ISABELLE FIEMEYER
L’ É N IG M E
POURQUOI CHA NE L ? Pourquoi près de cent livres publiés depuis sa mort en 1971, hagiographiques, reprenant inlassablement la vie et l’œuvre, parfois hostiles, notamment sur la période de la guerre ? Pour tenter de répondre, ce livre analytique, illustré de lettres et d’objets personnels souvent inédits, s’appuie sur des témoignages et des archives. Historiens, philosophes, réalisateurs, figures de la maison Chanel, proches de Coco Chanel, sans oublier des spécialistes de l’Occupation et du renseignement, tous posent un regard distancié sur le mythe et ses excès. Car Chanel, l’énigme, fruit de plusieurs années d’enquête, est aussi l’occasion de révélations sur la guerre, avec de nouvelles archives, certaines secrètes jusqu’à ce jour. est l’auteur de Chanel intime (Flammarion, 2011), Coco Chanel, un parfum de mystère (Payot, 1999, poche 2004), mais aussi de Marcel Griaule, citoyen dogon (Actes Sud, 2004) et d’un roman, Les trois noms d’Esther (Maurice Nadeau, 2008). ISABELLE FIEMEYER
Prix France : 39,90 ISBN : 978-2-0813-6167-6
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CHANEL DOS TOILE EXE REGARD FR US.indd 1
Flammarion
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SOMMAIRE 6
AVANT-PROPOS
I 10 E X A L T A T I O N S 12 26 48 62 98
ÊTRE SYMBOLE ÊTRE TISSU ÊTRE RÉCIT ÊTRE ARTISTE ÊTRE CHANEL
112
II VOCIFÉRATIONS
114 134
FACE À L’HYPOTHÈSE
168 171 172 174
Notes
177
SÉLECTION D’ARCHIVES
190 191
FACE AU DOSSIER
Généalogie simplifiée Repères chronologiques Index
Liste des archives Remerciements
Dès les années 1920, Coco Chanel lance la mode des bijoux couture mêlant vraies et fausses pierres. En 1932, elle crée une unique collection de joaillerie, « Bijoux de Diamants », dont est issue cette broche « comète », platine et diamants. PAGE DE DROITE Coco Chanel dans son salon de présentation des collections, au premier étage du 31, rue Cambon, début des années 1930. DOUBLE PAGE SUIVANTE, À GAUCHE Sur sa pochette à bijoux, doublée de rose tyrien, le collier de rubis, perle et émeraude offert par Paul Iribe, qu’elle porte assidûment à partir de 1934. PAGE PRÉCÉDENTE
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C HAN E L , L ’ É N I G M E
Auntie Coco n’aimait pas raconter sa propre histoire. D’après maman, elle se lançait dans des récits différents selon son humeur et l’interlocuteur et, dans les dernières années de sa vie, ne disait plus jamais la vérité. De nombreux livres racontent une histoire fausse, des interprétations différentes sur une base commune souvent vraie. Finalement c’est ce que voulait Auntie Coco, une histoire d’elle changeante. Cela me fait penser au fameux « Quand la légende dépasse la réalité, alors on publie la légende » du film de John Ford, L’homme qui tua Liberty Valance. Dans le cas d’Auntie Coco, c’est vraiment cela. Ce qui intéresse les gens, c’est la légende. Sa vraie vie n’intéresse personne. En revanche, ce qui est triste, c’est que certains ont voulu transformer son histoire en quelque chose de sulfureux, parfois d’horrible, jusqu’à salir sa mémoire. Pour moi, elle est Auntie Coco, celle qui m’invitait à déjeuner en tête à tête rue Cambon et m’offrait l’eau de toilette Pour Monsieur pour ma première communion. Je venais d’avoir treize ans quand elle est morte. Maintenant que maman et ma tante Hélène ont disparu, je suis le dernier de la lignée à avoir connu Auntie Coco, c’est lourd à porter. J’entends parler d’elle tous les jours, dans les médias, dans la rue. Parfois, j’aimerais oublier que je suis, avec ma fille, le dernier de la famille. GUILL AUME L ABRUNIE
De haut en bas, André Palasse et son petit-fils Guillaume Labrunie. Puis deux photos conservées par Coco Chanel dans son porte-cartes, celle d’André Palasse, celle de Guillaume et son frère, enfants. Enfin, sa carte d’appartenance à la religion catholique, également conservée dans son porte-cartes. CI-DESSUS De haut en bas, Adrienne, sa tante, amie et compagne de toute une vie, devenue Adrienne de Nexon, et le château de Nexon. PAGE DE GAUCHE
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ÊTRE ARTISTE Elle entre en couture comme on entre en littérature. Elle commence avec un coup de génie, à La Croix-Saint-Ouen, chez Étienne Balsan, empoignant le tissu, abruptement, à la façon d’un poète qui débute en poésie. Sa vie durant, Coco Chanel se considérera comme un simple artisan, mais c’est en artiste qu’elle puise sa force créatrice, son inspiration, dans les secrets et les blessures de son enfance. Elle crée une œuvre globale, un absolu, mais considère avec modestie ce qu’elle accomplit, un travail exécuté le mieux possible. Elle met en place un vocabulaire plastique, des lignes pures, des formes simples ; elle simplifie aussi la couleur, noir, blanc, beige, rouge. L’abstraction vers laquelle elle tend donne du sens et du mystère. Elle est prise dans la structure, quand elle crée c’est une véritable épreuve de concentration qui va vers l’essentiel. Tout commence par une image mentale. Puis elle trouve les mots, donne des indications à la première d’atelier, ne dessine pas, n’exécute pas de croquis préalable. Le mannequin se tient devant elle comme une sculpture en devenir, Coco Chanel monte, démonte, coupe, allège, peu à peu la ligne surgit, la silhouette se dessine. Colette, qui la connaissait si bien, l’a décrite obstinée sur son œuvre, « occupée à sculpter un ange de six pieds ». Tout se fait dans une sorte de colère, de rage, qui apaise l’angoisse. C’est par nécessité que Coco Chanel crée, il y a chez elle une ténacité, une persistance, l’orthodoxie d’un art rigoureux, une soif semblable à celle dont parlent les mystiques. Son univers se construit, elle assène coup sur coup des vêtements qui sont des œuvres, un enchevêtrement, une cohorte, une cohérence. Son génie est reconnu très tôt, la déroutante nouveauté de ses créations aussi. Elle se moque des fluctuations de la mode, croit en un style, durable, intemporel. Elle recherche la forme épurée, parfaite,
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PAGE DE GAUCHE Elle a trouvé sa voie, l’immensité d’une voie, la couture comme un art. Irrésistiblement, elle construit son œuvre. Portrait de Hoyningen-Huene, rue Cambon.
