La place des ponts habités dans les villes

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Mathilde Gattegno

Rapport d’études de troisième année 2012 - 2013 École d’Architecture de la Ville et des Territoire à Marne la vallée

La place des ponts habités aujourd’hui dans les villes L’exemple du Pont Pavillon à Saragosse

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Sommaire Page 5

Introduction

Une typologie avec une histoire et un précédent chez Zaha Hadid Page 6 Page 6

Le Pont Pavillon dans l’histoire des ponts musées. La genèse du Pont Pavillon dans le travail de Zaha Hadid

Les limites et l’appauvrissement programmatique Page 9 Page 9 Page 11 Page 12 Page 13 Page 15

Un objet complexe, à l’image de la ville Un symbole, objet phare des villes Des projets à la pointe de la technologie Le concours de Londres Une aide à l’urbanisation Un appauvrissement des projets

Faire du pont habité un objet d’une réelle utilité pour la ville Page 15 Page 16 Page 16

Dépasser l’objet touristique et événementiel Les problématiques de cette mégastructures Un exemple de réussite

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Conclusion

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Table des illustrations

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Corpus

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« Un pont habité est un pont qui, outre sa fonction de support à une voie de communication, peut assurer certaines fonctions liées à la ville, comme l’habitat ou l’exercice d’activités. » Wikipédia 1 Le pont habité est dans l’imaginaire collectif un objet ancien, appartenant à l’imagerie du Moyen Age. Pourtant en 2008 s’est construit un Pont Pavillon à Saragosse pour une exposition internationale. Du Pont au Change de Paris au Pont Pavillon, une continuité de recherches et de travaux existe. Le pont habité est pourtant négligé par l’histoire, la suite des projets rarement retracée. Trouver une définition n’est pas facile, car on n’en trouve ni dans le Dicobat, ni dans l’Encyclopédie Universalis, ni dans le Quid… C’est finalement Wikipédia qui nous offre une définition associant les deux mots. C’est de ce constat de manque de documentation qu’est parti Jean Dethier2, avec sa collaboratrice historienne Ruth Eaton, pour collecter tous les projets réalisés ou non du Moyen-âge à aujourd’hui. De cette incroyable ressource documentaire va naître en 1996 une exposition à Londres retraçant l’histoire des ponts habités, ainsi qu’un concours pour la ville : un pont habité au-dessus de la Tamise. Ces recherches sont défendues par Jean Déthier dans l’entretien qu’il accorde au magazine Urbanismes la même année. Des articles paraissent sur l’exposition, souvent de simples descriptions de l’évènement, mais certains prennent parti comme celui de Marie Christine Lorier qui voit avec ce concours tous les problèmes que soulève ce genre d’édifice, et émet un doute quant à la possibilité que ces projets basculent dans la réalité. Néanmoins, ce concours relance les recherches sur cette typologie d’édifice et Marc Mimram3 le prouve en s’associant avec l’entreprise Lafarge pour explorer une façon de les réintroduire dans les villes modernes. Il apporte avec son étude des arguments précis sur l’intérêt des ponts habités pour l’urbanisme d’aujourd’hui. Un travail qui rejoint celui de Corinne Tiry, bien que les recherches de cette dernière s’intéressent plus largement aux mégastructures du transport. Au-delà de ces travaux, peu de gens se sont penchés sur la problématique du pont habité d’un point de vue théorique. Les projets sont abondants, qu’ils soient utopiques ou parfaitement réalistes, mais leur conception est quasi totalement inexistante si ce n’est ce Pont Pavillon de Zaha Hadid4. Alors, pourquoi un tel décalage entre les deux ? D’autre part, malgré le caractère exceptionnel du Pont Pavillon, on ne trouve que très peu d’écrits, si ce n’est ceux émis par le cabinet britannique, et encore moins de critiques. Et même plus généralement, les textes autour des ponts habités sont écrits par des supporters du concept, mais peu par des opposants. Malgré l’apparente simplicité du projet de Saragosse en comparaison aux rues surélevées du Moyen-âge, il me semble que cet exemple montre l’état actuel de la réflexion sur le sujet. Et cela même si le travail de Zaha Hadid est souvent critiqué pour son absence de référence historique, il me parait que le Pont Pavillon est un logique héritier de ce qui a pu être construit ou pensé.

1 Auteur anonyme, Pont Habité, Wikipédia, 2012, (2013), http://fr.wikipedia.org/wiki/ Pont_habité 2 Jean Dethier est un historien et critique d’architecture. C’est dans le cadre de son travail d’architecte conseil au Centre de Création Industrielle du Centre Pompidou qu’il lance ses recherches sur les ponts habités. 3 Marc Mimram est un ingénieur-architecte dont les travaux portent autour du développement des villes, et notamment créer du lien entre les espaces. 4 Zaha Hadid est une architecte britannique du mouvement déconstructiviste.

