développe à grande vitesse est le Parkour. Les adeptes de cet art du déplacement revisitent le franchissement de l’escalier, par la course, le saut, l’escalade, l’équilibre, la quadrupédie, etc.
De plus, l’usage devenant commun, il s’affirme, s’impose
et n’est plus seulement induit, mais clairement exprimé. Comme ici, à Varenna, au Lac de Côme. Cet escalier, habitué à accueillir les passants qui s’y reposent, s’est vu ponctué de coussins, transformant les marches en réelles assises, confortables.
Varenna, Lac de Côme.
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EXACERBER LES USAGES
De manière plus temporaire, à l’occasion de la fête de
la Fleur, en Sicile, l’escalier menant à l’Eglise Santa Maria del Monte devient le théâtre de compositions florales. Il s’anime chaque année, durant un mois, de milliers de plantes. Une tradition en hommage au Saint Patron de la ville, qui augmente considérablement l’attractivité du lieu et en modifie son expérience.
L’escalier en fleurs, Caltagirona, Sicile, Italie.
De même, dans le cadre du festival d’Arts Urbains
d’Angers, deux artistes sont intervenus dans différents lieux publics dont l’escalier de la cathédrale Saint Maurice, le recouvrant
EXACERBER LES USAGES de milliers d’origami. En collaboration avec les habitants, ils ont orné l’escalier d’un spectre coloré au sein duquel on peut évoluer. Ainsi, les arpenteurs redécouvrent l’espace et l’appréhendent différemment.
ARTAQ, Mademoiselle Maurice, Angers, France, 2013.
Ces supports d’expression artistique marquent une
identité. L’identité d’une ville, de ses habitants, de ses pratiques et même de ses symboles. En devenant le support d’un usage,
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EXACERBER LES USAGES l’escalier en engendre de nouveaux et fait évoluer voire métamorphose les existants.
Valparaiso, Chili.
16 avenue Tiled Step, San Francisco.
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Les escaliers de la paix, Syrie.
Ils sont lieux de sociabilité par l’action de peindre, par
l’investissement, l’entente collective et le partage d’un projet commun.
The Rainbow Staircase, Istanbul, Turquie.
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EXACERBER LES USAGES
Aussi, l’art permet de redynamiser un espace dévalorisé,
de l’illuminer et de recréer un intérêt. Comme ici, à Wuppertal, en Allemagne. Une faille dans le bâti grimpe telle une rue dans les hauteurs de la ville, desservant des habitations. Le lieu est étroit, plutôt sombre mais apparaît d’une grande qualité. De la végétation déborde et il y a de la vie. En contraste avec le bitume froid, chaque marche vient se distinguer d’une couleur différente, exprimant la vivacité. Aux usagers de faire le reste...
Horst Gläsker, Wuppertal, Allemagne.
Le rythme des marches offre des possibilités dans
la conception d’une expression plastique. Dans les exemples suivants, les travaux se rapprochent de l’idée d’anamorphose, de puzzle. Nous ne nous retournons plus forcément vers la vue ou le bâtiment au sommet, mais face à l’escalier. L’objet se révèle, nous nous interrogeons et partons à la découverte d’un message ou d’une émotion.
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Exposition Dali, Rocky Steps Musée d’art, Philadelphie, 2005.
Seoul, Corée du Sud.
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EXACERBER LES USAGES
De nombreux artistes ont également voulu exacerber le
rythme, la mélodie de l’escalier. Premièrement en venant peindre les touches d’un piano sur les marches. L’artiste fait ici appelle à l’imagination de l’usager et au symbole de l’objet.
Valparaiso, Chili.
Ensuite, certains ont poussé le vice, en mettant en place
des installations sonores pour pousser les passants à emprunter les escaliers et à rendre ce parcours ludique. Le discret bruit de nos pas mute en symphonie. « The Fun Theory » part du principe que les gens modifient plus facilement leur comportement lorsqu’ils éprouvent du plaisir. C’est ce qu’ils démontrent à l’occasion du tournage d’une pub, à Stockholm en 2009. Habituellement, la foule se rue sur les escalators. Dès l’installation de cet escalier sonore, les passants changent de direction et s’aventurent sur les touches noires et blanches, timidement puis joyeusement, oubliant le temps.
EXACERBER LES USAGES
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Piano Staircase The Fun Theory, Stockholm, Suède, 2009.
En 2007, le designer new yorkais Mark Reigelman a
même imaginé un mobilier urbain qu’il intègre aux escaliers monumentaux de la mairie d’arrondissement de Brooklyn pour exacerber ces nouveaux usages de la vie quotidienne. Le lieu est alors d’autant plus fréquenté et ses usages démultipliés. Il devient espace de sociabilité assumé.
Stair Squares Mark Reigelman, Brooklyn, USA, 2007.
