ESSOR DE L’EMPIRE CÉLESTE
Flammarion
L’HÉRITAGE HISTORIQUE ET CULTUREL DES HAN par Wang Zijin
Durant les quelque quatre siècles de la période Han, la civilisation chinoise connut de profonds bouleversements, et la nation chinoise de remarquables avancées. Le bassin du fleuve Jaune, la vallée du fleuve Bleu et le delta de la rivière des Perles délimitent la scène sur laquelle se déroule l’histoire de cette dynastie. À cette époque, la « Grande Unité », c’est-àdire la centralisation du pouvoir, prend forme en tant que système politique. L’agriculture, qui constitue la principale ressource économique, prend son essor et la richesse matérielle progresse de façon spectaculaire. Le lent mélange des cultures locales donne naissance à une nouvelle forme de culture, plus cohérente. Enfin l’institution du confucianisme en tant qu’idéologie légitime le pouvoir impérial, influençant durablement les époques suivantes. Évolution historique de la dynastie Han En 221 avant J.-C., après plusieurs années de conquêtes guerrières sous les Royaumes combattants, Ying Zheng 1, roi de Qin, réalisa l’unification du pays la 26e année de son règne. Mais l’empire Qin fut de très courte durée. En 206 avant J.-C., cette dynastie fut renversée par des révoltes populaires. À la chute des Qin, Xiang Yu, le général le plus puissant des troupes rebelles, avait la main sur la région nord du Shaanxi. Cependant, comme il n’avait pas la maîtrise totale de l’ensemble du territoire, les rivalités entre les marquis se ravivèrent et le chaos recommença. Liu Bang,
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habile politicien, récupéra la région nord du Shaanxi comme base d’appui et obtint le soutien de nombreux ministres compétents et de guerriers courageux. Enfin, il l’emporta sur Xiang Yu et fonda la dynastie des Han avec pour capitale Chang’an. L’histoire désigne cette dynastie sous le nom des Han de l’Ouest. Durant les premières années des Han de l’Ouest, la situation politique resta très complexe. La situation économique était mauvaise et les menaces extérieures particulièrement fortes. Liu Bang, entouré de ses ministres, s’efforça de stabiliser le pouvoir des Han. Après son décès, l’impératrice Lü Zhi 2 régna. Puis lui succédèrent Liu Heng, empereur Wendi (r. 180-157 av. J.-C.), et Liu Qi, empereur Jingdi (r. 157-141 av. J.-C.). Les règnes de Wendi et Jingdi durèrent trente-neuf ans, durant lesquels le pouvoir fut stable et l’économie connut un développement remarquable. L’époque fut considérée comme un modèle de stabilité et de prospérité, qu’on baptisa Wen Jing zhi zhi (« Règnes de Wen[di] et Jing[di] »). L’empereur Wudi régna cinquante-quatre ans (de 141 à 87 av. J.-C.), une durée particulièrement longue pour un souverain de la Chine ancienne. Sous son règne, la dynastie des Han de l’Ouest connut son apogée. Le pays fut consolidé autour de l’ethnie Han, mais dans un contexte multiethnique. Les principaux traits de la culture chinoise prirent forme. La Chine dès lors se manifesta comme un État civilisé et puissant, avec une culture à part entière. L’époque de Wudi
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cat. 12 Figurines d’animaux Han de l’Ouest Terre cuite Découvertes dans la fosse d’accompagnement, mausolée Yangling (Xianyang, province du Shaanxi) Musée Han Yangling a : Cheval, H. 59,5 cm, L. 70 cm, l. 18 cm, découvert en 1999 b : Chien, H. 19,9 cm, L. 31,2 cm, l. 8,5 cm, découvert en 1999 c : Truie, H. 22 cm, L. 46 cm, l. 15 cm, découverte en 2000 d : Porc, H. 23 cm, L. 43,7 cm, l. 14,5 cm, découvert en 1999 e : Porcelet, H. 7 cm, L. 16 cm, découvert en 1998 f : Mouton, H. 36,3 cm, L. 44 cm, l. 12,7 cm, découvert en 1999 g : Coq, H. 15 cm, L. 15,5 cm, découvert en 1999 h : Poule, H. 12 cm, L. 15 cm, découverte en 1999 i : Bœuf, H. 39 cm, L. 71 cm, l. 24 cm, découvert en 1992
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Les tombes néolithiques chinoises ont révélé un important phénomène d’inhumation d’animaux, et en particulier des six espèces d’élevage – cheval, bœuf, mouton, coq, chien et porc – depuis longtemps domestiquées en Chine. Si les sacrifices animaliers ont perduré au sein des sociétés des Printemps et Automnes (770-453 av. J.-C.) et des Royaumes combattants (453-221 av. J.-C.), parfois dans des proportions conséquentes, un processus de substitution au moyen de figurines en terre cuite s’est progressivement mis en place, les traités sur les rites des Han achevant d’en condamner la pratique dans le cadre funéraire. Les tombes du mausolée de Jingdi à Yangling contenaient ainsi un nombre considérable de figurines d’animaux en terre cuite, regroupées en troupeaux dans de longues tranchées. Les animaux d’élevage sont particulièrement nombreux, de même que les mules, originaires d’Occident, employées essentiellement pour le trait et le portage, et très appréciées en raison de leur résistance et de la modicité de leur prix. Tous les types d’animaux présentés ici attestent l’opulence du style de vie impériale, la prégnance de l’économie rurale et notamment de l’élevage, qui constitue une source importante de richesse. Ces figurines montrent en outre l’habileté technique des artisans, qui ont porté une attention particulière au modelé, aux proportions et au rendu des expressions.
