1001 idées

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v. 450 av. J.-C.

Maïeutique Socrate Une pédagogie qui consiste à poser des questions en continu La maïeutique est la méthode employée par Socrate (v. 470-399 av. J.-C.) pour faire avancer la réflexion. Contrairement aux orateurs sophistes de son temps ou aux professeurs scolastiques et aristotéliciens qui lui succédèrent, Socrate ne donnait pas de cours magistraux minutieusement planifiés : il interpellait directement son public en posant à chacun une série de questions, destiné à alimenter la réflexion personnelle et menant le plus souvent à un certain scepticisme sur les sujets abordés, philosophiques, politiques et religieux. Dans le cas le plus fameux, relaté par Platon dans le Ménon (v. 380 av. J.-C.), Socrate « apprend » ainsi à un jeune esclave dépourvu d’éducation un ensemble de propositions euclidiennes, dont le théorème de 166  Avant l’an 500

Pythagore. L’hypothèse centrale de la méthode socratique est l’innéisme : nous n’apprenons rien de nouveau, l’éducation se contente de nous rappeler ce que nous savons déjà. La maïeutique fut éclipsée au Moyen Âge par la popularité d’autres orateurs classiques, dont Aristote et Cicéron, qui entraîna la propagation d’une pédagogie centrée sur le cours magistral, que l’on nomme « modèle scolastique », pour laquelle la connaissance se « dépose » dans l’étudiant, un peu comme l’argent dans une banque. Un autre coup fut porté à la méthode socratique par le développement de l’empirisme au xviie siècle, qui considérait que le savoir ne pouvait qu’être acquis par expérience. L’empirisme est ainsi une réfutation de l’innéisme, et de la pédagogie qu’il impliquait. Le débat sur la maïeutique est toujours ouvert parmi les chercheurs en sciences de l’éducation. Certains estiment qu’elle limite l’apprentissage et favorise l’agressivité. D’autres répondent que, bien qu’on puisse en abuser, comme toute méthode, elle peut être efficace lorsque correctement utilisée. Elle est toujours employée dans les études de droit, comme l’a mémorablement illustré le film La Chasse aux diplômes (1973). JW

Socrate et ses disciples. Peinture de Gustav Adolph Spangenberg, xixe siècle. R

v. 450 av. J.-C.

Quatre éléments Empédocle La théorie selon laquelle l’univers est constitué de quatre éléments naturels Dans son poème De la nature (v. 450 av. J.-C.), le philosophe grec Empédocle invoque des dieux, un pour chaque élément de sa cosmologie. La notion qui voudrait que tout ce qui existe soit composé d’eau, de terre, d’air et de feu, ou d’une combinaison de ces quatre éléments, est empruntée à un mythe babylonien de la création, Enuma Elish (v. 1800 av. J.-C.), dans lequel l’univers émerge d’un conflit entre dieux représentant chacun un élément ou une force de la nature. Empédocle recherchait ce que l’on appellerait aujourd’hui une « théorie des champs unifiés », un système capable de fournir une explication pour tous les phénomènes naturels. Sa stratégie, qu’il hérita de

prédécesseurs eux-mêmes influencés par le mythe babylonien, tels que Thalès et Anaximène, était d’identifier le ou les ingrédients de base de l’univers. Thalès pensait, à la fin du vie siècle av. J.-C., que cet ingrédient était l’eau. Plus tard, Anaximène estima que l’eau était trop différente de certains phénomènes (tels que le feu) pour se trouver à la base de tout. Il proposa donc l’air. Empédocle, quant à lui, ne vit aucun moyen de rendre compte d’un ensemble de phénomènes si vaste sans introduire la somme de quatre ingrédients primordiaux : terre, air, feu et eau, ce qu’il appelait la « quadruple racine ». Aristote (384-322 av. J.-C.) ajouta un cinquième élément : l’éther, et c’est par les écrits d’Aristote que les scolastiques du Moyen Âge connurent la théorie d’Empédocle, qui devint la cosmologie dominante jusqu’au xviie siècle. Bien que des formes d’atomisme aient émergé dès le ve siècle av. J.-C., il fallut attendre les travaux d’Isaac Newton (1642-1727) et de Robert Boyle (1627-1691) pour que les quatre éléments soient remplacés par des atomes (ou quelque chose d’approchant) à la racine de l’univers. DM

R Une représentation du XVe siècle montrant le Christ entouré des quatre éléments.

