Mariana Ures
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GENÈSE
La rencontre entre un architecte et son projet
« On assiste au lendemain de la Seconde Guerre mondiale à un
renouveau de l’art sacré .Entre 1950 et 1960, c’est près de 450 églises que l’on bâtit en France » i
L’église paroissiale NOTRE DAME DU SUFFRAGE ET SAINT-DOMINIQUE à Nîmes est réalisée en 1963 par l’architecte Joseph MASSOTA (1925-1989) pour faire face à l’arrivée des rapatriés après la signature des accords d’ Evian en 1962 ainsi comment a les nouveaux plans d’urbanisation dans le quartier Nord Est de la ville. Pour rendre compte de la genèse du projet de l’église St. Dominique, nous nous référerons au dossier de protection patrimoniale, présenté par la documentaliste Josette CLIER en 2001 à la DRAC.ii Depuis 1958, un nouveau quartier est en construction en bordure du Chemin bas d’Avignon. Dès 1960, l’abbé Georges BENOIT explique que sa paroisse St. Jeanne d’Arc a pris une telle extension que ses limites doivent être discutées. Monseigneur ROUGE décide alors de créer une nouvelle paroisse. Le suivi du projet est confié à l’abbé BENOIT, ancien vicaire à St. Jeanne d’Arc, administrateur des nouveaux quartiers et futur prêtre de St. Dominique. La réalisation du projet doit beaucoup au dialogue continu et fécond entre MASSOTA et BENOIT. Depuis la première rencontre informelle due à une connaissance commune, le peintre Jean Gineyts, jusqu’à la réalisation finale, le projet va évoluer de concert entre les deux hommes. En 1955, la novatrice chapelle de Ronchamp, œuvre majeure de LE CORBUSIER (18871965) suivie du couvent de la Tourette, inspire et oriente la construction religieuse en France. De même, les recherches de PINGUSSON (1894-1978) sur le plan et les possibilités offertes par le béton se traduisent dans l’église de Boust, construite de 1955 à 1963.
i Joseph ABRAM, L’architecture moderne en France, tome 2 du chaos à la croissance 1940-1966 (Paris: Picard, 1999).
ii Josette CLIER. Dossier de protection patrimonial.
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Images P03 de haut en bas: 01-02: Georges-Henri Pingusson, église Saint-Martin-Évêque de Corny, 19561960, croquis et photo aérien. 03: Le Corbusier, Chapelle Notre Dame du Haut, Ronchamp.
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CONCEPTION DU PROJET Amande, poisson, bateau.
L’architecte propose l’esquisse d’une église en forme d’amande que chacun peut voir comme un poisson ou une barque.i Continuant avec les documents de CLIER, on peut savoir que l’édifice dispose de 800 places assises, mesure 47 sur 21 mètres. Le rez-de-chaussée est réservé aux salles de réunion. A l’étage, l’église présente un volume ovale, sans aucun support ni ouverture visible. Les pointes de l’ovale se referment sur deux grands panneaux de verre de 1, 20 mètre de large et 8 mètres de haut. L’autel est au centre et les bancs disposés en hémicycle. La charpente est en bois vernie. Le baptistère est conçu comme une entité polygonale accolée sur le côté, symétrique de la porte d’entrée avec son auvent. Le clocher est séparé de l’église. La construction se base sur des blocs de béton en forme d’hexagone que l’architecte avait conçu pour la construction du Lycée Agricole de Rodilhan : l’utilisation de ces blocs préfabriqués de 0.50m, est économique et assure un montage rapide. De plus, ces blocs sont posés en quinconce et forment une sorte de résille dont les intervalles sont obturés par des verres colorés, constituent un mur plein de lumière sans être très ouvert. Certains de ces verres pivotent et assurent ainsi la ventilation. Les grandes dalles de verre sont réalisées par le peintre Jean GINEYTS. Le vitrail du baptistère est de Dominique GUTHERZ (1946). Le décor des galeries du rez-dechaussée est de Paule PASCAL (1932-2018). Les galeries du rez-de-chaussée en béton brut de décoffrage sont décorées par PASCAL travaillant avec MASSOTA à la maison de l’Agriculture peu de temps auparavant. Après discussion avec l’abbé BENOIT, quinze panneaux sont consacrés au rosaire et un à Saint Dominique: après les esquisses d’argile, réalise des maquettes puis les moulages en polystyrène expansé transformant ce passage en un petit cloître. Cette œuvre réalisée dans l’urgence ne satisfait pas totalement son auteur qui dans ses interviews insiste plus sur son œuvre de sculpteur comme à la maison de l’Agriculture. Cette opération est occasion pour cette dernière de réaliser le bénitier et le baptistère. La première pierre est posée le 15 septembre 1963. C’est l’unique pierre du bâtiment. L’inauguration a lieu le 13 décembre 1964.ii
i Josette CLIER, dossier de protection patrimonial. ii Josette CLIER. Dossier de protection patrimonial. Image P05: Vues intérieures Église Saint Dominique.