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Le Pont Pavillon dans l’histoire des ponts musées.

L’idée de mettre un espace culturel sur un pont s’élabore progressivement à partir du début du XXe siècle. Les premiers exemples font leur apparition avec les projets dessinés pour les expositions universelles où l’équipement culturel est associé à des commerces et d’autres équipements publics. En 1915, Lutyens5 propose pour la première fois un pont avec uniquement un musée. Ce pont devait se situer sur la rivière Liffey, au centre de Dublin. Le projet devait abriter la collection privée de Sir Hugh Lane et remplacer le Wellington Bridge déjà existant, au final le pont est rejeté par la ville. En France, le projet pour la nouvelle Bibliothèque Nationale proposé par Jean Nouvel comprend un ensemble de bâtiments convergents vers la Seine et prolongé par un pont habité. Nouvel reprend ensuite ce concept à Prague. Aux Etats-Unis, des projets sont proposés pour la réhabilitation de ponts industriels en des ponts culturels par l’architecte Michaël Graves. On retrouve dans les années 2000 un projet de musée au-dessus de la frontière américano-mexicaine et du Rio Bravo ou un autre à Venise par le cabinet A-001 Architectural Workshop.

La genèse du Pont Pavillon dans le travail de Zaha Hadid

Le projet de Zaha Hadid fait partie de ces projets avec un programme d’équipement culturel : c’est un pavillon pour l’exposition universelle de Saragosse en 2008. Le programme se décompose en trois éléments : le pavillon, la porte d’entrée de l’exposition et l’objet phare de la ville. Cela se matérialise par des lieux d’exposition le long d’un espace de circulation complexe. En 2008 le travail de Zaha Hadid est déjà reconnu pour ses recherches sur la structure et sur des formes novatrices. Le Pont Pavillon n’y fait pas exception, et le projet est principalement réalisé en acier. La forme globale « dérive de l’étude d’une coupe en losange extrudée le long d’une voie incurvée »6. Il est composé de trois grandes poutres qui s’entremêlent et reposent sur trois piles. Les intersections formées par les poutres forment les espaces avec un étage bas et un étage haut en mezzanine, ainsi que d’autres espaces interstitiels. La peau qui habille l’ensemble est elle aussi travaillée et présente des innovations qui permettent d’aérer naturellement le Pont Pavillon et d’en modifier l’éclairage. C’est notamment un système d’ailettes mobiles qui sont actionnées par groupe. La performance technique, le revêtement métallique ainsi que le dessin global du pont concours à en faire un objet extraordinaire « Dès le début, c’était l’édifice le plus risqué, le plus grand défi constructif de toute l’Expo de par les difficultés qu’impliquait tout le processus de construction et la limite temporelle étant donné que l’ouvrage devait être achevé en un temps record. » Cabinet Zaha Hadid, Dossier de presse, p3

Différentes coupes sur le pont montre la complexité de l’espace interne et son évolution.

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5 Lutyens est un architecte anglais connu pour adapter une architecture traditionnelle aux besoins de son époque. 6 Hadid Zaha, Zaha Hadid, l’intérgale, Marseilles, Editions Parenthèses, 2009, p166.


Pont de Londres

Pont de Saragosse

Les deux ponts présentent une implantation similaire, un arc au-dessus de l’eau.

On retrouve la composition en trois éléments qui se croisent pour créer les différents espaces. 7


D’un point de vue formel, le pont reprend le travail de Zaha Hadid sur ses précédents projets de ponts habités, notamment celui pour le concours de Londres. En plan, les deux ponts sont incurvés, le pli principal se trouvant au tiers de l’ouvrage. La forme de faisceau avait déjà été utilisée pour « refléter la densité urbaine des rives de la Tamise »7. Dans ce projet, le programme était complexe et comprenait des commerces, des espaces culturels, des habitations et bien sûr un espace de circulation. La structure était constituée de poutres liées qui formaient chacune une branche du faisceau. Les parties habitées de quatre étages se trouvent près des rives tandis qu’une percée était faite au centre, pour dégager des points du vues de part et d’autre du pont. La forme du Pont Pavillon laisse imaginer que dans sa genèse, le projet a pu être plus complexe qu’il ne l’est aujourd’hui. En effet, au-delà de la commande d’un pavillon, cette structure devait être l’entrée principale de l’exposition et un bâtiment phare symbole du rayonnement international de Saragosse. Au final son manque d’envergure en fait une œuvre sur l’eau, un objet un peu incongru dans le paysage dont personne ne sait trop quoi faire.

