Couple mixte, un fils et une fille scolarisés dans le public : beaucoup de New-Yorkais peuvent s’identifier aux de Blasio
Bill de Blasio, prince de New York
A 52 ans, ce candidat à la primaire démocrate se présente comme l’anti-Bloomberg. Ses armes : un programme taxant les plus riches… et l’énorme boule afro de son fils, mascotte de la campagne.
F
inancièrement, c’est un nain. Bill de Blasio est mille fois moins riche que le maire sortant Michael Bloomberg. Aucun des trois grands journaux de la ville ne le soutient. Sa campagne est centrée sur des thèmes comme la défense des minorités et la construction de HLM. Et c’est avec ce programme peu glamour que ce quinquagénaire de 1,97 m à la gueule de conseiller d’orientation sympa dirigera, peut-être, la capitale économique de la première puissance mondiale. Partie de rien au mois de mai, sa cote grimpe en flèche. Fin août, deux sondages le placent en tête des intentions de vote pour le premier tour de la
18 les inrockuptibles 4.09.2013
primaire démocrate du 10 septembre. Il devient la cible principale de tous les spots de campagne financés par la concurrence. Le timing est parfait : jusqu’au jour J, ce sera lui contre les autres. La couleur dominante de ses affiches ? Le rouge. On y lit : “Votez de Blasio. Leader progressiste, il redonnera les clés de New York à chacun d’entre nous ; pas seulement à Wall Street et aux puissants.” Le mouvement Occupy Wall Street et la grève des fast-foods trouveront forcément un écho dans les urnes. De quelle ampleur ? Dans cette campagne indécise, il est le seul à attaquer de front l’héritage du maire sortant. Un exercice délicat. Après douze ans
de règne, Bloomberg a transformé New York. La ville fait plus rêver que jamais. Son dynamisme est au plus haut, le crime au plus bas. Le 29 novembre 2012, New York a fêté son premier jour sans meurtre depuis 1960 et l’immobilier n’en finit pas de grimper. Bloomberg a dirigé la ville comme un grand patron de Wall Street, avec assez de fortune personnelle pour envoyer paître lobbies et syndicats et construire selon sa vision : libre entreprise et dynamisme en priorité absolue. Mais sous son règne, l’écart entre riches et pauvres s’est creusé. New York n’a pas attendu Bloomberg pour être une ville de fortes disparités, mais elles sont aujourd’hui
Terence Jennings/Retro/Corbis
reportage
comparables à celles d’un pays comme le Honduras, selon des statistiques de 2011 du Center for Working Families de New York. Près d’un habitant sur cinq ne mange pas à sa faim sans food stamps – les tickets d’alimentation des services sociaux – pendant que le 1 % des plus riches gagne plus de 500 000 dollars par an. De Blasio veut taxer cette frange de la population pour financer le développement du soutien scolaire. Il souhaite aussi créer 200 000 logements à loyers modérés. Son autre point fort, c’est sa femme Chirlane McCray. Une Caribéenne de 58 ans, qui écrit ses discours. Lesbienne et fière de l’être – elle a médiatisé son coming out dans une tribune au magazine de la communauté noire Essence dès 1979 –, elle a flashé sur ce Blanc dégingandé, alors qu’ils travaillaient dans l’équipe du premier maire afroaméricain de New York, David Dinkins, en 1991. “Je portais un boubou et j’avais le nez piercé... Ce fut le coup de foudre.” Dans une récente interview, elle déclare qu’elle se sent toujours lesbienne, que Bill est une personne “merveilleuse” qu’elle aime “d’un amour passionné”. Peu importe qu’il soit un homme : “A l’époque, j’ai surtout pensé qu’il avait six ans de moins que moi.” Elle n’a pas viré sa cuti, mais elle l’aime. Et puis, l’adversaire Christine Quinn, candidate de l’establishment, soutenue par le New York Times et les deux tabloïds de la ville, est lesbienne. Pour les de Blasio, enlever à l’électorat LGBT
à New York, les disparités sont aujourd’hui comparables à celles du Honduras un argument pour voter Quinn ne mange pas de pain. L’électeur a ainsi appris que Christine Quinn, de son propre aveu, était “alcoolique” et “boulimique à l’adolescence”. Il a aussi eu droit au come-back estival d’Anthony Weiner – le sénateur déchu pour avoir malencontreusement twitté des photos de son sexe en érection en 2011. Crédité de 26 % d’intentions de vote au mois de juillet après une opération rédemption digne de Tiger Woods, celui-ci se ridiculise une fois de plus en avouant avoir de nouveau “sexté” une jeune femme. La récipiendaire a profité de
sa soudaine notoriété pour démarrer une carrière dans le X dans la semaine suivant le scandale. A côté, Bill et sa femme feraient presque figure de famille traditionnelle. De Blasio est le candidat qui met le plus en avant son clan – ou qui l’utilise, selon ses détracteurs. Un père blanc, une mère noire, un fils et une fille métis scolarisés dans le public, beaucoup de New-Yorkais peuvent s’identifier à eux. Résultat, de Blasio ravit le vote afro-américain et caribéen au nez et à la barbe de Bill Thompson, seul candidat noir de cette élection. Parti à 5 % au mois de mai,
il est aujourd’hui à 35 % d’intentions de vote chez les démocrates noirs d’après un sondage du 28 août. C’est sa hausse la plus remarquée mais il passe aussi en tête toutes catégories confondues à 36 %, dépassant Quinn (21 %) et Thompson (20 %) à dix-huit jours de la primaire. Contrairement à ses adversaires, Bill de Blasio n’a jamais exercé de poste à responsabilité dans l’appareil démocrate. Actuellement il est public advocate. C’est un peu le bureau des pleurs de la mairie : de Blasio recueille les doléances des New‑Yorkais, défend leurs
droits, mais sans pouvoir décisionnel. Un poste peu exposé, tourné vers le petit peuple : une parfaite rampe de lancement pour sa campagne. Il est rentré dans le lard de Bloomberg en conservant une ligne sans tache et cohérente, sans laisser d’angles d’attaque à ses ennemis. “Il est droit dans ses bottes”, affirme Tanya Gallo, qui a rejoint le staff en mai. “Ça fait plaisir de suivre quelqu’un depuis le début, et de le voir exploser comme ça.” Pourquoi l’aime-t-elle ? “C’est très simple : il est de gauche”, assène cette conseillère en urbanisme. Maxime Robin