Mémoire

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FRIDA KAHLO

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SOMMAIRE/ BIOGRAPHIE 4 PRATIQUE ET Œuvre 8 ÉGOCENTRISME, UN ART TRÈS SUBJECTIF 9 UN ART EN PERPÉTUELLE ÉVOLUTION 12 RACINES DE SON ART 14 RECONNAISSANCE 17

ANALYSE 18

MYTHES MEXICAINS 19 UNIVERS PERSONNEL 21 UN RÔLE PAR LA PEINTURE 24

RÉFLEXION 28

RECONNAISSANCE ET CONNAISSANCE DE SOI 29 ENTRE APPARENCES ET RÉALITÉ 33 SE RACONTER, S’INVENTER 36


BIOGRAPHIE/ Vie de l’artiste

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1907

1928 Frida rejoignit un cercle d’intellectuels et d’artistes réclamant un art mexicain indépendant qui se souvienne de ses origines mexicaines et valorise l’art populaire. Ils voulaient mettre en avant le « Mexicanismo » : la conscience nationale mexicaine. Elle intégra également le Parti Communiste Mexicain, soutenant la lutte des classes armées. Elle rendit visite à l’artiste Diego Rivera avec ses premières œuvres pour lui demander ce qu’il en pensait. Le muraliste en fut impressionné et la poussa à continuer.

Frida Kahlo naquit le 6 juillet à Coyoacán, faubourg de Mexico. Elle est la fille de Matilde Calderón y González peintre de profession et Guillermo Kahlo. Son père d’origine allemande était venu s’installer à Mexico en temps que photographe d’architecture en 1891. Elle grandira dans la « Maison Bleu » construite par ses parents. 1910 - 1920 Révolution mexicaine durant laquelle grandit Frida Kahlo, et qui mit fin à la situation favorable de la famille. Elle suivi ses cours en allemand au Colegio Alemán. 1913 Frida est atteinte de poliomyélite, ce qui déforma sa jambe droite et lui value le surnom de « Frida-la-boîteuse ». Son père pour qui elle éprouvait une grande admiration s’occupa beaucoup d’elle et lui apprit à se servir d’un appareil photo, puis à développer les prises de vue, les retoucher et les colorier. 1922 Frida est l’une des premières jeunes filles à accéder à l’« Escuela Nacional Preparatoria », alors réputée dans tout le Mexique, pour y préparer des études de médecine. Elle fut membre des « Cachuchas », partisans d’idées socio-nationalistes du ministre Vasconcelos. Jusqu’en 1925, elle n’eu de leçons de dessin que par Fernando Fernández, un ami de son père graveur publicitaire chez qui elle travaillait, qui lui apprit à copier quelques gravures de l’impressionniste Anders Zorn. 1925 Le 17 septembre, Frida fut victime d’une collision entre le bus qui la ramenait chez elle et un tramway. Elle fut gravement blessée, une barre métallique la transperça et toucha sa colonne vertébrale. Les lourdes conséquences l’emmenèrent de longs mois à l’hôpital, elle fut clouée au lit par des corsets de plâtre pendant neuf mois. Durant sa convalescence, elle commença à peindre. Un miroir fut installé au dessus de son lit, ce fut le début de nombreux autoportraits. Elle ne fut rétablie qu’en fin d’année 1927.

La famille Kahlo, photographie de Guillermo Kahlo. Jeune, Frida aimait s’habiller «à la garçonne».

1929 Diego Rivera et Frida Kahlo, qui avait alors vingt-et-un an de moins que lui, se marient le 21 août. Diego Rivera avait déjà eu pour femme l’artiste Angelina Beloff. L’influence idéologique qu’il aura sur elle sera nette, notamment dans ses œuvres. Frida quittera le PCM quand Diego en sera exclu. 1930 Le couple Kahlo - Rivera part s’installer quatre ans aux États-Unis. Frida y fit deux fausses couches. À son retour elle en refit une. 1932 Matilde Kahlo, mère de Frida, meurt au cours d’une opération.

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1933 Malgré un intérêt pour le progrès industriel, Frida finit par convaincre Diego de revenir au Mexique. Cette période est marquée par le conflit pour le couple d’artistes. Ils s’installent dans une nouvelle maison à San Angel, où chacun avait son propre espace. 1935 Frida quitta le foyer commun suite à une relation entre son mari et Cristina, sa soeur. Installée dans son appartement, elle fit la connaissance du sculpteur Isamu Noguchi avec qui elle eut une liaison. Elle revint à la maison de San Angel en fin d’année. 1936 La guerre civile espagnole fit fonder à Frida un comité de solidarité. Le couple s’engagea également auprès du gouvernement pour que Léon Trotzky obtienne le droit d’asile au Mexique après avoir été expulsé de Norvège. 1937 Le couple accueilli Léon Trotsky et sa femme Natalia Sedova en mettant à leur disposition la « Maison bleue ». Frida aura une brève liaison avec le révolutionnaire.

vis de son mari. Elle débuta une liaison avec le photographe Nickolas Muray. 1939 Exposition « Mexique » à la galerie Renou et Colle (France). Elle y côtoie le cercle surréaliste d’André Breton qu’elle décrit dans une lettre comme « fils de pute ». En fin d’année, Frida Kahlo et Diego Rivera divorcent. Ils se remarièrent à la fin de l’année 1940, puis allèrent habiter en 1941 à la « Maison bleue ». 1943 Frida fut engagée comme professeur à l’académie des beaux-arts mexicaine, qui venait d’être réformée. Elle y enseignait la peinture. Sa santé se dégradant, elle fut contrainte de donner ses cours chez elle. Elle devait porter un corset de fer. 1946 Frida reçoit le prix national de peinture, par le Ministère des affaires culturelles lors d’une exposition d’art annuelle au Palacio de Bellas Artes (Mexico). 1948 Frida adhère au NPCM, Nouveau Parti Communiste Mexicain. 1950 Frida dut se faire admettre à l’hôpital ABC de Mexico, durant neuf mois elle supporta sept opérations. Dés lors, elle ne se déplaça principalement plus qu’en fauteuil. Elle ne peignit presque plus que des natures mortes. 1954 Dernière apparition officielle de Frida Kahlo le deux juillet, lors d’une manifestation où elle récolte des signatures pou la paix. Durant cette dernière période, elle voudra que ses œuvres « servent au parti », et «soient utiles à la révolution ». 1953 Exposition individuelle au Mexique organisée par la photographe Lola Alvarez Bravo. Elle ira au vernissage dans son lit. 1953 Frida se fit amputer de la jambe droite jusqu’au genou. 1954 Frida Kahlo expira la nuit du 13 juillet dans la « Maison bleue », suite à une grave pneumonie. Dans la journée son cercueil fut transporté à l’entrée du Palacio de Bellas Artes, où beaucoup de personnes vinrent lui rendre hommage.

Frida Kahlo faisait parti du commité d’accueil de Léon Trotski à son arrivé au Mexique.

1938 André Breton, surréaliste français, passa quelques temps dans la maison KahloRivera. Il interpréta les œuvres de Frida comme surréalistes. C’est également l’année de la première exposition de Frida (galerie Julien Levy à New York), qui eut un vif succès et déboucha sur de nombreuses commandes, lui faisant prendre conscience que sa peinture pourrait lui permettre son indépendance vis à

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Le couple Kahlo-Rivera en compagnie de la révolutionnaire Tina Modotti lors d’une manifestation du partie communiste en 1929.

Frida peignait souvent dans son lit durant les périodes où elle se trouvait immobilisée.

Frida devant sa célèbre toile, Les deux Fridas, peinte en 1939.

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PRATIQUE ET ŒUVRE/ Redécouverte des racines de l’art mexicain A

yant grandit durant la révolution mexicaine, Frida Kahlo se revendiqua toute sa vie d’être née, non en 1907 mais en 1910, année du début des révoltes. Durant cette période, les classes moyennes ainsi que les ouvriers et paysans se révoltaient contre le pouvoir en place mené par Porfirio Diaz. La lutte menée par Madero, tué en 1913, prit fin en 1917 par le vote d’une nouvelle constitution. Certains artistes muraliste s’étaient engagés cette lutte armée. Une véritable prise de conscience de la culture mexicaine en naquit, l’art mexicain étant jusqu’alors très influencé par l’art européen. Les murs des bâtiments publics furent peints de fresques célébrant la révolution, la lutte armée et la classe ouvrière : «l’art au service du peuple et de ses revendications sociales». Le mouvement muraliste fut fondé par les peintres José Clemente Orozco, Diego Rivera, David Alfaro Siqueiros et grâce au syndicat des peintres, sculpteurs et graveurs révolutionnaires. Leurs céations imprégnées de la peinture pré-cursive, expressionniste, cubiste, et surréaliste était un retour aux sources,valorisant le peuple et ses traditions, mais aussi le progrès. Frida put observer Diego Rivera en 1922 lorsqu’il exécutait sa première peinture murale, admirant alors déjà beaucoup le peintre et son œuvre. Par la suite, ils se marièrent et eurent une influence mutuelle visible chacune de leur deux œuvres. L’art de Frida Kahlo ira dans le sens de ce de retour aux sources et à l’art pré-colombien : une renaissance culturelle mexicaine,. En dépit de sa préférence pour les thèmes personnels plutôt que de nature ouvertement politique, son travail fut une partie centrale du renouveau artistique.

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/ ÉGOCENTRISME, UN ART TRÈS SUBJECTIF /

PRODUCTION

tiers de sa peinture : «Je me peins parce que je suis très souvent seule, parce que le sujet que je connais le mieux c’est moi-même.». En pied ou en buste, ils ont un caractère très répétitif, quasiment obsessionnel, sans concession. On retrouve dans chacun d’eux son visage telle la répétition d’un masque légèrement de biais, le regard figé, et ses sourcils se rejoignant en lui barrant le front, accentuant son air déterminé. Les titres donnés à ses créations sont pour la plupart simples, descriptifs. Ses portraits sont pour la majorité appelés portrait de... (ma soeur Cristina, d’Alicia Galant, Lupe Marín, etc). Quant aux autoportrait, ils sont pour certains simplement appelés autoportrait, en y ajoutant parfois l’un des attributs représentés dans la peinture (Autoportrait au singe, Autoportrait aux cheveux défaits, Autoportrait au collier d’épines...). Dans sa longue série faite d’autoportraits, leur nom semble viser à les différencier les uns des autres.