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EXACERBER LES USAGES
De même dans un quartier d’affaires de Hong Kong,
un projet urbain vient exacerber les potentialités d’usages de l’escalier dans cette ville extrêmement dense où l’espace public est un manque. S’adaptant au site, ce maillage d’acier coloré crée des zones de pause et de détente, individuelles ou communicantes. Un système d’éclairage permet de prolonger l’usage à la tombée de la nuit. Ainsi, une simple structure dénonce une variété des possibles et offre des moments urbains, privés ou publics.
The Cascade Project Edge Design Institute, Hong Kong, Chine, 2007.
L’escalier devient même projet d’architecture, avec The
Couch de l’agence MVRDV. Le toit du club house mue en gradins, orientés vers les courts de tennis. L’objet escalier devient lieu de pause, de contemplation, de règles, mais il devient également toiture, design et volume.
The Couch MVRDV, Amsterdam, Pays-Bas, 2013.
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LA PERMANENCE DE LA NOTION DE SUBJECTIVITÉ
« En quittant l’univers de la géométrie et des formules
qui peut paraître sévère et froid, la plongée dans l’univers matériel et tangible de l’escalier donne le vertige. (...) Le passage de la règle à l’esthétique, du calcul à l’harmonie, du graphe à la grâce, constitue, pour chaque dessin d’escalier, une réelle métamorphose.
S’il fallait dresser un catalogue des formes de l’escalier,
plusieurs types de classement pourraient être utilisés : l’histoire permettrait de parcourir les époques et les styles, la technique suivrait l’évolution des matériaux et des modes de construction (...). Mais toutes ces catégories n’auraient pas raison de ce sentiment très personnel, lié à l’expérience, fait d’évidence et d’étonnement, qui saisit souvent le spectateur ou le passant, usagers de l’escalier. »
L’escalier, métamorphoses architecturales, Evelyne Péré-Christin, 2001, p54.
LA PERMANENCE DE LA NOTION DE SUBJECTIVITÉ
L’analyse méthodique et sensible de ces escaliers peut
faire émaner des règles, des liens entre une caractéristique et un usage. Nous pouvons parler de relations de cause à effet.
L’usage public peut s’exprimer à différentes échelles,
dans l’intimité de quelques habitants ou dans la diversité d’une foule. Pour cela, les dimensions doivent être adaptées. L’usage intime se retrouvera plutôt dans un lieu étroit, ouvert vers le ciel, alors que l’usage collectif prendra forme au cœur d’un espace dégagé et aéré, ouvert sur la ville. De plus, un escalier court sera perçu comme un obstacle et donc franchi à toute vitesse, alors qu’un escalier qui se développe sur la longueur instaure la notion de durée.
Un autre critère qui apparait essentiel est le contexte.
Il participe à l’attractivité et la fréquentation de l’escalier, et à la détermination de son identité. Ce sont les opportunités qu’il offre, conciliées à l’inventif des usagers, aux modes de vie de notre société qui lui font transgresser son rôle premier.
Un muret large et bas nous invite à nous asseoir alors
qu’une rampe centrale en acier appelle les skateurs à rider ou les enfants à glisser mais qu’une main courante adossée à un mur ne sert qu’à nous guider. Un palier franchissable en un pas induit le passage tandis qu’une respiration de plusieurs mètres pousse au dialogue, à la pause, à lever les yeux et observer. Les petites
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LA PERMANENCE DE LA NOTION DE SUBJECTIVITÉ marches de type pas d’âne riment avec flânerie et promenade lente, alors que les marches standards de nos jours permettent de passer rapidement, dans un mouvement presque invisible. Le rythme a alors un grand rôle à jouer. Il compose la mélodie du lieu.
Nous pouvons dire que l’escalier public arrive
à transgresser son rôle d’objet, de lien, en se comparant directement à des espaces publics assimilés par tous tels que la rue, la place, le seuil d’un bâtiment public, etc. Ainsi, l’usager ne le perçoit plus comme l’objet mais comme un espace, où il imagine et s’approprie une liberté d’usages.
Cependant, il y a une variable que l’on ne peut maitriser :
la subjectivité. L’analyse d’un escalier tient de l’expérience que l’on en a eue, et chaque pratique du même escalier relèvera d’une nouvelle expérience. Et il y a autant d’expériences qu’il y a d’hommes. La ville est fabriquée par l’homme ; par son esprit, par son corps et par ses sens. C’est lui qui invente l’usage de la ville.