77 LE FILS DU CIEL, PIVOT DU SYSTÈME IMPÉRIAL
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cat. 38 Pendant de jade Han de l’Ouest Jade H. 17,5 cm, l. 10,2 cm, ép. 0,6 cm Découvert en 1995, tombe princière de Chu, Shizishan (Xuzhou, province du Jiangsu) Musée de Xuzhou
Ce pendant de jade en forme de dragon, qui présente un travail remarquable de la matière, a été découvert dans la tombe d’un prince apanagé du royaume de Chu. Ce royaume, dépendant du domaine impérial, avait été attribué à la branche cadette de la famille de Liu Bang, fondateur de la dynastie Han sous le nom d’empereur Gaozu. La tombe appartient peut-être à Liu Wu, roi de Chu de la troisième génération (r. 174154 av. J.-C.), qui initia la rébellion des Sept Royaumes et prit le commandement des armées rebelles contre l’empereur. En 154 avant notre ère, il fut défait par le général Zhou Yafu et condamné au suicide. La tombe n’ayant jamais été achevée, il est probable que Liu Wu ait été enterré hâtivement suite à ces événements (cat. 104 et 105).
cat. 39 Anneau de jade Han de l’Ouest Jade D. max. 7,9 cm, ép. 0,3 cm Découvert en 1982, tombe princière de Chu, Dongdongshan (Xuzhou, province du Jiangsu) Musée de Xuzhou
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L’anneau constitue l’une des pièces ornementales du pendant de jade qui était attaché à la ceinture comme un bijou. Ici, il est orné d’un dragon, d’un phénix et d’un tapir sculptés en ajour et traités en détail par de fines lignes incisées en surface. Le dragon et le phénix, deux animaux de bon augure de la mythologie chinoise, sont abondamment représentés. Le tapir est un animal plus rare dans l’iconographie de la Chine ancienne, mais il est attesté à la fois dans la littérature et parmi les objets antiques, comme en témoignent des vases rituels en forme de tapir utilisés dès l’époque des Royaumes combattants (453221 av. J.-C.), aujourd’hui disparus mais consignés dans des documents anciens tels le Catalogue illustré des antiquités (Bogu tu), datant du xiie siècle.
AUX FRONTIÈRES DE L’EMPIRE, NAISSANCE DE LA ROUTE DE LA SOIE À la suite des années troublées par les luttes qui accompagnent la fin de la dynastie Qin, le fondateur des Han s’impose sur un empire dont la superficie et les frontières sont comparables au territoire unifié par le Premier Empereur en 221 avant J.-C. Au nord, la Grande Muraille demeure au cœur du dispositif défensif de l’empire. À l’intérieur du pays, les circonscriptions administratives, qui depuis les Qin se sont substituées aux anciens royaumes, participent de l’exercice d’un pouvoir hiérarchisé et centralisé et contribuent à la stabilité de l’empire.