La peinture fut longtemps pour Frida un moyen de s’occuper et de meubler sa solitude. Elle ne reçu jamais de formation académique, ce qui la fit longtemps dévaloriser ses créations. Lorsqu’une vente d’une de ses toiles s’effectuait, on l’entendait dire « Pour ce prix là, on pourrait se payer quelque-chose de mieux ». Elle peignait dans un premier temps parce qu’elle était alitée, puis lors de ses voyages, lorsque Diego était occupé à peindre ses fresques. Sa production n’était donc pas régulière, allant selon sa santé et les événements de sa vie. En effet, en 1935, année où elle apprit que son mari la trompait avec sa soeur, elle ne peint que deux toiles. L’œuvre de Frida Kahlo se compose de cent quarante-trois peintures (huiles sur toile, métal, fibre dure, verre) et de quelque dessins. Elle constitue son propre sujet principal, en effet, ses autoportraits représentent les deux

Portrait avec perroquets, 1941 Moi et mes perroquets, 1941

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SOUFFRANCES

dessin réalisé un an après l’accident, et un ex-voto qu’elle trouva au début des années 40. Représentant une situation semblable à la sienne, elle le modifia légèrement pour en faire la représentation de sa propre collision. Elle compléta l’inscription sur le bus et sur le tram, donna à l’accidentée ses sourcils rapprochés si typiques et ajouta au tout l’inscription suivante : « le couple G.Kahlo et M.C Kahlo remercient la madone d’avoir sauvé leur fille Frida de l’accident qui s’est produit en 1925 au croisement Cuahutemozin et Calzada de Taplan. ». À la souffrance d’ordre physique s’ajoute sa souffrance morale. Frida était en effet très affectée par ce qui lui arrivait et par les comportements de ses proches. Ce qui la poussa à peindre sa première toile fut sa séparation avec Alejandro Gomez Arias, qu’elle voulait ainsi reconquérir. Plus tard, ce fut Diego et ses trahisons, son indépendance, ses liaisons, qui furent à l’origine de beaucoup de des souffrances et dépressions. La liaison entre Diego et la soeur de Frida amorça des tableaux comme Quelques petites piqûres (1935), Souvenir ou Le coeur (1937), Souvenir de la plaie ouverte (1938). Elle peint également sa solitude, ses dépressions, au moyen de paysages désertiques ou de ses animaux «compagnons de solitude» comme dans ses tableaux Moi et ma poupée (1937), Autoportrait au chien Itzcuintli (1938), Le suicide de Dorothy Hale (1938/39), Autoportrait aux singes (1943), ou Paysage (1946/47). Ses fausses couches furent pour elle à chaque fois un choc, en témoignent des peintures telles que Naissance (1932), Le lit volant (1932), Le soleil et la vie (1947). La mort n’est cependant pas systématiquement abordée comme étant douloureuse, mais aussi culturelle. Le rêve ou Le lit (1940), En pensant à la mort (1943) L’étreinte amoureuse de l’univers, la Terre, moi, Diego et M. Xolotl (1949), sont de ses tableaux dans lesquels la mort est présentée au-travers de la culture mexicaine, comme passage vers une autre vie.

Ayant été atteinte de poliomyélite, puis victime d’un accident qui la fit subir de très nombreuses opérations et le port de beaucoup de corsets, la souffrance faisait entièrement partie de l’artiste. Aussi cette souffrance physique est un de ses thèmes, on la retrouve durant toute sa vie au fil de son œuvre. Dans La colonne brisée (1944), Frida se représente avec une colonne ionique brisée à la place de se colonne vertébrale. Durant cette période, elle devait porter un corset de fer à cause de son état de santé. Sa douleur est exprimée par une symbolique à la fois catholique et personnelle : les clous plantés sur son corps, se réfèrent au martyr saint Sébastien, et l’étoffe blanche nouée à sa taille qui nous renvoie au pagne du Christ. Des larmes coulent de ses yeux, et le paysage déchiré et désertique ne fait qu’accentuer sa solitude. Ses accidents ne forment cependant pas un thème dans sa peinture. Si ce sont eux qui l’ont poussé à dresser la courbe de ses états d’âme par la peinture, elle n’y fit pratiquement jamais allusion. Elle essaya de peindre l’accident de bus, mais déclara que cet événement était trop complexe. En effet on ne lui connaît qu’un

À sa souffrance d’ordre physique s’ajoute sa souffrance morale.

Accident, 1926. Ce dessin est le seul dans lequel Frida aborde son accident.

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Mes grands-parents, mes parents et moi, 1936

RECHERCHE IDENDTITAIRE

La naissance (1932), Ma nourrice et moi (1937), Arbre de l’espérance, reste ferme (1946). On peut imaginer que les longues heures passées à fixer son reflet dans le miroir et à le reproduire dans ses tableaux ont du renforcer en elle l’impression de posséder une double identité. Frida Kahlo ne cachait pas son homosexualité. Ses double-portraits pourrait avoir un lien avec cette attirance, d’autres l’expriment plus ouvertement : Ce que l’eau m’a donné (1938), Deux nus dans la forêt (1939). Les tableaux sont pour la plupart de petit formats, ce qui renforce le caractère intime, très féminin, de ses autoportraits. Par son introspection, on découvre chez elle une grande sensibilité à ce qui l’entoure. En se peignant comme elle l’a fait Frida ne subissait plus ses propres souffrances, elle en devenait observatrice. Derrière ce narcissisme apparent, sa peinture se faisait remède, antidote à ses souffrances. À mesure qu’elle allait mieux, rechutait, les autoportraits de Frida se ré-inventaient sans cesse.

La recherche identitaire était également un thème récurrent dans l’œuvre de Frida. Mes grands-parents, mes parents et moi (1936), ainsi que Portait de la famille Kahlo (1950-54), sont deux tableaux attestant de l’importance qu’elle portait à ses liens familiaux, à ses origines Mexicaines mais aussi d’outre-Atlantique. Outre cet aspect g én é al o gi qu e s , on trouve chez Frida un grand nombre de toiles questionnant sur elle-même. Peu après son divorce avec Diego, elle peint Les deux Fridas (1939). Autoportrait double de l’artiste, elle s’attribut une personnalité pour chacune des deux représentations. En dehors du fait que la douleur ressentie par sa crise conjugale apparaisse indéniablement dans cette toile, la dualité de l’artiste est également remarquable. On la retrouvera dans d’autres toiles comme

Sa peinture se faisait remède, antidote à ses souffrances.

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/ UN ART EN PERPÉTUELLE ÉVOLUTION /

JE PEINS MA RÉALITÉ

côtoya en effet ce milieu intellectuel - qu’elle n’apprécia guère - durant son voyage dans la capitale française. Face à ces comparaisons, elle se défendit ainsi : « On me prenait pour une surréaliste. Ce n’est pas juste. Je n’ai jamais peint de rêves. Ce que j’ai représenté était ma réalité.». Effectivement, chaque élément que Frida peignait était associé à quelque-chose pour l’artiste, elle n’était donc pas surréaliste. De plus, la culture mexicaine ayant toujours eu une approche magique de la vie, Frida n’avait fait que l’intégrer à sa façon dans son œuvre. Plus tard cependant, sa rencontre avec les surréalistes l’influencera tout de même. En 1938 ses créations deviennent plus mystérieuses, moins naïve, montrant une plus grande conscience d’ellemême. C’est à cette même période que ses titres se font moins précis : Frida a parfois nommé ses peintures par un élément présent dans sa création, sans que cela ne représente forcément tout ce que l’œuvre aborde. Pour Ma robe est suspendu là-bas ou New York (1933), il apparaît en effet une robe suspendue mais c’est aussi un collage dans laquelle Frida aborde surtout le capitalisme, ce qui n’apparaît pas à la lecture du titre. Dans les années quarante, ses titres seront de moins en moins précis : Sans espoir (1945), Arbre de l’espérance reste ferme (1946) Paysage (1946/47)...

Luther Burbank, toile peinte en 1931 lors d’un séjour en Californie, montre l’apparition d’une dimension nouvelle dans la peinture de Frida Kahlo. En y représentant un célèbre horticulteur en hybride mi-homme mi-arbre, elle introduit du fictif. Par la suite, d’autres éléments de fiction se présenteront par différents moyens : sur-dimension comme dans Henry Ford Hospital ou le lit volant (1932), double représentation, dualité le soleil et la lune seront souvent représentés dans une seule et même toile : Autoportrait à la frontière entre le Mexique et les États-Unis (1932), Fleur de la vie (1943), Sans espoir (1945), Moïse ou Le nucléus (1945), Arbre de l’espérance, reste ferme (1946), L’étreinte amoureuse de l’univers, la Terre, ... Plus tard, son mode de représentation qui paraissait très métaphorique, presque dans le domaine du fantastique et du rêve, sera assimilé au mouvement surréaliste. Elle

« On me prenait pour une surréaliste. Ce n’est pas juste »

L’IRONIQUE FATALISME

Frida fit une deuxième fausse couche en 1932. Dès lors une crudité réaliste apparut dans ses toiles : Le lit volant, Ma naissance, Souvenir ou Le coeur, Le suicide de Dorothy Hale, Les deux Fridas... Plaies, blessures, peau déchirée pour laisser visible les organes, sang, parties du corps mises à nu... Un symbolique personnelle de sa propre souffrance apparaît, s’ajoutant à celles

Frida et André Breton à la maison Bleue.

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Ma robe est suspendue là-bas ou New-York, 1933

de croyances (précolombienne, catholique...). Les couleurs prennent aussi un sens : le jaune présent dans Quelques petites piqûres est pour elle celui de la folie, la maladie, la peur. Son impossibilité d’avoir un enfant développe en elle une attention particulière pour eux (On demande des avions et on reçoit des ailes de paille, 1938, La table blessée, 1940), les poupées (Moi et ma poupée, 1937), la nature (Nature vivante, 1952, Nature morte au drapeau, 195254, Fruits de la vie, 1953), Frida peint également beaucoup de ses toiles dans un paysages de plantes mexicaines), les animaux (Nombreux portraits avec des singes, perroquets...), des êtres dont elle peut prendre soin comme de son enfant. A cette symbolique s’ajoutera aussi des organes génitaux masculins et féminins, représentant la fertilité, ou l’inverse quand celui-ci est blessé : Souvenir de la plaie ouverte, Moïse, Le soleil et la vie, Fleur de la vie. Frida ne s’apitoie pas sur son sort, un humour tout à fait mexicain s’ajoute. De fait, elle vit dans le pays ou il est courant d’entendre «Il a eu de la chance, sur les trois balles qui l’on touchées, une seule l’a tué». Cette attitude d’ironie, d’auto-dérision intégrée dans sa peinture lui permet de surmonter ce qui lui est difficile de dépasser autrement, aussi préfèret-elle rire des infidélités de son mari. Ma robe est suspendue là-bas, seul collage de l’artiste, fut réalisé en 1933 alors que le couple Rivera était à New York. Frida ne supportait plus

cette ville, elle la représenta donc comme un amoncellement d’immeubles, d’ordures, une ville où le peuple est écrasé et où l’on vénère ce qui à attrait à la plomberie et au sport. Au milieu de ce portrait du monde capitaliste selon Frida trône sa robe, vide, seul élément franchement étranger à la scène. Ainsi signifie-t-elle qu’elle n’est pas vraiment à Manhattan, elle fait également un portrait très humoristique de cette société, la tourne en dérision. De même que derrière son humour on trouve une femme fataliste qui écrit dans ses lettres «on y peut rien» ou «il faut que je souffre pour aller mieux ensuite», le masque dont Frida se dote dans ses autoportrait, toujours le même visage, n’est qu’une façade. Ses réels sentiments passent par son corps, par la sublimation de ses blessures, ses larmes, etc. Dès le départ, l’art de Frida Kahlo était très personnel «Je ne sais qu’une chose : la peinture est pour moi un besoin. Et je peins toujours ce qui me passe par la tête, sans penser à rien d’autre.» Au fil du temps, des éléments nouveaux, des modes de représentation s’y ajoutèrent. Frida ne cherchait pas à provoquer la pitié, mais menait son combat. La symbolique, l’humour, la fiction qu’elle apporta à ses tableaux servaient à mieux supporter ce qui lui était difficile. Elle réussi à représenter les éléments de sa souffrance physique en détail, sans pour autant en faire des œuvres purement descriptives.