Avant l’an 500  167


v. 180

Saignée Galien Théorie qui voudrait qu’on puisse soigner les malades en leur retirant du sang en excès La saignée est une pratique médicale consistant à tirer le sang d’un patient afin de prévenir ou de guérir les maladies. Elle était déjà pratiquée dans l’Égypte et la Grèce antique, mais c’est à Galien (v. 130 - v. 210), médecin grec qui élabora un traitement systématique par saignées au iie siècle – responsable de bien des morts dans les siècles qui suivirent. En accord avec l’école de médecine hippocratique, Galien concevait la santé comme l’équilibre des quatre humeurs – sanguine, flegmatique, biliaire et atrabilaire. Il s’intéressait particulièrement à l’humeur sanguine, dont il démontra qu’elle coulait dans les artères des animaux vivants. Il croyait que la maladie naissait de la surabondance du sang et recommandait donc d’y 252  Avant l’an 500

remédier au moyen de la saignée par phlébotomie (incision ou ponction d’une veine), une procédure facile à maîtriser. Il précisait quand, où et comment saigner, selon l’état de santé du malade et le développement de la maladie. Plus tard, de nouvelles méthodes de saignée sont apparues, par ventouse (en apposant des ventouses chauffées sur une incision qui aspiraient le sang à mesure qu’elles refroidissaient) ou par sangsues (de l’espèce Hirudo medicinalis), des parasites suçant le sang de leur hôte. Convaincu de la valeur de ses découvertes, Galien a écrit trois livres exposant ses vues sur la saignée. Son entreprise de systématisation de la médecine grecque était si puissante qu’elle a dominé la médecine occidentale durant 1 400 ans. Ce n’est qu’à la Renaissance que des savants, dont André Vésale (1514-1564), ont commencé à remettre son autorité en question. Néanmoins, la pratique de la saignée a perduré, entourée d’une controverse grandissante, jusqu’à la fin du xixe siècle. Sauf dans des cas très particuliers, elle est aujourd’hui considérée comme inutile, voire dangereuse. GB

Illustration d’une saignée et des soins d’une maladie de peau dans un traité de médecine de 1519. R

v. 200

Sainte Trinité Tertullien Croyance selon laquelle Dieu est constitué de trois êtres habitant une même substance Jusqu’à la première moitié du ier siècle, le monothéisme juif considérait que Dieu n’avait qu’un « caractère », qu’une « personnalité ». L’apparition de Jésus changea la donne car, par certains de ses actes (comme le pardon des péchés), prérogatives exclusivement divines selon les juifs de l’époque, Jésus semblait prétendre à une forme d’identité avec Dieu. Pourtant, malgré cela, Jésus disait très clairement qu’il n’était pas Dieu le père. L’identité de Dieu se compliqua encore lorsque Jésus annonça que le Père allait envoyer le « Saint-Esprit », encore un autre aspect de Dieu, afin d’aider à l’élévation spirituelle des chrétiens. Durant les quatre siècles qui suivirent, les chrétiens discutèrent de la façon précise dont pouvaient se