Les élévations montrent la géométrie choisie. La notion de lien organique entre différent lieu est réellement exprimée à travers les courbes.

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Ibid


Un objet complexe, à l’image de la ville

Les ponts habités sont à leur origine une création vernaculaire des villes moyenâgeuses. Ces villes se constituent progressivement sans contrôle réel, voyant des habitations pousser partout où la place est disponible. En effet, à cette époque la première nécessité est de s’abriter derrière les remparts, créant une pression sur les réserves foncières. Une fois cet espace saturé, les constructions commencent à se développer à l’extérieur avant d’être de nouveau entourées par des fortifications. Les rues sont tortueuses, étroites, les habitations s’agglutinent les unes aux autres. Dans cette situation, les tabliers des ponts proposent un nouveau sol libre et parfaitement exploitable, dans des lieux au cœur des cités. Cet espace attire différent types de population : leur position au-dessus du fleuve incite d’abord les bouchers et tripiers à s’installer, puis les grossistes et les forgerons. S’installent ensuite les bijoutiers et joailliers de luxe qui pour certains sont encore là aujourd’hui. D’autre part, loger sur les ponts représente aussi un double avantage fiscal : les constructions échappent à la taxe du sol, le cens, et les habitants échappent au péage, l’octroi. On y trouve donc aussi une population plutôt pauvre, qui n’a pas les moyens d’habiter sur le « vrai » sol de la ville. Dans le cas du Pont Pavillon, cet aspect est effacé. Le bâtiment sert simplement d’espace d’exposition et de traversée, perdant toute la complexité d’une liaison organique d’une rive à l’autre.

Un symbole, objet phare des villes

Le pont habité est une structure qui passe rarement inaperçue dans les villes qui l’accueillent, à la fois haut-lieu de commerce et aujourd’hui de tourisme. Cette attraction n’est pas liée au hasard : les ponts sont dans les villes un endroit de passage forcé pour franchir un obstacle naturel ou infrastructurel. La situation ainsi créée est celle d’un nœud, d’une centralité. Il a donc été normal d’y voir se développer des boutiques. C’est cette situation qui les rend aujourd’hui incontournables dans la visite de certaines villes comme Florence ou Venise. C’est à Paris avec le Pont au Change8 que commence la famille des ponts anticipés et dessinés. Sa création est loin d’être une agglomération fortuite de constructions, le roi de France décidé d’y regrouper les changeurs et les joailliers et il veut que les constructions aient des mêmes matériaux et la même taille : « deux rangs de maisons uniformes accueillant des magasins en rez-de-chaussée ouvrant sur la rue centrale »9. Les constructions sur le pont s’accroissent, allant jusqu’à creuser dans le pont pour les caves et s’élever jusqu’à cinq étages d’habitations. D’autres ponts de Paris deviendront eux aussi des ponts habités. Ailleurs en Europe se trouve le Old London Bridge10 et l’Italie construit deux des plus fameux ponts habités : le Ponte Vecchio et le Rialto.

Le Rialto est un point central de Venise.

Le Ponte Vecchio est une prolongation naturelle de la ville

8 Le premier pont, alors Grand Pont, est construit au IXe siècle, il est détruit par un incendie en 1621 et c’est à partir de 1639 qu’à lieu sa reconstruction en pierre d’après les dessins d’Androuet du Cerceau. 9 Murray Peter et Stevens Mary Anne, Living Bridges, the inhabited bridge, past present and futur, Munich, Editions Prestel, 1996, p 10 Construit en 1209, il était le seul pont sur la Tamise à Londres jusqu’en 1750. Il a été démoli en 1831 pour laisser place à sa version moderne.

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Au-dessus de l’Arno, à Florence, le Ponte Vecchio11 accueillait d’abord les bouchers et tripiers qui profitaient de leur situation pour évacuer leurs déchets dans le fleuve. Ces commerces seront progressivement remplacés par les joailliers et bijoutiers de luxe. La principale modification depuis ce changement est l’ajout de la galerie privée pour l’usage de Come Ier de Médicis. Le Rialto12 à Venise est le résultat d’un concours organisé par la ville où Sansovino, Palladio et Michel-Ange présentent des projets, le projet est finalement confié à Antonio da Ponte. Le Rialto était à l’époque le seul passage pour traverser le Grand Canal de la ville. Cet axe était extrêmement important, et un endroit privilégié pour les commerces. Le pont devient vite un des symboles de la ville. Le projet de Zaha Hadid devait devenir un des objets phares de l’exposition, et par extension, de la ville de Saragosse. Son attrait repose sur plusieurs points inhérents aux ponts habités. C’est un objet rare de par le monde et hautement technologique en plus de gérer son inscription dans le territoire de façon douce, comme par exemple à travers la forme de la pile centrale qui permet de fendre le courant. « C’est le seul pont habité d’Espagne et l’un des rares ponts au monde ayant cette particularité. Il renferme l’exposition thématique « L’eau, une ressource unique ». Cabinet Zaha Hadid, Dossier de presse, p3