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/ RACINES DE SON ART /

CROYANCES

Par ses convictions, mais aussi par une prise de conscience collective, Frida était attachée à la renaissance culturelle mexicaine. Ses tableaux montrent une influence enracinée dans la tradition de la culture populaire. Sa création préférée, Ma nourrice et moi (1937), ou bien encore Autoportrait dédié au Dr Eloesser (1940) sont représentatifs de l’introduction d’éléments pré-colombien avec respectivement le visage de sa nourrice caché par un masque et le collier d’épine, symbole pré-colombien de résurrection et de renaissance. Des liens se faisaient entre sa vision du monde et ces croyances : pour elle comme pour les Aztèques, la naissance était associée au malheur. Aussi la naissance angoissante qu’elle fit apparaître dans ses toiles était une vision à la fois personnelle de l’artiste, de par ses fausses-couches, mais aussi culturelle. Dans Le cerf blessé (1946), la tête de Frida Kahlo est superposée sur le corps d’un cerf, lui même percé de nombreuses flèches. La peinture rappelle le martyre de Saint-Sébastien,

un thème religieux populaire européen de l’art médiéval, tout en évoquant la danza del venado, un rituel mythique et commun de danse de chasse au cerf parmi les tribus amérindiennes du Mexique. Au même titre que la culture de son pays, la croyance chrétienne, avec ses saints, ses martyrs, ses peintures votives influencèrent l’œuvre de Frida Kahlo. Collectionnant les ex-votos, les «petits miracles», cela n’était toutefois pas la manifestation de sa foi, car Frida Kahlo partageait les idées anticléricales de son époque. Pour elle, ses représentations se référaient aux peintures votives indépendamment de l’Église, elle faisait le rapprochement entre ses créations et celles des recuerdos ainsi : tout comme ses peintures, les ex-votos traitaient du salut et visait à acquérir une forme de protection (Frida elle cherchait le courage). En représentant des scènes de sa vie à la manière de peintures votives, elle identifiait sa croyance en la peinture à celles de croyances populaires, elle voulait leur conférer la même efficacité. La peinture sur métal lui fut suggérée par Diego afin de ressembler aux peintures votives mexicaines qui étaient parfois faite sur ce matériau.

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CULTURES

peint durant la période où Diego et Frida se trouvaient divorcés. En effet elle s’est représenté sans ses attributs qui forment son personnage : en complet d’homme, sombre, cheveux coupés. L’art de Frida n’emploi cependant pas uniquement des éléments natifs mexicains. Elle puise également dans les mythes extrêmeorientaux tel que le yin et le yang (L’étreinte amoureuse de l’univers, la Terre, moi, Diego et M. Xolotl, 1949) qui se retrouvent confondus à la culture américaine et ses gratte-ciels (Ma robe est suspendue là-bas, Le suicide de Dorothy Halle, Autoportrait à la frontière entre le Mexique et les Etats Unis) ou encore à des tenues plus européennes (Les deux Fridas).

Grâce aux peintres de cette époque, tout ce qui s’attachait au Mexique, la «mexicanité» devint une mode après la révolution mexicaine. L’art pré-hispannique fut remis en valeur, vu comme la racine de l’art moderne. En plus des symboles religieux précolombiens furent introduits des éléments culturels populaires. Aussi dans L’autobus (1929) Ma nourrice et moi (1937), L’étreinte amoureuse (1949)... retrouvet-on une femme indienne, à la peau matte et au corps massif. Dans Le masque (1945), Frida fait passer ses sentiments via un masque de papier mâché mexicain. Les figures de Judas, squelettes mexicains, paraissent également dans plusieurs tableaux : Quatre habitants du Mexique (1938), Le rêve ou le lit (1940), La table blessée (1940). Dans ses autoportraits, l’artiste se représentait la plupart du temps avec des coiffures traditionnelles, des bijoux et en vêtements de paysans ou en tenue traditionnelle indienne. En s’habillant et en se représentant ainsi, Frida qui était plutôt citadine, affirmait son lien à la terre, la nature, à sa patrie. Sa pensée était que ceux qui portaient ces tenues, ouvriers et paysans, étaient plus mexicains que toutes les autres personnes dont les tenues s’occidentalisaient, qui oubliaient leurs origines. Également un élément de séduction pour son mari, Autoportrait aux cheveux coupés (1940) fut

RÉFÉRENTS ARTISTIQUES

Au départ de son œuvre, la palette de couleur de Frida était tirée de l’Europe, en partie de Botticelli en ce qui concerne son premier autoportrait. Elle cherchait à camoufler son inexpérience. Elle affirma cependant rapidement un «style mexicain», tiré de peintures votives, un style primitivisant. Non seulement influencée par la pensée des muralistes de son époque - avec malgré tout un sens de la peinture moins tragico-héroïque Frida portait effectivement un vif intérêt pour le primitivisme en général. Elle était attachée à la peinture de Bosh et Bruegel, dont on peut remarquer une influence dans la composition particulière de Ce que l’eau m’a donné. D’autres artistes européens l’impressionnaient : Grünewald, Piero Della Francesca, Clouet, Blake, Klee, Gauguin. On peut d’ailleurs voir une réelle similitude entre l’emploi de couleurs et le traitement des corps de ce dernier, avec l’art de Frida Kahlo. Les peintres locaux qu’elle admirait étaient quand à eux José María Estrada, Hermenegildo Bustos, chez qui on connait de nombreux portraits, Julio Ruelas, Saturnino Herrán, Goitia, Docteur Atl et ses volcans, que l’on retrouve dans Mes grands-parents, mes parents et moi (1936) ou Ce que l’eau m’a donné (1938). Autoportrait à la frontière entre le Mexique et les États-Unis, 1936

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ENGAGEMENT POLITIQUE

Un dernier thème affectionné par Frida mais qui donna lieu à moins de production, est celui de son engagement politique. Femme déterminée, militante de la cause nationale mexicaine, elle croyait en la solidarité des masses, ce qui la fit adhérer au parti communiste dès 1928 grâce à Tina Modotti. Elle hébergea Léon Trotski en 1937, puis milita pour la paix à la fin de sa vie. Autoportrait à la frontière entre le Mexique et les Etats-Unis (1932) montre son ambivalence vis à vis de la culture capitaliste Nord-Américaine. Ma robe est suspendu là-bas (1933), met quand à lui en scène la ruine des valeurs humaines à cause de la société industrielle moderne. Avec Le marxisme guérira les malades (1954) et Frida

et Staline (1954), elle donne ouvertement libre cours à ses convictions politiques marxistes, ce qui, en fin de vie, pourrait la rapprocher de l’engagement des peintres muralistes. Riche de métaphores puisées au fond de presque toutes les cultures du monde, la symbolique de l’œuvre de Frida Kahlo empreinte aux mythes fondateurs aztèques, aux mythologies extrême-orientales et antiques. Les croyances populaires catholiques se mêlent au folklore mexicain et à la pensée de son époque, avec Marx et Freud. À sa propre imagerie, elle juxtapose celles issus d’autres sources, ce qui lui permet de mettre en évidences ses tourments intimes mais aussi de les masquer et de les tourner en dérision. Une franchise et une «naïveté» tout à fait mexicaine se retrouvent ici mêlées à une œuvre personnelle, avec des part plus mystérieuses.

Le marxisme guérira les malades, 1954

Frida et Staline, 1954

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/ RECONNAISSANCE /

Frida fut dans un dernier temps professeur d’art. Il résultat de cette expérience un petit groupe d’élèves fidèles à leur professeur, appelé «les Fridos», qui finirent par former une organisation de peintres, dont l’idéal commun était de mettre l’art à la portée de tous. «Je n’ai pas beaucoup peint et sans le moindre désir de gloire ou la moindre ambition, mais avec la conviction que, d’abord, je veux me faire plaisir et que ensuite, je veux être capable de gagner ma vie par mon talent». À ses débuts, quelques collectionneurs s’intéressaient à elle (Edward G Robinson, Edgar Kaufmann, A. Conger Goodyear, Jacques Gelman) mais elle était plutôt méconnue. Plus tard, elle eu deux commanditaires importants : Eduardo Morillo Safa pour qui elle peignit les membres de sa famille, et José Domingo Lavin. Le premier article concernant l’œuvre de Frida parut en 1933, elle ne fut plus seulement considéré comme femme du maître Rivera à partir des années 40. C’est en effet lors de sa première exposition à la galerie Julien Levy en 1938, à la vue de l’intérêt qu’elle suscitait, que Frida prit conscience de son art en temps

que tel. Sa première exposition en France, «Mexique», fut un parcours du combattant, Pierre Colle jugea tout d’abord son œuvre trop choquante pour être exposée. L’accrochage des toiles eu tout de même lieu et elle reçu un bon accueil. Le Louvre acquit l’un de ses tableaux Autoportrait «The Frame» (1938), elle reçut des critiques très positives dans des revues ainsi que les éloges, entre autres personnalités, de Miro, Tanguy, Picasso, Kandinsky et Marcel Duchamps. Elle commença à prendre son œuvre plus au sérieux. Ses tableaux s’agrandirent, perdant de leur caractère intime. Cette reconnaissance se fit tout d’abord aux EU puis au Mexique. Sa renommée est aujourd’hui mondiale. Parce qu’elle fut une femme de courage mais aussi de douleur, elle est également une figure importante et reconnue des féministes. Depuis, de nombreuses expositions ont été organisées : une rétrospective durant 1977, une exposition de 1978 à 1979 visible dans 8 musées américains, une en 82 à Londres. Son pays lui rendit hommage en 78 grâce à l’exposition «de l’esprit du symbolisme de Frida Kahlo».

