japonisumu

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#38

“JAPONISUMU”

Revue d’atelier Marc Vaye

Automne 2014


“Japonisme”


Dans les années 20 du XXe siècle la publication par Le Corbusier “des cinq points pour une nouvelle architecture” bouscule radicalement le monde de l’architecture. Les cinq points consacrent la naissance du Mouvement Moderne et seront mis en œuvre dans un projet manifeste achevé en 1931 à Poissy, la villa Savoye. Le Japon de l’ère Meiji (à partir de 1868) s’inspire de l’Occident, en retour le japon et son architecture exerce une influence incontestable sur les architectes de l’époque. La concordance entre la tradition japonaise et la modernité européenne - américaine est troublante. Un véritable mouvement s’installe entre les deux mondes. * Un système constructif standard fondé sur les entraxes des poteaux, c’est-à-dire une structure poteaux - poutres “ashira”. * Des modules, multiple d’une unité de surface, dont les mesures correspondent au corps humain soit approximativement 90 x 180 cm “tatami”. * Des murs légers qui compartimentent l’espace, les portes standard coulissantes et démontables “shôji, fusuma”. * Le dépouillement, c’est-à-dire la question de l’ornement, dont Adolphe Loos dira qu’il est le crime et les bouddhistes Zen une esthétique “wabi”.


Hashira / Poteau - Piloti

“Les cinq points de l’architectu

Yane / Toit - Toiture terrasse

Kabeshiro / Emplacement du m


Madori / Distribution - Plan libre

ure moderne”

Mado / Fenêtre - Fenêtre en longueur

mur...sans celui-ci - Façade libre


Principales notions d

“Lumière de la lune se montrant dans l’entrebâillement d’une porte à deux battants.”


e la spatialité japonaise Ma

L’intervalle Le “ma” est l’intervalle entre deux choses. Un intervalle concret dans l’espace-temps d’une situation, d’une ambiance, c’est à la fois une liaison et un mouvement entre deux choses qui se succèdent. Il y a une idée de rythme. * Une unité de mesure traditionnelle. * Une pièce dans une maison. * Une pause dans la musique ou la danse. * Un temps de silence dans la diction. * Une longueur de tatami. Le “ma” est un espacement chargé de sens, il sépare en reliant comme une pause, un vide, un blanc ou un silence. Il introduit dans la suite des signes qu’impose un émetteur des zones libres où le récepteur mobilise son imagination pour y inscrire les significations de son goût. “Ma-dori”, prendre le “ma”, est l’art de l’architecte.



En

Le lien Il évoque la simultanéité dans un espacetemps non linéaire, la co-existence, c’està-dire le “être à la fois ceci et cela”, introduisant la notion de marge, de bordure, de marge, de relation, de transition. L’”engawa”, protégé par le débord du toit, est la plateforme en bois qui ceinture la maison japonaise côté jardin. C’ est un espace tampon destiné à amortir le contraste entre l’intérieur et l’extérieur. La fonction des espaces tampons est d’allonger les distances, au sens propre comme au sens figuré. Le “en”, le lien, relève de l’enveloppement, mais aussi des techniques d’empaquetage et du vêtement, notre seconde peau.


Chapelle du Mont Rokko, Kobe, Tadao Ando 1986



Omote / Ura


La face / L’envers Le couple “omote - ura”, la face - l’envers, mais aussi le devant - le derrière ou l’avant l’arrière, est spatialement structurant. Pour les affaires publiques, le visiteur est reçu dans le “omotezashiki”, pièce de réception située près de la rue et du vestibule. La famille vit dans le “ura”, l’espace privé éloigné de l’entrée, en milieu de parcelle. Les invités de marque y sont aussi reçus. Dans les parcelles urbaines traversantes on accède dans le jardin arrière “uraniwa” par la porte arrière “uraguchi”. “Omote” c’est aussi le visage, le masque, l’aspect, la surface, le côté externe, l’apparent, le revêtement mais aussi le superficiel. “Ura” c’est le côté caché des choses, l’intérieur, le revers du vêtement, mais aussi la vérité des choses.



Oku

Le fond La profondeur de l’espace, mais aussi ce qui vient après, l’avenir. “Oku” évoque la translation horizontale, le parcours. Les cheminements s’allongent pour procurer l’ampleur, se diversifient qualitativement pour augmenter subjectivement l’étendue, introduisant une logique labyrinthique. Dans la maison ce sont les pièces de la vie quotidienne situées à l’opposé de la façade sur rue. Les deux notions, progression et détour, correspondent à celle de profondeur de champ, mais aussi de dédale. De la complexité des parcours naît la profondeur de l’espace.