concilier l’unité de Dieu et cette pluralité revendiquée par Jésus. Les premiers chrétiens étaient très attachés à l’intelligibilité de leur dogme, à sa rationalité. Ils pouvaient admettre que l’usage de la raison aboutisse à un mystère compréhensible de Dieu seul, mais ils ne supportaient pas la contradiction logique. Différentes « hérésies » ont proposé leur interprétation, dont le modalisme (selon lequel le Père, le Fils et le Saint-Esprit sont des modes ou des apparences d’un même Dieu) et l’arianisme (qui affirme que le Fils est la création du Père). Toutefois, Tertullien (v. 160-225), un des Pères de l’Église, a été le premier à parler de Dieu comme d’une seule « substance » et du Père, du Fils et du Saint-Esprit comme de « personnes » distinctes au sein de cette substance unique. Un siècle plus tard, au concile de Nicée, la formule rudimentaire « trois personnes dans une substance » devint la clé d’interprétation orthodoxe de l’unité et de la pluralité de la divinité. Étant donné l’omniprésence du christianisme dans le monde, l’idée d’un Dieu tripersonnel est maintenant la conception dominante du monothéisme. AB

e R La Trinité, peinture du xvi siècle du Tintoret (Jacopo Robusti, dit il Tintoretto).

Avant l’an 500   253


v. 1775

1776

Syndicat

Nationalisme

Europe

États-Unis

Une organisation créée pour améliorer les conditions sur le lieu de travail

Sentiment de loyauté à une nation, qui résulte de la conviction de sa supériorité

Si l’origine des syndicats remonte aux guildes de l’Europe médiévale, c’est aux alentours de 1775 qu’ils se démocratisèrent, peu après la révolution industrielle en Europe. À cette époque, les femmes, les enfants, les auxiliaires fermiers et les immigrants venaient massivement gonfler les effectifs, et les travailleurs commençaient à organiser grèves et protestations spontanées à propos de leur traitement et des conditions de travail dans les meuneries, les mines et les usines. Les syndicats représentèrent leurs membres avec un succès mitigé au xviiie siècle. Les employeurs devaient choisir entre accepter des demandes syndicales qui pouvaient accroître leurs coûts, ou perdre en productivité. En général, ils dédaignaient les revendications des travailleurs peu qualifiés, mais les employés qualifiés

Souvent associé au patriotisme, le nationalisme est l’identification, la loyauté et le dévouement à l’ensemble des corps d’individus qui constituent une nation. On parle également de nationalistes pour les personnes qui revendiquent la supériorité de celle-ci et cherchent à promouvoir la culture et les intérêts de leur communauté nationale au détriment d’autres nations ou d’autres groupes. Rentrer dans l’armée pour vous battre pour la liberté de vos concitoyens ou simplement penser que vous vivez dans le meilleur endroit sur Terre sont autant de formes de nationalisme. Il s’agit fondamentalement d’une idéologie, mais qui varie selon les différentes sensibilités du spectre politique. Alors que le nationalisme a été pratiqué depuis des siècles par bien des cultures différentes, sa forme moderne peut être datée

« Les syndicats sont la principale force de la démocratisation et du progrès. »

« Souhaiter la grandeur de son pays, c’est souhaiter du mal à ses voisins. »

Noam Chomsky, historien

Voltaire, Dictionnaire philosophique (1764)

étaient davantage respectés, car ils étaient plus durs à remplacer. Les syndiqués et les syndicats eux-mêmes étaient généralement dans l’illégalité aux xviii e et xixe siècles, et leurs membres furent même exécutés dans certains pays. Les réformes se firent petit à petit. Le travail des enfants de moins de dix ans ne fut interdit qu’avec le Factory Act de 1878, et il fallut attendre la fin du xixe siècle pour que certains syndicats fussent reconnus légalement et commencent à acquérir un poids politique. Les syndicats changèrent nos points de vue à la fois sur les droits des travailleurs et sur la signification du travail. Auparavant, les travailleurs étaient souvent exploités comme des biens dispensables et recevaient des salaires trop bas pour faire vivre leur famille. Le consommateur y a gagné, lui aussi, en apprenant le vrai prix ou la vraie valeur des choses. KBJ