Œuvre aux couleurs vibrantes, solaires, la langue symbolique de Frida Khalo n’est donc pas indéchiffrable. En peignant sa souffrance, sa mexicanité et son engagement, Frida Kahlo fut l’artisan de son propre mythe et devint une figure légendaire de l’art Mexicain. Son œuvre résonne comme un grand reflet de la sensibilité de l’Amérique Latine. Intrinsèque de sa vie, elle fut la source d’œuvres littéraires et cinématographiques. Jean Marie Gustave Le Clézio se focalisa sur le couple Kahlo / Rivera pour écrire son roman Diego et Frida en 1995. En 2003 parut aux éditions LGF Frida , Biographie de Frida Kahlo, écrite par Hayden

Herrera, ainsi que le film Frida de Julie Taymor. Le journal qu’elle commença à tenir à partir de 1944 fut également reproduit. Elle y témoigna de ses pensées sur l’esthétique, la politique, y fit figurer ses poèmes, ses rêves... Ce journal est certainement sa réalisation la plus surréaliste par ses dessins spontanés, l’usage de l’écriture automatique pour libérer son inconscient. Véritable témoignage de sa souffrance de ses dix dernières années, ils se terminent par les mots « J’espère que la sortie sera joyeuse… et j’espère bien ne jamais revenir… Frida ».

« Je n’ai pas beaucoup peint et sans le moindre désir de gloire ou la moindre ambition. »

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ANALYSE/ L’étreinte amoureuse de l’univers, la terre, moi, Diego et Mr Xólotl, 1949

P

einte dans la dernière décennie de la vie de Frida Kahlo, l’huile sur fibres dures L’étreinte amoureuse de l’univers, la terre, moi, Diego et Mr Xólotl fut l’une des dernières à laquelle l’artiste pu se consacrer. Elle était alors particulièrement malade et immobilisée, ne peignant que deux à trois heures par jours. De taille relativement petite, (70 x 60,5 cm), c’est une toile dans laquelle les sujets ont une position centrale. Quoique pouvant laisser perplexe au premier abord, le titre de cette œuvre énumère les éléments présents sur la toile, des plus extérieur jusqu’à se resserrer sur les personnages situés au centre. On perçoit en effet l’univers en arrière plan composé des astres du jour et de la nuit, puis le Terre représentée sous forme de corps féminin, le couple Kahlo / Rivera, avant de comprendre que Xólotl ne peux plus être que le chien lové aux pieds de Frida. Comme dans son œuvre globale, Frida réintègre ici des éléments culturels et personnels. Mais si l’on identifie rapidement chaque personne évoquée dans le titre, l’ensemble du tableau véhicule une étrangeté, mêle différents mythes.

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/ MYTHES MEXICAINS /

Pierre du soleil ou calendrier Aztèque au centre duquel se trouve le dieu-créateur Ometeotl.

DUALITÉ PRÉCOLOMBIENNE

le ciel, au treizième et dernier de ses niveaux, complètement inaccessible même pour les autres dieux. Aussi pourrait-on le reconnaître dans le visage central, froid, inaccessible, entouré de la dualité des deux astres. La représentation de la lune et du soleil est récurrente dans l’œuvre de Frida. On les retrouve dans Autoportrait à la frontière entre le Mexique et les États-Unis (1932) et dans beaucoup de ses toiles correspondant à la période suivant son second mariage : Fleur de la vie (1943), Sans espoir (1945), Moïse ou Le nucléus (1945), Arbre de l’espérance, reste ferme (1946), Le soleil et la vie (1947), Nature vivante (1952). Bien que ce soit deux éléments qui entrent en contradiction l’un l’autre, il sont ici réunis par les étreintes successives. À nouveau ont voit une représentation de l’univers empruntée aux mythes précolombiens : l’équilibre de l’univers ne peut se faire que par coexistence d’éléments contraires, qui forment ainsi une harmonie. Les éléments culturels de l’ancien Mexique introduits ici ne forment pas une exception dans l’œuvre de Frida. Au contraire, chacune de ses toiles comporte des éléments issus de cette culture. Au fur et à mesure de ses toiles, Frida s’est approprié cet univers de symboles qui est devenu son propre langage, elle met en image sa propre mythologie.

L’univers peint au fond est séparé en deux parties. Dans chacune d’elles, on trouve les deux astres : la lune claire est à gauche sur un fond sombre, brun, fait d’ombres et de nuages. Quant à lui le soleil à droite est rougeoyant et se détache de son fond lumineux fait d’une masse de nuages clair. Tel un positif-négatif, ces deux parties se fondent l’une dans l’autre, en un visage aux orbites vides, rappelant un masque. Dans la mythologie de l’ancien Mexique, il s’agit de la matrice du monde. On retrouve la dualité par les deux principes contraires, comme le yin et le yang de la philosophie chinoise. La dualité est en effet un principe fondateur de la mythologie Aztèque. Dans la légende de la création de l’univers, le dieu Ometeotl, est le plus ancien, le premier. Ce dieu-créateur était tout et son opposé, générateur de chaos et d’harmonie, à la fois esprit et matière, feu et eau, noir et blanc, immobilité et mouvement, vie et mort, créateur et destructeur, mâle et femelle, lumière et ténèbres, bien et mal. C’est la raison pour laquelle ce premier dieu est appelé dieu de la dualité. Les croyances le plaçaient dans

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VIE ET MORT

Dans son titre, Frida évoque la terre. Par sa représentation, on s’aperçoit rapidement qu’il s’agit, non pas de la planète terre mais du Mexique. Le couple se trouve en effet dans les bras d’une femme au corps brun-vert sur laquelle poussent de nombreuses plantes. La forme massive du corps rappelle - toutefois de manière moins effrayante - celui de la nourrice indienne de Frida dans Ma nourrice et moi (1937). Ici ça n’est pas une femme-nourrice que l’on trouve, mais plutôt une terre-nourricière en tant que porteuse de la vie. Pour les aztèques, la déesse Cihuacoatl était celle de la Terre dispensant la vie, à l’image de la mère humaine. Cette figure dans la toile est donc à nouveau une divinité pré-colombienne. L’image nourricière de la terre (du Mexique) est renforcée par différents éléments. Cihuacoatl donne en effet la vie. Sur son corps poussent de nombreuses plantes mexicaines de manière abondante. La Terre que fait figurer Frida est donc bel et bien celle de son pays. De plus, contrairement au sein de Frida dont jailli du sang, du sien s’écoule une goutte de lait, symbole de vie, de fertilité. La

vie et la mort sont une dualité très présente dans la culture aztèque. La vie, (et l’absence de vie) est évoquée par les poitrines de Frida et de la déesse-Terre. Un dernier dieu vient compléter cette œuvre. Blotti aux pieds de l’artiste, le chien Itzcuintli «Mr Xólotl» n’est pas simplement un animal de compagnie auquel était attachée Frida. Il est la représentation de Xólotl, dieu aztèque de la tombée du jour. Le mythe est que le dieu-chien surveille le royaume des morts et qu’il porte les défunts sur son dos, ainsi que le soleil le soir, au-delà du fleuve des enfers pour pouvoir ressusciter ultérieurement. Il est représenté dans la partie gauche du tableau, celle des ténèbres et de la mort, ce à quoi il est associé dans les mythes de l’ancien Mexique. Lové aux pieds de Frida, il est quelque peu mis à l’écart de l’entrelacement de tous ces bras, qui commence par ceux du jour et de la nuit et se termine sur la poitrine de Diego. La mort n’est pas encore là, le chien est d’ailleurs en position allongée comme endormi. Cependant il fait pleinement parti de l’univers de Frida. Il est présent comme un rappel : la mort n’est pas venu pour elle, même si elle a bien conscience qu’elle viendra.

Cihuacoatl

Xólotl

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/ UNIVERS PERSONNEL /

L’ÉTREINTE AMOUREUSE ?

D’autres tableaux de cette période la représente avec son mari : Diego et Frida 19291944 (1944), Diego dans mes pensées (1943) Diego et moi (1949). Cette récurrence du couple dans son œuvre va de pair avec la période suivant leur seconde union, sa nouvelle relation avec son mari. Le titre L’étreinte amoureuse de l’univers, la terre, moi, Diego et Mr Xólotl paraît attester d’une nouvelle harmonie, non seulement pour le couple, mais aussi dans la vie de Frida. Bien qu’il soit question d’étreinte amoureuse et qu’en effet un enlacement général soit visible, cette peinture ne donne pas pour autant l’impression d’une effusion sentimentale collective. Au contraire, les visages sont particulièrement inexpressifs, solennels, deux ont d’ailleurs leurs orbites vides. La composition générale pyramidale paraît très académique, chacun regarde le spectateur, outre Xólotl, endormi. À part quelques végétaux peints en hors-champs, l’ensemble de la scène est là, c’est un concentré d’éléments ne laissant pas place à l’imagination.

La période de sa vie durant laquelle Frida peignit ce tableaux était marqué par un nouvel état d’esprit. Le divorce en 1939 du couple Kahlo/Rivera avait été très difficile, particulièrement pour Frida dont l’état de santé s’était fait ressentir, aggravé par une dépression nerveuse. À la vue de son état, Diego s’était résolu à «essayer de la persuader de l’épouser à nouveau». Frida accepta à une condition : qu’ils n’aient plus de relation sexuelle et qu’elle subvienne à ses propres besoins. Cette nouvelle union, sous un signe d’indépendance, marqua un passage important dans la vie et pour l’art de Frida. Elle s’isola volontairement dans la maison bleue au jardin emmuré, où fourmillaient plantes, animaux familiers, oiseaux... Comme vu auparavant, la dualité des astres était perçue dans la culture aztèque comme l’équilibre du monde. Dans la vision que Frida a

Bien qu’il soit question d’étreinte amoureuse et qu’un enlacement général soit visible, cette peinture ne donne pas pour autant l’impression d’une effusion sentimentale collective. de l’univers qui l’entoure, cette coexistence est aussi présente : «Je construirais mon monde, et tant que je vivrais il serait en harmonie avec tout les autres mondes. [...] L’angoisse, la douleur, le plaisir et la mort ne sont qu’un seul et même moyen d’exister». Dans cette toile, le sentiment d’équilibre est appuyé par «l’embrassement». Les bras de l’univers portent la terre, puis à leur tour les siens soutiennent Frida. Les bras de Frida enlacent Diego, et l’on retrouve finalement Mr Xólotl posé sur le bras de l’univers. Par ces entrelacements successifs, on comprend une affection réciproque de chaque entité pour les autres, une harmonie entre les êtres cohabitants sur la toile.

Les scènes de Bosch ou de Bruegel, primitifs flamands dont Frida admirait particulièrement l’œuvre, abondent de détails. Elles ont aussi une symbolique personnelle qui apparaît parfois mystérieuse chez chacun d’eux. Cela procure à ces œuvres du XVIe siècle une nature fantastique, qui relève de l’imaginaire autour du paradis, de l’enfer, des êtres les peuplants. L’univers qu’ils ont développé est bien particulier, le fantastique traduisant les écrits religieux, mais également avec leurs propres interprétations et critiques de ces écrits.