La continuité dynastique des Han et l’unité territoriale de leur empire sont pourtant le fruit d’une politique des frontières contrastée. Ainsi, sous les Han de l’Ouest, la stratégie impériale est marquée par une alternance entre des efforts de conciliation et des offensives visant à contenir ses voisins loin de ses frontières. Le rapport des Han avec les Xiongnu, qui forment une puissante confédération aux confins nord-ouest du territoire chinois, fut ainsi caractérisé par des alliances matrimoniales et le versement de tributs, mais aussi par des expéditions militaires. Sous le règne de l’empereur Wudi, les Han créent de nouvelles commanderies au Gansu, qui les relient aux routes commerciales transcontinentales. Après les victoires remportées contre les royaumes de Dian (cat. 87 à 90) au Yunnan et de Nanyue dans la région de Canton à la fin du iie siècle, l’empire des Han étend son administration
cat. 107 Figure d’immortel Han de l’Ouest Bronze H. 15,3 cm Découverte en 1964, site de Chang’an (actuelle Xi’an, province du Shaanxi) Musée de Xi’an
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Cette figure d’immortel en bronze traduit les croyances de la société Han, en particulier ses aspirations à l’immortalité et sa foi en la figure de l’immortel divin, qui s’accompagnent d’une ferveur avérée pour les recettes et les techniques ésotériques censées aider à la guérison, à la purification et à la vie éternelle. Mise au jour à 5 mètres à peine au nord du palais Weiyang (Weiyang gong) de Chang’an, elle illustre l’intérêt des membres du palais pour les arts divinatoires, médicaux et magiques des fangshi, ces hommes versés dans les sciences occultes, à la fois devins, astrologues, géomanciens, docteurs, exorcistes et physiognomonistes. L’immortel présenté ici précise l’image que s’en faisaient les Chinois de la dynastie Han. Il possède un visage allongé et anguleux, des pommettes saillantes, une large bouche au-dessus d’un menton pointu et, renforçant l’étrangeté de sa silhouette, de larges oreilles et des sourcils particulièrement arqués. Il est vêtu d’une tunique longue. Assis sur les talons, pieds nus, ses deux mains disjointes relevées au niveau de la poitrine, il est perforé d’un large trou entre les genoux où devait venir se fixer quelque autre objet, comme le suggère une figure d’immortel similaire exhumée à Luoyang (Henan), datée des Han de l’Est, qui est chevillée à un petit fourreau combinant un étui rectangulaire et un étui cylindrique.
193 CONCEPTIONS DE L’AU-DELÀ
cat. 140 Joueurs de liubo Dynastie Han Bois Table de jeu : L. 29 cm, l. 19,5 cm ; figurines : H. 27,5 cm et 28,5 cm Découverts en 1969, site de Mozuizi (Wuwei, province du Gansu) Musée provincial du Gansu
232 LE JEU
Les mises en scène des figurines funéraires concernent tous les domaines, des plus solennels – il en est ainsi des armées – aux plus anecdotiques, comme pour ces joueurs de liubo. Ce jeu très répandu dans la Chine ancienne était pratiqué sur un plateau carré avec six baguettes faisant office de dés, six pions noirs et six pions blancs. Le premier joueur qui prenait toutes les pièces remportait la partie. Comparable au jeu d’échecs chinois xiangqi dans le principe d’élimination des pions pour obtenir la victoire, le dabo, « grand bo », qui se jouait avec six bâtonnets – par opposition au xiaobo, « petit bo », qui se jouait avec deux dés –, est le plus ancien jeu de stratégie attesté depuis au moins la fin des Printemps et Automnes (771-453 av. J.-C.). Il a ensuite évolué progressivement en différents types de jeux d’échecs. Le liubo était l’un des jeux les plus populaires sous les Han. Au centre du tablier de jeu, un espace carré était ménagé, appelé « eau (shui) », dans lequel étaient placées deux pièces désignées sous le terme « poisson (yu)». Les pions se déplaçaient selon plusieurs lignes de jeu marquées sur le plateau. Les règles ne sont plus précisément connues aujourd’hui, mais de nombreux extraits littéraires et les ensembles de jeu mis au jour sur les sites archéologiques nous éclairent à la fois sur le fond mythologique et cosmologique du jeu, ainsi que sur le déroulement des parties. Il semble que les bâtonnets étaient d’abord lancés pour déterminer le mouvement des pions ; si l’un d’eux atteignait le point central du plateau, il prenait un « poisson », ce qui équivalait à deux jetons, lesquels étaient utilisés pour compter les gains et les pertes des joueurs. La pièce présentée ici, réalisée en bois, comprend un tablier de jeu entièrement peint en noir, les quatre angles et les huit rainures qui le traversent étant soulignés par des bandes de couleur blanche. Les deux joueurs, deux anciens, les cheveux remontés en chignon et portant la barbe, sont agenouillés devant la table. On décèle encore nettement sur les figures les larges bandes noires et blanches de leur tunique, nouée d’une ceinture à la taille. L’un des joueurs avance son bras, le regard vers l’avant, comme s’il invitait son adversaire à débuter la partie ; ce dernier tend son bras en direction du plateau, une pièce de jeu dans la main, prêt à la poser. L’ensemble des pièces a été sculpté avec simplicité et concision, et, s’il n’y a pas à proprement parler d’individualisation des visages, les artisans Han ont réalisé une belle performance artistique en traduisant l’état de concentration des joueurs au moment d’entamer leur partie.
233 L’ART DE VIVRE