à la Déclaration d’indépendance des États-Unis de 1776, aux révolutions américaine et française du xviiie siècle, et à l’unification de l’Allemagne et de l’Italie au xixe siècle – avec pour point commun l’union de peuples se battant pour leur autodétermination et leur indépendance. Le nationalisme a également sa face obscure. Il contraint la circulation des gens et de l’argent et le droit territorial à certaines ressources. Il a aussi joué un rôle dans de nombreuses guerres. Dans le cas d’Adolf Hitler et des nazis, le nationalisme s’est accompagné d’un génocide justifié par des revendications raciales, culturelles et génétiques. La Seconde Guerre mondiale (1939-1945) a profondément changé le paysage politique de bien des manières, et notamment dans la prise de conscience que la fierté d’une nation doit être surveillée. KBJ

422  1450-1779

La Liberté guidant le peuple (Delacroix, 1830) dépeint la victoire des Français sur le roi Charles X, durant les Trois Glorieuses. P


1789

1789

Déclaration des droits de l’homme Jérôme Champion de Cicé

Éléments chimiques

Un exposé des droits humains universels leur conférant égalité devant la loi

Des substances distinctes et indivisibles qui composent le monde physique

Le 26 août 1789, l’Assemblée constituante française adopte le dernier article de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, moment clé de la Révolution française (1787-1799), et premier pas crucial vers la rédaction de la Constitution de la France postrévolutionnaire. Elle est signée de l’évêque Jérôme Champion de Cicé (1735-1810). Le document comporte 17 articles énonçant plusieurs dispositions liées aux individus et à la nation. Il abolit les droits féodaux, définissant ainsi clairement l’universalité des droits individuels et collectifs : la vie, la liberté, la propriété, la sécurité et la résistance à l’oppression. Ces droits sont valables en tous temps et en tous lieux. Ces droits ne sont pas conférés, mais naturels. La Déclaration reconnaît également l’égalité devant la loi, ce qui a pour

Un élément chimique est une substance pure qui ne peut pas être divisée à des substances plus petites ou transformées chimiquement en d’autres substances. Ces éléments sont les briques de base de la chimie ; chacun a un type d’atome, et chacun se distingue par son nombre atomique (le nombre de protons autour de son noyau). Les Grecs furent les premiers à évoquer des éléments. Aristote écrivait qu’il existait des entités qui composaient d’autres objets, mais étaient elles-mêmes indivisibles. Pour les Grecs, il y avait quatre éléments : l’eau, l’air, le feu et l’eau. La nature fondamentale des éléments chimiques a été découverte en 1661 par le chimiste anglais Robert Boyle (1627-1691), mais c’est seulement en 1789, avec la publication du Traité élémentaire de chimie du Français Antoine Laurent

« Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. »

« Je désigne éléments […] certains corps primitifs […] ou absolument purs. »

Jérôme Champion de Cicé, Déclaration, Article 1 (1789)

Robert Boyle, chimiste

effet de tirer un trait sur tous les privilèges et exceptions accordés à la noblesse et au clergé. Elle limite les pouvoirs de la monarchie, rejette le caractère divin de la royauté, et établit que tous les citoyens ont le droit de participer au processus législatif, le gouvernement ne pouvant être composé que d’élus officiels. Néanmoins, certains droits politiques ne concernent que les citoyens « actifs » : ceux qui ont au moins 25 ans, qui paient des impôts équivalents à trois jours de travail, et qui sont propriétaires. Seuls les hommes blancs répondent à cette définition : femme, enfants et étrangers en sont exclus. La Déclaration a inspiré plusieurs Constitutions dans la veine de la démocratie libérale dans de nombreux pays d’Europe et d’Amérique latine. Elle a changé la manière dont nous voyons la relation entre l’État et ses citoyens, et porté une réforme juridique mondiale. KBJ

de Lavoisier (1743-1794) qu’est apparue la première vraie liste moderne. Celle-ci a été établie grâce à une étude attentive des réactions de décomposition et de recombinaison. Elle ne contenait que 33 éléments. Lorsqu’en 1869, le Russe Dimitri Mendeleev (1834-1907) crée la table périodique résumant leurs propriétés et illustrant le comportement chimique et les tendances récurrentes, leur nombre est monté à 66. À ce jour, 118 éléments ont été identifiés. Leur découverte a conduit à une meilleure compréhension de notre monde physique, dans sa composition, ses mécaniques et son évolution. Tous les objets contiennent des éléments chimiques, et plus de 30 d’entre eux ont des fonctions clés dans la conservation en vie et la santé des plantes, des animaux et des humains. En fait, ils sont la base même de la vie. KBJ