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Quoique le tableau de Frida ne relève pas du maléfique, on y décele des éléments étranges, en dehors des symboles précolombiens. La déesse hybride femme et terre ainsi que les personnages semblent avoir été déracinés par les bras de l’univers. Ils forment un petit monde à part, flottant dans le vide de l’univers. Certes des bras retiennent la terre mais ils semblent surgir du vide, immatériels. Peut-être est-ce un monde arraché du monde réel. Cette vision qu’a Frida est très subjective, on comprend qu’il s’agit de l’univers et de la terre tels qu’elle les perçoit. Le fantastique apparaissant ici provient de Frida elle-même, de la vision qu’elle possédait alors de ce qui l’entourait. L’univers de Frida ici présenté apparaît très ambigu. Il y est en effet question d’amour dans le titre, mais l’impression que donne la peinture ne va pas dans ce sens. Son caractère froid, solennel, tranche avec son nom «L’étreinte amoureuse». La période durant laquelle elle peignit cette toile étant marquée par l’enfermement, Frida ne sortait plus beaucoup de la maison bleue qui était devenue son refuge. Ce monde qu’elle peint semble être une interprétation métaphorique de celui dans lequel elle vivait alors : elle se sentait décrochée de la réalité dans laquelle se trouvait les autres. L’abondance des plantes est certainement en lien avec le jardin luxuriant de la maison de Coyoacan dans lequel elle passait alors de longues heures.

Immobilisée par ses douleurs et ses nombreux corsets, Frida ne se déplaçait que très peu. Jardin luxuriant de la maison bleue. Frida Kahlo dans le jardin de la maison bleu à Coyoacan, qui regorge de diverses plantes mexicaines, d’animaux. Aujourd’hui transformée en musée dans lequel l’œuvre de Frida est exposée, le jardin est resté tel-quel.


ORIENTALISME

Bien que l’on retrouve les thèmes cher à Frida dans cette toile, celle-ci se détache néanmoins de sa production habituelle. L’artiste n’est pas seule sur ce tableau, elle apparaît même petite dans les bras des divinités. On ne retrouve pas ici la pose obsessionnelle de ses multiples autoportraits, et il se dégage de l’ensemble une ambiance mystique. Ainsi recouverte de verdure, les orbites vides, mais surtout par sa position, la terre ressemble à une statue, rappelant la pose pleine de sagesse d’une figure de Bouddha. Dans l’art Bouddhique, les mandalas sont une pratique spirituelle, un support de méditation. Le terme mandala désigne l’entourage sacré d’une déité, fait de déités secondaires. Certains mandalas, comme ceux du Vajrayāna Shingon regroupent de nombreuses déités bouddhiques symbolisant les aspects yáng et yín du bouddhisme fondamental. Disposées en plusieurs quartiers, les déités expriment la compassion, la douceur, d’autres l’intelligence, le discernement, l’énergie... Sur ces représentations, les dieux sont figées, la plupart du temps assis en direction du spectateur, le visage inexpressif. Ces éléments sont perceptible dans cette toile, bien que la composition ne soit pas circulaire, ce qui n’est d’ailleurs pas le cas de tous les mandalas, on retrouve malgré tout une divinité centrale qui semble être Frida, autour de laquelle gravitent d’autres divinités qui lui sont liées. Diego porte quant à lui un troisième oeil sur son front. Issu lui aussi des cultures orientales, ce symbole qui désigne un troisième regard, est celui de la connaissance de soi, de la sagesse. Dans les croyances hindouistes cet attribut est celui du dieu Shiva, « le bon, celui qui porte bonheur ». On sait que Frida avait des origines indiennes par sa mère. La recherche identitaire était très importante à ses yeux, certaines autres de ses toiles mettent également l’accent sur ses origines orientales : on retrouve le troisième oeil dans

Autoportrait en Tehuana (1943), En pensant à la mort (1943), Diego et moi (1949). Ce tableau est cependant nettement plus imprégné de l’orient que les autres, au premier regard on pourrait se croire face à une image bouddhique. Les changements d’échelle ne font qu’accentuer le caractère mystique de la scène. Les mains de l’univers absolument immenses retiennent tout les personnages ainsi que la terre, qui à son tour est très impressionnante à côté du couple. Seul les personnages «réels», issus de la vie de l’artiste, Frida Diego et Xólotl, sont proportionnels les uns par rapport aux autres. On comprend qu’il s’agit là du langage artistique et métaphorique de Frida : les deux premières entités du titres sont représentés par des dieux aztèques. En les grandissant et en les dotant de masques, Frida permet de les reconnaître en temps que dieux antiques précolombiens, et l’on comprend qu’ils n’agissent pas à la même échelle que les mortels, ce sont des dieux reconnus.

Mandala bouddhiste vajrayana, dans lequel la divinité principale est placée au centre, entourée d’autres secondaires.

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/ UN RÔLE PAR LA PEINTURE /

DÉESSE MÈRE

Frida n’a jamais exprimé ses émotions par son visage mais par son corps : ce tableau n’échappe pas à cette règle. Bien que des larmes coulent de ses yeux, son visage est impassible, comparable à un masque. C’est dans son cou qu’elle évoque la souffrance par une plaie. Cette blessure va jusqu’à son sein d’où s’échappe du sang. Ajouté à Diego qu’elle tient dans ses bras, on comprend que la souffrance à laquelle elle fait allusion est celle de ne pas pouvoir avoir d’enfant. La manière dont Frida représente Diego l’infantilise. Dans son journal, elle avait en effet écrit qu’elle désirait «mettre au monde Diego». Luimême s’était représenté une année auparavant comme l’enfant fautif de Frida dans Dream of a Sunday afternoon in Alameda Park(hôtel del Prado). Dans sa vie l’artiste était également très maternelle envers son mari. La même

année que la réalisation de cette toile, Frida fit une description de son mari semblant être celle de Diego dans ce tableau : «Quand on le voit nu, on pense immédiatement à une grenouille debout sur ses pattes arrières [...] la FEMME - et entre toutes MOI -, voudrait le garder pour toujours dans ses bras comme un nouveau-né». C’est cette vision selon laquelle Diego représente l’enfant qu’elle n’a pas pu avoir que l’on voit ici. Diego porte également dans sa main la flamme de la renaissance et du renouveau. Il est en effet un artiste dont le talent, le génie lui a permis de participer au renouveau de la peinture mexicaine. Ainsi représenté entouré d’autres divinités, le couple semble mystique : Diego devient dieu de la création artistique tandis que Frida apparaît comme la déesse mère, bienveillante auprès de Diego que ses bras enlacent. Si Diego incarne le génie, il le doit aussi à Frida. Ses œuvres deviennent en

« la FEMME – et entre toutes MOI – voudrait le garder pour toujours dans ses bras comme un nouveau-né. »

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quelques sorte ses enfants. «Ma peinture porte en elle le message de la douleur [...] la peinture à complété ma vie. J’ai perdu trois enfants. [...] les peintures se sont substituées à tout ça. Je crois que le travail est ce qu’il y a de mieux.» Ajoutée à sa position, la couleur rouge de la robe tehuanna focalise plus intensément l’attention sur Frida. Solennelle, le regard fixé sur le spectateur, portant dans ses bras Diego nu tel son enfant, la composition générale rappelle sans conteste une madone à l’enfant. Elle admirait particulièrement les primitifs italiens, dont les maestas représentaient le christ non pas bébé car cela aurait été trivial, mais adulte. Parmi ces représentations, les vierges à l’enfant de Cimabue ou de son élève, Giotto montrent également la mère, au visage inexpressif, aux bras entourant leur «enfant». Ces peintures relevaient aussi d’une autre dimension : Dieu était présent dans leur création, ils n’étaient alors plus dans l’évocation par la représentation mais dans une représentation qui se voulait incarner le sujet lui même. Lorsqu’alors une personne se retrouvait face à une peinture représentant un saint, il n’était pas considéré comme se trouvant devant une peinture mais bien face au saint en question.

La peinture prenait alors un rôle magique, elle avait une portée divine, c’était elle qui faisait le lien entre le monde des humains et celui de l’outre monde. Tout comme sur les anciens manuscrits irlandais, ce caractère magique était conféré à la représentation par le travail considérable nécessaire à sa réalisation. Les peintres passait en effet énormément de temps sur leurs peintures, qui étaient très minutieuses. Plus on passait de temps sur un tableau détaillé et plus on considérait qu’il était doté d’une puissance sacrée, il devenait des sortes de talisman. Frida cherchait elle aussi le détail dans sa peinture. L’étreinte amoureuse de l’univers, la terre, moi, Diego et Mr Xólotl en comporte particulièrement, du fait que la scène comprenne plusieurs personnages. Cet acharnement de l’artiste à représenter sa vie, ses ressentis et souffrances en détails donne à ses tableaux un mystère du même ordre que les peintures pieuses de la fin du MoyenÂge. Elle ne se représente pas ici telle qu’elle aimerait être, ou tel qu’elle désire qu’on la perçoive. Spirituellement elle se considère comme la mère de Diego, celle de la création, du renouveau artistique mexicain.

Détail de l’étreinte amoureuse

Vierge à l’enfant, Giotto, 1320


I like America and Aerica likes me, Joseph Beuys. Dans son œuvre, l’artiste utilisait des matériaux symboliques issus de sa propre histoire, se faisant chamane, pratiquant ses propres rites.

MAGIE

Le visage de Frida est ici différent de ce que l’on voit dans ses autres autoportraits. Certes, dans aucun de ses tableaux elle ne se représente expressive, mais ici ses traits sont simplifiés, seuls ses sourcils, sa tenue, et éventuellement sa chevelure permettent sa reconnaissance. Contrairement aux autres visages des personnages, le sien est plat, sans ombre. Ces éléments font encore converger cette œuvre vers les maestas des primitifs italiens. Les textes indiquant que Dieu est lumière, l’ombre se retrouvait évincée de leurs tableaux. Les artistes ne cherchaient pas à faire ressembler le mystique au réel, leur responsabilité était de rendre visible l’invisible. Ainsi leur représentations divines ne comportaient pas non plus de modelé car les personnages sacrés étaient justement ceux qui illuminaient une scène. Cette simplification apparaît comme une exception au sein de l’œuvre de Frida, outre ses toutes dernières toiles pour lesquelles l’artiste se trouvait dans un état physique critique tel que sa peinture s’en faisait ressentir. En se peignant de la même manière que les primitifs ont peint Dieu, elle accentue son rôle de déesse mère. Cela peut aussi laisser à penser qu’elle s’attribue un rôle démesuré, que son image ne concorde pas par rapport au réel. En effet, alors que son état critique lui permettait à peine de se tenir debout, elle se montre ici solide, assurée. D’autres éléments ne concorde pas avec le réel : le fantastique de la scène, les disproportions, les personnages... Frida ne cherche pas à peindre la réalité qui l’entoure, ni son quotidien.

