Bud représente une certaine Amérique, celle qui soutient ses troupes, va à l’église, roule en pick-up et penche républicain
obama romney 1 5
very Bud trip
Route 66, mile 77. En pleine campagne présidentielle, notre reporter traverse les États-Unis et rencontre l’Amérique invisible. Premier épisode à Saint Louis, ville orpheline de sa fierté locale : la bière Budweiser.
F
uck Budweiser… Je bois de la Pabst Blue Ribbon maintenant. C’est pas mauvais, ça, la Pabst.” L’énorme bedaine d’Al Merkel absorbera encore beaucoup de liquide tant que le Bon Dieu la maintiendra en état de marche. Mais plus jamais de Bud. Une promesse que ce Marine à la retraite tient depuis son licenciement, il y a deux ans. Son dernier emploi en date. Dans son mobile home, sur la rive est du Mississippi qui coupe Saint Louis en deux, sont suspendus des drapeaux confédérés, des photos de Harley-Davidson et de G.I. en uniforme, des peintures d’Indiens à cheval. Au milieu du bric-à-brac jappe un minuscule Chihuahua, que les copains appellent “Angel” mais qu’Al appelle seulement “Shut up, dog”. Budweiser. La bière US par excellence. Par les valeurs qu’elle véhicule (aides aux vétérans de l’armée, sponsoring des courses de Nascar, spots de pub du Super Bowl…), Bud représente une certaine Amérique, celle qui soutient ses troupes, va à l’église, roule en pick-up et penche républicain. Plus précisément, Budweiser, c’est Saint Louis, Missouri. La ville aux portes du Far West, d’où part la Route 66 jusqu’à Los Angeles. Avec un taux
24 les inrockuptibles 10.10.2012
de criminalité élevé (40 meurtres pour 100 000 habitants en 2010, la seconde derrière Detroit, selon les données les plus récentes du FBI) et un taux de chômage de quatre points supérieur à la moyenne nationale, Saint Louis n’a pas toujours des occasions de frimer. Budweiser en était une. Les autres entreprises locales (McDonnell Douglas, 7up…) pouvaient bien quitter les rives du Mississippi, Saint Louis aurait toujours Budweiser. Alors quand le propriétaire, la dynastie Anheuser-Busch, a annoncé sa vente à un groupe étranger, en pleine crise des subprimes, la ville s’est sentie salement cocue. “Je transportais des fûts pour eux, se souvient Al. Peu avant qu’ils ne me virent, ils avaient sorti une nouvelle boisson, la Chelada. C’était du bloody mary. Le vrai bloody mary : bière et jus de tomate. Pas de vodka… Bref. J’amenais le jus de tomate et les épices à Saint Louis pour qu’ils fassent le mélange. Quand InBev a racheté, ils ont délocalisé la Chelada.” La mort dans l’âme, Al a revendu sa Harley, “une Silver Paint 1965”, la prunelle de ses yeux. Depuis une overdose de médicaments, Al touche une pension d’invalidité : pas de quoi payer le loyer, ni réparer les fuites de son toit, colmatées par une bâche
et des pneus. “Cette baraque est une décharge. Ce n’est plus la mienne, elle appartient aux banques maintenant.” Al est insolvable et ne peut pas emprunter pour la racheter. Peu d’Américains ont remarqué à l’époque cette défaite du capitalisme familial à l’américaine face à une OPA étrangère. Avec Goldman Sachs, la crise immobilière, les élections, le pays avait d’autres soucis. Barack Obama, alors sénateur en campagne, avait mollement fait part de “ses inquiétudes”. La position de son rival John McCain était plus délicate : sa femme Cindy détient le monopole de distribution de Bud en Arizona. Budweiser a toujours été gérée de père en fils depuis sa fondation en 1876, par Adolphus Busch. La famille a traversé les tempêtes – la Prohibition, la crise de 29 – pour transformer la brasserie en conglomérat de la bière, numéro 1 mondial du secteur. Problème : une fois arrivée au top, la compagnie a gardé des habitudes dispendieuses, sans trop se soucier de la concurrence étrangère dont l’appétit grossissait. C’était Noël tous les jours chez Budweiser. Caisses de bières gratuites, billets au stade, voyages en première pour tous les employés en déplacement : “J’aime que mes employés se sentent importants”,