Antoine Lavoisier

Q La Déclaration des droits de l’homme(1789), peinte par Jean-Jacques-François Le Barbier.

1780-1899  441


1892

1893

Sens et référence

Suffrage universel

Gottlob Frege

Nouvelle-Zélande

Une théorie établissant une distinction entre le sens et la référence des signes du langage

Tous les citoyens adultes ont le droit de vote, indépendamment de leur sexe, de leur race et de leur statut social

Dans son article « Über Sinn und Bedeutung » (« Sens et référence », 1892), le philosophe et mathématicien allemand Gottlob Frege (1848-1925) explique que les termes « sens » et « référence » sont deux aspects de la signification d’un terme. Le sens fait habituellement référence à la façon dont nous percevons un objet ou le degré d’information que nous possédons à son sujet, tandis que la référence est l’objet désigné. Il objecte cependant que la signification d’un terme n’est rien de plus que la référence qui le constitue et postule qu’un nom propre est aussi composé de ce qu’il appelle son sens, en ce qu’il possède un aspect le différenciant d’un autre objet appelé de la même façon. En voici une illustration : « le chef du Parti démocrate des États-Unis

L’idée du suffrage universel, le fait que tous les citoyens adultes aient le droit de voter indépendamment de leur race, sexe, religion, richesse et statut social, s’est imposée avec l’avènement de gouvernements représentatifs dans certaines parties de l’Europe, aux États-Unis et dans des pays d’Amérique latine. Dans certains pays, elle est apparue naturellement avec l’instauration de gouvernements représentatifs, mais dans beaucoup d’autres c’est loin d’avoir été le cas. De ce fait, sa mise en œuvre a souvent pris du temps. Alors que certaines constitutions anciennes garantissaient le droit de vote à tous les hommes (mais pas aux femmes), les fondateurs de la plupart des premiers gouvernements représentatifs pensaient

« Le sens d’un nom propre est saisi par quiconque connaît suffisamment la langue… » Gottlob Frege, philosophe

« La lutte pour le droit de vote des femmes n’est pas la lutte des femmes blanches… »

en 2011 » et « le président des États-Unis en 2011 » sont deux énoncés ayant des sens différents, mais faisant référence tous deux à Barack Obama. Frege cherchait à voir s’il y existait une seule relation entre les objets ou si cette relation incluait aussi les noms et les signes que nous attribuons à ces objets. Les hommes peuvent avoir des souvenirs différents attachés à un même sens, comme une sensation ou une humeur associées au souvenir d’un objet. Ainsi, deux personnes peuvent regarder la Lune à travers un télescope, mais en garder des souvenirs différents, parce que la vue était voilée ou en raison d’autres variables aléatoires. Et puis il y a le problème des noms communs comme l’« étoile du matin ». Celui qui regarde cette étoile ne lui donnera pas une signification correcte, s’il ne sait pas que l’étoile du matin et l’étoile du soir ne font qu’une. BS

que seuls les hommes ayant des biens devaient en bénéficier. Dans certains pays, notamment aux ÉtatsUnis, il n’était octroyé qu’aux Blancs possédant des biens. Ces restrictions ont dressé d’importantes barrières (factuelles ou légales) entre les institutions et les femmes, les pauvres et les personnes qui n’étaient pas blanches. L’instauration du suffrage universel, idée essentielle considérée aujourd’hui comme allant de soi, n’a pas été rapide. Le droit de vote a été accordé tard aux femmes en Europe et la loi l’autorisant n’a été ratifiée qu’en 1920 dans tous les États-Unis. La Nouvelle-Zélande a été le premier pays, en 1893, à étendre le droit de vote aux femmes. L’Australie lui a emboîté le pas en 1901, puis la Finlande en 1907 et la Norvège en 1913. Sans suffrage universel, le paysage politique sera très différent de ce qu’il est aujourd’hui. JE