Uchi / Soto

L


Le dedans / Le dehors Le couple “uchi / soto” exprime l’acte d’entrer dans un endroit clôturé, l’intérieur, par rapport à l’extérieur. “Uchi”, c’est aussi le “je”, le “nous”, le “territoire du groupe”, celui des japonais, comme un intérieur par opposition à l’autre, l’étranger, comme extérieur. La maison japonaise a un intérieur peu différencié, mais par contre fortement distinct de l’extérieur. L’opposition “uchi / soto” structure l’espace habité mais aussi les relations sociales, la langue, la pensée. L’idéogramme suggère un être humain au sein d’un espace semi-ouvert, celui de la maison. Il exprime la notion d’intime et d’intimité. Dans les sanctuaires shintô, le franchissement du tori, portique sacré, marque le passage de l’extérieur à l’intérieur, le passage du profane au sacré.


Modules et matières

Shôj

Tatami Le “tatami” est un rectangle (double carré) de paille de riz recouvert d’une natte de jonc “igusa” et bordé d’un liseré de soie. Les dimensions sont variables selon les époque et les régions, ce sont des modules de approximativement 90 x 180 cm.

Le papier du J


i - Fusuma / Portes coulissantes démontables Les cloisons translucides “shôji” équipent les ouvertures de la façade durant la journée et laissent passer une lumière douce et diffuse. Les montants sont en bois recouvert de “washi”. La version opaque “fusuma” équipe l’intérieur et délimite les pièces.

Washi / Papier du Japon apon est un mélange de fibres végétales, “kôzo + gampi + misumata”.


Autres notions transp

Wabi - Sabi / Dépouillement - Patine

Notions esthétiques et morales du bouddhisme Zen. “Wabi” exprime le goût pour la solitude, érém et “sabi” celui pour les choses qui portent la marque du temps. Austérité des formes, couleurs, m Elles s’appliquent aussi à la cérémonie du thé et à la poésie. Esthétique de l’écoulement.

Miegakure / Montré - Caché La notion traduit l’état ambigu où un objet à la fois se montre et se dérobe, où il ne se livre pas totalement au premier regard. Dans l’architecture, mais aussi dans l’art des jardins, cela consiste par des tours et détours (le labyrinthique) à révéler puis faire disparaître de la vue selon les déplacements de l’observateur.


posées de concepts bouddhistes

mitisme, atières.

In-ei / Ombre La pénombre, le clair obscur, qualités recherchées, sont le fruit d’une lumière tamisée, filtrée, douce. Dans un espace vide, l’ombre met les rares objets en valeur. Esthétique de la discrétion. “Seules les ténèbres révèlent la splendeur de l’or.”. Jun.ichiro Tanizaki Eloge de l’ombre


Mujo / Impermanence L’impermanence a une dimension temporelle, elle exprime le flux, l’éphémère, le caractère périssable de tout phénomène. C’est une esthétique du fugitif, de la beauté de l’instant.

Kyöson / Co-existence La co-existence est proche de la notion de symbiose, l’association durable entre plusieurs organismes et profitable à chacun d’eux.


Tsutsumi / Enveloppement L’enveloppement relie plus qu’il n’oppose, il invite aux translations plus qu’il n’y met un terme. Le goût pour l’empaquetage est ancré dans la culture matérielle des japonais.

Wa / Harmonie L’harmonie comme problématique de la relation des hommes entre-eux et des hommes avec la nature.


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“Japonisumu”

© Marc Vaye

Références © Vocabulaire de la spatialité japonaise, sous la direction de Philippe Bonnin Nishida Masatsugu Inaga Shigemi, préface de Augustin Berque, CNRS éditions, 2014. © Fûdo le milieu humain, Watsugi Tetsûro, commentaires et traduction Augustin Berque, CNRS éditions, 2011. © Le sens de l’espace au Japon, Vivre penser bâtir, Augustin Berque avec Maurice Sauzet, éditions Arguments, 2004. Eloge de l’ombre, Jun.ichiro Tanizaki, Publications orientalistes de France, 1977. Maison Sugimoto, Kyoto, 1723, Richard Copans, Les films d’ici - ARTE, 2007.

Revue d’atelier Marc Vaye

Automne 2014

École Spéciale d’Architecture


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