Antécédent à Frida, Joseph Beuys est considéré tantôt comme un artiste «prophète», tantôt au contraire comme un mystificateur. La dimension autobiographique domine son œuvre. Dans I like America and America likes me, il joue plusieurs rôle successifs : celui de berger, d’homme ordinaire, de personnage hiératique. On y trouve également l’idée de transformation. En effet par ses actions, l’idéologie se transforme en idée de liberté, le langage en concept beaucoup plus profond, le discours en dialogue d’énergies. Par cette démarche et ses différents personnages, il sublime, il est l’artiste par lequel une chose en devient une autre, devient plus profonde. Il se confère un rôle de magicien, de chamane. Auteur d’installations et de performances le caractère sacré de son œuvre ne réside pas dans le temps passé à sa réalisation, mais dans l’utilisation de matériaux issus de sa propre histoire tels que le feutre, le sang, le graisse... Frida n’utilise pas quant à elle des matériaux mais des symboles. Les matériaux utilisés chez Joseph Beuys sont cependant symboliques puisqu’ils se réfèrent à son histoire. Les deux artistes mettent en scène leur propre histoire d’une manière similaire : par leur propre mythologie. Les symboles utilisés sont donc chez chacun d’eux des représentations de leur histoire, de leur réalité. Frida ne peint pas ici son propre univers tel qu’il était au quotidien, mais par sa propre mythologie. Elle se sert des symboles pour le représenter. Frida n’apparaît donc pas uniquement telle une déesse mère dans ce tableau, elle devient également une sorte de magicienne par sa symbolique, transformant le réel.

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Frida et Diego partageaient un même intérêt envers les nombreux objets issus des cultures précolombienne. Ils fondèrent un musée regroupant leur collection.

Durant la période où elle peint ce tableau, tandis que les problèmes physiques de Frida Kahlo allaient de mal en pis, sa peinture lui permit de retrouver un équilibre. Après des années où Diego était le centre de son univers, la nouvelle harmonie de Frida la place ellemême là où son mari fut le facteur déterminant de sa condition physique et morale. Dans cet univers où tout s’harmonise, Frida tient le rôle de la déesse mère, et ses souffrances faisaient pour elle parti de l’équilibre de ce monde. Sa vie et ses souffrances nourrissent son œuvre pour la rendre active. Frida créé une image pieuse dans laquelle on peut voir sa propre religion, teintée du christianisme, du bouddhisme et des croyances

précolombiennes. L’étrangeté de se tableaux réside en partie dans ce mélange : Frida semble avoir pioché dans différentes formes de croyances afin de créer la sienne. Ces croyances y sont pour beaucoup quand à la magie se dégageant de ses toiles, mais c’est surtout sa manière personnelle de les représenter via sa symbolique, qui leur donne un caractère sacré. En s’appropriant des représentations précolombiennes, mais également celles d’autres cultures Frida a participé au renouveau de l’art populaire de son pays. Son histoire personnelle et celle de son pays se mêlent, formant un univers où se conjuguent bonheur et malheur, et où la renaissance d’une culture voit le jour par l’art.

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RÉFLE XION/ L’autoportrait Q

u’est-ce qui pousse un artiste à faire son autoportrait ? Suffit-il de se représenter pour en faire un ? Les artistes contemporains traduisent-ils de nouvelles idées en travaillant ce sujet ? Y a t-il une réelle évolution ? Nous tenterons de répondre à ces questions grâce à différents artistes ayant ou non travaillé dans le genre qu’est l’autoportrait.

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/ RECONNAISSANCE ET CONNAISSANCE DE SOI /

LAISSER UNE TRACE

Quel peut-être le moteur pour un artiste à la réalisation d’une image de soi ? Il est vrai qu’à la base, une peinture ne se faisait qu’à condition d’un commanditaire, or, il émergea dès le XVe siècle des artistes qui commencèrent à se représenter eux-même, sans demande au préalable. C’est le cas de Rembrandt au XVIIe siècle chez qui on ne compte pas moins d’une centaine d’autoportraits, comprenant peintures, gravures, fusains,... Il semblerait que l’une des raisons de la représentation de soi à cette époque, bien simple mais intelligible, était que l’artiste lui-même constituait le modèle le plus disponible pour ses tableaux. Aussi se pourrait-il que les représentations de Piero Della Francesca ou de Sandro Botticelli dans certaines scènes de leurs tableaux ne soient là que par manque de modèles. De plus, alors-même que les personnages étaient de plus en plus personnifiés, l’autoportrait se révéla être un sujet humaniste par excellence. Dans l’œuvre de Rembrandt cependant, la quantité de ses autoportraits fait qu’ils constituent une véritable œuvre au sein de son œuvre. Mis bout à bout, ils permettent de constater une évolution tant artistique mais aussi physique de l’artiste. On le voit en effet tout d’abord jeune puis arborant de plus en plus des signes de vieillesse tels que les rides qu’il ne s’épargne pas, jusqu’à ses derniers tableaux où il apparaît comme un vieillard, parfois ricanant. Peints régulièrement tout au long de sa vie, on croirait un peintre qui se regarde vieillir. Si le genre de l’autoportrait n’était pour lui qu’un exercice, il prend d’autres formes aux yeux du spectateur : ses nombreux autoportraits permettent de rendre compte du temps qui passe incommensurablement. Certains d’eux paraissent d’ailleurs bien trop finis pour n’être que de simples exercices. L’utilisation d’un miroir était alors de rigueur, pervertissant l’image du peintre qui s’en

Autoportrait en Zeuxis, Rembrandt, 1663

trouvait inversée. Le simple fait de peindre un reflet créé un paradoxe : le spectateur regarde un reflet de miroir... Ce n’est cependant pas un miroir et ça n’est pas son reflet qu’il contemple. Il n’en reste pas moins que c’est un reflet du peintre se fixant lui-même. Qui du spectateur ou du peintre regarde l’autre ? Par l’autoportrait, c’est comme si l’artiste transcendait les règles du temps : c’est une représentation du peintre au moment où il a peint la toile, mais elle crée malgré tout une ambivalence qui perdure vis à vis du spectateur. Rembrandt s’est peint dans de nombreuses parures : en pièces d’armure symbolisant le patriotisme de la guerre, coiffé d’une toque ou d’un béret d’artiste pour le génie artistique, ou bien vêtu comme les nobles qui composaient sa clientèle, lui donnant parfois une apparence hautaine. Par ces attributs, Rembrandt affirme son identité ou l’exagère, ce qui permet toutefois une prise de conscience de sa valeur artistique. Il apparaît également mis en scène, comme si se peindre devenait pour lui un jeu.

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Les détails, Roman Opalka, de 1965 à 2011

À partir de 1965, Roman Opalka commença son œuvre des Détails, capturant et enregistrant alors le temps qui passe. Ses tableaux faits de suites de nombres s’éclaircissent avec le temps : au départ écriture blanche sur fond noir, il décide à partir du nombre 1 000 000 de rajouter à chaque tableau 1% de blanc dans le fond noir. En se prenant en photo chaque jour devant son travail accompli, et ce pendant plusieurs années, non-seulement ses peintures s’éclaircissent mais lui vieilli, ses cheveux se blanchissent. Toujours photographié devant ses toiles selon le même éclairage, habillé d’une chemise blanche et avec la même expression, son visage semble petit à petit se fondre avec son œuvre. L’art et la philosophie sont tout deux essentiels au peintre, son activité permet de visualiser le temps qui s’écoule irrémédiablement, jusqu’à sa propre mort. Il s’agit pour lui de «capter» le temps, de saisir l’instant. Toute sa vie fut engagée pour son œuvre, celle-

ci ne trouva une fin qu’à celle de l’artiste. Lorsqu’il peignait, il effectuait également un enregistrement dans lesquels on l’entend énoncer les nombres qu’il écrit, toujours dans l’optique de capturer le temps qui s’écoule. L’autoportrait, c’est l’artiste à un moment précis. Le rapport au temps semble donc indéniable pour ce genre artistique. En réalisant un autoportrait l’artiste laisse une trace visible dans l’histoire. Au même titre que l’apparition de la signature, l’autoportrait contribue à la perception du peintre, non pas comme un artisan mais comme artiste, et d’avoir une reconnaissance pour ce statut social. On voit cependant que par la suite, l’artiste fut reconnu comme tel. Malgré tout la réalisation d’autoportraits perdure aujourd’hui encore. Comparé à d’autres genres comme les natures mortes ou vanités qui furent en perte de vitesse, l’autoportrait semble intemporel. N’y eu-t-il pas d’autre motivations qui se profilèrent à force de réaliser des autoportraits?

Il s’agit pour lui de «capter » le temps, de saisir l’instant.

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PORTRAITS INTÉRIEURS

nous, et qui même lorsqu’il nous fixe comme ici, semble regarder ailleurs. Cette toile nous donne une impression de folie, mais en même temps d’un personnage qu’on ne situe nul part, comme perdu, à cause de l’agitation générale. Sa façon de peindre était en dehors des règles de la peinture académique de son époque : son approche de la peinture la rendait moins figurative, ses coups de pinceaux permettaient de reconnaître l’artiste mais pas de faire figurer de détails sur son visage. Ce sont ici les couleurs et traces de pinceaux qui en disent beaucoup sur son état psychologique que son visage lui-même. Freud préconisera plus tard l’auto-analyse par la peinture, préfigurée semble-il par l’œuvre de Van Gogh de manière plus instinctive. Sous l’influence de ce maître, les expressionnistes réalisèrent également de nombreux autoportraits au début du XXe siècle. Les traits, couleurs et formes non-conventionnelles étaient alors utilisés afin de donner de l’expressivité à leurs œuvres et traduire ce qui ne serait autrement pas visibles comme les émotions fortes. Affilié à se mouvement a posteriori, Egon Schiele réalisa une centaine d’autoportraits des plus exhibitionnistes. Dans plusieurs d’entre eux, il se représente nu, agenouillé, de face, de profil, ou se masturbant... Eros (1911-1912) l’un d’eux, où on l’y voit brandissant un énorme sexe rouge en érection. Jeune, son œuvre fut influencée du décès de son père, puis alimentée de ses conditions de vie qui furent difficiles en temps de guerre. Il se représente avec un visage tourmenté, parfois affublé d’une grimace ou affligé d’un strabisme, allusion à son nom de famille signifiant «loucher» en allemand. Extravagantes, ses positions sont très exagérées, extrêmes, déforment son corps. Son corps au travers duquel on perçoit son squelette semble bien souvent malmené, maigre, parfois verdâtre. Cependant une séduction prend part aux œuvres, par ses positions, la sensualité, la nudité... La mort et l’érotisme se retrouvent confrontés créant un malaise : le spectateur se retrouve face à l’autoportrait cru de l’artiste, dans une proximité gênante.