584  1780-1899

Carrie Chapman Catt

La campagne des suffragettes anglaises pour le droit de vote des femmes à Londres, en 1908. P


1952

1952

Art performance

Pensée de groupe

John Cage

William H. Whyte

Une forme artistique qui inclut le spectateur ou auditeur pour que l’œuvre existe

Phénomène psychologique aux conséquences potentiellement désastreuses

Les origines de l’art performance remontent au futurisme et au dadaïsme, deux mouvements du début du xxe siècle. Toutefois ce n’est devenu une forme artistique à part entière qu’en 1952, lors d’une manifestation culturelle au Black Mountain College, en Caroline du Nord. Orchestrée par un groupe dont le chef de file était le compositeur John Cage, celle-ci comprenait diverses représentations de même durée, issues de plusieurs disciplines. À partir de là s’est développée une nouvelle approche artistique, où l’idée qui fonde l’œuvre l’emporte sur l’esthétique – c’est le concept qui fait l’art et le justifie. Dès les années 1960, on ne faisait plus référence à l’art performance mais aux happenings, des rassemblements artistiques se déroulant de façon impromptue dans des lieux insolites. Mettant davantage l’accent sur la validité

La pensée de groupe est un phénomène qui se produit lorsque des individus prennent une mauvaise décision commune parce qu’ils ont cédé à la pression sociale. Par exemple, quand le désir d’harmonie pousse les membres du groupe à minimiser le conflit qui existe entre eux, ils ont tendance à se conformer à une décision qui, pensent-ils, permettra d’obtenir le consensus. Ils n’examinent pas d’autres points de vue ou solutions, qui pourraient prêter à controverse. Cette soif de loyauté peut conduire à la certitude, potentiellement artificielle, que la solution choisie constituait le meilleur choix possible. La pensée de groupe peut étouffer la créativité et la liberté de pensée, et conduire à des décisions irrationnelles et erronées. L’expression pensée de groupe (groupthink en anglais)

« “artiste de performance” […] comprend à peu près tout ce qu’on pourrait avoir envie de faire. » Laurie Anderson

« Nous ne parlons pas du simple conformisme instinctif […] mais d’un conformisme rationalisé. » William H. Whyte,

de l’expérience du spectateur, les artistes rejetaient alors les approches claires et narratives. Ils se mettaient en scène en train de se brosser les dents ou de lire le journal devant le public toute une soirée, ou, comme Yoko Ono et John Lennon en 1969, de passer une semaine entière au lit. L’art performance n’a que rarement produit un objet tangible que l’on pouvait acquérir ou exposer. Utilisé sous de nouvelles formes dynamiques, l’art commentait les préoccupations sociales et éthiques de l’ère des droits civils et du mouvement pour la paix, époque de tensions politiques intenses. À travers leur corps, les artistes femmes remettaient en cause les attitudes envers leur sexe. En l’espace de dix ans, l’art performance était devenu un mouvement global, apprécié d’un nouveau public, qui rendait obsolète la notion de galerie, de musée ou d’ingérence hiérarchique. BS

a été créée en 1952 par l’urbaniste américain William H. Whyte (1917-1999) dans un article du magazine Fortune. Selon lui, la société était victime de la pensée de groupe, car l’individu n’était plus qu’une « créature de son environnement, guidée presque entièrement par les caprices et préjugés du groupe, incapable de réelle autodétermination ». Irving Janis (1918-1990), psychologue américain, a approfondi cette théorie pour décrire les erreurs qui se produisent systématiquement dans la prise de décision collective. Il a pour cela étudié plusieurs conflits armés américains, et a souligné dans divers ouvrages à quel point le phénomène a conduit à des décisions ou comportements peu judicieux. Par exemple, le gouvernement américain n’a pu anticiper l’attaque japonaise de Pearl Harbor en 1941. CK