Elle a réussi. Le « Bonneterie en tous genres & articles de blanc. ALB E R T C H A N EL » est loin. C H A N EL, en lettres capitales comme le nom de son père, est un nom glorieux, de même que le double C de son enfance. Coco Chanel est devenue un mythe, qui dépasse même le domaine strict de la mode et touche à la modernité, à la liberté. Un mythe avec des extrêmes, d’inévitables vociférations.
La Rencontre imaginaire, croquis de Karl Lagerfeld. « Alors, quel est le prochain crime que vous allez commettre sous mon nom ? »
PAGE DE DROITE
C HAN E L , L ’ É N I G M E
Aux yeux de tous, Dincklage est cultivé, distingué, séducteur, mondain, et semble surtout préoccupé par ses conquêtes féminines. Il a de nombreuses maîtresses, notamment la baronne Dessoffy et Gertrude Lowe 4 . Il est marié avec Maximiliane von Schoenebeck, dite « Catsy », juive allemande, avec laquelle il forme un couple qui tient plus du duo d’espions. Catsy a elle-même des amants bien placés, dans la Marine française et la Défense nationale 5 . « On craint que le Sieur Gaillard, qui est sous l’influence constante de la dame von Dincklage, ne commette bénévolement des indiscrétions susceptibles de nuire à la Défense nationale 6 », observent les services de renseignement. En 1935, en raison des lois de Nuremberg, ils divorcent mais restent très proches. C’est précisément cette capacité à paraître inoffensif et à séduire les femmes du monde qui intéresse le renseignement allemand. Officiellement attaché à l’ambassade d’Allemagne, Dincklage est en fait un agent de l’Abwehr, mais nombreux sont ceux qui, même à un haut niveau, s’interrogent sur sa fonction véritable : « Qui est exactement le baron Hans Günther von Dinklage 7 ? » Le 2e Bureau le surveille, et observe : « Très intrigant, il aurait réussi à gagner la confiance de nombreux Français. […] Jusqu’à présent, von Dincklage, qui fait l’objet d’une surveillance attentive, n’a jamais pu être pris en fraude 8. » Après la guerre, lors d’un interrogatoire, Feihl, attaché de presse à l’ambassade d’Allemagne, dit ceci : « Je dois dire que j’ai suspecté plus tard M. von Dincklage de travailler pour un service de contre-espionnage, mais je tiens bien à préciser que je n’en ai jamais eu aucune preuve 9. » Schellenberg, chef du contre-espionnage, a lui-même des doutes : « Schellenberg pense que Dincklage a pu travailler pour l’Abwehr, mais il est incapable de le confirmer 10. » Le fantasme, l’hypothèse communément admise, c’est que Coco Chanel savait qui était vraiment Dincklage. Mais comment aurait-elle su sa fonction véritable si tout le monde l’ignorait, si l’on s’interrogeait à un haut niveau ?
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Croquis noir et blanc de Léon Bénigni, 1934, intitulé « La nouvelle ligne de Chanel ». PAGE DE DROITE
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POURQUOI CHA NE L ? Pourquoi près de cent livres publiés depuis sa mort en 1971, hagiographiques, reprenant inlassablement la vie et l’œuvre, parfois hostiles, notamment sur la période de la guerre ? Pour tenter de répondre, ce livre analytique, illustré de lettres et d’objets personnels souvent inédits, s’appuie sur des témoignages et des archives. Historiens, philosophes, réalisateurs, figures de la maison Chanel, proches de Coco Chanel, sans oublier des spécialistes de l’Occupation et du renseignement, tous posent un regard distancié sur le mythe et ses excès. Car Chanel, l’énigme, fruit de plusieurs années d’enquête, est aussi l’occasion de révélations sur la guerre, avec de nouvelles archives, certaines secrètes jusqu’à ce jour. est l’auteur de Chanel intime (Flammarion, 2011), Coco Chanel, un parfum de mystère (Payot, 1999, poche 2004), mais aussi de Marcel Griaule, citoyen dogon (Actes Sud, 2004) et d’un roman, Les trois noms d’Esther (Maurice Nadeau, 2008). ISABELLE FIEMEYER
Prix France : 39,90 ISBN : 978-2-0813-6167-6
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