Photo de Fernando Guerra pour le Cabinet Zaha Hadid

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11 Sa première version en bois date de l’époque romaine. Il est reconstruit en pierre en 1345 et le corridor de Vasari est ajouté en 1565. 12 Après l’écroulement en 1444 d’un premier pont, une structure en bois est édifiée. Le pont actuel a été construit de 1588 à 1591.


Des projets à la pointe de la technologie

Le siècle des Lumières met une fin à la construction des ponts habités symbole à leurs yeux de l’obscurantisme du Moyen Age, la seule évolution ayant été le passage du bois à la pierre pour des raisons techniques. Leur incroyable densité entraine leur effondrement, la propagation d’incendie, mais aussi l’absence de vue dégagée sur la ville. La vision des urbanistes de l’époque était celle d’une ville lumineuse et dégagée, modernisée. La particularité de cette rupture est l’abandon du modèle du pont habité, sans chercher à moderniser sa forme et à l’adapter dans la ville telle que les philosophes la conçoivent. Les projets qui vont suivre collent à leur époque et adaptent systématiquement les nouveautés technologiques, architecturales et sociales. Durant le XIXe siècle, la Grande Bretagne est la plus prolifique en projets. Le Waterloo Palace Bridge est présenté à Londres en 1861. Il présente aussi un certain nombre d’innovations prouvant que le concept du pont habité peut être modernisé et adapté à son époque, loin d’être une typologie figée dans l’époque moyenâgeuse. En effet, le Waterloo Palace bridge s’inspire du Crystal Palace et est construit en acier et en verre. Son programme intègre pour la première fois un élément culturel : un concert-hall. Le reste de l’Europe n’oublie pas non plus cet édifice. La France est elle aussi prolifique en projets. Des architectes comme Eiffel13 ou Baltard14 proposent de gigantesques projets à l’échelle des Expositions Universelles de l’époque. Les projets utilisent les nouveautés telles que l’acier, le verre et s’inscrivent dans une vision de la ville tournée vers l’industrialisation et la mécanisation.

Projet de Gustave Eiffel pour le Pont Iéna où on retrouve le vocabulaire métallique des travaux de l’ingénieur.

Le XXe siècle est caractérisé par la prolifération des projets en tout genre. Le concept de pont habité se retrouve chez presque tous les grands architectes quel que soit le courant architectural auquel ils appartiennent : « de l’historicisme au high-tech, de l’expressionnisme au constructivisme, du rationalisme au méga structuralisme, du déconstructivisme au contextualisme »15 . Ces projets présentent la plupart du temps un programme simple avec une seule activité, que ce soit un pont avec des commerces par Collcutt16, une porte d’entrée sur la ville par Berlage17, un parking de neuf étages sur la Seine par Melnikov18… L’idée de moderniser un pont habité déjà existant ne disparait pas non plus. En 1948 une proposition est faite pour Tower Bridge, « en l’enveloppant d’une deuxième peau de verre »19 pour cette fois-ci complexifier son programme en y ajoutant des bureaux. D’autres projets proposent une nouvelle échelle : des ponts-villes pouvant accueillir tous les services et équipement, voire des logements. Le Corbusier en imagine plusieurs pour Alger, Rio de Janeiro… Aux Etats-Unis, Mullgart, Raymond Hood et Hugh Ferris conçoivent des projets pouvant accueillir jusqu’à cent mille personnes. Le principe des mégastructures se développe progressivement et certains tunnels sont 13 En 1878, Eiffel propose de doubler le pont d’Iéna d’un pont de 300mètres accueillant en son centre une vaste halle en verre. 14 En 1828, il propose deux ponts parallèles pour Lyon reliés par une île artificielle abritant des bâtiments publics. 15 « Entretiens avec Jean Dethier, les ponts habités », Urbanismes, n°292, janvier-février 1997, p32. 16 Thomas Edward Collcutt est un architecte anglais de la période victorienne. 17 Hendruf Petrus Berlage est un important architecte hollandais qui a participé à la diffusion des écrits de Frank Lloyd Wright dans son pays. 18 Avraam Malnikov est un architecte et peintre russe qui propose un impressionnant projet pour Paris dans le style constructiviste. 19 « Entretiens avec Jean Dethier, les ponts habités », Urbanismes, n°292, janvier-février 1997, p33.