Q John Lennon et Yoko Ono ont passé une semaine au lit en 1969, lors d’une performance artistique qui protestait contre la violence mondiale.

de 1950 à nos jours  755


1967

1967

La Société du spectacle

Épistémologie réformée

Guy Debord

Alvin Plantinga

Dans la société moderne, l’image est devenue plus importante que la réalité

Une philosophie religieuse qui défend la rationalité de la foi

Guy Debord (1931-1994), théoricien marxiste français, retraçait dans La Société du spectacle (1967), ouvrage de philosophie et de théorie critique, le développement de la société moderne où des activités sociales authentiques avaient été remplacées par leur représentation. On retrouvait dans ce livre de nombreuses idées que les Allemands Theodor Adorno (1903-1969) et Max Horkheimer (1895-1973) avaient exposées dans le leur, La Dialectique de la raison (1944). Debord affirme que dans toute société de consommation l’identification passive au spectacle supplante l’activité réelle. Inévitablement, l’activité sociale s’éloigne de l’« être » pour l’« avoir » avant de glisser progressivement vers le « paraître », synonyme d’une vie virtuelle. Le spectacle fait appel à des images pour nous indiquer ce dont nous avons tous besoin et ce que nous devons posséder. Dans son analyse, Debord voit la qualité de la vie se dégrader en une « pseudo-jouissance qui garde en elle la répression », de plus en plus appauvrie et délaissant l’authenticité. Il compare le rôle du marketing contemporain à celui des religions du passé. Les moyens d’information soutiennent et relancent les images de marchandises, produisant « des vagues d’enthousiasme pour un produit donné » qui conduisent à des « moments d’excitation fervente » rappelant les « transports de convulsionnaires ou miraculés du vieux fétichisme religieux ». Debord propose de « réveiller le spectateur drogué par les images spectaculaires », et encourage le recours au détournement, où l’on fait appel à ces mêmes images et ce même langage pour « interrompre le flot du spectacle ». Cette action radicale encouragerait une réorganisation révolutionnaire de la vie, de la politique et de l’art qui permettrait d’« être » de façon authentique. JP

L’épistémologie réformée est née en 1967 avec la publication de God and Other Minds (Dieu et autres esprits) par le philosophe analytique Alvin Plantinga (né en 1932), et s’est développée au fil des années 1970 et 1980. Elle soutient que croire en Dieu est tout à fait justifié, rationnel et logique, que la foi et la croyance n’ont pas besoin de preuves et sont valables en elles-mêmes. Le terme « épistémologie » provient de la philosophie et fait référence à l’étude de la nature, de l’envergure et des limites de la connaissance, mais aussi à notre relation à nos croyances et nos notions de la vérité. On a recours à l’épistémologie réformée (fondamentalement un ensemble d’arguments fondés et défendus) quand on désire démontrer que les argu-

Q Ce public d’une salle de cinéma illustre la thèse de Debord selon laquelle les images arbitrent les relations sociales.

« La croyance en d’autres esprits et la croyance en Dieu sont logées à la même enseigne épistémologique… » Alvin Plantinga, God and Other Minds (1967) ments traditionnels contre l’existence de Dieu sont déraisonnables et anti-intellectuels. Le mouvement constituait une réaction contre l’évidentialisme (on ne peut croire à quelque chose que lorsque les preuves sont suffisamment concluantes) et le fondationnalisme classique (les croyances peuvent être déduites de croyances antérieures, plus basiques). L’épistémologie réformée constitue de plus une réponse à l’athéisme et affirme qu’il est simplement malhonnête pour les non-croyants de présumer que croire en Dieu est irrationnel tant qu’on n’a pas la preuve de son existence. Ce courant présente enfin aussi un défi aux chrétiens en leur rappelant qu’on ne peut fonder sa foi sur quelque chose d’aussi transitoire qu’un bon argument. BS de 1950 à nos jours  823