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ARCHITECTE
Joseph Massota. (1925-1989)
Né à Nîmes en 1925 dans une famille modeste, Joseph MASSOTA manifeste dés son plus jeune âge une attirance pour le dessin. Durant l’Occupation, il devient cartographe. Cette expérience lui permet d’acquérir la maîtrise de l’échelle du grand paysage. En 1945, il entre aux Beaux-Arts de Montpellier en section Architecture. L’année suivante, à l’École Nationale Supérieure des Beaux-Arts de Paris, où il intègre l’atelier d’Auguste Perret, début d’une longue et constante imprégnation du vocabulaire et des théories de l’architecture modernei. En parallèle, il suit des études à l’Institut d’urbanisme de Paris. Diplômé et devenu père en 1956, il obtient une bourse d’études à Rome, où il se lie avec Olivier-Clément CACOUB (1920-2008) alors pensionnaire de la villa Médicis. Celui-ci l’emploie et le fait participer à la construction du Palais présidentiel tunisien à Carthage. En 1960, Joseph MASSOTA perd son épouse, Annick JÉZÉQUEL (1930-1960), ce qui le pousse à revenir de Tunisie et à s’établir à Nîmes l’année suivante. Il remporte les concours pour la construction de l’église Saint-Jean-Marie VIANNEY à ClermontFerrand et celui de la Maison de l’Agriculture à Nîmes. Commence alors pour lui une période de travail intense se traduisant par la création d’un bureau annexe à Paris. ii La grande diversité des programmes de construction du cabinet MASSOTA est favorisée par les politiques publiques des grands chantiers des années 1960. En plus, le contexte du développement de la valorisation du terroir viticole local, et de l’équipement de la bande côtière,le conduit à réaliser plusieurs caves coopératives, lycées agricoles (Rohdilhan, 1965). La commande la plus importante dans ce domaine demeure le centre expérimental de la viticulture au Grau-du-Roi dit « domaine de l’Espiguette » (1969). Pendant une dizaine d’années, MASSOTA participe de façon significative à l’édification de la station balnéaire Port Camargue, laissant son empreinte au Grau-du-Roi avec la construction de neuf résidences et du centre commercial Plage Sud.iii Entre 1960 et 1970, MASSOTA entreprend la construction de plusieurs édifices religieux ou de mémoire, tels que l’église qui nous concerne maintenant, ou le mémorial JeanMoulin (1969). De 1974 à 1984, après la réalisation des bureaux de l’Agence nationale pour l’emploi à Dijon, il assurera de nombreux travaux d’aménagement intérieur.
i Maïté Denavit «Joseph Massota, de la courbe au paysage». Le moniteur architecture, Nov.2016. ii Anne-Marie Llanta «Joseph Massota (1925-1989) architecte de la modernité dans le Gard» (CAUE) Gard iii Ibid.
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Image P07: Vue actuelle de la Maison du département du Gard (ancienne Maison de l’agriculture, Nîmes, 1962).