Pour Vincent Van Gogh, la représentation de soi fut également une manière de s’exercer, afin de trouver sa façon de peindre. On lui compte trente-sept autoportraits entre 1886 et 1889, dans lesquels la recherche picturale est visible. Par l’emploi de sa touche, ses couleurs, l’autoportrait prend une nouvelle dimension : il semble traduire les émotions du peintre en même temps que son visage. Pour lui «il faut commencer par éprouver ce que l’on veut exprimer». En conflit avec lui-même, c’est en effet son tempérament tourmenté qui semble être l’impulsion de son œuvre. S’il cherche par exemple à célébrer la beauté de la nature, ses paysages apparaissent cependant très agités du fait de sa touche, que l’on retrouve également dans ses autoportraits. Autoportrait au chapeau gris peint en 1887 nous donne à voir l’artiste dans des formes tourbillonnantes, des traits de pinceaux énergiques, des couleurs complémentaires vives. Comme dans tout ses autoportraits, on est frappé par son regard rarement porté sur

« Il faut commencer par éprouver ce que l’on veut exprimer ».

Autoportrait au chapeau gris, Vincent Van Gogh, 1887

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L’exploration de son «moi» psychologique prenait partie intégrante de son œuvre. Ni sa condition sociale, ni son état émotionnel ne se retrouvent dans ses autoportraits. C’est une forme de constatation de lui-même et de son état physiologique, une mise à nu, comme si luimême avait ressenti du dégoût en se dessinant. À la fois son œuvre interpelle le spectateur, le regard porté sur lui, comme cherchant à être contemplé dans sa plus grande intimité, à la fois il se donne à voir de manière crue, déstabilisante. La manière dont il se livre aux yeux de tous en se dévoilant et accentuant son état peut apparaître provocatrice, sollicitant le spectateur et ne laissant pas indifférent. En se prenant comme sujet et par introspection, Egon Schiele met aussi en avant la nature humaine, sa sexualité, entre attirance et répulsion. Au delà de la volonté de laisser une trace tangible, l’autoportrait peut être un révélateur intime de l’artiste, le dévoilant psychologiquement et émotionnellement. Par cette démarche, la ressemblance au sujet importe moins, il s’agit de faire ressembler la peinture à ce qui est ressenti par le sujet. L’autoportrait qu’il dresse n’est plus uniquement physique. En utilisant sciemment une forme de psychanalyse par l’autoportrait, il semble traiter d’une vérité générale. Par l’exploration de soi, celui-ci amène un champs de pensée s’élargissant audelà de l’artiste. Les autoportraits deviennent de petites psychanalyses dans lesquelles chacun peut se reconnaître, et dans lesquelles l’artiste semble chercher à mieux se connaître lui-même. En ce sens l’autoportrait devient utile à l’artiste au niveau psychologique.

suis-je?». Un étrange autoportrait est celui que fit de lui Marcel Duchamp en 1958, Autoportrait de profil. Tel une silhouette en ombre chinoise, son visage de profil apparaît dans ce qui pourrait être un carré de lumière jaune. Cette œuvre le donne à voir de façon mystérieuse pour le spectateur. Un peu comme une devinette, elle l’invite à se demander qui se cache derrière l’autoportrait. La réponse se trouvera dans la signature au coin du carré coloré, ou bien dans le cartel, malgré tout cet autoportrait ne semble pas représenter une personne en particulier. Il réitéra cet autoportrait une trentaine de fois, en modifiant quelque peu l’aspect du découpage et la couleur du carré coloré. La question «qui suisje» reste en suspend : à chaque fois il parait tout autant comme une ombre anonyme. Fictionnel car post-mortem, Autoportrait à la morgue de Yan Pei Ming (2003) ne montre pas son visage, mais ses pieds en premier plan, sortant de sous un drap blanc qui recouvre le reste de son corps. L’artiste peint en quelque sorte une vanité. À la question «Qui suis-je?», cette peinture répond avant tout : quelqu’un qui va mourir. À côté de la mort, ce questionnement autour du je, de l’identité importe peu, il parait même vain. Yan Pei Ming a cependant réalisé de nombreux autres autoportraits où l’on voit son visage, celui-ci est une exception parmi eux. Il ne cherche pas ici à être reconnu, mais se considère plutôt comme un être comme tant d’autres, dont la fin sera la même pour tout le monde. Malgré tout la reconnaissance se fait par la facture des toiles, comme tout ses tableaux celui-ci est très grand (235 x 300 cm) et l’on reconnaît sa façon de peindre. L’autoportrait est aussi une quête de soi, de sa propre identité. Certains tentent d’y apporter une réponse, celle-ci se fait parfois de manière évidente, d’autre considèrent au final cette recherche vaine. L’œuvre en elle-même est néanmoins une première réponse, l’artiste est déjà son œuvre, il est celui qu’il représente.

L’image de l’artiste possède une place centrale, comme si celuici cherchait à répondre à la question « Qui suis-je? »

QUÊTE IDENTITAIRE Dans chaque autoportrait, l’image de l’artiste possède donc une place centrale, comme si celui-ci cherchait à répondre à la question «Qui

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/ ENTRE APPARENCES ET RÉALITÉ /

Autoportrait, Brancusi, 1933

DERRIÈRE LE MASQUE Au XXème siècle nombreux sont les artistes à s’être représenté masqué : Popovic, Lichtenstein, Blumenfeld... L’autoportrait de Brancusi le montre derrière une main, sans doute la sienne. La mise au point est faite sur le visage, on comprend que l’artiste fait un geste en direction de l’objectif, comme s’il cherchait à cacher son visage de la vue du spectateur. Mise au premier plan, la main créé une frontière entre le spectateur et l’artiste. Par ce geste, on ne le voit que partiellement, son regard n’apparaît pas nettement entre ses doigts aux contours imprécis. Serait-ce l’envie de garder une certaine intimité de son image? Cela semble peu probable car nombreuses sont les photos sur lesquelles il apparaît sans se cacher.

Sculpteur travaillant l’infini, la pureté des formes, Constantin Brancusi affirmait que «ce n’est pas la forme extérieure qui est réelle, mais l’essence des choses. Partant de cette vérité, il est impossible à quiconque d’exprimer quelque-chose de réel en imitant la surface des choses». Cette pensée guidant son art, on peut ainsi comprendre dans son œuvre L’oiseau dans l’espace, l’essence d’une impulsion, d’un vol d’oiseau. La photographie était pour Brancusi un prolongement de ses créations. Il les disposaient différemment les unes aux autres, la prise de vue permettait alors de rendre compte de l’infini qui se dégageait de son œuvre, en plus de ses créations ellesmême qui l’exprimaient déjà. Cet autoportrait pourrait être une forme de mise en image de sa pensée : il ne lui sert à rien de se montrer tel quel, dans son enveloppe corporelle, sa «surface» en temps que personne matérielle, car cela ne serait pas représentatif de son essence. La main crée du mystère, donne à voir l’artiste de manière plus spirituelle.

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Mask, Ron Mueck, 1997

Mask II, Ron Mueck, 2001

Le plasticien Ron Mueck a quant à lui réalisé deux autoportraits : l’un où sa gigantesque tête est disposée à l’horizontale, représenté en plein sommeil. Le second tout aussi monumental, suspendu à deux ficelles, son visage ultraréaliste affiche une expression dure et prend la forme d’un masque. Ses dimensions ajoutées à son expression le rende intimidant, son image sera d’ailleurs ré-utilisée plus tard par Shepard Fairey pour incarner big brother dans une de ses créations. L’artiste réalise donc à la fois son masque et son autoportrait, mettant ainsi en opposition le vivant et le factice, l’imitation et l’illusion. La confrontation se fait pour le spectateur, surplombé par l’autoportrait, mais pourquoi ici l’artiste se donne t’il la forme d’un masque? Alors que le masque permet ordinairement de cacher un visage et de rendre une personne méconnaissable, ici au contraire, il le met en évidence, le sublime et l’amplifie. Le masque se transforme en révélateur des émotions et leur donne une permanence. Dans son œuvre, Frida ne se représente masquée qu’une fois, pourtant elle semble l’être sur tous : son visage impassible est toujours le même ne reflétant aucune expression. Son visage prend le rôle de les masquer, bien qu’on les retrouve ailleurs, par ses blessures notamment. L’utilisation du masque dans un autoportrait ne semble donc pas forcément signifier que l’artiste cherche à se cacher. Cela peut au contraire révéler ce qui ne serait pas décelé dans un simple visage, tandis qu’un visage sans expression peut dissimuler beaucoup de son sujet.

DÉGUISEMENT, STARISATION

Hilare dans toute ses toiles, Yue Minjun est son unique modèle dans nombre de ses toiles, sans pour autant qu’il ne les ai appelées autoportrait. Dans des couleurs aux tons roses éclatants, son visage affiche toujours la même expression d’esclaffement, laissant apparaître une interminable rangée de petites dents très blanches qui accentuent son sourire déjà exagéré. Tout sonne faux : ses couleurs artificielles, rires crispés, la répétition de son image à outrance, parfois plus d’une vingtaine de fois comme dans The Sun (2000), sa gaieté excessive semble feinte. Chinois, l’artiste est issu d’un pays où l’art est très contrôlé, et où les artistes se doivent parfois d’utiliser des métaphores pour que leurs œuvres soient acceptées. Le rire traduirait-il autre chose ? Partout dans ses scènes on ne voit que rire, même lorsqu’il y a autre chose, l’attention est toujours portée vers ce mystérieux rictus. L’action qui se déroule où l’environnement dans lequel il se représente importent peu, même lorsque la scène appelée L’exécution (1995) reprend le Tres de Mayo de Goya, avec les tireurs d’un côté et les condamnés de l’autre... Morts de rire. Le ciel bleu est vide, ses arbres sans feuillage, ses surfaces lisses, plates. L’environnement dans lequel se trouve Yue Minjun semble ne présenter aucun attrait.

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Autoportrait en Mona Lisa, Dalí, 1954

En ce sens, on peut comprendre dans son œuvre une opinion quand à la Chine et son gouvernement, qui n’offrirait que du superficiel. En ne représentant personne d’autre que lui même il met en scène avec ironie sa vision de la société dans laquelle il vit. Ses scènes ne paraissant pas retranscrire la réalité se révèlent finalement ne pas être que de pures fictions. Elles traitent au contraire d’une situation véritable et ressentie, mais sous des formes déguisées. Son image employée de cette façon, toujours et toujours répétée le révèle ainsi que ses idées au spectateur. Là aussi, son visage figé dans la même expression se fait masque, mais un masque derrière lequel semble pouvoir se cacher n’importe quelle personne ayant les même critiques à l’égard de la société chinoise. Ainsi, il devient une sorte d’emblème, son autoportrait contribue à sa diffusion et sa reconnaissance, même s’il ne le présente comme tel. Cela lui permet de s’affirmer. En pastichant la Joconde, par l’ajout de sa célèbre moustache ainsi que de son regard et de sa main tenant de l’argent, Salvador Dali

réalise ce qu’il nommera Autoportrait en Mona Lisa (1954). Par son détournement de l’œuvre, l’artiste la désacralise complètement, elle en devient grotesque. Il appelle autoportrait ce qui, à la base, était tout autre chose, néanmoins ce qu’il ajoute à Mona Lisa le caractérise : son goût non dissimulé pour l’argent, sa personnalité loufoque, sa folie sur son visage. Mais pourquoi prendre l’œuvre de Léonard de Vinci la plus connue ? En s’y comparant, Dali semble montrer son génie. Mais cet acte de pastiche créé aussitoutautrechose: l’artiste porte atteinte à l’image de l’œuvre, faisant parler de lui. Ainsi il contribue à sa propre promotion auprès du public : tout d’abord car il ose toucher à la Joconde, puis car lui-même se proclame comme étant un génie. Au travers des exemples, on discerne bien une rupture avec les autoportraits du XXe siècle. Siècle de l’individualisme, de la psychanalyse, l’autoportrait devient un acte d’affirmation de soi. Il est une manière de percevoir l’artiste, la façon dont il veut être perçu. C’est donc un moyen pour l’artiste de contrôler son image auprès du public.