2002

2003

Théorie du Big Crunch

Flash Mob

Andreï Linde

Bill Wasik

L’énergie noire pourrait faire s’effondrer l’univers sur lui-même

Un truc publicitaire qui déclencha un engouement mondial pour les performances spontanées

Les scientifiques cherchant à comprendre la physique sous-tendant le Big Bang qui mena à la création de l’univers se demandaient aussi s’il finirait un jour. On a longtemps cru que l’univers était en expansion constante, mais de récentes observations astronomiques ont conduit les chercheurs, dont Andreï Linde de l’université Stanford, à revoir leur conception de la fin ultime. En 1998, des astronomes conclurent que l’expansion de l’univers s’accélérait au lieu de ralentir comme on le pensait précédemment. L’attraction gravitationnelle de la matière la contrôlant était supplantée par une force antigravitationnelle qui écartelait l’univers. La matière se réduit quand l’univers s’épand et une

Le terme « flash mob » fut employé pour la première fois en 2003 : il fait référence à un groupe d’individus qui se retrouvent subitement ensemble, en public, effectuent une action convenue d’avance qui peut être théâtrale, inhabituelle ou apparemment absurde, puis se dispersent tout aussi rapidement. L’essence d’un flash mob, c’est son apparente spontanéité. C’est une sorte d’art de la rue. Certains flashs mobs se préparent très longtemps à l’avance, mais la plupart du temps, les personnes qui se retrouvent l’ont décidé très vite par le biais de leurs smartphones ou des réseaux sociaux. Les flashs mobs sont le fruit de l’imagination de Bill Wasik, le rédacteur en chef de Harper’s Magazine, qui voulait se moquer des gens prêts à parti-

« Il y a quelques années, personne n’aurait sérieusement envisagé la fin du monde. »

« Une nouvelle façon de jouer la comédie devant un public […] et de s’amuser. »

Andrei Linde, New Scientist (6 septembre 2002)

Bill Wasik

force répulsive s’impose à sa place. Appelée énergie noire, c’est une substance invisible, répartie également dans l’espace et constituant environ 70 % de l’univers. Jusqu’à cette découverte, on pensait que l’univers connaîtrait une expansion telle qu’il finirait par se disloquer. Pour Linde, l’énergie noire ne tombera pas à zéro avec l’expansion de l’univers, mais deviendra négative : c’est alors que l’expansion ralentira puis s’inversera. L’espace et le temps s’effondreront et ce sera le Big Crunch. Vu que notre univers a déjà 14 milliards d’années et que son effondrement doit survenir dans 10 à 20 milliards d’années, nous vivons actuellement sa phase intermédiaire. Nous ne saurons jamais si Linde à raison ou bien tort, car la Terre se sera perdue bien avant dans le Soleil. SA

ciper à n’importe quel événement, aussi futile soit-il. Sa première tentative échoua quand le propriétaire d’un magasin de Manhattan où son happening devait se passer fut prévenu à l’avance. Les fuites pouvant tout ruiner, il demanda à 130 participants de se retrouver dans quatre bars différents : personne ne connaissait sa destination finale ni ce qu’il ferait. À un moment donné, tous les participants se ruèrent au 9e étage du grand magasin Macy’ s et demandèrent aux vendeurs un « tapis d’amour » à se partager. Le succès de ce flash mob organisé le 3 juin 2003 lança une mode qui submergea la planète. Le premier flash mob parisien eut lieu trois semaines plus tard dans le hall du Louvre. L’enthousiasme public diminua cependant dans le monde quand, sous prétexte de flash mob, des groupes envahirent des magasins pour les piller. GL

930  de 1950 à nos jours

Un flash mob organisé dans le métro de Moscou en 2011. P


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