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en compétitions avec des ponts, comme pour la Manche où Abraham propose un MegaBridge. La fin du XXe siècle continue sur le même principe : des projets démesurés et des projets avec une mono fonction. Aucun n’est construit et le pont habité tombe dans une sorte de fantasme irréalisable représenté ponctuellement lors de concours.

Le concours de Londres

En 1996, Jean Dethier organise une exposition associée à un concours autour des ponts habités. L’exposition retrace leur histoire à travers des maquettes tandis que le concours a pour programme un pont habité au-dessus de la Tamise, réalisable et financièrement viable car l’expertise est réalisée par KPMG. Cette exposition-concours remet le pont habité sur le devant de la scène, le faisant de nouveau s’inscrire dans les réalisations possible pour les villes modernes et en développement. Le concours obtient deux Lauréats : Zaha Hadid et Antoine Grumbach. Pour départager les deux gagnants, il a été proposé au public de voté durant la durée de l’exposition, faisant ressortir le projet de pont-jardin d’Antoine Grumbach. Ce projet se composait de deux tours à l’entrée d’un pont comme une grande terrasse plantée, protégée par un toit. Malgré l’attrait du public et un projet très concret, la ville de Londres n’a pas réalisé ce projet même si on parle de temps à autre de le ressortir des cartons. Le projet de Zaha Hadid est quand à lui assez massif sur l’eau et vivement critiqué par Marie Christine Loriers dans son article qui vante l’autre projet. Néanmoins, on sent une légère réticence de la journaliste envers ce genre de projet, puisqu’elle rejette déjà l’idée de voir ce genre de concours pour Paris, et doute même du réel engagement de la ville de Londres et des investisseurs privés. La création de ces nouveaux projets s’accompagne d’un programme moderne, mais les résultats du concours proposent des ponts dans la logique des ponts moyenâgeux et non plus totalement innovants comme les projets du XXe siècle, l’influence historique de Jean Dethier ayant largement joué sur les créations.

Le pont jardin d’Antoine Grumbach

Une peinture du projet de Zaha Hadid 12


Une aide à l’urbanisation

Durant la première révolution industrielle, la maîtrise théorique de cet objet se complexifie et sa position centrale perd sa systématique avec de nouveaux projets. Le pont habité peut en effet servir à urbaniser un nouveau quartier, créer un lien organique vers un espace à développer et le relier ainsi à la ville. En 1770, Frances Pulterney est le premier à le faire près de Bath pour relier son terrain à la ville. Ses 300 ha se trouvent à proximité du centre ville, mais séparé de celui-ci par une rivière. L’architecte choisi, Robert Adam crée une continuité entre le centre historique et le nouveau quartier à développer. Ce projet est le dernier pont habité construit de l’Europe préindustrielle et s’inspire des projets italiens comme celui de Palladio pour Venise. L’ingénieur Galman propose pour Amsterdam un très long pont pour relier le centre historique à l’autre rive du fleuve pour amorcer son urbanisation. Le pont de 300 mètres n’est jamais réalisé. Le même principe est repris en 1990 à Rueil-Malmaison par l’urbaniste Michel Ricard, à nouveau pour relier un nouveau quartier à un centre urbain. Ces deux espaces étant séparés par une autoroute urbaine. Le Pont Pavillon souhaitait s’inscrire dans la lignée de ces projets. Le site de l’exposition internationale autour du thème de « l’eau et le développement durable » est dans un méandre de l’Ebre, alors des champs et des fermes traditionnelles. Le lieu est relativement proche du centre ville mais pas sur la même rive. La ville de Saragosse s’est historiquement implantée en tournant le dos au fleuve, se développant majoritairement vers le sud. Les quartiers nord souffraient de la coupure du fleuve, n’étant reliés à la ville ancienne que par des ponts pour voiture. La ville a réalisé tout un travail pour améliorer la connexion entre ces deux territoires en réalisant un certain nombre de travaux sur les ponts comme des aménagements sur des structures existantes, et la création de passerelles piétonnes. Le Pont Pavillon devait servir de porte d’entrée au nouvel espace accueillant le palais des Congrès, l’aquarium et d’autres grands équipements permettant de le désenclaver. Malheureusement, le quartier n’a pas pris son essor est reste globalement désertique. Le Pont Pavillon vient doubler une passerelle piétonne préexistante, située à 600 mètres en aval et un pont pour voitures et piétons à 200 mètres en amont le rendant inutile. Il aurait largement été préférable de le situer à la place de la passerelle piétonne qui date de la même période.