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RECEPTION La controverse
26-09-2001
On ne peut nier une certaine originalité dans ce bâtiment d’une conception radicalement différente de toute la tradition chrétienne. Il est à l’égal du quartier qui l’entoure, froid, triste et déprimant. (...) Il ne peut être question à mon avis d’admettre parmi les monuments historique un édifice qui exprime aussi mal son identité et qui témoigne de l’indigence architecturale et esthétique des années 1960. Laurent HUGUES Inspecteur des monuments historiques. DRAC 01-10-2001
Cette église est très représentative des lieux de culte édifiés dans les grands ensembles construits à la périphérie des villes après la deuxième guerre mondiale, en particulier depuis les années 1960. 07-01-2002
JEAN-FRANÇOIS GRANGE-CHAVANIS Architecte en Chef des Monuments Historiques
Cet édifice témoigne d’une importante période de notre histoire contemporaine. La construction de nouveaux quartiers de Nîmes qui correspond à l’arrivée de nombreuses familles de rapatriés dans la région, nécessite l’édification rapide d’une nouvelle église que l’on veut simple et peu onéreuse.(...) L’insignifiance des abords de cet édifice incitera à la mise en place d’un périmètre de protection modifié, ramené à la seule parcelle de l’édifice. Jaques DREYFUS 03/10/2018
Architecte des Bâtiments de France Chef du S.D.A.P. du Gard
Séance du 3 octobre 2001 PROCES-VERBAL La commission se prononce pour l’inscription sur l’inventaire supplémentaire des monuments historiques, en totalité, à l’unanimité, moins une abstention Commission Régionale du Patrimoine et des Sites
On veut souligner avec ce bref contrepoint les tensions existantes et la complexité du processus d’inscription de l’Église St-Dominique comme Monument Historique. Finalement, son caractère original, l’ambiance intérieur, la participation des artistes locaux, le témoignage d’espace religieuse à la périphérie, arrivent a être des arguments plus puissants que le «manque de recul» ou «la banalité de l’environnement» tout comme la discutable «pauvreté des matériaux» souligné pour Laurent HUGUES au début. D’un autre côté, dès 1956, selon CLIER une réaction contre une certaine virtuosité s’amorce en affirmant « les églises pauvres peuvent devenir dans bien des cas des instruments adaptés aux besoins pastoraux réels ». Ainsi Jean PROUVE, entre outres architectes et ingénieures, élabore un modèle d’église nomade basée sur la légèreté en expérimentant de nouveaux matériaux par rapport à ce désir de simplicité et de rapidité (l’urbanisation accélérée engendrant des besoins croissants). 08
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Image P09 de haut en bas: 09.01: On peut voir ici le manque de recul par rapport a son alentour immédiate. 09.02:Vue aérien de la périphérie Nord Est de la ville de Nîmes avec l’Église de Saint Dominique et son environnement. 09.03:Coupe de la nef du projet d’église nomade de Jean Prouvé. 09.04: Église gonflable de l’architecte Hans Walter Muller, 1969.
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ACTUALITÉ Labellisation et réouverture
Le 18 décembre 2015, nombreuses réalisations de Joseph MASSOTA entre elles l’Église de Saint Dominique, obtiennent le Label Patrimoine XXe siècle, (Commission Régionale du Patrimoine et des Sites) récompensant un important travail de mise en lumière de cette œuvre exceptionnellei. Vers juin 2018, l’église rouvre ces portes. Eric GRENIER est l’architecte nîmoise en charge de la réhabilitation. La maitrise d’ouvrage est proposé par l’Association Diocésaine de Nîmes et le contrôleur technique par QUALICONSULT. Celui-ci réalise la maitrise d’œuvre et les études de la restauration associée a l’Agence GRENIER, l’entreprise BE THERMIQUE, et l’économiste Bernard POISSONNIER. (Les travaux ont bénéficié du soutien de la DRAC.) Le projet se réalise selon trois axes par rapport aux enjeux durables du projet:ii •Un projet valorisent un élément remarquable du patrimoine du XXe siècle (Réhabilitation et mise en valeur d’un édifice en péril, développement d’un projet social au cœur d’un territoire sensible) •Utilisation de matériaux locaux, durables et biosourcés (Mise en place d’une isolation en laine de bois, création de faux plafonds bois) •Diminution des dépenses en énergie et amélioration du confort (Isolation des locaux en RDC, remplacement des menuiseries, remplacement du système de chauffage, création d’un système de ventilation naturelle de la Nef) Aujourd’hui et grâce à l’importante opération de valorisation et d’entretien, on peut apprécier St. Dominique comme un vif exemple de l’architecture ecclésiastique française d’après guerre. Cette œuvre s’inscrit dans la ligne du Concile Vatican II, exprimant l’idée d’une maison de Dieu ouverte et proche. Même si ce projet se place dans une logique de rapidité et d’économie, il atteint des qualités esthétiques remarquables, tout en combinant l’utilisation de béton et de verre, un pari non évident pour son époque. Pour tout cela, nous pouvons dire que nous sommes confrontés à un travail novateur. Ainsi, la communauté de fidèles de l’église de St. Dominique à la périphérie de Nîmes, utilise cet espace religieux, et profite d’une référence de l’architecture ecclésiastique, produit par nombreux artistes nîmois et témoignage de l’histoire de la ville.