En se comparant à Léonard de Vinci, Dali semble montrer son génie.

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/ SE RACONTER, S’INVENTER /

JOURNAL INTIME

La fréquence à laquelle des autoportraits sont peints au sein d’une œuvre change la donne : on en trouve certains chez Picasso, Beckmann, Munch... Beaucoup de grands artistes ont leur autoportrait, ce qui pourrait faire apparaître ce genre comme un passage obligé. Cependant il en est d’autres pour qui cela forme le coeur même de leur œuvre. C’est le cas pour l’artiste Arnaud Prinstet, qui peint quotidiennement son autoportrait. Il aborde son image comme un mystère constamment renouvelé, qu’il traduit par des œuvres aux couleurs joyeuses et exubérantes. Mis bout à bout, tous les portraits se ressemblent, cependant chacun est unique. On peut y voir la mise en image du proverbe «les jours se suivent mais ne se ressemblent pas». Ses toiles vont des traits sombres jusqu’aux couleurs explosives, débordant plus ou moins de son visage... Telles des humeurs changeantes. Son œuvre se présente elle aussi comme un répertoire, mais d’émotions, qu’il immortalise par la peinture au fil des jours.

Felix Nussbaum, peintre juif allemand du début du XXIe siècle qui a vécu l’enfer du nazisme, est l’auteur d’une série d’autoportraits dans lesquels le visage d’abord jeune qu’il arbore, se creuse et se durci avec le temps, marqué par la souffrance dû aux persécutions contres les juifs. Parmi tout les témoignages de la seconde guerre mondiale, celui que nous apporte l’œuvre de Nussbaum résume la situation dramatique dans laquelle il se trouvait. On y comprend la situation de privation par sa maigreur. En se montrant de plus en plus émacié et au regard dur, comme résigné, on comprend une forme de révolte contre le régime nazi. L’une des volontés du peintre était : « Si je meurs, ne laissez pas mes peintures me suivre, mais montrez-les aux hommes. » Cela montre à quel point pour lui ses tableaux étaient une preuve de l’horreur et des souffrances endiguées par le régime. Toujours représenté dans une pause quasiidentique, de trois quart face, la comparaison se fait d’autant plus facilement d’un portrait à l’autre. Cette pause met en valeur le regard qu’il portait sur lui même lorsqu’il se trouvait face au miroir. Cela place le spectateur dans

Autoportrait dans le camp, Félix Nusbaum 1940

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Photo issue de la série All by Myself, Nan Goldin, 1992-1996

une situation ambigu, il devient le témoin de ce que la guerre à infligé à l’artiste. Dans Autoportrait au passeport juif (1943) ou l’artiste semble montrer son passeport à une autorité, le spectateur se trouve à l’emplacement même de cette autorité, et devient acteur de la persécution. En se peignant ainsi, Nusbaum nous amène à prendre conscience de sa misère, mais aussi du drame qui se passait alors. Son regard dur semble impartial. En effet l’artiste se livre et se donne à voir sur sa toile tel que lui même se perçoit, comme dans un journal intime. L’autoportrait apparaît comme un moyen d’enregistrer les effets de la guerre sur lui, mais aussi comme une façon de garder sa dignité humaine en se représentant comme tel, peut-être même une façon de lui donner la force de survivre. Inséparable de sa vie, on trouve dans les photographies de Nan Goldin ses amis, sa famille, son entourage, ainsi que, parfois, elle-même. Elle utilise ce médium pour garder des traces de vies, garder en mémoire ses sujets. Photographiant sans censure et instinctivement sa vie et celles de ceux

qui l’entourent, son œuvre devient un véritable journal intime visuel, dans lequel on peut voir ce qui l’a marqué, ses états, ceux de son entourage ... L’une de ses séries de diapositives, All by myself (1992-1996), montre son propre délabrement physique et mental durant toute une période précédant une cure de désintoxication. On la voit par exemple sur l’une d’entre elles, peu après qu’elle se soit fait battre par son petit ami. Prises sur le vif, ses photographies peuvent être considérées comme un miroir qu’elle tend aux personnes de sa génération, véritable répertoire désenchanté d’événements auxquels celles-ci peuvent s’identifier. L’autoportrait semble pouvoir arborer l’aspect d’un journal intime, comme preuve, héritage laissé aux spectateurs. Véritable témoignage de l’artiste il oriente le spectateur à se reconsidérer par rapport à l’artiste, à sa situation vécue, l’invitant peut-être à une prise de conscience. Dés lors qu’il s’agit d’un contexte de guerre, de politique, les idées auxquelles adhèrent un artiste s’infiltrent dans l’image.

L’autoportrait apparaît comme un moyen d’enregistrer les effets de la guerre sur lui, mais aussi comme une façon de garder sa dignité.

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Autoportrait, Jean Pierre Raynaud, 1980-1986

PORTRAITS ARBITRAIRES Pour réaliser son autoportrait, Jean Pierre Raynaud utilise son objet de prédilection : le carreau blanc de 15 x 15 cm, objet banal, signe abstrait cent fois reproduit mais qui, à force d’utilisation, est devenu sa signature. Pour lui le carreau de céramique blanche est une unité de construction qu’il utilise pour la réalisation de nombreuses de ses œuvres, notamment lorsqu’il construisit sa maison. Également un matériau impersonnel, froid et cassant, il l’apparente à la vie, et lorsqu’il détruisit sa maison qu’il avait construite avec ce matériau, il associe cette action à la mort. Il semble être une suite logique à son œuvre que l’autoportrait qu’il fit de lui en 198086 soit réalisé avec ce même matériau. Aussi se représente-t-il comme un grand volume rectangulaire de carreaux blancs, surplombé d’un petit volume carré réalisé de la même manière. Non seulement cet autoportrait ne lui ressemble pas physiquement, mais il ne s’apparente pas non-plus à une figure humaine. Le carreau lisse rend la représentation impersonnelle, là où l’on recherche les détails caractéristiques d’une personnalité dans l’autoportrait, permettant la reconnaissance d’un sujet. La vision qu’a de lui l’artiste seraitelle celle d’un homme froid, distant?

Lorsqu’il construisit sa maison pour y vivre dedans, c’était dans l’intention de signifier qu’il se coupait du monde : il vivait dans son œuvre. La maison se transformait alors en bunker, en maison blindée, le carreau blanc cherchant peut-être à dissuader quiconque de s’en approcher, lui donnant un aspect de masse lourde rectangulaire. Elle se transformait en enveloppe dans laquelle se trouvait l’artiste. De la même façon, ses pots cimentés renferment parfois des mots écrits par l’artiste, ou d’autres objets personnels qu’il y dépose. Au regard de ses autres créations, son autoportrait semble fonctionner de même : on ne voit que l’enveloppe, la carapace renfermant l’artiste, sa personnalité et qui sait peut-être autre chose. Cet autoportrait qui ne semble pas en être un se révèle l’être lorsqu’on comprend son fonctionnement et sa démarche de création. L’objet qu’il crée devient psychologique dans la manière dont l’artiste l’élabore. L’artiste paraît alors inaccessible : on ne saura sans doute jamais ce qu’il y a derrière ces carreaux de céramique, ni même si l’artiste a bien enfermé quelque-chose, ce qui crée un mythe autour de lui, du mystère. Quant à lui, ce sont en revanche uniquement des objets qui forment l’autoportrait de Tony Cragg en 1981. Des objets de rebut, du quotidien, composent une silhouette humaine. Il réalisa plusieurs œuvres sur ce même modèle : réinvestissant des matériaux issu de la société

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Autoportrait, Tony Cragg, 1981

Autoportrait aux six appareils ménagers, Tony Cragg, 1981

de consommation, il les organise selon des critères de couleurs, matières, ou de familles, créant une sorte d’archéologie contemporaine. En se représentant ainsi, Cragg se montre comme issu de la société de consommation, ou comme un sculpteur de déchets. Là encore, on ne peut pas affirmer en voyant cette œuvre que c’est son autoportrait, car il apparaît plus comme une silhouette anonyme. L’emploi d’objets personnels comme ceux qui composent l’autoportraits d’Arman (poubelle) est une manière de procéder afin que l’autoportrait ressemble plus à l’artiste.

Ce sont cependant bien des objets qui n’ont rien à voir avec lui ou son histoire, si ce n’est celle de sa civilisation. C’est un autoportrait qui n’en a que faire d’être un portrait. On s’aperçoit que dans des autoportraits contemporains, la ressemblance au sujet n’est pas nécessaire pour en réaliser un. Malgré tout, un lien subsiste entre l’artiste et la création, c’est l’emploi de matériaux qu’il utilise habituellement qui le caractérise. Par concepts et manière de procéder, un autoportrait qui n’en possède aucune forme peut donc se révéler traduire l’artiste par lui-même.

Il semble évident que l’autoportrait est intemporel. Depuis des siècles et aujourd’hui encore, différents artistes le pratique toujours sous différentes formes, sans que celui-ci ne s’épuise. Nécessairement, chaque autoportrait traitant d’une personne différente, ils ne sauraient se répéter d’une personne à une autre, ce qui permet de constater qu’il existe des autoportraits des plus conventionnels aux plus loufoques, des plus ressemblants à ceux dont l’artiste reste un mystère, des plus aux moins expressifs... Autant que de personnalités d’artistes ! Des autoportraits les plus anciens, dit vaniteux ou

narcissique, ce genre à su se renouveler pour ne plus apparaître aujourd’hui qu’uniquement centré sur l’artiste et son apparence. La question récurrente que semble se poser l’artiste subsiste : qui suis-je ? Les réponses plus contemporaines apportées à cette question prouvent qu’une fidèle représentation physique n’est plus indispensable. Il semble même y avoir un inversement : s’il cherche à nous parler de lui l’autoportrait de l’artiste ne le représentera pas nécessairement, mais quant à elle son image nous parlera tout à fait d’autre-chose que de lui...

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BTS COMMUNICATION VISUELLE ARTS VISUELS APPLIQUÉS MÉMOIRE 2013 MARION MÉNARD

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Autoportrait aux singes – 1943 FRIDA KAHLO Huile sur toile – 81,5 x 63 cm


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