La passerelle piétonne

Le pont à la fois pour véhicules et piétons

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La structure d’accueil proposée pour Moscou, projet de Marc Mimram

Le pont habité pour La Courneuve. 14


Un appauvrissement des projets

L’architecte Grumbach, qui est l’autre lauréat, travaille pour ce concours avec l’ingénieur Marc Mimram. Celui-ci va poursuivre ses recherches autour des ponts habités et tenter de leur donner une nouvelle signification dans la ville moderne. Pour cela, il parle de quatre problématiques où l’attention doit être portée durant la conception du pont habité pour qu’il puisse améliorer les conditions de la ville : « Créer une attention locale en s’inscrivant dans l’échelle territoriale […] Faire du travail sur la structure un enjeu qui la dépasse […] Montrer comment un engagement environnemental passe par l’usage de matériaux performants […] Mettre la ville, le lieu, les plaisirs urbains au cœur du projet »20 . L’article présente ensuite des typologies de ponts où chacun ne présente qu’un élément de plus que circuler : le pont toit fait simplement du pont un espace public couvert, la structure d’accueil qui vient être « ouverte sur le paysage en dialogue avec la ville »21, le pont habité qui n’est qu’une typologie parmi les autres et est la forme renouant avec le passé, la structure offshore qui vient conquérir de nouveaux territoires et le pont paysage : un lien organique et un élément des parcs urbains. Dans cette proposition, la complexité programmatique n’est pas de mise, mais plutôt une attention particulière à la qualité apportée par les projets à leur environnement. A mes yeux, le Pont Pavillon de Zaha Hadid ce rapproche de cette famille, avec un programme plutôt simple, mais une attention particulière au contexte. « En dehors de ces espaces modulaires, les édifices qui accueilleront pendant l’Exposition Internationale les trois expositions thématiques (Pavillon-Pont, Aquarium Fluvial et Tour de l’Eau), ainsi que le Pavillon de l’Espagne, se convertiront en autant d’équipements destinés aux événements culturels d’envergure métropolitaine. […] En définitive, Zaragoza comptera, après 2008, un Parc Métropolitain entièrement équipé dont l’intéressante combinaison d’éléments didactiques et de loisirs aux usages de l’espace adjacent ne fera que renforcer l’attrait. » Exposition de Saragosse, Dossier général, p28 Le travail de Marc Mimram a été réalisé en collaboration avec l’entreprise Lafarge, qui montre son désir de présenter des solutions concrètes et prêtes à être utilisée dans les villes. Ces deux visions d’un pont habité simplifiées sont aujourd’hui les deux plus proches de la réalité. On peut de plus faire le parallèle avec le Paik Nam June Media Bridge, un projet futuriste qui devait faire 1080 mètres de long sur la rivière de Séoul. Il était prévu pour accueillir des espaces verts, un espace d’activités commerciales, des musées, une bibliothèque ainsi qu’un complexe de télécommunication. Même si le projet a été poussé très loin, sa réalisation n’a pas commencé dans les délais car le début du chantier devait être en 2012. Et on peut se poser la question de si elle commencera un jour.

Dépasser l’objet touristique et évènementiel

La plupart des projets jouent de leurs formes futuristes pour impressionner. Ils sont des objets de science fiction dont l’image n’est plus dans notre culture. Cette image est à l’opposé des ponts qui nous restent du passé qui appartiennent un vocabulaire passé. Ces ponts là sont aussi devenus des objets de tourisme plus que de réels liens dans les villes. Ils ont depuis longtemps été doublés par d’autres ponts et passerelles moins encombrés par les touristes. Le Pont Pavillon est encore plus fragile car conçu pour une exposition éphémère. Sa complexité et son absence de flexibilité ne facilite pas sa reconversion, posant des questions quand à son avenir. Aujourd’hui, le pont n’est utilisé que ponctuellement pour des expositions et est fermé le reste du temps. Le propriétaire du pont est actuellement en recherche pour savoir 20 Mimram Marc, « Habiter avec l’infrastructure, étude réalisée en partenariat avec Lafarge », Arca International, n°86, janvier-février 2009, p. 62. 21 Ibid, p. 68

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comment l’utiliser et l’offrir à visiter aux touristes. Le système d’éclairage prévu dans les piles du pont est détruit, les pentes sur lesquelles les lampes étaient installées servent de skate parc. Certaines pièces du rebord des ouvertures sont tombées et n’ont pas été remplacées. Le pont est victime d’une sorte de cercle vicieux. Le peu d’activité entraine sa dégradation, mais aussi le peu de priorité pour l’entretenir. Moins il est utilisé, plus il se dégrade, moins il est utilisé. Cette catégorie de projet a besoin d’aller au-delà de l’aspect événementiel et touristique et de trouver une vraie place dans le développement de la ville. Même si le spectaculaire est attrayant, ce n’est pas suffisant pour réaliser un projet d’une telle envergure.