i Site officiel de la DRAC Occitanie «Patrimoine du XXe siècle en région» ii http://www.envirobat-oc.fr/IMG/pdf/20160419_diapo_st_dominique.pdf
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RÉFÉRENCES Livres Nicole Denis-Touzellier et François Coste, Le Mas de Mingue Histoire d’un quartier. Nîmes : RIRESC-Recherches sociales ; Montpellier : Fonds du livre et de l’édition régionale , 2000. Joseph Abram sous la direction de Gérard Monnier, L’architecture moderne en France, tome 2 du chaos à la croissance 1940-1966. Paris: Picard, 1999. Duport, Laurent. Derey, Alain, Directeur de la publication; Worshop patrimoine contemporain Port-Camargue 2017. Montpellier: École nationale supérieure d’architecture. Éditeur scientifique. Éditions de l’ Esperou, 2018. Plouvier, Paule; Clier, Josette, François, Michèle. Paule Pascal, femme sculpteur dans les années 1960-1985 la rencontre de la matière et de l’espace. Montpellier : Direction régionale des affaires culturelles Occitanie , 2017 Suzanne ROBIN. Églises modernes, évolution des édifices religieux en France depuis 1955. Paris: Hermann, 1980.
Articles Maïté Denavit, «Joseph Massota, de la courbe au paysage». Le moniteur architecture, Novembre, 2016. Georges-Henri,Pingusson « Construire une église », L’Art sacré n° 35 (Novembre 1938):315-318.
Thèses Lebrun, Pierre. «Le complexe du monument : les lieux de culte catholique en France durant les trente glorieuses « Université Lyon 2, 2001. http://theses.univ-lyon2.fr/documents/getpart.php?id=lyon2.2001. lebrun_p&part=48386
Sites Anne-Marie Llanta. «Joseph Massota (1925-1989) architecte de la modernité dans le Gard», Conférences du Conseil d’Architecture, d’Urbanisme et de l’Environnement (CAUE) du Gard . https://www.dailymotion.com/ video/x35ls4m Comité Départemental De La Culture Du Gard «Regards d’architectures [Enr.vidéo] : Joseph Massota et Armand Pellier» Nîmes : CAUE 30 (prod.) , 1995 1 cass.vidéo (13 min.) : coul.SECAM ; 1/2 pouce VHS Site officiel de la Ville de Nîmes “Découvrir Nîmes. Histoire et Patrimoine» Accès Novembre, 2018, http://www. nimes.fr/index.php?id=1686 Site officiel de la DRAC Occitanie «Patrimoine du XXe siècle en région» http://www.culture.gouv.fr/Regions/ Drac-Occitanie/Ressources-documentaires/Lieux-et-structures-labellises-conventionnes-ou-soutenus/ Patrimoine-du-XXe-siecle-en-region Centre de ressources et réseau d’acteurs de l’aménagement et de la construction durables en Occitanie http://www.envirobat-oc.fr/IMG/pdf/20160419_diapo_st_dominique.pdf Site officiel du CAUE. «ARCHITECTURE ET LUMIERE par la DECOUVERTE DE DEUX LIEUX DE CULTE GARDOIS « http://www.fncaue.com/wp-content/uploads/2015/09/A09A.pdf
Base de données Centre d’archives d’architecture du XXe siècle. Cité de l’Architecture. Base Merimée. Dossier de protection patrimonial présente par Josette CLIER.
Images 01:Image:Mariana URES sur photo de Mariana URES. P03.01-02:Fonds PINGUSSON, Georges-Henri (1894-1978)* 03.03:Photo: Paul KOZLOWSKI. ADAGP 10/15. P05: Photos:Mariana URES. 2018. P07.01: Phot.Josette CLIER, 2012. © DRAC Languedoc-Roussillon. P09.01:CAUE. http://www.fncaue.com/wp-content/uploads/2015/09/A09A.pdf P09.02:http://www.nimes.fr/index.php?id=1686 P09.03-04:, L’ Art Sacré, n°9-10, 1958. http://theses.univ-lyon2.fr/documents/getpart.php?id=lyon2.2001. lebrun_p&part=48386 P11: Photo: Mariana URES.2018.
Les références bibliographiques de cette plaquette ont été établies conformément au Chicago Style Manual. La police de caractères utilisée est la famille Simplon. Montpellier, 21.01.2018.
MARIANA URES MASTÈRE SPÉCIALISÉ® [MS] ARCHITECTURE ET PATRIMOINE CONTEMPORAIN Arch. Laurent Duport et Arch. Nicolas Crégut..