A cela s’ajoutent d’autres facteurs : il fait beau, il pleut,
il est 9 heures, 13 heures ou 2 heures du matin, nous sommes pressés, nous attendons quelqu’un ou nous croisons un ami, nous avons passé une bonne journée ou nous sommes épuisé et énervé. Comme le dit bien Thierry Paquot dans Les petits riens urbains : « Cet enchaînement n’est pas vraiment programmé et automatique, des modifications peuvent s’effectuer, des grains de sables enrayer les mécanismes. Tenez, il pleut, du coup vous bifurquez, n’achetez pas de pain (il en reste !), prenez trois quotidiens différents, montez quatre à quatre les marches de l’escalier de votre immeuble, sans voir personne. Ou bien, il fait beau et vous errez aux alentours, sans vous précipiter, furetant ici et là, dévisageant les passants, pénétrant dans la cour d’un immeuble, vous attardant devant une scène du théâtre urbain, léchant les vitrines, répondant à un touriste égaré, conversant avec le facteur qui vient de terminer sa tournée ou avec la concierge qui sort les poubelles. »
LA PERMANENCE DE LA NOTION DE SUBJECTIVITÉ
Le
mouvement
physique
s’accompagne
d’un
mouvement psychique, en particulier de par la connotation de l’ascension et de la descente, qui renvoie à l’individu, aux symboles, à l’imagination et aux sensations, comme pour toute architecture en général. Evelyne Péré-Christin parle joliment d’une « aventure, minuscule ou grandiose ».
Aujourd’hui, la Métropole s’est densifiée, a grandi, a
accéléré et la voiture a pris la place du piéton. C’est une Métropole de mouvement, dépendante de l’automobile et autres moyens de transports. Dans la logique de Venise, l’escalier reste alors un lieu privilégié pour le passant. Une respiration non pas dans les ruelles sombres, mais dans la frénésie et la vitesse de la ville moderne et démesurée. Tout y est à la mesure de l’Homme. Il est porteur de liberté, de mouvement ou d’arrêt, de pratiques multiples qui émanent de l’imaginaire de chacun.
Cette caractéristique ne lui offrirait-elle pas d’autant plus
le statut d’espace public ? Non pas dans son sens premier de lieu symbolique où se forme l’opinion publique comme l’agora d’une cité grecque, mais du lieu physique, où le public peut circuler, stationner, échanger, etc (L’espace public, Thierry Paquot, 2009). Là où la Métropole se densifie et s’accélère, l’espace-escalier pourrait devenir un espace à penser et à exploiter pour recréer de la convivialité. Prendre le contre-pied de tout ce mouvement, nécessaire et efficace pour la société d’aujourd’hui et de demain, pour offrir également des lieux de rassemblement, de pause et au calme où la sociabilité serait au coeur du système.
Nous ne pouvons oublier toutefois que l’escalier a ses
limites. C’est un espace dont les frontières sont claires et que tout le monde ne peut pas arpenter.
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139
BIBLIOGRAPHIE L’escalier, métamorphoses architecturales, Evelyne Péré-Christin, 2001.
Les petits riens urbains, Thierry Paquot, revue Urbanisme, n°370, janvier-février 2010.
L’espace public, Thierry Paquot, 2009.
Usages : Analyse subjective et factuelle des usages de l’espace public, David Trottin, 2011.
Alvaro Siza : une question de mesure, Laurent Beaudouin et Dominique Machabert, 2008.
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TABLE DES MATIÈRES PRÉFACE
p. 7
INTRODUCTION : UNE RÈGLE, DES SINGULARITÉS
p. 11
I. Des petits riens qui fabriquent la ville
p. 15
II. Plus qu’un simple objet fonctionnel
p. 25
+ L’escalier comme objet, mais ...
p. 27
+ Les rues
p. 33
+ Les places
p. 61
+ Les seuils et entre-deux
p. 77
+ L’escalier comme respiration
p. 117
III. Exacerber les usages
p. 121
LA PERMANENCE DE LA NOTION DE SUBJECTIVITÉ
p. 133
BIBLIOGRAPHIE
p. 139
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Le paysage de la Métropole marseillaise se
caractérise par sa forte topographie. Celle-ci peut être la cause de fractures entre les lieux. Pour pallier à ces fractures, l’homme a depuis toujours créé des connexions physiques et/ou visuelles. L’une d’entre elles est l’escalier. Présents sur l’ensemble du territoire, les escaliers prennent différentes formes, s’adaptant au lieu, à leur contexte, aux contraintes du sol et répondant à différents besoins.
Pourtant,
l’escalier
est
un
organe
architectural et fonctionnel normé, guidé par une règle universelle : la marche de l’Homme. Dépassant sa fonction première de lien entre deux espaces parfois totalement distincts, l’escalier s’est vu approprié par ses usagers. Dans une société en mouvement, où la voiture a pris une place considérable, il s’inscrit comme le lieu privilégié des piétons et devient support d’expression, lieu de rencontre et d’échange, lieu de transition voir espace public. étude
est
de
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cette
les variables qui en font un lieu de sociabilité et d’urbanité, voir un espace public.
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ux rie ert Cu ub et . Ja rn - F Ca iano
le a po . M tro R Mé tudio 15 S 20 016 2
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de
peut donner vie à une variété d’objets et d’analyser
ux rie ert Cu ub et . Ja rn - F Ca iano
rc
le a po . M tro R Mé tudio 15 S 20 016 2 LAB 43
L’intention
comprendre comment un élément aussi normé B LA 3 4
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