Les problématiques de cette mégastructure

Les ponts habités doivent présenter une multitude d’enjeux pour le territoire dans lequel ils s’implantent. Leur complexité n’existe pas seulement dans leur conception et leur réalisation, mais aussi dans leur financement et leur place dans les textes de loi. La plupart de leurs avantages autant de problèmes à régler en amont. Leur conception nécessite les compétences de plusieurs métiers, ceux qui ont été séparé au XVIIIe siècle : architectes et ingénieurs auxquels s’ajoutent aujourd’hui les urbanistes. S’ils travaillent déjà ensemble à différentes phases et échelles sur les projets, ils doivent dans le cas du pont habité agir dès sa conception. La richesse des projets et du monde actuel explique la réapparition de doubles formations. Les programmes incorporant de multiples services comme du logement, des équipements culturels, des commerces… Impliquent différents investisseurs sur différentes proportions, créant un équilibre délicat dans le financement de ce genre de projet. Ce nouveau sol artificiel à l’intérieur de la ville soulève aussi un certains nombre de problèmes. Si il permet de réduire la spéculation dans la ville en ajoutant des mètres carrés constructibles, il est difficile pour des particuliers d’être propriétaire de ce « faux sol », à l’instar des maisons flottantes à Amsterdam ou des polders qui ont du mal à trouver preneur. Les mentalités ont du mal à changer et restent attachée à la terre. D’autre part, les compagnies privées comprendraient rapidement l’avantage de la situation d’un pont équipé de commerces. Sa situation souvent en cœur de ville en fait un lieu privilégié, renforcé par le passage forcé au-dessus de l’obstacle fleuve. Pour Jean Dethier, il faudrait créer un système de gestion des prix du sol de ce genre d’édifice pour éviter une spéculation trop importante. Une autre catégorie de problème concerne la conception du projet et son inscription dans la ville moderne. Tout d’abord, le choix de ce genre de projet atypique est souvent dans le but d’être un symbole pour la ville. Cette notion de symbole a toujours existé, on trouvait au Moyen Age des ponts construits avec des églises ou des chapelles, comme un signal dans le paysage. Le projet de Saragosse devait aussi reprendre cette idée. Jean Dethier développe d’autres arguments en faveur du pont habité22. Les villes sont morcelées par les nouvelles infrastructures pour les voitures et le train. Les autoroutes et les voies de chemins de fer forment des obstacles de la même manière que les fleuves et coupent l’intégrité de la ville. Le pont habité peut venir recréer du lien. Cette idée est aussi développée par le travail de Marc Mimram avec son étude pour des nouvelles infrastructures. Ces failles dans la ville ont été franchies par des systèmes simples comme des passerelles piétonnes ou des passages souterrains. Jean Dethier leur reproche leur manque de complexité, ce qui nie le principe principal de la ville. Il faudrait réintroduire des structures qui mélangent les programmes.

Un exemple de réussite

Le Marin County Civic Center a été construit en 1957 à San Rafael aux Etats-Unis. Ce projet a été dessiné par Frank Lloyd Wright est représente une réussite en matière de pont habité. Le bâtiment est très long, divisé en deux : la première partie fait 180 mètres, la deuxième 270 mètres et elles sont liées entre elles par une rotonde de 24 mètres de diamètre. L’ensemble est un bâtiment d’état qui contient une partie administrative, un 16

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Dethier Jean, « Inhabited bridges », Rassegna, n°48, décembre 1991


palais de justice, une bibliothèque… S’il ne franchit pas de rivière, il est quand même situé au-dessus de dépressions dans une vallée. Sa forme pliée est faite pour s’intégrer au paysage. Le bâtiment est en activité et parfaitement entretenu, il fait la fierté de la ville car reconnu comme un patrimoine important classé par l’UNESCO. Il représente les dernières années du travail de Wright qui ne le verra pas fini, à l’instar du musée Guggenheim de New York. Malgré tout ces éléments, on trouve une nouvelle fois très peu de publications dessus, essentiellement des photos. Sa réalisation et son histoire montre qu’un pont habité accueillant un programme complexe et adapté aux villes d’aujourd’hui a parfaitement sa place dans le développement moderne des cités.

Le Marin County Civic Center reflète le travail de Frank Lloyd Wright des dernières années 17


A la question : le pont habité est-il une utopie ? Il me semble qu’on doive répondre de façon complexe. Si tous les architectes pensent que cette forme a besoin d’être modernisée et inscrite dans son époque, la plupart n’ont-ils pas été assez radicaux, si ce n’est ces derniers projets où le niveau de complexité est baissé. Malgré la crise qui existe autour de l’expansion des villes actuelles, personne n’imagine revenir habiter audessus des fleuves. Les projets construits sont d’ailleurs plus dans le sens de polders au-dessus de la mer, qui restent dans une logique d’extension. Néanmoins, je ne pense pas que l’idée de voir ressurgir un jour un pont habité dans toute sa complexité soit à abandonner totalement. Pourtant le projet de Frank Lloyd Wright nous montre qu’un programme moderne peu très bien ce glisser dans ce bâtiment complexe. Entre la vision passéiste de Jean Dethier et l’ultra simplification de Marc Mimram et du Pont Pavillon de Zaha Hadid, un équilibre est à trouver permettant d’exploiter toutes les qualités du pont habités, mettant sa richesse au service d’un urbaniste en adéquation avec le territoire. Et malgré leur forme inhabituelle, le côté fantastique du projet fait rêver les architectes, alors pourquoi ne ferait-il pas rêver les habitants des villes ?

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Corpus -Mimram Marc, « Habiter avec l’infrastructure, étude réalisée en partenariat avec Lafarge », Arca International, n°86, janvier-février 2009, pp. 62-73. -Loriers Marie Christine, « Ponts habités, exposition et concours, Londres », Techniques et Architecture, n°428, octobre-novembre 1996, pp 24-27. -« Entretiens avec Jean Dethier, les ponts habités », Urbanismes, n°292, janvier-février 1997, pp 26-35. - Tiry Corinne, Les mégastructures du transport : Typologie architecturale et urbaine des grands équipements de la mobilité, Paris, Editions du Certu, 2009, 144p

Bibliographie Articles w -Dethier Jean, « Inhabited bridges », Rassegna, n°48, décembre 1991 -Albert Marie-Douce, « Vivre sur les ponts, une utopie mais pas trop », L’Architecture d’Aujourd’hui, n° 381, janvier-février 2011, pp 140-145.

Livres

-Murray Peter et Stevens Mary Anne, Living Bridges, the inhabited bridge, past present and futur, Munich, Editions Prestel, 1996, 157p - Rouillard Dominique, Imaginaires d’infrastructure, Paris, L’Harmattan, 2009, 202p. -Biau Daniel, Le pont et la ville, une histoire d’amour planétaire, Presses des Ponts, 2012, 389p. -Hadid Zaha, Zaha Hadid, l’intérgale, Marseilles, Editions Parenthèses, 2009, 256p. -Weintraub Alan, Smith Kathryn, Frank Lloyd Wright l’intégrale, Paris, Editions Chêne, 2009, 399p

Sites

-Auteur anonyme, Pont Habité, Wikipédia, 2012, (2013), http://fr.wikipedia.org/wiki/ Pont_habité -Site d’Etat, Marin Civic Center County, 2011-2013, (2013), http://www.marincounty. org/ -Gential Arthur, Pont Habité NYC, TPFE 2003, (2013), http://www.pont-habite.com/index.shtml

Mémoires

-Guilhot de Lagarde Héloïse, Le pont habité : de la méprise du fleuve à sa mise en valeur, Paris – Belleville, juillet 2004. -Rouyer Isabelle, Vivre sur les ponts, hier, aujourd’hui demain. Vers de nouveaux espaces de passage, Paris – Belleville, 2001 -2002

Documents de cabinets Communiqué de presse Dossier général Design Statement Perspectives, films, plans et coupe

Cabinet Zaha Hadid

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Table des illustrations Couverture

Photo Fernando Guerra pour le Cabinet Zaha Hadid, 2008

Page 6 Coupes du Cabinet Zaha Hadid,2008, retravaillées Page 7 Plans Cabinet Zaha Hadid, 2008, retravaillés Page 8 Elevations Cabinet Zaha Hadid, 2008 Page 9 Photos personnelles Venise 2012 et Florence 2008 Page 10 Photo Fernando Guerra pour le Cabinet Zaha Hadid, 2008 Page 11 Illustration tirée du site Gential Arthur, Pont Habité NYC, TPFE 2003, (2013), http://www.pont-habite.com/index.shtml Page 12 Photo de maquette d’Antoine Grumbach, tirée du site Gential Arthur, Pont Habité NYC, TPFE 2003, (2013), http://www.pont-habite.com/in dex.shtml Page 13 Photos personnelles Saragosse 2013 Page 14 Images de rendu du communiqué Mimram-Larfarge Page 17 Photographies issue du livre : Weintraub Alan, Smith Kathryn, Frank Lloyd Wright l’intégrale, Paris, Editions Chêne, 2009, p320-321

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